S. f. (Jurisprudence) est un contrat par lequel le propriétaire d'un héritage en cede à quelqu'un la jouissance pour un temps, ou même à perpétuité, à la charge d'une redevance annuelle que le bailleur réserve sur cet héritage, pour marque de son domaine direct.

Ce contrat n'a lieu que pour des héritages, et non pour des meubles, ni même pour des immeubles fictifs.

Le terme d'emphytéose tire son étymologie du grec , qui signifie planter, améliorer une terre, parce que ces sortes de contrats ne se pratiquaient que pour des terres que l'on donnait à défricher ; et c'est de-là, selon quelques auteurs, que ce contrat s'appelle roture, quasi à rumpendis terris. Le complant et le bordelage usités dans quelques provinces, ont beaucoup de rapport avec l'emphytéose. Voyez BORDELAGE et COMPLANT.

On peut aussi donner à titre d'emphytéose une maison en ruine, à la charge de la réparer.

L'usage de l'emphytéose nous vient des Romains, chez lesquels elle ne donnait d'abord au preneur qu'une jouissance à temps, comme pour 99 ans au plus ; quelquefois pour la vie du preneur seulement ; quelquefois aussi pour plusieurs générations, mais toujours pour un temps seulement, ainsi que l'a prouvé Dumolin sur la rubrique du titre IIe et sur l'article 55. gl. 4. C'est pourquoi dans les lois romaines le droit de l'emphytéote n'est point qualifié de seigneurie, sinon dans les trois derniers livres du code, et depuis le temps de Constantin ; il n'était qualifié jusque-là que servitus ou jus fundi, l. IIIe ff. de reb. eor. qui sub tutel. et leg. domus delegat. 1°. C'est aussi par cette raison que Cujas met l'emphytéose entre les espèces d'usufruit.

L'emphytéose devint enfin perpétuelle, comme elle est encore réputée telle in dubio ; au moyen de quoi l'emphytéote fut appelé dominus fundi. L. fundi et l. possess. c. de fund. patrim.

La contradiction apparente qui se trouve entre quelques lois sur cette matière, vient de ce que les unes parlent de l'emphytéose perpétuelle, d'autres parlent de l'emphytéose temporelle.

On distinguait chez les Romains le contrat emphytéotique du bail à longues années ou à vie, en ce que dans celui-ci la redevance était ordinairement à-peu-près égale à la valeur des fruits ; au lieu que dans l'emphytéose la redevance était modique, en considération de ce que le preneur s'obligeait de défricher et améliorer l'héritage. Mais parmi nous on confond souvent l'emphytéose proprement dite, avec le bail à longues années ou à vie, qu'on appelle aussi bail emphytéotique : en Poitou on les appelle vicairies, quasi vice domini. Il y a des vicairies qui sont pour trois ou quatre générations, comme cela se pratiquait souvent pour l'emphytéose chez les Romains. En Dauphiné et dans quelques autres pays de droit écrit, on les appelle albergements.

Le contrat d'emphytéose différait aussi chez les Romains du contrat libellaire, qui revenait à notre bail à cens ; et de certaines concessions à rentes foncières non seigneuriales, qui étaient usitées parmi eux, telles que la redevance appelée cloacarium : au lieu qu'en France, dans les pays de droit écrit, l'emphytéose faite par le seigneur de l'héritage, a le même effet que le bail à cens en pays coutumier ; et l'emphytéose faite par le simple propriétaire de l'héritage, y est ordinairement confondue avec le bail à rente foncière : ces deux sortes d'emphytéoses y sont perpétuelles de leur nature.

La redevance que l'on stipule dans ces sortes de contrats en pays de droit écrit, y est ordinairement appelée canon emphytéotique.

Les lois décident que faute par l'emphytéote de payer ce canon ou redevance pendant trois ans, il peut être évincé par le preneur, qui est ce qu'on appelle tomber en commise.

Il y avait encore une autre commise emphytéotique, lorsque le preneur vendait l'héritage sans le consentement du bailleur.

