S. m. terme de Grammaire ; c'est ainsi qu'on appelle le quatrième cas des noms dans les langues qui ont des déclinaisons, c'est-à-dire, dans les langues dont les noms ont des terminaisons particulières destinées à marquer différents rapports ou vues particulières, sous lesquelles l'esprit considère le même objet. " Les cas ont été inventés, dit Varron, afin que celui qui parle puisse faire connaître, ou qu'il appele, ou qu'il donne, ou qu'il accuse ". Sunt destinati casus ut qui de altero diceret, distinguere posset, quùm vocaret, quùm daret, quùm accusaret ; sic alia quaedam discrimina quae nos et Graecos ad declinandum duxerunt. Varro, lib. I. de Anal.

Au reste les noms que l'on a donnés aux différents cas ne sont tirés que de quelqu'un de leurs usages, et surtout de l'usage le plus fréquent ; ce qui n'empêche pas qu'ils n'en aient encore plusieurs autres, et même de tout contraires : car on dit également donner à quelqu'un, et ôter à quelqu'un, défendre et accuser quelqu'un ; ce qui a porté quelques Grammairiens (tel est Scaliger) à rejeter ces dénominations, et à ne donner à chaque cas d'autre nom que celui de premier, second, et ainsi de suite jusqu'à l'ablatif, qu'ils appellent le sixième cas.

Mais il suffit d'observer que l'usage des cas n'est pas restreint à celui que leur dénomination énonce. Tel est un seigneur qu'on appelle duc ou marquis d'un tel endroit ; il n'en est pas moins comte ou baron d'un autre. Ainsi nous croyons que l'on doit conserver ces anciennes dénominations, pourvu que l'on explique les différents usages particuliers de chaque cas.

L'accusatif fut donc ainsi appelé, parce qu'il servait à accuser, accusare aliquem : mais donnons à accuser la signification de déclarer, signification qu'il a même souvent en Français, comme quand les négociants disent accuser la réception d'une lettre ; et les joueurs de piquet, accuser le point. En déterminant ensuite les divers usages de ces cas, j'en trouve trois qu'il faut bien remarquer.

1. La terminaison de l'accusatif sert à faire connaître le mot qui marque le terme ou l'objet de l'action que le verbe signifie. Augustus vicit Antonium, Auguste vainquit Antoine : Antonium est le terme de l'action de vaincre ; ainsi Antonium est à l'accusatif, et détermine l'action de vaincre. Vocem praecludit metus, dit Phèdre en parlant des grenouilles épouvantées du bruit que fit le soliveau que Jupiter jeta dans leur marais ; la peur leur étouffa la voix : vocem est donc l'action de proecludit. Ovide parlant du palais du Soleil, dit que materiem superabat opus ; materiem ayant la terminaison de l'accusatif, me fait entendre que le travail surpassait la matière. Il en est de même de tous les verbes actifs transitifs, sans qu'il puisse y avoir d'exception, tant que ces verbes sont présentés sous la forme d'actifs transitifs.

Le second service de l'accusatif c'est de terminer une de ces prépositions qu'un usage arbitraire de la langue Latine détermine par l'accusatif. Une préposition n'a par elle-même qu'un sens appelatif ; elle ne marque qu'une sorte, une espèce de rapport particulier ; mais ce rapport est ensuite appliqué, et pour ainsi dire individualisé par le nom qui est le complément de la préposition : par exemple, il s'est levé avant, cette préposition avant marque une priorité. Voilà l'espèce de rapport : mais ce rapport doit être déterminé. Mon esprit est en suspens jusqu'à ce que vous me disiez avant qui ou avant quoi. Il s'est levé avant le jour, ante diem ; cet accusatif diem détermine, fixe la signification de ante. J'ai dit qu'en ces occasions ce n'était que par un usage arbitraire que l'on donnait au nom déterminant la terminaison de l'accusatif ; car au fond ce n'est que la valeur du nom qui détermine la préposition : et comme les noms Latins et les noms Grecs ont différentes terminaisons, il fallait bien qu'alors ils en eussent une ; or l'usage a consacré la terminaison de l'accusatif après certaines prépositions, et celle de l'ablatif après d'autres ; et en Grec il y a des prépositions qui se construisent aussi avec le génitif.

Le troisième usage de l'accusatif est d'être le suppôt de l'infinitif, comme le nominatif l'est avec les modes finis ; ainsi comme on dit à l'indicatif Petrus legit, Pierre lit, on dit à l'infinitif Petrum légère, Pierre lire, ou Petrum legisse, Pierre avoir lu. Ainsi la construction de l'infinitif se trouve distinguée de la construction d'un nom avec quelqu'un des autres modes ; car avec ces modes le nom se met au nominatif.

Que si l'on trouve quelquefois au nominatif un nom construit avec un infinitif, comme quand Horace a dit patiens vocari Caesaris ultor, au lieu de patiens te vocari ultorem ; c'est ou par imitation des Grecs qui construisent indifféremment l'infinitif, ou avec un nominatif, ou avec un accusatif, ou bien c'est par attraction ; car dans ce passage d'Horace, ultor est attiré par patiens, qui est au même cas que filius Maiae : tout cela se fait par le rapport d'identité. Voyez CONSTRUCTION.

Pour épargner bien des peines, et pour abreger bien des règles de la méthode ordinaire au sujet de l'accusatif, observez :

1°. Que lorsqu'un accusatif est construit avec un infinitif, ces deux mots forment un sens particulier équivalent à un nom, c'est-à-dire, que ce sens serait exprimé en un seul mot par un nom, si un tel nom avait été introduit et autorisé par l'usage. Par exemple, pour dire Herum esse semper lenem, mon maître est toujours doux, Terence a dit heri semper lenitas.

