S. m. (Jurisprudence) est le délaissement d'un héritage fait par le détenteur à celui auquel il est redevable de quelque charge foncière, pour s'exempter de cette charge.

Loyseau qui a fait un excellent traité sur cette matière, trouve dans le castor un exemple naturel du déguerpissement et des autres sortes de délaissements usités parmi nous : il observe qu'au rapport des anciens, le castor ou bièvre a cet instinct, qu'étant poursuivi des chasseurs et ne pouvant se sauver par la course, il s'arrache avec les dents les génitoires pour lesquelles il sent qu'il est poursuivi ; à cause qu'elles servent à plusieurs médicaments, et qu'en sacrifiant cette partie, il sauve le reste et se garantit de la mort.

Le déguerpissement a quelque rapport avec cette conduite ; ceux qui sont poursuivis pour quelque charge foncière qu'ils trouvent trop onéreuse, déguerpissent l'héritage, et se soumettent volontairement à cette perte pour se préserver d'une qui serait selon eux plus considérable.

On ne doit pas confondre le déguerpissement avec les diverses autres sortes de délaissements qui ont été inventées pour se délivrer de toutes poursuites, telles que la cession de bien ou l'abandonnement, la renonciation, le désistement, et le délaissement par hypothèque.

La cession ou abandonnement se fait de tous biens sans réserve, et néanmoins elle n'anéantit pas l'obligation, elle modere seulement les poursuites ; la renonciation se fait à des biens que l'on n'a point encore acceptés ; le désistement est d'une chose qui appartient à autrui : dans le délaissement par hypothèque, celui qui abandonne son immeuble en demeure propriétaire jusqu'à la vente, et retire le surplus du prix ; au lieu que dans le déguerpissement on abandonne dès-lors au bailleur la propriété et la possession de l'héritage que l'on tenait de lui à rente.

Le terme de déguerpissement vient de l'Allemand werp ou querp, qui signifie prise en possession ; de sorte que déguerpissement qui est le contraire signifie délaissement de la possession.

Les ordonnances ont exprimé le déguerpissement par le terme de renonciation à l'héritage ; quelques coutumes par celui d'exponsion ; celle de Paris le nomme déguerpissement, de même que la plupart des autres coutumes.

Le déguerpissement, tel que nous le pratiquons, était peu usité chez les Romains, d'autant qu'il y avait chez eux fort peu de rentes entre particuliers ; ou s'il y en avait, elles étaient fort petites, et seulement pour reconnaissance du domaine direct, chaque détenteur n'en était tenu qu'à proportion de ce qu'il possédait ; c'est pourquoi il arrivait rarement qu'il quittât l'héritage pour se décharger de la rente.

Cependant cette espèce de délaissement n'était pas absolument inconnue aux Romains, et l'on trouve plusieurs de leurs lois qui peuvent s'y adapter, notamment la loi rura au code de omni agro déserto, et les lois 3 et 5 cod. de fundis patrimon. où l'on voit que relinquere et refundere signifient déguerpir.

Les dettes personnelles et hypothéquaires ne sont point l'objet du déguerpissement proprement dit ; on ne le fait que pour se délibérer des charges foncières, soit seigneuriales, ou autres, telles que sont le cens, sur-cens, le champart, terrage agrier, et autres redevances semblables ; l'emphitéose, les simples rentes foncières, et de bail d'héritage.

On peut aussi par la voie du déguerpissement se libérer des charges foncières, casuelles, et extraordinaires, telles que sont les réparations et entretien de l'héritage, les tailles réelles, et autres impositions semblables ; telles que le dixième, vingtième, cinquantième ; l'entretien du pavé des villes, et de leurs fortifications ; l'imposition pour les bouès et lanternes ; les droits seigneuriaux, ou profits de fiefs, casuels, et autres charges semblables.

L'héritier soit pur et simple ou bénéficiaire, ne peut déguerpir la succession entière pour se délibérer des charges à cause de la maxime semel haeres, semper haeres ; mais il peut déguerpir l'héritage, charges, et rentes foncières ; et par ce moyen il se libère de la rente.

Les autres successeurs à titre universel, tels que sont les donataires et légataires universels, les seigneurs qui succedent à titre de confiscation, deshérence, ou autrement, peuvent déguerpir toute la succession, pourvu qu'ils aient fait inventaire, quand même ils auraient déjà vendu une partie des biens, pourvu qu'ils en rapportent la véritable valeur et les fruits.

