S. f. (Grammaire) culte qu'on rend à la divinité par l'oblation de quelque victime, ou par quelqu'autre présent.

SACRIFICE D'ABEL, (Critique sacrée) plusieurs lecteurs vont me demander avec curiosité, que je leur dise dans cet article, en quoi consistait le sacrifice d'Abel, pourquoi l'être suprême eut égard à son offrande, et non à celle de Caïn, qui cependant lui présentait les prémices de son travail et le fruit de sa sueur ; enfin comment Dieu fit connaître que l'oblation d'Abel lui était seule agréable. Je vais répondre de mon mieux à ces trois questions qui partagent les interpretes de l'Ecriture, anciens et modernes.

L'auteur de la Genèse, c. iv. Ve 4. dit, suivant nos traductions, qu'Abel offrit des premiers nés de son bétail, et de leur graisse ; c'est sur ce passage que la plupart des commentateurs, d'après les rabbins, croient qu'Abel offrit à Dieu les premiers nés de son troupeau en holocauste, et ils prétendent que cet ordre de sacrifice était le seul qui fût en usage avant la loi ; mais divers savants, au nombre desquels est l'illustre Grotius, sont d'une autre opinion. Ils pensent qu'Abel n'offrit que du lait, ou de la crême de son bétail ; ils remarquent, pour appuyer leur sentiment, que l'on n'offrait à Dieu que ce qui servait de nourriture aux hommes ; et comme avant le déluge ils n'usaient point de viande, ils ne sacrifiaient aussi aucune créature vivante.

Nos versions disent qu'Abel offrit des premiers nés de sa bergerie, et de leur graisse. Grotius et M. le Clerc observent que par les premiers nés, il faut entendre les meilleurs, et que le terme signifie souvent tout ce qui excelle dans son genre. Ils remarquent encore que le mot khalab, que l'on a traduit par celui de graisse, signifie aussi du lait, ou la graisse du lait, c'est-à-dire de la crême ; que c'est ainsi que les septante l'ont souvent rendu, et en particulier Genèse XVIIIe 8. où nos versions portent du lait. Les anciens égyptiens offraient aussi du lait à leurs dieux. Diodore de Sicîle rapporte que les habitants de l'île de Méroé avaient coutume de remplir tous les jours trois cent soixante vaisseaux de lait, en invoquant les noms des divinités qu'ils adoraient.

Quant au défaut du sacrifice de Caïn, Philon le fait consister en deux choses : 1°. qu'il ne l'offrit pas assez promptement, mais , après quelques jours ; 2°. qu'il n'offrit que des fruits de la terre, et non les premiers nés de son bétail. L'auteur sacré de l'épitre aux Hébreux, c. XIe Ve 4. dit bien mieux, que ce fut la foi d'Abel qui fit préférer son sacrifice à celui de Caïn ; cette foi, qui est une subsistance, ou une ferme attente, , des choses qu'on espere, c'est-à-dire, la persuasion que Dieu récompensera les gens de bien dans cette vie ou dans une autre.

Selon la plupart des commentateurs, Dieu fit descendre le feu du ciel pour marquer que le sacrifice d'Abel lui était agréable ; mais il est fort permis de penser différemment. On convient qu'il y a dans l'histoire sainte des exemples de sacrifices consumés par un feu miraculeux ; mais lorsque cela est arrivé, l'Ecriture l'a dit en termes exprès ; au lieu que dans l'occasion dont il s'agit ici, il n'est point fait mention d'un tel feu ; et nous ne devons pas supposer des miracles sans nécessité. D'ailleurs il y a tout lieu de croire que l'impie Caïn se serait mis peu en peine que son sacrifice fût consumé par le feu ou non. Il est donc naturel de chercher quelqu'autre marque de l'approbation de Dieu dont Caïn ait pu être touché, et qui ait été capable d'exciter son ressentiment contre son frère ; or voici l'idée ingénieuse d'un professeur de Leyde sur cette troisième question.

Il convient que Moïse rapporte (immédiatement après avoir dit que Caïn et Abel offrirent des sacrifices) que Dieu eut égard à l'oblation d'Abel, et qu'il n'eut point d'égard à celle de Caïn ; mais l'on ne doit pas conclure de-là que les marques de l'approbation divine suivirent d'abord le sacrifice. La manière dont cette histoire nous est rapportée, nous insinue qu'Abel et Caïn vécurent plusieurs années, l'un comme berger, et l'autre comme laboureur ; et l'on peut supposer, sans faire violence au texte, que lorsqu'ils retirèrent quelque profit de leur travail, ils en offrirent les fruits à Dieu, et qu'ils continuèrent pendant plusieurs années. Abel, dit l'historien sacré, était berger ; mais Caïn était laboureur, et il arriva au bout de quelque temps, etc. Ces paroles, au bout de quelque temps, en hébreu mikketz jamin, signifient quelquefois au bout de quelques ou plusieurs années, comme on peut le voir Deut. c. xiv. Ve 28. au bout de trois ans, où le mot de trois détermine le nombre des années ; mais comme il n'y a point de nombre marqué dans le passage en question, on pourrait le traduire, au bout de quelques années.

En effet, il est très-probable que ce ne fut qu'au bout de quelques années qu'Abel connut qu'il était agréable à Dieu, et Caïn qu'il ne l'était point. Le premier prospéra, et vit son troupeau augmenter : Caïn au contraire s'aperçut qu'il ne fleurissait point, et que la terre ne lui fournissait pas d'abondantes récoltes : ce furent-là les voies par lesquelles Dieu fit connaître qu'il avait agréé le sacrifice d'Abel, et qu'il n'avait point eu égard à celui de Caïn ; et c'est ce qui aigrit le jaloux Caïn contre son frère. Voyant que Dieu le bénissait beaucoup plus que lui, il résolut enfin de le tuer, et exécuta cet horrible dessein.

