S. f. (Jurisprudence) est un moyen d'acquérir le domaine des choses en les possédant comme propriétaire pendant le temps que la loi requiert à cet effet. C'est aussi un moyen de s'affranchir des droits incorporels, des actions et des obligations, lorsque celui à qui ces droits et actions appartiennent, néglige pendant un certain temps de s'en servir, et de les exercer.

On entend quelquefois par le terme de prescription, le droit résultant de la possession nécessaire pour prescrire ; comme quand on dit que l'on a acquis la prescription, ce qui signifie que par le moyen de la prescription on est devenu propriétaire d'une chose, ou que l'on est libéré de quelque charge ou action.

La prescription parait en quelque sorte opposée au droit des gens, suivant lequel le domaine ne se transfère que par la tradition que fait le propriétaire d'une chose dont il a la liberté de disposer ; elle parait aussi d'abord contraire à l'équité naturelle, qui ne permet pas que l'on dépouille quelqu'un de son bien malgré lui et à son insu, et que l'un s'enrichisse de la perte de l'autre.

Mais comme sans la prescription il arriverait souvent qu'un acquéreur de bonne foi serait évincé après une longue possession, et que celui-là même qui aurait acquis du véritable propriétaire, ou qui se serait libéré d'une obligation par une voie légitime, venant à perdre son titre, pourrait être dépossédé ou assujetti de nouveau, le bien public et l'équité même exigeaient que l'on fixât un terme après lequel il ne fût plus permis d'inquiéter les possesseurs, ni de rechercher des droits trop longtemps abandonnés.

Ainsi comme la prescription a toujours été nécessaire pour assurer l'état et les possessions des hommes, et conséquemment pour entretenir la paix entr'eux, et qu'il n'y a guère de nation qui n'admette la prescription, son origine doit être rapportée au droit des gens. Le droit civil n'a fait à cet égard que suppléer au droit des gens, et perfectionner la prescription en lui donnant la forme qu'elle a aujourd'hui.

Les motifs qui l'ont fait introduire ont été d'assurer les fortunes des particuliers en rendant certaines, par le moyen de la possession, les propriétés qui seraient douteuses, d'obvier aux procès qui pourraient naître de cette incertitude, et de punir la négligence de ceux qui ayant des droits acquis tardent trop à les faire connaître, et à les exercer ; la loi présume qu'ils ont bien voulu perdre, remettre ou aliéner ce qu'ils ont laissé prescrire ; aussi on donne à la prescription la même force qu'à la transaction.

Justinien, dans une de ses novelles, qualifie la prescription, d'impium praesidium ; cette expression pourrait faire croire que la prescription est odieuse ; mais la novelle n'applique cette expression qu'à propos d'usurpateurs du bien d'église, et qui le retiennent de mauvaise foi : et il est certain qu'en général la prescription est un moyen légitime d'acquérir et de se libérer : les lois mêmes disent qu'elle a été introduite pour le bien public, bono publico usucapio introducta est ; et ailleurs la prescription est appelée patronam generis humani.

La loi des douze tables avait autorisé et réglé la prescription ; on prétend même qu'elle était déjà établie par des lois plus anciennes.

On ne connaissait d'abord chez les Romains d'autre prescription que celle qu'ils appelaient usucapion.

Pour entendre en quoi l'usucapion différait de la prescription, il faut savoir que les Romains distinguaient deux sortes de biens, les uns appelés res mancipi, les autres res nec mancipi.

Les biens appelés res mancipi, dont les particuliers avaient la pleine propriété, étaient les meubles, les esclaves, les animaux privés, et les fonds situés en Italie ; on les appelait res mancipi, quod quasi manu caperentur, et parce qu'ils passaient en la puissance de l'acquéreur par l'aliénation qui s'en faisait par fiction, per aes et libram, de manu ad manum, que l'on appelait mancipatio.

Les biens nec mancipi étaient ainsi appelés, parce qu'ils ne pouvaient pas être aliénés par la mancipation ; les particuliers étaient censés n'en avoir que l'usage et la possession ; tels étaient les animaux sauvages et les fonds situés hors de l'Italie, que l'on ne possédait que sous l'autorité et le domaine du peuple romain auquel on en payait un tribut annuel.