Mais on a expliqué ci-devant au mot COMMISE EMPHYTEOTIQUE, de quelle manière ces lois sont observées. On peut encore voir à ce sujet ce que dit Boutaric en son tr. des droits seigneuriaux, ch. XIIIe où à l'occasion de la commise qui avait lieu en cas de vente, il dit que présentement l'emphytéote peut vendre quand bon lui semble, sans être tenu de faire aucune dénonciation ; que le seigneur a seulement le droit de retirer le fonds vendu en remboursant le prix à l'acquéreur ; que s'il ne veut pas user de ce droit de prélation, il ne peut, suivant les lais, exiger que la cinquantième partie du prix de la vente pour l'investiture du nouvel acquéreur ; que toutes les coutumes du royaume se sont bien conformées à la disposition du droit, en ce qu'elles permettent toutes au seigneur d'exiger un droit à chaque mutation qui se fait par vente, mais qu'il n'y a aucune coutume qui ait fixé ce droit de mutation à un si bas pied que celui de la cinquantième partie du prix.

M. Guyot en son tr. des fiefs, tr. du quint, ch. VIIIe dit que les auteurs s'accordent assez pour conclure qu'il n'est point dû quint en fief ni lods et ventes en roture, pour bail emphytéotique à 99 ans ou à vie, il étend même cela à l'emphytéose perpétuelle, si par le bail il n'y a pas de deniers déboursés ; au cas qu'il y en eut, que les deniers en seraient dû. à proportion ; ce qui est conforme aux coutumes d'Anjou et du Maine, qui décident aussi que le retrait y a lieu ; quand il y a des deniers déboursés.

Le même auteur explique dans le chapitre suivant, en quoi l'emphytéose diffère du bail à locaterie perpétuelle. Voyez LOCATERIE PERPETUELLE.

En pays coutumier l'emphytéose est un bail à longues années d'un héritage, à la charge de le cultiver et améliorer ; ou d'un fonds, à la charge d'y bâtir : ce qui a quelque rapport au contrat superficiaire des Romains ; ou d'une maison, à condition de la rebâtir, moyennant une pension ou redevance annuelle modique, payable par le preneur.

On stipule aussi quelquefois que le preneur payera une certaine somme de deniers d'entrée pour ce bail.

Tout bail qui excède neuf années, est réputé bail emphytéotique ou à longues années.

L'emphytéose se fait ordinairement pour 20, 30, 40, 50, 60, ou 99 ans, qui est le terme le plus long que l'on puisse donner à ces sortes de baux.

Lorsque ce bail est fait pour un temps fixe, les héritiers du preneur en jouissent pendant tout le temps qui en reste à expirer, quoique le bail ne fasse pas mention d'eux.

On peut faire un bail emphytéotique, tant pour la vie du preneur que pour celle de ses enfants et petits-enfants. La coutume d'Anjou, art. 412, et celle du Maine, art. 413, appellent ces sortes de contrats, baux à viage.

Le bail à vie diffère néanmoins à cet égard des autres baux emphytéotiques, en ce que si le bail à vie ne nomme que le preneur et ses enfants, les petits-enfants n'y sont pas compris ; au lieu que si c'est un bail emphytéotique simplement pour le preneur et ses enfants, les petits-enfants y sont aussi compris sous le nom d'enfants, suivant la règle ordinaire de droit.

L'emphytéose ressemble au bail à loyer ou à ferme, en ce que l'un et l'autre contrat est fait à la charge d'une pension annuelle ; mais l'emphytéose diffère aussi du louage, en ce que l'emphytéote a la plupart des droits et des charges du propriétaire : et en effet le bail emphytéotique est une aliénation de la propriété utile, au profit du preneur, pendant tout le temps que doit durer le bail, la propriété directe demeurant réservée au bailleur.

Le preneur étant propriétaire, peut vendre, aliéner, échanger ou hypothéquer l'héritage, mais il ne peut pas donner plus de droit qu'il en a ; et lorsque le temps de la concession est expiré, resoluto jure dantis, resolvitur et jus accipientis.

Ceux qui ne peuvent pas aliéner, ne peuvent pas non plus donner à titre d'emphytéose perpétuelle, ou à temps.