Mais ce délaissement universel est plutôt une renonciation qu'un déguerpissement proprement dit, lequel n'a véritablement lieu que pour les charges foncières dont on a parlé ci-devant.

Tout détenteur en général peut déguerpir ; cela demande néanmoins quelque explication.

Le tuteur ne peut déguerpir pour son mineur qu'en conséquence d'un avis de parents omologué en justice.

Le bénéficier ne le peut faire aussi qu'en cas de nécessité, et d'une autorisation de justice qui ne doit lui être accordée qu'après une enquête de commodo et incommodo.

Le déguerpissement du bien de la femme ne peut être fait par le mari sans son consentement.

La saisie réelle de l'héritage n'empêche pas le détenteur de le déguerpir.

Le preneur à rente et ses héritiers peuvent aussi déguerpir, quand même le preneur aurait promis de payer la rente, et qu'il y aurait obligé tous ses biens ; car une telle obligation s'entend toujours tant qu'il sera détenteur de l'héritage.

Mais si le preneur avait expressément renoncé au déguerpissement, ou promis de ne point déguerpir, ou qu'il eut promis de fournir et faire valoir la vente, il ne pourrait pas déguerpir ni ses héritiers.

Si par le bail à rente il s'était obligé de faire quelque amendement, comme de bâtir, planter, etc. il ne pourrait pas déguerpir qu'il n'eut auparavant rempli son engagement.

Le déguerpissement doit être fait en jugement, partie présente, ou dû.ment appelée, à moins que ce ne soit du consentement des parties ; auquel cas il peut être fait hors jugement.

On peut déguerpir par procureur, pourvu que celui-ci soit fondé de procuration spéciale ; et il ne suffit pas de signifier la procuration, il faut qu'en conséquence le fondé de procuration passe un acte de déguerpissement.

Celui qui déguerpit doit fournir à ses frais l'acte de déguerpissement ; il doit aussi remettre les titres de propriété qu'il peut avoir, sinon se purger par serment qu'il n'en retient aucun.

Le détenteur peut déguerpir, quand même il ne posséderait pas tout ce qui a été donné à la charge de la rente : le preneur même ou ses héritiers qui auraient vendu une partie des héritages, pourraient toujours déguerpir l'autre, pourvu que le déguerpissement comprenne tout ce que le preneur ou détenteur possède des héritages chargés de la rente ; et en déguerpissant ainsi sa portion, il est libéré de la totalité de la rente.

L'héritage doit être rendu entier ; d'où il suit que le bailleur doit être indemnisé des hypothèques et charges réelles et foncières imposées par le preneur ou autre détenteur.

Lorsque le détenteur a acquis à la charge de la rente, ou qu'il l'a depuis reconnue, il est obligé en déguerpissant de rendre l'héritage en aussi bon état qu'il l'a reçu, d'y faire les réparations nécessaires, et de payer les arrérages de rente échus de son temps. Quelques coutumes veulent encore que celui qui déguerpit paye le terme suivant ; comme celle de Paris, art. 109. Mais si le détenteur n'a point eu connaissance de la rente, il peut déguerpir l'héritage en l'état qu'il est, pourvu que ce soit de bonne foi et sans fraude, et il est quitte des arrérages, même échus de son temps, pourvu qu'il déguerpisse avant contestation en cause ; s'il ne déguerpit qu'après la contestation, il doit payer les arrérages échus de son temps.

L'effet du déguerpissement est qu'à l'instant le détenteur cesse d'être propriétaire de l'héritage, et que la propriété en retourne au bailleur : mais ce n'est pas ex antiquâ causâ ; de sorte que tout ce que le détenteur a fait comme propriétaire jusqu'au déguerpissement est valable, comme on l'a observé pour les hypothèques et charges foncières qu'il peut avoir imposées sur l'héritage, pour lesquelles le bailleur a seulement son recours contre celui qui a déguerpi. Voyez Loiseau, du déguerpissement ; Bouchel, biblioth. au mot Déguerpiss. la coutume de Paris, articl. 101. 102. 103. 104. et 110. et autres coutumes semblables et leurs commentateurs. (A)