On acquérait irrévocablement du véritable propriétaire, en observant les formes prescrites par la loi.

On acquérait aussi par l'usage, usu, lorsqu'on tenait la chose à quelque titre légitime ; mais de celui qui n'en était pas le véritable propriétaire, et qu'on l'avait possédée pendant un an si c'était un meuble, et pendant deux ans si c'était un immeuble.

Telle était la disposition de la loi des douze tables, et cette façon d'acquérir par l'usage ou possession, est ce que l'on appelait usucapion, terme formé de ces deux-ci, usu capere ; les anciens Romains ne connaissaient la prescription que sous ce nom d'usucapion.

Pour acquérir cette sorte de prescription, il fallait un titre légal, qu'il y eut tradition, et la possession pendant un certain temps.

Elle n'avait lieu qu'en faveur des citoyens romains, et de ceux auxquels ils avaient communiqué leurs droits, et ne servait que pour les choses dont les particuliers pouvaient avoir la pleine propriété ; aussi produisait-elle le même effet que la mancipation.

Le peuple romain ayant étendu ses conquêtes, et les particuliers leurs possessions bien au-delà de l'Italie, il parut aussi nécessaire d'y étendre un moyen si propre à assurer la tranquillité des familles.

Pour cet effet les anciens jurisconsultes introduisirent une nouvelle jurisprudence, qui fut d'accorder aux possesseurs de dix ans des fonds situés hors l'Italie, le droit de s'y maintenir par une exception tirée du laps de temps, et qu'ils appelèrent prescription. Cette jurisprudence fut ensuite autorisée par les empereurs qui précédèrent Justinien. Cod. VIIe tit. 33. et 39.

Mais il y avait encore cette différence entre l'usucapion et la prescription, que la première donnait le domaine civil et naturel, au lieu que la prescription ne communiquait que le domaine naturel seulement.

Justinien rejeta toutes ces distinctions et ces subtilités ; il supprima la distinction des choses appelées mancipi et nec mancipi des biens situés en Italie, et de ceux qui étaient hors de cette province ; et déclara que l'exception tirée de la possession aurait lieu pour les uns comme pour les autres ; savoir, pour les meubles après trois ans de possession, et pour les immeubles par dix ans entre présents, et vingt ans entre absens, et par ce moyen l'usucapion et la prescription furent confondues, si ce n'est que dans le droit on emploie plus volontiers le terme d'usucapion pour les choses corporelles, et celui de prescription pour les immeubles et pour les droits incorporels.

La prescription de trente ans qui s'acquiert sans titre fut introduite par Théodose le Grand.

Celle de quarante ans fut établie par l'empereur Anastase ; elle est nécessaire contre l'Eglise, et aussi quand l'action personnelle concourt avec l'hypotécaire.

La prescription de cent a été introduite à ce terme en faveur de certains lieux ou de certaines personnes privilégiées ; par exemple, l'Eglise romaine n'est sujette qu'à cette prescription pour les fonds qui lui ont appartenu.

La prescription qui s'acquiert par un temps immémorial, est la source de toutes les autres ; aussi est-elle dérivée du droit des gens ; le droit romain n'a fait que l'adopter et la modifier en établissant d'autres prescriptions d'un moindre espace de temps.

Les conditions nécessaires pour acquérir la prescription en général, sont la bonne foi, un juste titre, une possession continuée sans interruption pendant le temps requis par la loi, et que la chose soit prescriptible.

La bonne foi en matière de prescription consiste à ignorer le droit qui appartient à autrui dans ce que l'on possède ; la mauvaise foi est la connaissance de ce droit d'autrui à la chose.

Suivant le droit civil, la bonne foi est requise dans les prescriptions qui exigent un titre, comme sont celles de trois ans pour les meubles, et de 10 et 20 ans pour les immeubles ; mais il suffit d'avoir été de bonne foi en commençant à posséder ; la mauvaise foi qui survient par la suite n'empêche pas la prescription.

