S. m. (Jurisprudence) est un homme versé dans la Jurisprudence, c'est-à-dire dans la science des lais, coutumes, et usages, et de tout ce qui a rapport au droit et à l'équité.

Les anciens donnaient à leurs jurisconsultes le nom de sages et de philosophes, parce que la Philosophie renferme les premiers principes des lais, et que son objet est de nous empêcher de faire ce qui est contre les lois de la nature, et que la Philosophie et la Jurisprudence ont également pour objet l'amour et la pratique de la justice. Aussi Cassiodore donne-t-il de la Philosophie la même définition que les lois nous donnent de la Jurisprudence. Philosophia, dit-il en son livre de la Dialectique, est divinarum humanarumque rerum, in quantum homini possibîle est, probabilis sententia. Pithagore, Dracon, Solon, Lycurgue, et plusieurs autres, ne devinrent législateurs de la Grèce, que parce qu'ils étaient philosophes.

Tout jurisconsulte cependant n'est pas législateur ; quelques-uns qui avaient part au gouvernement d'une nation, ont fait des lois pour lui servir de règle ; d'autres se sont seulement appliqués à la connaissance des lois qu'ils ont trouvé établies.

On ne doit pas non plus prodiguer le titre de jurisconsulte, à ceux qui n'ont qu'une connaissance superficielle de l'usage qui s'observe actuellement ; on peut être un bon praticien sans être un habîle jurisconsulte ; pour mériter ce dernier titre, il faut joindre à la connaissance du Droit celle de la Philosophie, et particulièrement celle de la Logique, de la Morale, et de la Politique ; il faut posséder la chronologie et l'histoire ; l'intelligence, et la juste application des lois dépendant souvent de la connaissance des temps et des mœurs des peuples, il faut surtout allier la théorie du Droit avec la pratique, être profond dans la science des lais, en savoir l'origine et les circonstances qui y ont donné lieu, les conjonctures dans lesquelles elles ont été faites, en pénétrer le sens et l'esprit, connaître les progrès de la Jurisprudence, les révolutions qu'elle a éprouvées ; il faudrait enfin avoir des connaissances suffisantes de toutes les choses qui peuvent faire l'objet de la Jurisprudence, divinarum atque humanarum rerum scientiam ; et conséquemment il faudrait posséder toutes les sciences et tous les arts : mais j'appliquerais volontiers à la Jurisprudence la restriction que Cassiodore met par rapport aux connaissances que doit avoir un philosophe, in quantum homini possibîle est ; car il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, qu'un seul homme réunisse parfaitement toutes les connaissances nécessaires pour faire un grand Jurisconsulte.

On conçoit par-là combien il est difficîle de parvenir à mériter ce titre ; nous avons cependant plusieurs auteurs qui se le sont eux-mêmes attribué, tel que Dumolin, qui prenait le titre de jurisconsulte de France et de Germanie, et qui le méritait sans contredit : mais il ne sied pas à tous ceux qui ont quelque connaissance du Droit, de s'ériger en jurisconsultes ; c'est au public éclairé à déferer ce titre à ceux qu'il en juge dignes.

Le premier et le plus célèbre de tous les Jurisconsultes, fut Moïse envoyé de Dieu, pour conduire son peuple, et pour lui transmettre ses lais.

Les Egyptiens eurent pour jurisconsultes et législateurs trois de leurs princes, savoir les deux Mercures et Amasis.

Minos donna des lois dans l'île de Crète ; mais s'il est glorieux de voir des rois au nombre des jurisconsultes, il ne l'est pas moins de voir des princes renoncer au trône pour se consacrer entièrement à l'étude de la Jurisprudence, comme fit Lycurgue, lequel, quoique fils d'un des deux rois de Sparte, préfera de réformer comme concitoyen, ceux qu'il aurait pu gouverner comme roi. Il alla pour cet effet, s'instruire des lois en Crète, parcourut l'Asie et l'Egypte, et revint à Lacédémone, où il s'acquit une estime si générale, que les principaux de la ville lui aidèrent à faire recevoir ses lais.