On sait de quelle manière attendrissante et pathétique l'auteur spirituel du poème de la mort d'Abel a traité tout récemment ce sujet de notre religion. Non-seulement c'est un ouvrage neuf par sa structure, sa forme et son ton ; mais M. Gesner a encore eu l'art d'augmenter l'intérêt que nous prenons à cet événement de l'histoire sainte, par la manière vive et touchante dont il peint les diverses passions de nos premiers ayeux, et par les grâces et la vérité qu'il met dans ses tableaux, lorsqu'il décrit les mœurs des premiers hommes qui ont habité la terre. A l'égard du sacrifice qu'Abel offrit à Dieu, il a cru devoir préférer l'opinion d'une victime en holocauste, au sentiment de Grotius, et voici comme il s'exprime à ce sujet dans la traduction soignée qu'en a faite M. Huber. C'est un trop beau morceau pour n'en pas décorer mon article. Lisez-le.

Le soleil ne donnant plus qu'une lumière adoucie, dardait encore ses derniers rayons à-travers le feuillage, prêt à s'aller cacher derrière les montagnes ; les fleurs distribuaient leurs parfums sur les zéphirs, comme pour les charger de les exhaler sur lui ; et les oiseaux à l'envi lui donnaient l'agréable amusement de leurs concerts. Caïn et Abel arrivèrent sous le feuillage, et virent avec une joie délicieuse leur père rendu à leurs yeux. Sa prière finissait ; il se leva, et embrassa les larmes aux yeux, sa femme et ses enfants ; après quoi il s'en retourna dans sa cabane. Cependant Abel dit à Caïn : mon cher frère, quelles actions de grâces rendrons-nous au seigneur de ce qu'il a exaucé nos gémissements, et de ce qu'il nous rend notre précieux père ? Je vais pour moi, à cette heure où la lune se leve, m'acheminer vers mon autel, pour y offrir au seigneur en sacrifice le plus jeune de mes agneaux. Et toi, mon cher frère, es-tu dans la même idée ? Voudrais-tu aussi sur ton autel, faire un sacrifice au seigneur ?

Caïn le regardant d'un oeil chagrin : oui, dit-il, je vais aller à mon autel offrir en sacrifice au seigneur, ce que la pauvreté des champs me donne. Abel lui répondit gracieusement : mon frère, le seigneur ne compte pour rien l'agneau qui brule devant lui, ni les fruits de la campagne que la flamme consume, pourvu qu'une piété sans tache brule dans le cœur de celui qui donne l'un ou l'autre.

Caïn repartit : il est vrai, le feu tombera tout d'abord du ciel pour consumer ton holocauste ; car c'est par toi que le seigneur a envoyé du secours ; pour moi il m'a dédaigné ; mais je n'en irai pas moins lui offrir mon sacrifice.

Abel alors se jeta tendrement au cou de Caïn, en disant : ah, mon frère, mon cher frère, est-ce que tu te fais un nouveau sujet de chagrin de ce que le seigneur s'est servi de moi pour porter du secours à mon père ? S'il s'est servi de moi, c'est une commission dont il m'a chargé pour nous tous. O mon frère, écarte, je t'en supplie, ces fâcheuses idées ; le seigneur qui lit dans nos âmes, sait bien y découvrir les pensées injustes et les murmures sourds. Aime-moi, comme je t'aime. Vas offrir ton sacrifice ; mais ne permets pas que des dispositions impures en souillent la sainteté ; et compte qu'alors le seigneur recevra favorablement tes louanges et tes actions de grâces, et qu'il te bénira du haut de son trône.

Caïn ne répondit point ; il prit le chemin de ses champs, et Abel le regardant avec tristesse, prit celui de ses pâturages, chacun s'avançant vers son autel. Abel égorgea le plus jeune de ses agneaux, l'étendit sur l'autel, le parsema de branches aromatiques et de fleurs, et mit le feu à l'holocauste ; puis échauffé d'une piété fervente, il s'agenouilla devant l'autel, et fit à Dieu les actions de grâces et les louanges les plus affectueuses. Pendant ce temps, la flamme du sacrifice s'élevait en ondoyant à-travers les ombres de la nuit ; le seigneur avait défendu aux vents de souffler, parce que le sacrifice lui était agréable.

De son côté, Caïn mit des fruits de ses champs sur son sacrifice, et se prosterna devant son autel ; aussitôt les buissons s'agitèrent avec un bruit épouvantable, un tourbillon dissipa en mugissant, le sacrifice, et couvrit le malheureux de flammes et de fumée. Il recula de l'autel en tremblant, et une voix terrible, qui sortit de la nuée, lui dit : pourquoi trembles-tu, et pourquoi la terreur est-elle peinte sur ton visage ? Il en est encore temps, corrige-toi, je te pardonnerai ton péché ; sinon ton péché et son châtiment te poursuivront jusque dans ta cabane. Pourquoi haïs-tu ton frère ? il t'aime et t'honore. La voix se tut, et Caïn saisi de frayeur quitta ce lieu affreux pour lui, et s'en retourna ; le vent furieux chassait encore après lui la fumée infecte du sacrifice ; son cœur frissonnait, et une sueur froide coula de ses membres.

Cependant, en promenant ses regards, il vit dans la campagne les flammes du sacrifice de son frère qui s'élevaient en tournoyant dans les airs. Désespéré par ce spectacle, il tourna ses pas ailleurs, et traina loin de-là sa noire mélancolie, jusqu'à ce qu'enfin il s'arrêta sous un buisson, et bientôt le sommeil déploya sur lui ses sombres ailes.

Depuis longtemps un génie que l'enfer appelait Anamalech, observait ses démarches. Il suivit en secret les traces de Caïn, et saisit ce moment pour troubler son âme par toutes les images que pouvaient faire naître en lui l'égarement, l'envie à la dent corrosive, la colere emportée, et toutes les passions furieuses. Tandis que l'esprit impur travaillait à troubler ainsi l'âme de Caïn, un bruit épouvantable se fit entendre sur la cime des montagnes, un vent mugissant agitait les buissons, et rabattait les boucles des cheveux de Caïn le long de son front et de ses joues. Mais en vain les buissons mugirent ; en vain les boucles de ses cheveux battirent son front et ses joues, le sommeil s'était appesanti sur ses yeux ; rien ne put les lui faire ouvrir.