Ainsi, comme suivant ce même droit civil, les prescriptions de trente et quarante ans, et par un temps immémorial, ont lieu sans titre, la mauvaise foi qui serait dans le possesseur même au commencement de sa possession, ne l'empêche pas de prescrire.

Au contraire, suivant le droit canon, que nous suivons en cette partie, la bonne foi est nécessaire dans toutes les prescriptions, et pendant tout le temps de la possession.

Mais il faut observer que la bonne foi se présume toujours, à moins qu'il n'y ait preuve du contraire, et que c'est à celui qui oppose la mauvaise foi à en rapporter la preuve.

Le juste titre requis pour prescrire est toute cause légitime propre à transférer au possesseur la propriété de la chose, comme une vente, un échange, un legs, une donation ; à la différence de certains titres qui n'ont pas pour objet de transférer la propriété, tels que le bail, le gage, le prêt, et en vertu desquels on ne peut prescrire.

Il n'est pourtant pas nécessaire que le titre soit valable ; autrement on n'aurait pas besoin de la prescription, il suffit que le titre soit coloré.

La possession nécessaire pour acquérir la prescription, est celle où le possesseur jouit animo domini, comme quelqu'un qui se croit propriétaire. Celui qui ne jouit que comme fermier, sequestre ou dépositaire, ou à quelqu'autre titre précaire, ne peut prescrire.

Il faut aussi que la possession n'ait point été acquise par violence, ni clandestinement, mais qu'elle ait été paisible, et non interrompue de fait ni de droit.

Quand la prescription est interrompue, la possession qui a précédé l'interruption ne peut servir pour acquérir dans la suite la prescription.

Mais quand la prescription est seulement suspendue, la possession qui a précédé et celle qui a suivi la suspension, se joignent pour former le temps nécessaire pour prescrire ; on déduit seulement le temps intermédiaire pendant lequel la prescription a été suspendue.

Suivant le droit romain, la prescription de trente ans ne court pas contre les pupilles ; la plupart des coutumes ont étendu cela aux mineurs, et en général la prescription est suspendue à l'égard de tous ceux qui sont hors d'état d'agir, tels qu'une femme en puissance de mari, un fils de famille en la puissance de son père.

C'est par ce principe que le droit canon suspend la prescription pendant la vacance des bénéfices et pendant la guerre ; les docteurs y ajoutent le temps de peste, et les autres calamités publiques qui empêchent d'agir.

La prescription de trente ans, et les autres dont le terme est encore plus long, courent contre ceux qui sont absens, de même que contre ceux qui sont présents ; il n'en est pas de même de celle de dix ans, il faut, suivant la plupart des coutumes, doubler le temps de cette prescription à l'égard des absens, c'est-à-dire de ceux qui demeurent dans un autre bailliage ou sénéchaussée.

Ceux qui sont absens pour le service de l'état sont à couvert pendant ce temps de toute prescription.

L'ignorance de ce qui se passe n'est point un moyen pour interrompre ni pour suspendre la prescription, cette circonstance n'est même pas capable d'opérer la restitution de celui contre qui on a prescrit.

Il y a des choses qui sont imprescriptibles de leur nature, ou qui sont déclarées telles par la disposition de la loi.

Ainsi l'on ne prescrit jamais contre le droit naturel, ni contre le droit des gens primitif, ni contre les bonnes mœurs, et contre l'honnêteté publique ; une coutume abusive quelque ancienne qu'elle sait, ne peut se soutenir ; car l'abus ne se couvre jamais ; il en est de même de l'usure.

On ne prescrit pas non plus contre le bien public.

Le domaine du roi est de même imprescriptible.

L'obéissance que l'on doit à son souverain et à ses autres supérieurs est aussi imprescriptible.

La prescription n'a pas lieu entre le seigneur et son vassal ou censitaire, et dans la plupart des coutumes le cens est imprescriptible ; mais un seigneur peut prescrire contre un autre seigneur.

Les droits de pure faculté, tels qu'un droit de passage, ne se perdent point par le non usage.

La faculté de racheter des rentes constituées à prix d'argent, ne se prescrit jamais par quelque laps de temps que ce sait.

