S. m. (Grammaire) Nous avons trois sortes d'ingénieurs ; les uns pour la guerre ; ils doivent savoir tout ce qui concerne la construction, l'attaque et la défense des places. Les seconds pour la marine, qui sont versés dans ce qui a rapport à la guerre et au service de mer ; et les troisiemes pour les ponts et chaussées, qui sont perpétuellement occupés de la perfection des grandes routes, de la construction des ponts, de l'embellissement des rues, de la conduite et réparation des canaux, etc.

Toutes ces sortes d'hommes sont élevés dans des écoles, d'où ils passent à leur service, commençant par les postes les plus bas, et s'élevant avec le temps et le mérite aux places les plus distinguées.

INGENIEUR, c'est dans l'état militaire un officier chargé de la fortification, de l'attaque et de la défense des places, et des différents travaux nécessaires pour fortifier les camps et les postes qu'on veut défendre à la guerre.

" Le nom d'ingénieur marque l'adresse, l'habileté et le talent que les officiers doivent avoir pour inventer. On les appelait autrefois engeigneurs, du mot engin qui signifie machine, parce que les machines de guerre avaient été pour la plupart inventées par ceux qui les mettaient en œuvre dans la guerre. Or engin vient d'ingenium ; on appelait même en mauvais latin ces machines ingenia.

Hi se clauserunt propè ripas ingeniorum, dit Guillaume le Breton dans l'histoire en vers de Philippe Auguste, en parlant du quartier où étaient les machines. "

Et Guillaume Guyart, lingigneurs engins dressent. Histoire de la milice franc. 2. 11. pag. 89.

L'emploi d'ingénieur exige beaucoup d'étude, de talents, de capacité et de génie. Les sciences fondamentales de cet état sont l'Arithmétique, la Géométrie, la Mécanique et l'Hydraulique.

Un ingénieur doit avoir quelqu'usage du dessein. La physique lui est nécessaire pour juger de la nature des matériaux qu'on emploie dans les bâtiments, de celle des eaux, et des différentes qualités de l'air des lieux qu'on veut fortifier.

Il est très-utîle qu'il ait des connaissances générales et particulières de l'Architecture civile, pour la construction des bâtiments militaires, comme casernes, magazins, arsenaux, hôpitaux, logements de l'état-major, etc. dont les ingénieurs sont ordinairement chargés. M. Frézier recommande aux ingénieurs de s'appliquer à la coupe des pierres. " J'ai reconnu par ma propre expérience, dit ce savant auteur, (dans l'ouvrage qu'il a donné sur cette matiere) que cette connaissance (de la coupe des pierres) était aussi indispensablement nécessaire à un ingénieur qu'à un architecte, parce qu'il peut être envoyé comme moi dans des colonies éloignées, et même dans les provinces où l'on manque d'ouvriers capables d'exécuter certaines parties de la fortification, où il faut de l'intelligence dans cet art ".

Ces différentes connaissances et plusieurs autres que M. Maigret désire encore dans un ingénieur, comme celle de l'Histoire, de la Grammaire et de la Rhétorique, auxquelles on pourrait joindre celle des différentes manœuvres des troupes, ne sont que l'accessoire de ce qui constitue le véritable ingénieur. C'est la science de la fortification, de l'attaque et de la défense des places, qui le caractérise particulièrement, et qui doit être l'objet le plus sérieux de ses études. " Les différentes parties du génie, dit l'auteur de l'Ingénieur de campagne, se rapportent presque toutes à la fortification. L'on ne peut douter qu'elle n'en soit la principale ; cependant à parler en général, c'est, dit-il, celle à laquelle les ingénieurs s'attachent le moins. Cette indifférence, ajoute cet auteur, vient probablement de ce que n'ayant appris qu'une routine sans principes, qu'un maître peu éclairé rend respectable par le nom de l'auteur dont il l'emprunte ; on regarde naturellement cet objet comme borné, et comme porté au point de perfection dont il est possible ". Préface de l'Ingénieur de campagne.

Il est certain qu'en examinant le progrès de la fortification depuis l'invention des bastions, on s'aperçoit que la disposition de l'enceinte des places a éprouvé peu de changements ; mais doit-on en conclure qu'elle a tout le degré de perfection possible ? Non sans-doute ; le peu de durée de la défense de cette enceinte, lorsque l'ennemi a pu s'en approcher, suffit pour le démontrer.

Il est donc important de chercher à rendre notre fortification plus parfaite. Il faudrait trouver le moyen de se garantir de l'effet du ricochet ; de rendre les ouvrages moins exposés à la nombreuse artillerie avec laquelle on bat les places ; de mettre les dehors plus en état d'être soutenus, et repris par l'assiégé ; de faciliter les communications, de les rendre plus sures et plus commodes, et surtout de diminuer l'excessive dépense de la fortification. Ce sont les principaux objets qu'on doit avoir en vue dans les nouveaux systèmes de fortification qu'on peut proposer. Les ingénieurs peuvent seuls donner des idées justes dans une matière où la théorie ne peut rien, ou du moins ne peut que très-peu de chose sans la pratique des siéges. C'est cette expérience qui a produit le Traité de fortification de M. le comte de Pagan, et les vues nouvelles que cet illustre ingénieur a données pour perfectionner la disposition de l'enceinte des places, et pour rendre la défense des flancs plus directe. Voyez FORTIFICATION.

