(Gouvernement) on peut la définir avec Puffendorf, le droit de commander en dernier ressort dans la société civile, que les membres de cette société ont déferé à une seule ou à plusieurs personnes, pour y maintenir l'ordre au-dedans, et la défense au-dehors, et en général pour se procurer sous cette protection un véritable bonheur, et surtout l'exercice assuré de leur liberté.

Je dis d'abord que la souveraineté est le droit de commander en dernier ressort dans la société, pour faire comprendre que la nature de la souveraineté consiste principalement en deux choses ; la première dans le droit de commander aux membres de la société, c'est-à-dire de diriger leurs actions avec empire ou pouvoir de contraindre ; la seconde est que ce droit doit être en dernier ressort, de telle sorte que tous les particuliers soient obligés de s'y soumettre, sans qu'aucun puisse lui résister : autrement si cette autorité n'était pas supérieure, elle ne pourrait pas procurer à la société l'ordre et la sûreté qui sont les fins pour lesquelles elle a été établie.

Je dis ensuite que c'est un droit déféré à une ou à plusieurs personnes, parce qu'une république est aussi bien souveraine qu'une monarchie.

J'ajoute enfin, pour se procurer sous cette protection un véritable bonheur, etc. pour faire connaître que la fin de la souveraineté est la félicité des peuples.

On demande quelle est la source prochaine de la souveraineté, et quels en sont les caractères ? Il est certain que l'autorité souveraine, ainsi que le titre sur lequel ce pouvoir est établi, et qui en fait le droit, résulte immédiatement des conventions mêmes qui forment la société civile, et qui donnent naissance au gouvernement. Comme la souveraineté réside originairement dans le peuple, et dans chaque particulier par rapport à soi-même, il résulte que c'est le transport et la réunion des droits de tous les particuliers dans la personne du souverain qui le constitue tel, et qui produit véritablement la souveraineté ; personne ne saurait douter, par exemple, que lorsque les Romains choisirent Romulus et Numa pour leurs rais, ils ne leur conférassent par cet acte même la souveraineté sur eux qu'ils n'avaient pas auparavant, et à laquelle ils n'avaient certainement d'autre droit que celui que leur donnait l'élection de ce peuple.

Le premier caractère essentiel de la souveraineté, et celui d'où découlent tous les autres, c'est que c'est un pouvoir souverain et indépendant, c'est-à-dire une puissance qui juge en dernier ressort de tout ce qui est susceptible de la direction humaine, et qui peut intéresser le salut et l'avantage de la société ; mais quand nous disons que la puissance civîle est par sa nature souveraine et indépendante, nous entendons seulement que cette puissance une fois constituée, a une puissance telle que ce qu'elle établit dans l'étendue de son district, ne saurait être légitimement troublé par un autre pouvoir.

En effet, il est absolument nécessaire que dans tout gouvernement, il y ait une telle puissance suprême, la nature même de la chose le veut ainsi, et il ne saurait subsister sans cela ; car puisqu'on ne peut pas multiplier les puissances à l'infini, il faut nécessairement s'arrêter à quelque degré d'autorité supérieur à tout autre ; et quelle que soit la forme du gouvernement monarchique, aristocratique, démocratique, ou mixte, il faut toujours qu'on soit soumis à une décision souveraine, puisqu'il implique contradiction de dire qu'il y ait quelqu'un au-dessus de celui ou ceux qui tiennent le plus haut rang dans un même ordre d'êtres.

Un second caractère qui est une suite du premier, c'est que le souverain comme tel, n'est tenu de rendre compte à personne ici-bas de sa conduite : quand je dis que le souverain n'est pas comptable, j'entends aussi longtemps qu'il est véritablement souverain ; car la souveraineté n'existe que pour le bien public, et il n'est pas permis au souverain de l'employer d'une manière directement opposée à sa destination, puisqu'il est constant que tout souverain, ou tout corps de souveraineté est soumis aux lois naturelles et divines.

Les limitations du pouvoir souverain ne donnent aucune atteinte à la souveraineté ; car un prince ou un sénat à qui on a déféré la souveraineté, en peut exercer tous les actes, aussi-bien que dans une souveraineté absolue : toute la différence qui s'y trouve, c'est qu'ici le roi prononce seul en dernier ressort, suivant son propre jugement, et que dans une monarchie limitée, il y a un sénat qui conjointement avec le roi, connait de certaines affaires, et que son consentement est une condition nécessaire sans laquelle le roi ne saurait rien décider.