L'église et les communautés ne le peuvent faire qu'avec les solennités prescrites pour l'aliénation de ses biens ; on tient même qu'elle ne peut faire d'emphytéose perpétuelle, mais seulement pour 99 ans au plus.

La pension ou redevance emphytéotique est tellement de l'essence de ce contrat, que s'il n'y en avait pas une réserve, ce ne serait point une emphytéose.

L'emphytéote ne peut pas, comme un simple locataire ou fermier, obtenir une remise ou diminution de la pension annuelle, pour cause de stérilité, parce que la pension emphytéotique est moins pour tenir lieu des fruits, qu'en signe de reconnaissance de la seigneurie directe.

Il n'est pas permis à l'emphytéote de dégrader le fonds, ni même d'en changer la surface, de manière que la valeur en soit diminuée : ainsi il ne peut pas convertir en terre labourable ce qui est en bois ; mais il peut couper les bois, même de haute-futaie, qui se trouvent en âge d'être coupés pendant la durée de son bail.

Il ne peut pas détruire les bâtiments qu'il a trouvés faits, ni même ceux qu'il a construits lorsqu'il était obligé de le faire ; mais s'il en a fait volontairement quelques-uns, il peut de même dans le courant de son bail les enlever, pourvu que ce soit sans dégrader l'héritage.

On stipule ordinairement, quand on donne une place à titre d'emphytéose, que le preneur sera tenu d'y bâtir : cette clause n'est pourtant pas de l'essence d'un tel contrat ; mais si elle y est apposée, on peut contraindre le preneur à l'exécuter.

La lésion, telle qu'elle sait, n'est point un moyen de restitution contre l'emphytéose, excepté pour celles qui concernent l'église et les mineurs, qui peuvent être relevées quand la lésion est énorme.

La jouissance d'un bail emphytéotique peut être saisie et vendue, comme les immeubles, à la requête des créanciers.

En fait d'emphytéose, la tacite réconduction n'a point lieu.

Le preneur ne peut pas non plus prescrire le fonds, attendu qu'on ne peut pas changer la cause de sa possession ; mais il peut prescrire les arrérages de sa redevance, qui sont échus.

Toutes les réparations, tant grosses que menues, sont à la charge de l'emphytéote pendant la durée de son bail.

Il est aussi obligé d'acquitter toutes les charges réelles et foncières, telles que la dixme, le cens, champart, etc.

A l'expiration du terme porté par le bail emphytéotique, le preneur, ses héritiers ou ayans cause, doivent rendre les lieux en bon état, à l'exception des bâtiments qu'il a construits volontairement, lesquels on ne peut pas l'obliger à réparer ; mais il ne peut pas non plus les démolir à la fin de son bail, en emporter aucuns matériaux, en répéter les impenses, ni obliger sous ce prétexte le bailleur à lui continuer le bail, soit pour la totalité de ce qui y était compris, soit même pour la jouissance de ces bâtiments ; dans ce cas, superficies solo cedit.

Si le fonds donné en emphytéose vient à périr totalement ; par exemple, si c'est une maison, et qu'elle soit entièrement ruinée par quelque force majeure, en ce cas le preneur est déchargé de la pension.

Il peut aussi, en déguerpissant l'héritage, se faire décharger en justice de la pension, quoiqu'il se fût obligé personnellement au payement de cette pension, et qu'il y eut hypothéqué tous ses biens, l'obligation personnelle étant dans ce cas seulement accessoire à l'hypothécaire. Voyez DEGUERPISSEMENT. Voyez au digeste, si ager vectigalis, id est emphyteuticarius, petatur ; et au code de jure emphyteutico. Il y a aussi plusieurs traités de jure emphyteutico, par Julius Clarus, Guido de Suzaria, Corbulus, Rutherus, Rulandt ; et un petit traité de l'emphytéose, par Jovet, inséré dans le dictionnaire de Brillon, au mot bail emphytéotique. Voyez aussi Duclapier, quest. j. cause 15. Despeisses, tome III. page 31. Chorier sur Guipape, p. 243. Franc. Marc, tome I. quest. 253. (A)