Pour perfectionner la fortification, ou rectifier ce qu'elle a de désavantageux, il faut posséder parfaitement tout ce qui a été fait et enseigné sur cette matière. Cette étude, lorsqu'on y fait un peu d'attention, parait plus vaste et plus difficîle qu'on ne le croyait d'abord. Bien des gens s'imaginent savoir la fortification, parce qu'ils ont appris à tracer l'enceinte d'un plan suivant la méthode de M. de Vauban, ou celle de quelqu'autre ingénieur ; mais ceux qui ont réfléchi sur cet art sentent bien quelles sont les bornes d'une pareille étude. Elle sert seulement à apprendre les termes de la Fortification ; mais si l'on n'entre point dans l'esprit des inventeurs des systèmes, si l'on ne fait pas attention aux différents objets qu'ils ont eus dans leur construction, il arrive, comme l'expérience le prouve, qu'après avoir beaucoup copié de plans, et construit beaucoup de systèmes, on ignore encore la fortification, c'est-à-dire son esprit, ses règles et ses préceptes, et qu'on se trouverait très-embarrassé s'il fallait appliquer ces règles à une situation tant-sait-peu irrégulière.

Les connaissances de la fortification, utiles à un ingénieur, sont bien différentes de celles qui conviennent à un officier ordinaire. Le premier doit non-seulement savoir disposer les ouvrages d'une place de guerre pour la mettre en état de faire une vigoureuse résistance ; mais il faut encore qu'il sache les construire, et remédier aux différents inconvénients qui arrivent dans la construction. L'officier peut se borner au premier objet pour être en état de reconnaître le fort et le faible d'une place. Si avec cela il sait mettre un village ou un poste en état de résister à un coup de main, on peut dire qu'il possède la fortification nécessaire à son état. Mais l'habileté de l'ingénieur doit être portée à un point bien différent. Comme les idées ne se présentent que successivement, il faut, pour en trouver d'utiles, s'appliquer très-sérieusement à l'objet que l'on veut perfectionner. Ceux qui craient n'avoir plus rien à apprendre dans les choses de leur état, ne sont pas propres à trouver de nouvelles inventions. Un esprit éclairé, sage et raisonnable, n'emploie guère son temps à des recherches particulières, qu'autant qu'il présume que son application ne sera pas infructueuse ; il est rare qu'avec cette disposition, de l'intelligence, des connaissances et un travail assidu, on ne parvienne à la fin à quelque découverte utile.

Nous pensons donc que la perfection de la fortification actuelle est un objet digne de l'attention et de l'application des plus savants ingénieurs. On peut tout attendre d'un corps aussi éclairé et aussi distingué que celui du génie, qui ne voit rien en Europe qui puisse lui être comparé dans l'attaque et dans la défense des places.

Il est établi en France, depuis M. le maréchal de Vauban, de ne recevoir aucun ingénieur qui n'ait été examiné sur les parties des Mathématiques nécessaires à son état, c'est-à-dire, sur l'Arithmétique, la Géométrie élémentaire et pratique, la Mécanique et l'Hydraulique. Le Roi paye pour cet effet un examinateur particulier.

L'intention de M. le maréchal de Vauban était, qu'après cet examen, on envoyât les jeunes gens, qui l'avaient subi, dans les places où il y avait de grands travaux, pour les former dans le service des places, et leur faire acquérir les différentes parties de la science du Génie. Cette espèce de noviciat devait durer un an ou deux, après quoi il voulait qu'on les examinât de nouveau pour juger de leurs talents et du progrès de leur application avant que de les admettre à l'état d'ingénieur. Ceux dont les talents auraient paru trop médiocres pour le Génie, devaient être placés dans l'infanterie, où les connaissances qu'ils avaient acquises ne pouvaient que contribuer à en faire de bons officiers.

Le Roi a établi à Mézières, depuis quelques années, une école particulière pour le Génie.

Quoique tous les Ingénieurs doivent être également versés dans le service des places et dans celui de campagne ; cependant comme il est difficîle d'exceller en même temps dans chacun de ces deux services, peut-être serait-il à propos de les diviser en ingénieurs de place et en ingénieurs de campagne.

Ces deux états, dont M. le maréchal de Vauban a réuni les différentes qualités dans le degré le plus éminent, supposent également la science de la fortification ; mais comme on peut posséder le détail de la construction des travaux, qui ne s'apprend point en campagne, et ignorer ou du moins ne point exceller dans ce détail, et être très-habîle dans le service de campagne, qui ne donne aucune idée de celui des places, le partage de ces deux fonctions pourrait peut-être donner lieu de former des sujets plus habiles dans chacune de ces deux parties du Génie.