Caïn frémissait encore de son songe, lorsqu'Abel qui l'avait aperçu dans le bocage au pied du rocher, s'approcha, et jetant sur lui des regards pleins d'affection, il dit avec cette douceur qui lui était propre : ah mon frère, puisses-tu bientôt te réveiller, pour que mon cœur gros de tendresse, te puisse exprimer ses sentiments, et que mes bras puissent t'embrasser ! Mais plutôt modérez-vous, désirs empressés. Peut-être que ses membres fatigués ont encore besoin des influences restaurantes du sommeil. Mais... comme le voilà étendu, défait... inquiet ;.... la fureur parait peinte sur son front. Eh pourquoi le troublez-vous, songes effrayans ? laissez son âme tranquille ; venez, images agréables, peintures des douces occupations domestiques et des tendres embrassements, venez dans son cœur. Que tout ce qu'il y a de beau et de flatteur dans la nature, remplisse son imagination de charmes et de délices ; qu'elle soit riante comme un jour de printemps ! que la joie soit peinte sur son front, et qu'à son réveil les hymnes éclosent de ses lèvres. A ces mots, il fixa son frère avec des yeux animés d'un tendre amour et d'une attente inquiete.

Tel qu'un lion redoutable dormant au pied d'un rocher, glace par sa crinière hérissée le voyageur tremblant, et l'oblige à prendre un détour pour passer, si d'un vol rapide une flèche meurtrière vient à lui percer le flanc, il se lève soudain avec des rugissements affreux, et cherche son ennemi en écumant de rage ; le premier objet qu'il rencontre, sert de pâture à sa fureur ; il déchire un enfant innocent qui se joue avec des fleurs sur l'herbe. Ainsi se leva Caïn les yeux étincelans de fureur. Maudite soit l'heure, s'écria-t-il, à laquelle ma mère, en me mettant au monde, a donné la première preuve de sa triste fécondité. Maudite soit la région où elle a senti les premières douleurs de l'enfantement. Périsse tout ce qui y est né. Que celui qui veut y semer, perde ses peines, et qu'une terreur subite fasse tressaillir tous les os de ceux qui y passeront.

Telles étaient les imprécations du malheureux Caïn, lorsqu'Abel pâle, comme on l'est au bord du tombeau, risqua de s'avancer à pas chancelans. Mon frère, lui dit-il d'une voix entrecoupée par l'effroi : mais non... Dieu !... je frissonne !... un des séditieux reprouvés que la foudre de l'Eternel a précipités du ciel, a sans-doute emprunté sa figure, sous laquelle il blasphême ? Ah fuyons. Où es-tu, mon frère, que je te bénisse ?

Le voici s'écria Caïn avec une voix de tonnerre, le voici ce favori du vengeur éternel et de la nature ; ah toute la rage de l'enfer est dans mon cœur. Ne pourrai-je ?... Caïn, mon frère, dit Abel, en l'interrompant avec une émotion dans la voix et une altération dans le visage, qui exprimait tout-à-la-fais sa surprise, son inquiétude et son affection, quel songe affreux a troublé ton âme ? Je viens dès l'aurore pour te chercher, pour t'embrasser, avec le jour naissant ; mais quelle tempête intérieure t'agite ? Que tu reçais mal mon tendre amour ! Quand viendront hélas, les jours fortunés, les jours délicieux où la paix et l'amitié fraternelle rétablies feront revivre dans nos âmes le doux repos et les plaisirs riants, ces jours après lesquels notre père affligé et notre tendre mère soupirent avec tant d'ardeur ? O Caïn, tu ne comptes donc pour rien ces plaisirs de la réconciliation, à quoi tu feignis toi-même d'être sensible, lorsque tout transporté de joie je volai dans tes bras ? Est-ce que je t'aurais offensé depuis ? Dis-moi si j'ai eu ce malheur ; mais tu ne cesses pas de me lancer des regards furieux. Je t'en conjure par tout ce qu'il y a de sacré, laisse-toi calmer, souffre mes innocentes caresses ! En disant ces derniers mots, il se mit en devoir d'embrasser les genoux de Caïn ; mais celui-ci recula en-arrière ;... ah, serpent, dit-il, tu veux m'entortiller !... et en même temps ayant saisi une lourde massue, qu'il éleva d'un bras furieux, il en frappa violemment la tête d'Abel. L'innocent tomba à ses pieds, le crane fracassé ; il tourna encore une fois ses regards sur son frère, le pardon peint dans les yeux, et mourut ; son sang coula le long des boucles de sa blonde chevelure, aux pieds même du meurtrier.

A la vue de son crime, Caïn épouvanté était d'une pâleur mortelle ; une sueur froide coulait de ses membres tremblans ; il fut témoin des dernières convulsions de son frère expirant. La fumée de ce sang qu'il venait de verser, monta jusqu'à lui. Maudit coup ! s'écria-t-il, mon frère !... reveille-toi.... reveille-toi, mon frère ? Que son visage est pâle ! Que son oeil est fixe ! Comme son sang inonde sa tête... Malheureux que je suis.... Ah, qu'est-ce que je pressens !... Il jeta loin de lui la massue sanglante. Puis se baissant sur la malheureuse victime de sa rage, il voulut la relever de terre. Abel !.... mon frère.... criait-il au cadavre sans vie ; Abel, réveille-toi.... Ah, l'horreur des enfers vient me saisir ! O mort.... c'en est donc fait pour toujours, mon crime est sans remède. (D.J.)

