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Catégorie : Gouvernement
S. m. SÉDITION, s. f. (Grammaire, Gouvernement) la sédition est un trouble, une division, une émotion, une révolte, bien ou mal fondée dans un gouvernement.

On donne en général le nom de sédition, à toutes les grandes assemblées qui se font sans la permission des magistrats, ou contre l'autorité des magistrats, ou de ceux qui s'attribuent cette autorité. Athalie et Jézabel étaient bien plus près de crier à la trahison que David ; et nous n'en citerons point d'autres exemples.

Il serait inutîle de chercher un gouvernement dont la constitution soit telle, qu'on puisse s'assurer qu'il ne sera point exposé à des séditions, des troubles et des guerres civiles. Quelque grands que soient ces malheurs, la félicité opposée nous est refusée dans cette vie, et nous n'en jouirons que dans l'autre.

Les séditions, les troubles, les guerres civiles, proviennent d'erreur, de malice, de causes justes ou injustes ; elles proviennent d'erreur lorsqu'un peuple croit qu'on lui a fait du mal, ou qu'on a eu dessein de lui en faire, quoiqu'on n'y ait pas seulement pensé, ou lorsqu'il regarde comme un mal ce qu'on lui a fait, quoi qu'effectivement ce ne soit pas un mal. Les états les mieux réglés peuvent quelquefois tomber dans ces sortes d'erreurs.

Les Romains jaloux d'une liberté nouvellement recouvrée, s'imaginèrent que Valérius Publicola aspirait à la royauté, lorsqu'ils virent qu'il faisait bâtir une maison dans une place qui semblait trop éminente pour un particulier.

Les Lacédémoniens ne soupçonnèrent pas moins la conduite de Lycurgue, et un jeune libertin, dans une sédition, fut assez téméraire pour lui crever un oeil ; mais jamais peuple n'a témoigné tant d'amour ni de respect à de bons citoyens, que les Romains et les Lacédémoniens en témoignèrent à ces grands hommes, lorsqu'ils connurent que leurs soupçons étaient mal fondés.

Quelquefois les faits sont véritables, mais le peuple les explique d'une manière opposée à l'intention qu'on a eue. Lorsqu'on eut chassé les Tarquins, les patriciens retinrent pour eux-mêmes les principales charges de la magistrature ; mais ce ne fut jamais leur dessein de rétablir les rois sur le trône, ni une oligarchie entr'eux, comme les familles populaires se l'imaginaient ; aussi elles ne se furent pas plutôt aperçues de leur erreur, que toute leur colere s'évanouit : et ces mêmes personnes, qui semblaient ne méditer pas moins que la ruine entière de toutes les familles patriciennes, se calmèrent tout-d'un-coup.

Ménénius Agrippa apaisa une des plus violentes séditions qui se soit élevée dans la république romaine, en proposant au peuple la fable des différents membres du corps humain, qui faisaient des plaintes contre le ventre ; et la plus dangereuse de toutes fut étouffée, aussi-tôt qu'on eut accordé à ce peuple des tribuns pour le protéger.

Quelques jeunes patriciens avaient favorisé les décemvirs, et il y en avait d'autres du même corps, qui ne voulaient pas se déclarer ouvertement contr'eux ; il n'en fallut pas davantage pour faire croire au peuple qu'ils avaient tous conspiré avec ces nouveaux tyrants ; mais Valerius et Horatius s'étant mis à la tête de ceux qui cherchaient à détruire cette nouvelle tyrannie, il reconnut bientôt son erreur, et regarda les patriciens comme les plus zélés défenseurs de sa liberté ; et inde, dit Tite-Live, auram libertatis captare, undè servitutem timuissent.