Zoroastre, si fameux chez les Perses, leur donna des lois qui se répandirent chez plusieurs autres peuples. Pithagore qui s'en était instruit dans ses voyages, les porta chez les Crotoniates : deux de ses disciples, Charondas et Zaleucus, les portèrent l'un chez les Thuriens, l'autre chez les Locriens ; Zamolxis qui avait aussi suivi Pithagore, porta ces lois chez les Scythes.

Athènes eut deux fameux philosophes, Dracon et Solon, qui lui donnèrent pareillement des lais.

Chez les Romains, la qualité de législateur fut distinguée de celle de jurisconsulte : le pouvoir de faire des lois appartenait à ceux qui avaient part à la puissance publique ; la fonction des jurisconsultes se borna à étudier les lois et à les interpreter. On les appelait prudentes, et leurs réponses étaient appelées par excellence responsa prudentum. On leur donnait aussi le titre de juris autores ; et ils se qualifiaient de prêtres de la justice, justitiae sacerdotes.

Les Jurisconsultes romains tiraient leur origine du droit de patronage établi par Romulus. Chaque plébéien se choisissait parmi les patriciens un patron qui l'aidait de ses conseils, et se chargeait de sa défense : les cliens faisaient à leurs patrons des présents appelés honoraires.

La connaissance du droit romain étant devenue difficîle par la multiplicité et les variations des lais, on choisit un certain nombre de personnes sages et éclairées, qui feraient leur unique occupation des lais, pour être en état de les interpreter : on donna à ces interpretes le nom de patrons, et à ceux qui les consultaient, le nom de cliens.

Ces interpretes n'étaient pas d'abord en grand nombre ; mais dans la suite ils se multiplièrent tellement, que le peuple trouvant chez eux toutes les ressources pour la conduite de leurs affaires, le crédit des anciens patrons diminua peu-à-peu.

Depuis que Cnaeus Flavius, et Sextus Aelius, eurent publié les formules des procédures, plusieurs jurisconsultes composèrent des commentaires sur les lois ; ces commentaires furent toujours d'un grand poids, mais ils ne commencèrent à faire véritablement partie du droit écrit, que lorsque Théodose le jeune donna force de loi aux écrits de plusieurs anciens jurisconsultes.

Outre ces commentaires, les Jurisconsultes donnaient aussi des réponses à ceux qui les venaient consulter ; ces réponses étaient verbales ou par écrit, selon la nature de l'affaire, ou le lieu dans lequel elles se donnaient ; car les jurisconsultes se promenaient quelquefois dans la place publique pour être plus à portée de donner conseil à ceux qui en auraient besoin ; ces sortes de consultations n'étaient que verbales ; mais pour l'ordinaire ils se tenaient dans leurs maisons.

Il y avait des termes consacrés par l'usage pour ces consultations ; le client demandait au jurisconsulte, licet consulere ; si le jurisconsulte y consentait, il répondait consule. Le client après avoir expliqué son affaire, finissait en disant, quaero an existimes, ou bien id jus est nec ne, etc. La réponse du jurisconsulte était secundum ea quae proponuntur existimo, placet, puto.

Lorsqu'il se présentait de grandes questions, on les discutait en présence du peuple, ce qu'on appelait disputatio fori, parce que cette dispute se faisait dans une place publique : la question se décidait à la pluralité des voix. Ces décisions n'avaient pas à la vérité d'abord force de loi, mais elles étaient confirmées par l'usage ; quelques auteurs tiennent que le titre de regulis juris, n'est qu'un recueil des principales de ces décisions.

Les plus célèbres jurisconsultes depuis le commencement de la république romaine jusqu'à sa fin, furent Sextus Papyrius, Appius-Claudius-Contemmanus, Simpronius surnommé le Sage, Tiberius Coruncanus, les deux Catons, Junius Brutus, Publius-Mucius, Quintus-Mucius-Scevola, Publius-Rutilius-Rufus, Aquilius-Gallus, Lucilius-Balbus, Caïus-Juventius, Servius-Sulpitius, Caïus-Trebatius, Offilius, Aulus-Cascellius, Q. Aetius-Tubero, Alfenus-Varus, Aufridius-Tuca, et Aufridius-Namusa, Lucius-Cornelius-Silla, Cneïus-Pompeïus, et plusieurs autres moins connus.