SACRIFICES du paganisme, (Mythol. antiq. Lit.) Théophraste rapporte que les Egyptiens furent les premiers qui offrirent à la divinité des prémices, non d'encens et de parfums, bien moins encore d'animaux, mais de simples herbes, qui sont les premières productions de la terre. Ces premiers sacrifices furent consumés par le feu, et de là viennent les termes grecs , qui signifient sacrifier, etc. On brula ensuite des parfums, qu'on appela , du grec , qui veut dire prier. On ne vint à sacrifier les animaux que lorsqu'ils eurent fait quelque grand dégât des herbes ou des fruits qu'on devait offrir sur l'autel. Le même Théophraste ajoute qu'avant l'immolation des bêtes, outre les offrandes des herbes et des fruits de la terre, les sacrifices des libations étaient fort ordinaires, en versant sur les autels de l'eau, du miel, de l'huile, et du vin, et ces sacrifices s'appelaient Nephalia, Melitosponda, Eloeosponda, Aenosponda.

Ovide assure que le nom même de victime marque qu'on n'en égorgea qu'après qu'on eut remporté des victoires sur les ennemis, et que celui d'hostie fait connaître que les hostilités avaient précédé. En effet, lorsque les hommes ne vivaient encore que de légumes, ils n'avaient garde d'immoler des bêtes dont la loi du sacrifice voulait qu'on mangeât quelque partie.

Ante Deos homini quod conciliare valeret,

Fas erat, et puri lucida mica satis.

Pythagore s'éleva contre ce massacre des bêtes, soit pour les manger, ou les sacrifier. Il prétendait qu'il serait tout au plus pardonnable d'avoir sacrifié le pourceau à Céres, et la chèvre à Bacchus, à cause du ravage que ces animaux font dans les blés et dans les vignes ; mais que les brebis innocentes, et les bœufs utiles au labourage de la terre, ne peuvent s'immoler sans une extrême dureté, quoique les hommes tâchent inutilement de couvrir leur injustice du voîle de l'honneur des dieux : Ovide embrasse la même morale.

Nec satis est quod tale nefas committitur ipsos

Inscripsere deos sceleri ; numenque supernum,

Caede laboriferi credunt gaudere juvenci.

Horace déclare aussi que la plus pure et la plus simple manière d'apaiser les dieux, est de leur offrir de la farine, du sel, et quelques herbes odoriférantes.

Te nihil attinet

Tentare multâ caede bidentium,

Mollibis aversos penates,

Farre pio, et saliente mica.

Les payens avaient trois sortes de sacrifices, de publics, de domestiques, et d'étrangers.

Les publics, dont nous décrirons les cérémonies avec un peu d'étendue, se faisaient aux dépens du public pour le bien de l'état, pour remercier les dieux de quelque faveur signalée, ou les prier de détourner les calamités qui menaçaient, ou qui affligeaient un peuple, un pays, une ville.

Les sacrifices domestiques se pratiquaient par ceux d'une même famille, et à leurs dépens, dont ils chargeaient souvent leurs héritiers. Aussi Plaute fait dire à un valet nommé Ergasile, dans ses captifs, qui avait trouvé une marmite pleine d'or, que Jupiter lui avait envoyé tant de biens, sans être chargé de faire aucun sacrifice.

Sine sacris haereditatem suam adeptus effertissimam.

" J'ai obtenu une bonne succession, sans être obligé aux frais des sacrifices de la maison ".

Les sacrifices étrangers étaient ceux qu'on faisait lorsqu'on transportait à Rome les dieux tutélaires des villes ou des provinces subjuguées, avec leurs mystères et les cérémonies de leur culte religieux.

De plus, les sacrifices s'offraient encore ou pour l'avantage des vivants, ou pour le bien des défunts, car la fête des morts est ancienne, les Romains l'avaient avant les catholiques ; elle se célébrait chez eux au mois de Février, ainsi que Ciceron nous l'apprend : Februario mense, qui tunc extremus anni mensis erat, mortuis parentari voluerant.

La matière des sacrifices était comme nous l'avons dit, des fruits de la terre, ou des victimes d'animaux, dont on présentait quelquefois la chair et les entrailles aux dieux, et quelquefois on se contentait de leur offrir seulement l'âme des victimes, comme Virgile fait faire à Entellus, qui immole un taureau à Eryx, pour la mort de Darès, donnant âme pour âme,

Hanc tibi, Eryx, meliorem animam pro morte Daretis, Persolvo.

Les sacrifices étaient différents par rapport à la diversité des dieux que les anciens adoraient ; car il y en avait aux dieux célestes, aux dieux des enfers, aux dieux marins, aux dieux de l'air, et aux dieux de la terre. On sacrifiait aux premiers des victimes blanches en nombre impair ; aux seconds des victimes noires, avec une libation de vin pur et de lait chaud qu'on repandait dans des fosses avec le sang des victimes ; aux troisiemes on immolait des hosties noires et blanches sur le bord de la mer, jetant les entrailles dans les eaux, le plus loin que l'on pouvait, et y ajoutant une effusion de vin.

cadentem in littore taurum,

Constitutam ante aras voti reus, extaque salsos

Porriciam in fluctus, et vina liquentia fundam.

On immolait aux dieux de la terre des victimes blanches, et on leur élevait des autels comme aux dieux célestes ; pour les dieux de l'air, on leur offrait seulement du vin, du miel, et de l'encens.

On faisait le choix de la victime, qui devait être saine et entière, sans aucune tache ni défaut ; par exemple elle ne devait point avoir la queue pointue, ni la langue noire, ni les oreilles fendues, comme le remarque Servius, sur ce vers du 6 de l'Enéïde.

Totidem lectas de more bidentes.

Id est, ne habeant caudam aculeatam, nec linguam nigram, nec aurem fissam : et il fallait que les taureaux n'eussent point été mis sous le joug.

Le choix de la victime étant fait, on lui dorait le front et les cornes, principalement aux taureaux, aux génisses, et aux vaches :

Et statuam ante aras auratâ fronte juvencum.

Macrobe rapporte au I. liv. des saturnales, un arrêt du sénat, par lequel il est ordonné aux décemvirs, dans la solennité des jeux apollinaires, d'immoler à Apollon un bœuf doré, deux chèvres blanches dorées, et à Latone une vache dorée.