2° D'où il suit que comme un nom peut être le sujet d'une proposition, de même ce sens total exprimé par un accusatif avec un infinitif, peut aussi être et est souvent le sujet d'une proposition.

En second lieu, comme un nom est souvent le terme de l'action qu'un verbe actif transitif signifie, de même le sens total énoncé par un nom avec un infinitif est aussi le terme ou objet de l'action que ces sortes de verbes expriment. Voici des exemples de l'un et de l'autre, et premièrement du sens total qui est le sujet de la proposition ; ce qui, ce me semble, n'est pas assez remarqué. Humanam rationem praecipitationi et praejudicio esse obnoxiam satis compertum est. Cailly, Phil. Mot à mot, l'entendement humain être sujet à la précipitation et au préjugé est une chose assez connue. Ainsi la construction est, hoc, nempe humanam rationem esse obnoxiam praecipitationi et praejudicio, est seu negotium satis compertum. Humanam rationem esse obnoxiam praecipitationi et praejudicio, voilà le sens total qui est le sujet de la proposition ; est satis compertum en est l'attribut.

Caton dans Lucain, liv. II. Ve 288. dit que s'il est coupable de prendre le parti de la république, ce sera la faute des dieux. Crimen erit Superis et me fecisse nocentem. Hoc, nempe deos fecisse me nocentem, de m'avoir fait coupable ; voilà le sujet dont l'attribut est erit crimen Superis. Plaute, Miles gl. act. III. scen. j. Ve 109. dit que c'est une conduite louable pour un homme de condition qui est riche, de prendre soin lui-même de l'éducation de ses enfants ; que c'est élever un monument à sa maison et à lui-même. Laus est magno in genere et in divitiis maximis liberos, hominem educare, generi monumentum et sibi. Construisez, hominem constitutum magno in genere et divitiis maximis educare liberos, monumentum generi et sibi ; hoc, inquam, est laus ; ainsi est laus est l'attribut, et les mots qui précèdent font un sens total, qui est le sujet de la proposition.

Il y a en François et dans toutes les langues un grand nombre d'exemples pareils ; on en doit faire la construction suivant le même procédé. Il est doux de trouver dans un amant qu'on aime, un époux que l'on doit aimer, Quinault. Il, illud, à savoir l'avantage, le bonheur de trouver dans un amant qu'on aime un époux que l'on doit aimer : voilà un sens total, qui est le sujet de la proposition ; on dit de ce sens total, de ce bonheur, de ce il, qu'il est doux ; ainsi est doux, c'est l'attribut.

Quam bonum est correptum manifestare paenitentiam ! est negotium quam bonum. Ecclésiaste, c. xx. Ve 4. construisez : hoc, nempe hominem correptum manifestare paenitentiam, est negotium quàm bonum. Il est beau pour celui qu'on reprend de quelque faute, de faire connaître son repentir. Il vaut mieux pour un esclave d'être instruit que de parler, plus scire satius est quàm loqui hominem servum. Plaute, act. I. scen. j. Ve 57. construisez : hoc, nempe hominem servum plus scire, est satius quam hominem servum loqui. Homines esse amicos Dei, quanta est dignitas ! Qu'il est glorieux pour les hommes, dit Saint Grégoire le Grand, d'être les amis de Dieu ! où vous voyez que le sujet de la proposition est ce sens total, homines esse amicos Dei. Le même procédé peut faire la construction en Français, et dans quelqu'autre langue que ce puisse être. Il, illud, à savoir d'être les amis de Dieu, est combien glorieux pour les hommes ! Mihi semper placuit non rege solum, sed regno liberari rem publicam. Lett. VII. de Brutus à Ciceron. Hoc, scilicet rempublicam liberari non solum, à rege, sed regno, placuit mihi. J'ai toujours souhaité que la république fût délivrée non-seulement du roi, mais même de l'autorité royale.

Je pourrais rapporter un bien plus grand nombre d'exemples pareils d'accusatifs qui forment avec un infinitif un sens qui est le sujet d'une proposition : passons à quelques exemples où le sens formé par un accusatif et un infinitif, est le terme de l'action d'un verbe actif transitif.

A l'égard du sens total, qui est le terme de l'action d'un verbe actif, les exemples en sont plus communs. Puto te esse doctum ; mot à mot, je crois toi être savant ; et selon notre construction usuelle, je crois que vous êtes savant. Sperat se palmam esse relaturum ; il espère soi être celui qui doit remporter la victoire, il espère qu'il remportera la victoire.

La raison de ces accusatifs Latins est donc qu'ils forment un sens qui est le terme de l'action d'un verbe actif ; c'est donc par l'idiotisme de l'une et de l'autre langue qu'il faut expliquer ces façons de parler, et non par les règles ridicules du que retranché.

A l'égard du Français, nous n'avons ni déclinaison ni cas ; nous ne faisons usage que de la simple dénomination des noms, qui ne varient leur terminaison que pour distinguer le pluriel du singulier. Les rapports ou vues de l'esprit que les Latins font connaître par la différence de la terminaison d'un même nom, nous les marquons, ou par la place du mot, ou par le secours des prépositions. C'est ainsi que nous marquons le rapport de l'accusatif en plaçant le nom après le verbe. Auguste vainquit Antoine, le travail surpassait la matière. Il n'y a sur ce point que quelques observations à faire par rapport aux pronoms. Voyez ARTICLE, CAS, CONSTRUCTION. (F)