Les gouvernements démocratiques sont sujets à ces sortes d'erreurs ; elles sont rares dans les aristocraties, et nous n'en avons point d'exemples parmi les Lacédémoniens, depuis l'établissement des lois de Lycurgue ; mais il semble que les monarchies absolues en soient tout à fait exemptes. On dissimule, et on nie souvent le mal qu'on a dessein de faire, jusqu'à ce qu'il ne soit plus temps d'y remédier autrement que par la force ; ceux que la nécessité oblige à se servir de ce remède, n'ignorent pas qu'il faut infailliblement qu'ils périssent, s'ils ne viennent à bout de ce qu'ils ont entrepris. Celui qui tire l'épée contre son prince, disent les Français, en doit jeter le fourreau ; car quelque juste raison qu'il ait de prendre ce parti, il peut s'assurer que sa ruine est inévitable, s'il ne réussit pas. Il arrive rarement qu'un prince fasse la paix avec ceux qu'il regarde comme des rebelles, ou s'il la fait, il ne l'observe jamais, à moins que les sujets ne se réservent assez de forces pour l'obliger à tenir sa parole ; et tôt ou tard, on trouve bien moyen de leur ôter ce qu'on leur avait accordé.

Les séditions qui proviennent de malice, sont rares dans les gouvernements populaires ; car elles sont préjudiciables au peuple, et personne ne s'est jamais fait du mal de dessein prémédité. Il y a sans-doute souvent de la méchanceté dans ceux qui excitent ces séditions ; mais le peuple n'y est jamais entrainé que par erreur ; dès qu'il s'aperçoit qu'il a été trompé, il ne manque pas de se venger des fourbes qui l'ont surpris ; c'est ce qui arriva à Manlius Capitolinus, à Spurius Mélius, et à Spurius Cassius. Si le peuple reconnait trop tard son erreur, elle lui coute ordinairement la perte de sa liberté. C'est ainsi qu'Agathocles, Denis, Pisistrate, et César, s'érigèrent en tyrants de leur patrie, par l'art qu'ils eurent de cacher au peuple leurs projets et leurs artifices.

Dans les monarchies absolues, presque tous les troubles qui y arrivent, proviennent de malice ou d'accablement. Quand ils proviennent de la méchanceté de ceux qui gouvernent, il est assez difficîle d'y remédier, parce que ceux qui les ont fait naître, se proposent, en les nourrissant, d'en retirer quelque grand avantage ; ainsi voyons-nous que dans les guerres civiles de l'Orient, entre Artaxerxes et Cyrus, entre Phraartes et Bardane, le peuple fut également ravagé par les deux partis, et la guerre ne fut pas plutôt terminée, qu'il fut obligé de se soumettre à la domination d'un maître orgueilleux.

Après la mort de Brutus et de Cassius, on n'entreprit point de guerre dans l'empire romain, qui n'eut pour principe quelque intérêt particulier ; et les provinces après avoir assisté un général à chasser du trône un tyran, éprouvaient souvent que celui-ci était aussi cruel que son prédécesseur.

Il ne faut point trouver étrange qu'en parlant des séditions, j'aie avancé qu'il y en a de justes ; l'intention de Dieu étant que les hommes vivent équitablement les uns avec les autres, il est certain que son intention est aussi qu'on ne fasse point de tort à celui ou à ceux qui ne cherchent point à en faire aux autres. Si donc l'injustice est un mal, et qu'il soit défendu d'en faire, on doit punir ceux qui en font ; les moyens dont on se sert pour punir les injustices, sont juridiques ou non-juridiques ; les procédures juridiques suffisent quand on peut contraindre les gouverneurs à les subir ; mais elles ne sont d'aucun effet à l'égard de ceux qu'il n'est pas possible de soumettre aux lois.

Pour me recueillir en deux mots, je remarquerai qu'en général la tyrannie, les innovations en matière de religion, la pesanteur des impôts, le changement des lois ou des coutumes, le mépris des privilèges de la nation, le mauvais choix des ministres, la cherté des vivres, etc. sont autant de causes de tristes séditions.

Les remèdes sont de rétablir les principes du gouvernement, de rendre justice au peuple, d'écarter la disette par la facilité du commerce, et l'oisiveté par l'établissement des manufactures, de reprimer le luxe, de faire valoir les terres en donnant du crédit à l'agriculture, de ne point laisser une autorité arbitraire aux chefs, de maintenir les lois, et de modérer les subsides. (D.J.)




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