On leur ornait encore la tête d'une infule de laine, d'où pendaient deux rangs de chapelets, avec des rubans tortillés, et sur le milieu du corps une sorte d'étole assez large qui tombait des deux côtés ; les moindres victimes étaient seulement ornées de chapeaux de fleurs et de festons, avec des bandelettes ou guirlandes blanches.

Les victimes ainsi parées, étaient amenées devant l'autel, et cette action s'exprimait par ce mot grec , agère, ducère ; la victime s'appelait agonia, et ceux qui la conduisaient, agones. Les petites hosties ne se menaient point par le lien, on les conduisait seulement, les chassant doucement devant soi ; mais on menait les grandes hosties avec un licou, au lieu du sacrifice ; il ne fallait pas que la victime se débattit, ou qu'elle ne voulut pas marcher, car la résistance qu'elle faisait, était tenue à mauvais augure, le sacrifice devant être libre.

La victime amenée devant l'autel, était encore examinée et considerée fort attentivement, pour voir si elle n'avait pas quelque défaut, et cette action se nommait probatio hostiarum, et exploratio. Après cet examen le prêtre revêtu de ses habits sacerdotaux, et accompagné des victimaires, et autres ministres des sacrifices, s'étant lavé et purifié suivant les cérémonies prescrites, commençait le sacrifice par une confession qu'il faisait tout haut de son indignité, se reconnaissant coupable de plusieurs péchés, dont il demandait pardon aux dieux, espérant que sans y avoir égard, ils voudraient bien lui accorder ses demandes.

Cette confession faite, le prêtre criait au public, hoc age, soyez recueilli et attentif au sacrifice ; aussitôt une espèce d'huissier tenant en main une baguette qu'on nommait commentaculum, s'en allait par le temple, et en faisait sortir tous ceux qui n'étaient pas encore instruits dans les mystères de la religion, et ceux qui étaient excommuniés. La coutume des Grecs, de qui les Romains l'empruntèrent, était que le prêtre venant à l'autel demandait tout haut, , qui est ici ? Le peuple répondait , plusieurs personnes et gens de bien. Alors l'huissier criait dans tous les coins du temple , c'est-à-dire loin d'ici méchants ; ou bien , loin d'ici profanes. Les Latins disaient ordinairement, nocentes, profani, abscedite ; chez les Grecs, tous ceux qu'on chassait des temples, étaient compris sous ces mots généraux, , etc.

Ovide a nommé dans ses fastes liv. II. la plupart des pécheurs qui ne pouvaient assister aux mystères des dieux. Voici sa liste qui devrait nous servir de règle.

Innocui veniant, procul hinc, procul impius esto

Frater, et in partus mater acerba suos :

Cui pater est vivax : qui matris digerit annos,

Quae premit invisam socrus amica nurum.

Tantalidae fratres absint, et Jasonis uxor,

Et quae ruricolis semina tosta dedit !

Et soror, et Progne, Tereusque duabus iniquus ;

Et quicumque suas per scelus auget opes.

Nous apprenons de ces beaux vers, qu'à parler en général, il y avait deux sortes de personnes à qui on défendait d'assister aux sacrifices ; savoir les profanes, c'est-à-dire ceux qui n'étaient pas encore instruits dans le culte des dieux, et ceux qui avaient fait quelque action énorme, comme d'avoir frappé leur père ou leur mère. Il y avait certains sacrifices en Grèce, dont les filles et les esclaves étaient bannis. Dans la Chéronée, le prêtre tenant en main un fouet, se tenait à la porte du temple de Matuta, et défendait à haute voix aux esclaves étoliens d'y entrer. Chez les Mages ceux qui avaient des taches de rousseur au visage, ne pouvaient point approcher des autels, selon le témoignage de Pline, livre XXX. chap. IIe Il en était de même chez les Germains, de ceux qui avaient perdu leur bouclier dans le combat ; et parmi les Scythes, de celui qui n'avait point tué d'ennemi dans la bataille. Les dames romaines ne devaient assister aux sacrifices que voilées.

Les profanes et les excommuniés s'étant retirés, on criait favete linguis ou animis, et pascite linguam, pour demander le silence et l'attention pendant le sacrifice. Les Egyptiens avaient coutume, dans le même dessein, de faire paraitre la statue d'Harpocrate, dieu du silence, qu'ils appelaient . Pour les Romains, ils mettaient sur l'autel de Volupia, la statue de la déesse Angéronia, qui avait la bouche cachetée, pour apprendre que dans les mystères de la religion, il faut être attentif de corps et d'esprit.

Cependant le prêtre bénissait l'eau pour en faire l'aspersion avec les cérémonies ordinaires, soit en y jetant les cendres du bois qui avait servi à bruler les victimes, soit en y éteignant la torche du sacrifice ; il aspergeait de cette eau lustrale, et les autels et tout le peuple, pendant que le chœur des musiciens chantait des hymnes en l'honneur des dieux.

Ensuite on faisait les encensements aux autels, aux statues des dieux, et aux victimes ; le prêtre ayant le visage tourné vers l'orient, et tenant les coins de l'autel, lisait les prières dans le livre des cérémonies, et les commençait par Janus et Vesta, en leur offrant avant toute autre divinité, du vin et de l'encens. Héliogabale ordonna cependant qu'on adressât la préface des prières au dieu Héliogabale. Domitien voulut aussi qu'on les commençat en s'adressant à Pallas, dont il se disait fils, selon le témoignage de Philostrate. Toutefais les Romains restituèrent cet honneur à Janus et à Vesta.

Après cette courte préface, l'officiant faisait une longue oraison au dieu à qui il adressait le sacrifice, et ensuite à tous les autres dieux qu'on conjurait d'être propices à ceux pour lesquels on offrait le sacrifice, d'assister l'empire, les empereurs, les principaux ministres, les particuliers, et l'état en général. C'est ce que Virgile a religieusement observé dans la prière qui fut faite à Hercule par les Saliens, ajoutant, après avoir rapporté ses belles actions :

Salve vera Jovis proles, decus addite divis,

Et nos et tua dexter adi pede sacra secundo.

Aeneid. l. VIII.