Les jurisconsultes de Rome étaient ce que sont parmi nous les avocats consultants, c'est-à-dire, qui par le progrès de l'âge et le mérite de l'expérience, parviennent à l'emploi de la consultation, et que les anciennes ordonnances appellent advocati consiliarii : mais à Rome les avocats plaidants ne devenaient point Jurisconsultes ; c'étaient des emplois tout différents.

Du temps de la république, l'emploi des avocats était plus honorable que celui des jurisconsultes ; parce que c'était la voie pour parvenir aux premières dignités. On appelait même les jurisconsultes par mépris formularii, ou legulei, parce qu'ils avaient inventé certaines formules et certains monosyllabes, pour répondre plus gravement et plus mystérieusement ; cependant ils se rendirent si recommandables, qu'on les nomma prudentes ou sapientes.

Leurs réponses acquirent une grande autorité depuis qu'Auguste eut accordé à un certain nombre de personnes illustres le droit exclusif d'interpreter les lais, et de donner des décisions auxquelles les juges seraient obligés de se conformer ; il donna même à ces jurisconsultes des lettres ; en sorte qu'ils étaient regardés comme officiers de l'empereur.

Caligula au contraire menaça de détruire l'ordre entier des jurisconsultes ; mais cela ne fut pas exécuté, et Tibere et Adrien confirmèrent les jurisconsultes dans les privilèges qui leur avaient été accordés par Auguste.

Théodose le jeune, et Valentinien III. pour ôter l'incertitude qui nait du grand nombre d'opinions différentes, ordonnèrent que les ouvrages de Papinien, de Caïus, de Paul, d'Ulpien, et de Modestin, auraient seuls force de loi, et que quand les jurisconsultes seraient partagés, le sentiment de Papinien prévaudrait.

Ceux qui travaillèrent sous les ordres de Justinien à la composition du digeste, firent cependant aussi usage des ouvrages des autres jurisconsultes.

Depuis Auguste jusqu'à Adrien, les jurisconsultes commencèrent à se partager en plusieurs sectes ; Antistius Labeo, et Arterius Capito, furent les auteurs de la première ; l'un se livrant à son génie, donna dans les opinions nouvelles, et ses sectateurs s'attachèrent plus à l'esprit de la loi, et à l'équité, qu'aux termes mêmes de la loi ; l'autre au contraire se tint attaché strictement à la lecture de la loi, et aux anciennes maximes. Le parti de Labeo fut soutenu par Proculus et Pegasus ses disciples, d'où cette secte prit le nom de Proculeïene et de Pégasienne, de même que celle de Capito fut appelée successivement Sabinienne et Cassienne, du nom de deux disciples de Capito.

Les disciples de Labeo furent Nerva père et fils, Proculus, Pegasus, Celsus père et fils, et Neratius Priscus ; ceux de Capito, furent Massurius-Sabinus, Cassius-Longinus, Caelius-Sabinus, Priscus-Javolenus, Alburnius-Valents, Tuscianus et Salvius-Julianus. Ce dernier après avoir réuni les différentes sectes qui divisaient la Jurisprudence, composa l'édit perpétuel.

Les plus célèbres jurisconsultes depuis Adrien jusqu'à Constantin, furent Gaïus, ou Caïus, Scaevola, Sextus-Pomponius-Papinien, Ulpien-Paulus, Modestinus, et plusieurs autres.

Depuis Constantin, on trouve Grégorien et Hermogénien auteurs des deux codes ou compilations qui portent leur nom.

La direction de celles que Justinien fit faire, fut confiée à Tribonien, qui associa à ses travaux Théophile, Dorothée, Leontius, Anatolius, et Cratinus, le patrice Jean Phocas, Basilide, Thomas, deux Constantins, Dioscore, Praesentinus, Etienne, Menna, Prosdocius, Eutolmius, Thimothée, Léonides, Platon, Jacques.

Pour la confection du digeste, Tribonien choisit seize d'entre ceux qui avaient travaillé avec lui au code ; on sait que le digeste fut composé de ce qu'il y avait de meilleur dans les livres des jurisconsultes ; leurs ouvrages s'étaient multipliés jusqu'à plus de 2000 volumes, et plus de 300000 vers. On marque au haut de chaque loi le nom du jurisconsulte, et le titre de l'ouvrage dont elle a été tirée ; on prétend qu'après la confection du digeste, Justinien fit supprimer tous les livres des jurisconsultes ; quoi qu'il en sait, il ne nous en reste que quelques fragments.