Le service de campagne demande beaucoup de connaissance de l'art de la guerre ; il exige d'ailleurs une grande vivacité d'esprit et d'intelligence pour imaginer et exécuter en même temps les différents travaux nécessaires en campagne, pour fortifier les camps et les postes qu'on veut défendre : " On n'étudie point cette matière dans les places, dit M. de Clairac dans l'Ingénieur de campagne, parce que ce n'est point l'objet présent... D'ailleurs, quel que soit le rapport de la fortification de campagne avec celle des places, la science de celle-ci ne suffit pas toujours pour développer pleinement ce qui concerne l'autre ". C'est pourquoi, dès que les travaux de l'ingénieur en campagne exigent une étude particulière, il semble qu'il serait très-convenable de s'y appliquer aussi particulièrement.

Les qualités nécessaires aux ingénieurs de guerre ou de campagne sont, suivant M. le maréchal de Vauban. " beaucoup de cœur, beaucoup d'esprit, un génie solide, et outre cela une étude perpétuelle et une expérience consommée sur les principales parties de la guerre : mais si la nature rassemble très-rarement ces trois premières qualités dans un seul homme, il est encore plus extraordinaire d'en voir échapper à la violence de nos sieges, et qui puissent vivre assez pour pouvoir acquérir les deux autres. Le métier est grand et noble, mais il mérite un génie fait exprès et l'application de plusieurs années ". Instruct. pour la conduite des sieges.

Aux qualités précédentes, " il faut encore, dit M. Maigret, joindre l'activité et la vigilance absolument nécessaires dans toutes les actions de la guerre, mais surtout dans l'attaque des places qui espèrent du secours. Il ne faut point donner le temps aux assiégés de se reconnaître ; qui y perd une heure, en perd pour le moins deux, et un seul moment perdu en ces occasions est quelquefois irréparable. C'est par l'activité et la vigilance que les ingénieurs contraignent souvent des assiégés de capituler, qui ne le feraient que longtemps après, si ces ingénieurs n'avaient pas usé d'une grande promptitude dans le progrès des attaques ". Traité de la sûreté des états par le moyen des forteresses.

Aux deux divisions précédentes d'ingénieur de place et d'ingénieur de campagne, peut-être serait-il encore à propos de faire une troisième classe pour la fortification des villes maritimes, qui demande une étude particulière, et dans laquelle il est difficîle d'exceller sans beaucoup de travail et d'application. Il suffit, pour s'en convaincre, d'une lecture sérieuse et réfléchie des deux derniers volumes de l'Architecture hydraulique, par M. Belidor.

Les appointements des ingénieurs, lorsqu'on les reçoit, sont de six cent livres par an. Ils augmentent ensuite, selon le mérite et l'ancienneté. Dans les sieges et en campagne, les moindres appointements de ceux qu'on y emploie sont de cent cinquante livres par mois.

Les ingénieurs obtiennent les mêmes grades militaires et les mêmes récompenses que les autres officiers des troupes. Ainsi ils parviennent à celui de brigadier, de maréchal de camp, de lieutenant général et même de maréchal de France, comme l'a été M. de Vauban. Ils ont aussi des pensions, des majorités, des gouvernements de places, etc.

Le nombre des ingénieurs en France est de trois cent. Ils sont partagés dans les différentes places de guerre du royaume. En temps de guerre, on en forme des détachements à la suite des armées. Ceux qui servent dans les sièges sont partagés en brigades, à la tête de chacune desquelles est un ancien ingénieur, auquel on donne le nom de brigadier. Ces brigades se relèvent toutes les vingt-quatre heures.

Dans les places où il y a plusieurs ingénieurs, le premier est appelé ingénieur en chef. Il a la direction principale de tous les travaux ; les autres agissent sous ses ordres. Les appointements des ingénieurs en chef sont de 1800 livres, mais ils ont outre cela des récompenses et des gratifications. Cette place demande des soins infinis, dit M. le Maréchal de Vauban, " une activité perpétuelle, beaucoup de conduite, de bon-sens, d'expérience dans tous les ouvrages de terre, de bois et de pierre, avec une parfaite intelligence de toutes les différentes espèces de matériaux, de leur prix, et de la capacité des ouvriers. Ces qualités sont si nécessaires dans la conduite des grands travaux, que par-tout où elles se trouvent manquer, on peut s'assurer que le moindre mal qui en puisse arriver sera un retardement, une longue et ennuyeuse construction, quantité de mal-façons, et toujours beaucoup de dépense superflue ; accidents à jamais inséparables de la médiocre intelligence de ceux qui en seront chargés ". Directeur des fortifications.

Il y a aussi des ingénieurs provinciaux ou directeurs des fortifications dans les provinces. Ce sont ceux qui sont chargés de la direction générale de tous les travaux qui se font dans les places de leur département. (Q)