Apulée rend à la déesse Isis une action de grâce qui mérite d'être ici rapportée, à cause de sa singularité.

Tu quidem sancta et humani generis sospitatrix perpetua, semper fovendis mortalibus munifica, dulcem matris affectionem miserorum casibus tribuis, nec dies, nec quies ulla, ac ne momentum quidem tenue tuis transcurris beneficiis otiosum, quâ mari terrâque protegas homines, et depulsis vitae procellis salutarem porrigas dexteram, quâ fatorum etiam inextricabiliter contorta retractas licia, et fortunae tempestates mitigas, et stellarum varios meatus cohibes.

Te superi colunt, observant inferi, tu rotas orbem, luminas solem, regis mundum, calcas tartarum ; tibi respondent sidera, redeunt tempora, gaudent numina, serviunt elementa, tuo nutu spirant flumina, nutriunt nubila, germinant semina, crescunt gramina. Tuam majestatem perhorrescunt aves coelo meantes, ferae montibus errantes, serpentes solo latentes, belluae, ponto natantes.

At ego referendis laudibus tuis exilis ingenio, et adhibendis sacrificiis tenuis patrimonio. Nec mihi vocis ubertas, ad dicenda quae de tuâ majestate sentio, sufficit, nec ora mille, linguaeque totidem, vel indefensi sermonis aeterna series. Ergo quod solùm potest religiosus quidem, sed pauper, alioquin efficère curabo, divinos tuos vultus, numenque sanctissimum, intra pectoris mei secreta conditum, perpetuò custodiens, imaginabor.

Ces prières se faisaient debout, tantôt à voix basse, et tantôt à voix haute ; ils ne les faisaient assis que dans les sacrifices pour les morts.

Multis dum precibus Jovem salutat,

Stants summos resupinus usque in ungues.

Mart. l. XII. épigr. 78.

Virgile dit :

Luco tùm fortè parentis,

Pilumni Turnus sacratâ valle sedebat.

Aeneid. l. IX.

Le prêtre récitait ensuite une espèce de prône, pour la prospérité des empereurs et de l'état, comme nous l'apprenons d'Apulée, livre II. de l'âne d'or. Après, dit-il, qu'on eut ramené la procession dans le temple de la déesse Isis, un des prêtres appelé grammateus, se tenant debout devant la porte du chœur, assembla tous les pastophores, et montant sur un lieu élevé, prit son livre, lut à haute voix plusieurs prières pour l'empereur, pour le sénat, pour les chevaliers romains, et pour le peuple, ajoutant quelque instruction sur la religion : Tunc ex iis quem cuncti grammateum vocabant, pro foribus assistens, caetu pastophorum (quod sacro sancti collegii nomen est) velut in concionem vocato, indidem de sublimi suggestu, de libro, de litteris faustâ voce praefatus principi magno, senatuque, equiti, totique populo, noticis, navibus, &c.

Ces cérémonies finies, le sacrificateur s'étant assis, et les victimaires étant debout, les magistrats ou les personnes privées qui offraient les prémices des fruits avec la victime, faisaient quelquefois un petit discours ou manière de compliment ; c'est pour cela que Lucien en fait faire un par les ambassadeurs de Phalaris aux prêtres de Delphes, en leur présentant de sa part un taureau d'airain, qui était un chef-d'œuvre de l'art.

A mesure que chacun présentait son offrande, il allait se laver les mains en un lieu exprès du temple, pour se préparer plus dignement au sacrifice, et pour remercier les dieux d'avoir bien voulu recevoir leurs victimes. L'offrande étant faite, le prêtre officiant encensait les victimes, et les arrosait d'eau lustrale ; ensuite remontant à l'autel, il priait à haute voix le dieu d'avoir agréables les victimes qu'il lui allait immoler pour les nécessités publiques, et pour telles ou telles raisons particulières ; et après cela le prêtre descendait au bas des marches de l'autel, et recevait de la main d'un des ministres, la pâte sacrée appelée mola salsa, qui était de farine d'orge ou de froment, pâitrie avec le sel et l'eau, qu'il jetait sur la tête de la victime, répandant par-dessus un peu de vin ; cette action se nommait immolatio, quasi molae illatio, comme un épanchement de cette pâte, mola salsa, dit Festus, vocatur far totum, et sale sparsum, quo deo molito hostiae aspergantur.

Virgile a exprimé cette cérémonie en plusieurs endroits de son poème ; par exemple,

Jamque dies infanda aderat mihi sacra parari,

Et salsae fruges, et circùm tempora vittae.

Eneïd. l. II.

Le prêtre ayant répandu des miettes de cette pâte salée sur la tête de la victime, ce qui en constituait la première consécration, il prenait du vin avec le simpule, qui était une manière de burette, et en ayant gouté le premier, et fait goûter aux assistants, il le versait entre les cornes de la victime, et prononçant ces paroles de consécration, mactus hoc vino inferio esto, c'est-à-dire que cette victime soit honorée par ce vin, pour être plus agréable aux dieux. Cela fait il arrachait des poils d'entre les cornes de la victime, et les jetait dans le feu allumé.

Et summa scarpens media inter cornua setas,

Ignibus imponit sacris.

Il commandait ensuite au victimaire de frapper la victime, et celui-ci l'assommait d'un grand coup de maillet ou de hache sur la tête : aussi-tôt un autre ministre nommé popa, lui plongeait un couteau dans la gorge, pendant qu'un troisième recevait le sang de l'animal, qui sortait à gros bouillons, dont le prêtre arrosait l'autel.

Supponunt alii cultros, tepidumque cruorem

Suscipiunt pateris. Virgile.

La victime ayant été égorgée, on l'écorchait, excepté dans les holocaustes, où on brulait la peau avec l'animal ; on en détachait la tête, qu'on ornait de guirlandes et de festons, et on l'attachait aux piliers des temples, aussi-bien que les peaux, comme des enseignes de la religion, qu'on portait en procession dans quelque calamité publique, c'est ce que nous apprend ce passage de Ciceron contre Pison. Et quid recordaris cùm omni totius provinciae pecore compulso, pellicum nomine omnem quaestum illum domesticum paternumque renovasti ? Et encore par cet autre de Festus, pellem habere Hercules fingitur, ut homines cultus antiqui admoneantur ; lugentes quoque diebus luctus in pellibus sunt.