Il nous reste à dire un mot des parties de la souveraineté, ou des différents droits essentiels qu'elle renferme. L'on peut considérer la souveraineté comme un assemblage de divers droits et de plusieurs pouvoirs distincts, mais conférés pour une même fin, c'est-à-dire pour le bien de la société, et qui sont tous essentiellement nécessaires pour cette même fin ; ce sont ces différents droits, ces différents pouvoirs que l'on appelle les parties essentielles de la souveraineté. Pour les connaître, il ne faut que faire attention à leur fin.

La souveraineté a pour but la conservation, la tranquillité et le bonheur de l'état, tant au-dedans qu'au-dehors ; il faut donc qu'elle renferme en elle-même tout ce qui lui est essentiellement nécessaire pour procurer cette double fin.

La première partie de la souveraineté, et qui est comme le fondement de toutes les autres, c'est le pouvoir législatif en vertu duquel le souverain établit en dernier ressort des règles générales et perpétuelles que l'on nomme lois ; par-là chacun est instruit de ce qu'il doit faire ou ne pas faire pour maintenir le bon ordre, de ce qu'il conserve de sa liberté naturelle, et comment il doit user de ses droits pour ne pas troubler le repos public.

La seconde partie essentielle de la souveraineté est le pouvoir coactif, c'est-à-dire le droit d'établir des peines contre ceux qui troublent la société par leurs désordres, et le pouvoir de les infliger actuellement ; sans cela l'établissement de la société civîle et des lois serait tout à fait inutile, et on ne saurait se promettre de vivre en sûreté. Mais afin que la crainte des peines puisse produire une impression assez forte sur les esprits, il faut que le droit de punir s'étende jusqu'à pouvoir faire souffrir le plus grand de tous les maux naturels, je veux dire la mort ; autrement la crainte de la peine ne serait pas toujours capable de balancer la force de la passion ; en un mot, il faut qu'on ait manifestement plus d'intérêt à observer la loi qu'à la violer : ainsi ce droit du glaive est sans contredit le plus grand pouvoir qu'un homme puisse exercer sur un autre homme.

La troisième partie essentielle de la souveraineté est de pouvoir maintenir la paix dans un état, en décidant les différends des citoyens ; comme aussi de faire grâce aux coupables lorsque quelque raison d'utilité publique le demande ; et c'est-là ce qu'on appelle le pouvoir judiciaire.

4°. La souveraineté renferme encore tout ce qui concerne la religion par rapport à son influence sur l'avantage et la tranquillité de la société.

C'est en cinquième lieu une partie essentielle de la souveraineté de pouvoir mettre l'état en sûreté à l'égard du dehors, et pour cet effet d'avoir le droit d'armer les sujets, lever des troupes, contracter des engagements publics, faire la paix, des traités, des alliances avec les états étrangers, et d'obliger tous les sujets à les observer.

Enfin, c'est une partie de la souveraineté d'avoir le droit de battre monnaie ; de lever les subsides absolument nécessaires en temps de paix et en temps de guerre, pour assurer le repos à l'état, et pour pourvoir aux nécessités publiques. Telles sont les parties essentielles de la souveraineté.

Quant aux différentes manières d'acquérir la souveraineté, je me contenterai de dire que le seul fondement légitime de cette acquisition est le consentement, ou la volonté du peuple ; cependant il n'arrive que trop souvent qu'on acquiert la souveraineté par la violence, et qu'un peuple est contraint par la force des armes de se soumettre à la domination du vainqueur ; cette acquisition violente de la souveraineté se nomme conquête, usurpation. Voyez les mots CONQUETE et USURPATION.

Puisque la guerre ou la conquête est un moyen d'acquérir la souveraineté, il résulte que c'est aussi un moyen de la perdre. (D.J.)

SOUVERAINETE ABSOLUE, (Gouvernement) voyez MONARCHIE ABSOLUE.

SOUVERAINETE LIMITEE, (Gouvernement) voyez MONARCHIE LIMITEE.