Quelques auteurs ont entrepris de rassembler ces fragments de chaque ouvrage, qui sont à part dans le digeste et ailleurs ; mais il en manque encore une grande partie, qui serait nécessaire pour bien connaître les principes de chaque jurisconsulte.

Les jurisconsultes les plus célèbres que l'Allemagne a produits, sont Irnerius, Haloander, Ulric Zarius, Fichard Ferrier, Sichard, Mudée, Oldendorp, Damhouden Raevard, Hopper, Zuichem, Ramus, Cisner, Giffanius, Volfanghus, Freymonius, Dasius, Vander-Anus, Deima Wesembeck, Leunclavius, Vander-Bier, Drederode, Dorcholten, Lectius, Rittershusius, Treutler, Grotius, Godefroy, Matthaeus, Conringius, Puffendorf, Cocceius, Leibnitz, et Gerard Noodt, Van-Espen, etc.

L'Italie a pareillement produit un grand nombre de savants jurisconsultes tels que Martin et Bulgare son antagoniste, Accurse, Azon, Bartole, Ferrarius, Fulgose, Caccialupi, Paul de Castres, François Aretin, Alexandre Tartagni, les trois Sorin, Caepola, les Riminaldi, Jason Decius, Ruinus, Alciat, Nevizan, Pancirole, Matthaeus de afflictis, Peregrinus, Julius Clarus, Lancelot, les deux Gentilis, Pacaeus, Menochius, Mantica, Farinacius, Gravina, etc.

Il n'y a eu guère moins de grands jurisconsultes en Espagne ; on y trouve un Govea, Antoine-Augustin Covarruvias, Vasquez, Gomez, Pinellus, Garcias, Alvares, Pierre et Emmanuel Barbosa, Veneusa, Amaïa Caldas de Peirera, Caldera, Castillo-Soto-Major, Carranza, Perezius, etc.

La France n'a pas été moins féconde en jurisconsultes ; le nombre en est si grand, que nous ne rappellerons ici que les plus célèbres, tels sont Guillaume Durand, surnommé le spéculateur, Guy Foucaut, qui fut depuis pape sous le nom de Clément IV. Jean Faber, Celse Hugues, Descousu, Guillaume Budée, Equinard Baron, Duaren, Tiraqueau, Charles Dumolin, Jean de Coras, François Baudouin ou Balduin, Berenger Fernand, Contius, Hotman, Jacques Cujas, Pierre Faber, Barnabé Brisson, Charles Loiseau, Chenu, Laisel, Petrus Gregorius, Eveillon, Pierre Pithon, Bouchelle, Coquille, Pasquier, Pierre Ayrault, Charles Labbé, Maran, Leschassier, Brodeau, Antoine Faber, Janus Acosta, Didier Hérault, Heraldus, Edmond Merille, Charles-Annibal Fabrot.

On doit aussi compter entre les modernes Jean Doujat, Jean Domat, Henrys, Corbin, Baluze, Pinson, Bengy, Gerbais, Ferret, Grimaudet, de Laurière, de la Marre, Pierre le Merre, Dupuy, Bardet, le Prêtre, Dupineau, Boucheul, Ricard, le Brun, le Grand, Hevin, Poquet de Livonières, Claude de Ferrières, de Boutarie, Bouhier, Cochin, de Hericourt, et plusieurs autres, dont l'énumération serait trop longue.

Nous ne parlons point ici des jurisconsultes vivants, dans la crainte d'omettre quelqu'un de ceux qui mériteraient d'être nommés.

Les Jurisconsultes romains, français, et autres, ont toujours été en grande considération ; plusieurs ont été honorés des titres de chevalier, de comte, de patrice, et élevés aux premières dignités de l'état.

Bernardin Rectilius de Vicenze a écrit les vies des anciens jurisconsultes qui ont paru depuis 2000 ans. Guy Pancirol a écrit quatre livres des illustres interpretes des lais. Taisand a aussi écrit les vies des jurisconsultes anciens et modernes ; on trouve aussi dans l'histoire de la Jurisprudence romaine de M. Terrasson, une très-bonne notice de ceux qui ont écrit sur le Droit romain. (A)