Ce n'est pas que les prêtres ne se couvrissent souvent des peaux des victimes, ou que d'autres n'allassent dormir dessus dans le temple d'Esculape, et dans celui de Faunus, pour avoir des réponses favorables en songe, ou être soulagés dans leurs maladies, comme Virgile nous en assure par ces beaux vers.

Huc dona sacerdos

Cum tulit et caesarum ovium sub nocte silenti

Pellibus incubuit stratis, somnosque petivit ;

Multa modis simulacra videt volitantia miris,

Et varias audit voces, fruiturque deorum

Colloquio, atque imis acheronta affatur avernis.

Hic et tum pater ipse petens responsa Latinus,

Centum lanigeras mactabat ritè bidentes,

Atque harum effultus tergo, stratisque jacebat

Velleribus. Eneïde, l. VII. Ve 86.

Lorsque le prêtre a conduit les victimes à la fontaine, et qu'il les y a immolées, il en étend pendant la nuit les peaux sur la terre, se couche dessus et s'y endort. Alors il voit mille fantômes voltiger autour de lui ; il entend différentes voix ; il s'entretient avec les dieux de l'olympe, avec les divinités même des enfers. Le roi pour s'éclaircir sur le sort de la princesse, sacrifia donc dans cette forêt cent brebis au dieu Faune, et se coucha ensuite sur leurs taisons étendues.

Cappadox, marchand d'esclaves, se plaint dans la comédie de Plaute intitulée Curculio, qu'ayant couché dans le temple d'Esculape, il avait Ve en songe ce dieu s'éloigner de lui ; ce qui le fait résoudre d'en sortir, ne pouvant espérer de guérison.

Migrare certum est jam nunc è fano foras.

Quandò Aesculapi ita sentio sententiam :

Ut qui me nihili faciat, nec salvum velit.

On ouvrait les entrailles de la victime ; et après les avoir considérées attentivement pour en tirer des présages, selon la science des aruspices, on les saupoudrait de farine, on les arrosait de vin, et on les présentait aux dieux dans des bassins, après quoi on les jetait dans le feu par morceaux, reddebant exta diis : de-là vient que les entrailles étaient nommées porriciae, quod in arae foco ponebantur, diisque porrigebantur : de-sorte que cette ancienne manière de parler, porricias inferre, veut dire, présenter les entrailles en sacrifice.

Souvent on les arrosait d'huile, comme nous lisons, liv. VI. de l'Eneïde.

Et solida imponit taurorum viscera flammis,

Pingue super oleum fundents ardentibus extis.

Quelquefois on les arrosait de lait et du sang de la victime, particulièrement dans les sacrifices des morts, ce que nous apprenons de Stace, l. VI. de la Thébaïde.

Spumantisque mero paterae verguntur et atri

Sanguinis, et rapti gratissima cymbia lactis.

Les entrailles étant consumées, toutes les autres cérémonies accomplies, ils croyaient que les dieux étaient satisfaits, et qu'ils ne pouvaient manquer de voir l'accomplissement de leurs vœux ; ce qu'ils exprimaient par ce verbe, litare, c'est-à-dire tout est bien fait ; et non litare au contraire, voulait dire qu'il manquait quelque chose à l'intégrité du sacrifice, et que les dieux n'étaient point apaisés. Suétone parlant de Jules-César, dit qu'il ne put jamais sacrifier une hostie favorable le jour qu'il fut tué dans le sénat. Caesar victimis caesis litare non potuit.

Le prêtre renvoyait le monde par ces paroles, I licet dont on se servait pareillement à la fin des pompes funèbres et des comédies, pour congédier le peuple, comme on le peut voir dans Térence et dans Plaute. Les Grecs se servaient de cette expression pour le même sujet, , et le peuple répondait feliciter. Enfin on dressait aux dieux le banquet ou le festin sacré, epulum ; on mettait leurs statues sur un lit, et on leur servait les viandes des victimes offertes ; c'était là la fonction des ministres des sacrifices, que les Latins nommaient epulones.

Il résulte du détail qu'on vient de lire, que les sacrifices avaient quatre parties principales ; la première se nommait libatio, la libation, ou ce léger essai de vin qu'on faisait avec les effusions sur la victime ; la seconde immolatio, l'immolation, quand après avoir répandu sur la victime des miettes d'une pâte salée, on l'égorgeait ; la troisième était appelée redditio, quand on en offrait les entrailles aux dieux ; et la quatrième s'appelait litatio, lorsque le sacrifice se trouvait accompli, sans qu'il y eut rien à y redire.

Je ne dois pas oublier de remarquer qu'entre les sacrifices publics, il y en avait qu'on nommait stata, c'est-à-dire fixes, immobiles, qui se faisaient tous les ans à un même jour ; et d'autres extraordinaires nommés indicta, indiqués, parce qu'on les ordonnait extraordinairement pour quelque occasion importante et inopinée ; mais les curieux trouveront de plus grands détails dans Stuckius, de sacrificiis veterum, et dans d'autres auteurs qui ont traité cette matière à fond. Voyez aussi les articles HOSTIE et VICTIME.

Je n'ajouterai qu'un mot sur les sacrifices des Grecs en particulier. Ils distinguaient quatre sortes de sacrifices généraux ; savoir, 1°. les offrandes de pure volonté, et qu'on faisait en conséquence d'un vœu, en grec , ou , comme pour le gain d'une victoire ; c'était encore les prémices des fruits offerts par les laboureurs, pour obtenir des dieux une abondante récolte ; 2°. l'offrande propiciatoire, , pour détourner la colere de quelque divinité offensée, et tels étaient tous les sacrifices d'usage dans les expiations ; 3°. les sacrifices supplicatoires, , pour le succès de toutes sortes d'entreprises ; 4°. les sacrifices expressément ordonnés par tous les prophetes ou oracles qu'on venait consulter, . Quant aux rites de tous ces divers sacrifices, il faut consulter Potter, Archoeol. graec. tom. I. p. 209. et suivantes.