Enfin on ne prescrit point contre la vérité des faits, ni contre son propre titre.

Outre les prescriptions dont nous avons parlé, il y en a encore nombre d'autres beaucoup plus courtes, et qui sont plutôt des fins de non-recevoir, que des prescriptions proprement dites.

Telle est la prescription de vingt-quatre heures contre le retrayant qui n'a pas remboursé ou consigné dans les vingt-quatre heures de la sentence qui lui adjuge le retrait.

Telle est aussi la prescription de huitaine contre ceux qui n'ont pas formé leur opposition à une sentence.

Il y a une autre prescription de neuf jours en fait de vente de chevaux. Voyez CHEVAUX et REDHIBITION.

Une prescription de dix jours pour faire payer ou protester dans ce délai les lettres de change, voyez CHANGE et LETTRES.

Une prescription de quinze jours, faute d'agir en garantie dans ce temps contre les tireurs et endosseurs d'une lettre de change protestée.

Une prescription de vingt jours dans la coutume de Paris, art. 77. pour notifier le contrat au seigneur.

Une de quarante jours pour faire la foi et hommage, fournir l'aveu, intenter le retrait féodal, réclamer une épave.

Une de trois mois pour mettre à exécution les lettres de grâce, pardon et remission.

Une de quatre mois pour l'insinuation des donations.

Une de six pour la publication des substitutions, pour se pourvoir par requête civile, pour faire demande du prix des marchandises énoncées en l'article 126 de la coutume de Paris, et en l'article 8 du titre I. de l'ordonnance du commerce.

Une prescription d'un an pour les demandes et actions énoncées en l'article 125 de la coutume de Paris, et en l'article 127 du titre de l'ordonnance du commerce, pour former complainte, pour exercer le retrait lignager, pour relever les fourches patibulaires du seigneur sans lettres, pour demander le payement de la dixme, pour intenter l'action d'injure, et pour faire usage des lettres de chancellerie.

Il y a une prescription de deux ans contre les procureurs, faute par eux d'avoir demandé leurs frais et salaires dans ce temps, à compter du jour qu'ils ont été révoqués, ou qu'ils ont cessé d'occuper.

La prescription de 3 ans a lieu, comme on l'a dit, pour les meubles, et en outre pour la peremption d'instance, et pour celle du compromis. Les domestiques ne peuvent demander que trois ans de leurs gages.

La prescription de cinq ans a lieu pour les fonds en Anjou et Maine ; c'est ce qu'on appelle le tenement de cinq ans ; elle a lieu pareillement pour les arrérages d'une rente constituée, pour l'accusation d'adultère, pour la plainte d'inofficiosité ; pour les fermages et loyers, quand on a été cinq ans après la fin du bail sans le demander. Les lettres et billets de change sont aussi réputés acquittés après cinq ans de cessation de poursuite. Un officier qui a joui paisiblement d'un droit pendant cinq ans, n'y peut plus être troublé par un autre. On ne peut après cinq ans réclamer contre ses vœux, ni purger la contumace. Les veuves et héritiers des avocats et procureurs ne peuvent après ce temps être recherchés pour les papiers qu'ils ont eu, soit que les procès soient jugés ou non.

Enfin il y a une prescription de six années contre les procureurs, lesquels dans les affaires non jugées ne peuvent demander leurs frais, salaires et vacations pour les procédures faites au-delà de six années.

Voyez au digeste les titres de usurpationibus et usucapionibus ; de diversis temporalibus praescript. et au cod. de usucapione transformandâ, et celui de praescriptione longi temporis ; aux institutes, de usucapionibus.

Voyez aussi les traités des prescriptions par Alciat, Hostiensis, Rogerius, Mugello, Barthole, Balbus, Tiraqueau, Caepola, Oldendorp.

Il en est aussi parlé dans Cujas, Dumoulin, Dargentré, Coquille, Bouchel, Jovet, Tournet, Papon, Despeisses, Henrys, Auzanet, etc. Voyez POSSESSION, INTERRUPTION, FIN DE NON RECEVOIR. (A)