Pour ce qui regarde les sacrifices humains j'en déchargerai la lettre S, qui sera fort remplie, et je porterai cet article au mot VICTIME HUMAINE. (D.J.)

SACRIFICES DES HEBREUX, (Critique sacrée) avant la loi de Moïse, la matière des sacrifices, la qualité, les circonstances, le ministère, tout était arbitraire. On offrait les fruits de la terre, la graisse ou le lait des animaux, le sang ou la chair des victimes. Chacun était prêtre ou ministre de ses propres sacrifices, ou c'était volontairement qu'on déférait cet honneur aux plus anciens, aux chefs de famille, et aux plus gens de bien. La loi fixa aux Juifs ce qu'ils devaient offrir, et la manière de le faire ; et elle déféra à la seule famille d'Aaron le droit de sacrifier.

Les Hébreux avaient deux sortes de sacrifices, les sanglans et les non sanglans. Il y en avait trois de la première espèce ; 1°. l'holocauste, l'hostie pacifique, et le sacrifice pour le péché. Dans l'holocauste, la victime était brulée en entier, sans que le prêtre ni celui qui l'offrait pussent en rien réserver, Lévit. j. 13. parce que ce sacrifice était institué pour être une reconnaissance publique de la suprême majesté devant qui tout s'anéantit, et pour apprendre à l'homme qu'il doit se consacrer entièrement et sans réserve à celui de qui il tient tout ce qu'il est. 2°. L'hostie pacifique était offerte pour rendre grâce à Dieu, ou pour lui demander quelque bienfait, ou pour acquitter un vœu ; on n'y brulait que la graisse et les reins de la victime, la poitrine et l'épaule droite étaient pour le prêtre, et le reste appartenait à celui qui avait fourni la victime. Il n'y avait point de temps marqué pour ce sacrifice ; on l'offrait quand on voulait, et la loi n'avait rien ordonné sur le choix de l'animal ; il fallait seulement que la victime fût sans défaut. Lév. IIIe 1. 3°. Dans le sacrifice pour le péché, le prêtre avant que de répandre le sang de la victime au pied de l'autel, trempait son doigt, et en touchait les quatre cornes de l'autel. Celui pour qui le sacrifice était offert n'en remportait rien ; on en faisait bruler la graisse sur l'autel. La chair était toute entière pour les prêtres, et devait être mangée dans le lieu saint, c'est-à-dire dans le parvis du tabernacle. Deutéron. xxvij. 7. Si le prêtre offrait pour ses péchés ou pour ceux de tout le peuple, il faisait sept fois l'aspersion du sang de la victime devant le voîle du sanctuaire, et répandait le reste au pied de l'autel des holocaustes. Lév. iv. 6.

On employait cinq sortes de victimes dans ces sacrifices, des vaches, des taureaux ou des veaux, des brebis ou des béliers, des chèvres ou des boucs, des pigeons, des tourterelles ; et on ajoutait à la victime immolée qu'on faisait bruler sur l'autel, une offrande de gâteaux cuits au four ou sur le gril, ou frits sur la poele ; ou une certaine quantité de fleur de farine, avec de l'huile, de l'encens, du vin, et du sel.

Cette oblation qui accompagnait presque toujours le sacrifice sanglant, pouvait être faite seule, sans être précédée de l'effusion du sang, et c'est ce qu'on appelait sacrifice non sanglant ; on l'offrait à Dieu comme principe et auteur de tous les biens. On y employait l'encens, dont la flamme par l'odeur agréable qu'elle répand, était regardée comme le symbole de la prière, et des saints désirs de l'âme. Moïse défendit qu'on y mêlât le vin et le miel, figure de tout ce qui peut corrompre l'âme par le péché, et l'amollir par les délices. Le prêtre prenant une poignée de cette farine arrosée d'huile, avec l'encens, les répandait sur le feu de l'autel, et tout le reste était à lui. Il devait manger la farine sans levain dans le tabernacle, et nul autre que les prêtres n'avait droit d'y toucher.

Il y avait encore des sacrifices où la victime demeurait vivante et en son entier, tels que le sacrifice du bouc émissaire au jour de l'expiation, et le sacrifice du passereau pour la purification d'un lépreux. Le sacrifice perpétuel, est celui où l'on immolait chaque jour sur l'autel des holocaustes deux agneaux, l'un le matin, lorsque le soleil commençait à éclairer, et celui du soir, lorsque les ombres commençaient à s'étendre sur la terre ; voilà quels étaient les sacrifices des Hébreux.

Tertullien en a fort bien indiqué l'origine ; ce n'est pas, dit-il, que Dieu se souciât de ces sacrifices, mais Moïse les institua pour ramener les Juifs de la multitude des dieux qui étaient alors adorés, à la connaissance du seul véritable. Dieu a commandé à vos pères, dit Justin martyr à Tryphon, de lui offrir des oblations et des victimes, non qu'il en eut besoin, mais à cause de la dureté de leurs cœurs, et de leur penchant à l'idolâtrie. (D.J.)

SACRIFICES des chrétiens, (Critique sacrée) S. Paul, Hébr. ch. XIIIe nous les indique en deux mots, louanges du seigneur, confession de son nom, bénéficence et communion. En voici le commentaire par Clément d'Alexandrie, Strom. l. VIII. p. 729. Les sacrifices du chrétien éclairé sont les prières, les louanges de Dieu, les lectures de l'Ecriture-sainte, les pseaumes et les hymnes. Mais n'a-t-il point encore, ajoute-t-il, d'autres sacrifices ? Oui, il connait la libéralité et la charité ; qu'il exerce l'une à l'égard de ceux qui ont besoin de secours temporels, l'autre à l'égard de ceux qui manquent de lumières et de connaissances. (D.J.)