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Catégorie parente: Morale
Catégorie : Jurisprudence
S. f. (Jurisprudence) concert ou conspiration de plusieurs personnes, qui par des menées secrètes et illicites, travaillent sourdement à quelque chose d'injuste, comme à perdre un innocent, à sauver un coupable, à décréditer une bonne marchandise, un bon ouvrage, à ruiner quelque établissement utile, ou à faire éclore quelque projet préjudiciable à l'état ou à la société.

Il se dit aussi du projet même des personnes qui cabalent. Ainsi l'on dit, si les manœuvres des personnes mal-intentionnées ont réussi, ou ont manqué : la cabale l'a emporté cette fois ; la cabale a échoué, &c.

De ce mot on a fait cabaleur, pour désigner celui qui trempe dans une cabale, ou plutôt même celui qui en est le promoteur. (H)

CABALE, (Philosophie) On n'entend pas seulement ici par le mot de Cabale, cette tradition orale dont les Juifs croyaient trouver la source sur le mont Sinaï où elle fut donnée à Moyse, en même temps que la loi écrite, et qui, après sa mort, passa aux prophetes, aux rois chéris de Dieu, et surtout aux sages, qui la reçurent les uns des autres par une espèce de substitution. On prend surtout ce mot pour la doctrine mystique, et pour la philosophie occulte des Juifs, en un mot pour leurs opinions mystérieuses sur la Métaphysique, sur la Physique et sur la Pneumatique.

Parmi les auteurs chrétiens qui ont fait leurs efforts pour relever la Cabale, et pour la mettre au niveau des autres sciences, on doit distinguer le fameux Jean Pic de la Mirandole, qui à l'âge de vingt-quatre ans soutint à Rome un monstrueux assemblage de toute sorte de propositions tirées de plusieurs livres cabalistiques qu'il avait achetés à grands frais. Son zèle pour l'Eglise Romaine fut ce qui l'attacha à la Cabale. Séduit par les éloges qu'on donnait à la tradition orale des Juifs, qu'on égalait presque à l'Ecriture-sainte, il alla jusqu'à se persuader que les livres cabalistiques qu'on lui avait vendus comme authentiques, étaient une production d'Esdras, et qu'ils contenaient la doctrine de l'ancienne église judaïque. Il crut y découvrir le mystère de la Trinité, l'Incarnation, la Rédemption du genre humain, la passion, la mort et la résurrection de J. C. le purgatoire, le baptême, la suppression de l'ancienne loi, enfin tous les dogmes enseignés et crus dans l'Eglise catholique. Ses efforts n'eurent pas un bon succès. Ses thèses furent supprimées, et treize de ses propositions furent déclarées hérétiques. On peut lire dans Wolf le catalogue des auteurs qui ont écrit sur la Cabale.

Origine de la Cabale. Les commencements de la Cabale sont si obscurs, son origine est couverte de si épais nuages, qu'il parait presque impossible d'en fixer l'époque : cette obscurité d'origine est commune à toutes les opinions qui s'insinuent peu-à-peu dans les esprits, qui croissent dans l'ombre et dans le silence, et qui parviennent insensiblement à former un corps de système.

Il serait assez inutîle de rapporter ici les rêveries des Juifs sur l'origine de la philosophie cabalistique, on peut consulter l'article PHILOSOPHIE JUDAÏQUE, et nous aurons occasion d'en dire quelque chose dans le cours même de celui-ci : nous nous contenterons de dire ici qu'il y a des Juifs qui ont prétendu que l'ange Raziel, précepteur d'Adam, lui avait donné un livre contenant la science céleste ou la Cabale, et qu'après le lui avoir arraché au sortir du jardin d'Eden, il le lui avait rendu, se laissant fléchir par ses humbles supplications. D'autres disent qu'Adam ne reçut ce livre qu'après son péché, ayant demandé à Dieu qu'il lui accordât quelque petite consolation dans le malheureux état où il se voyait réduit. Ils racontent que trois jours après qu'il eut ainsi prié Dieu, l'ange Raziel lui apporta un livre qui lui communiqua la connaissance de tous les secrets de la nature, la puissance de parler avec le soleil et avec la lune, de faire naître les maladies et de les guérir, de renverser les villes, d'exciter des tremblements de terre, de commander aux anges bons et mauvais, d'interprêter les songes et les prodiges, et de prédire l'avenir en tout temps. Ils ajoutent que ce livre en passant de père en fils, tomba entre les mains de Salomon, et qu'il donna à ce savant prince la vertu de bâtir le temple par le moyen du ver Zamir, sans se servir d'aucun instrument de fer. Le rabbin Isaac Ben Abraham a fait imprimer ce livre au commencement de ce siècle, et il fut condamné au feu par les Juifs de la même tribu que ce rabbin.

Les savants qui ont écrit sur la Cabale sont si partagés sur son origine, qu'il est presque impossible de tirer aucune lumière de leurs écrits : la variété de leurs sentiments vient des différentes idées qu'ils se formaient de cette science ; la plupart d'entr'eux n'avaient point examiné la nature de la Cabale, comment ne se seraient-ils pas trompés sur son origine ? Ainsi sans prétendre à la gloire de les concilier, nous nous bornerons à dire ici ce que nous croyons de plus vraisemblable.

1°. Ceux qui ont étudié l'histoire de la Philosophie, et suivi les progrès de cette science depuis le commencement du monde jusqu'à la naissance de J. C. savent que toutes les nations, et surtout les peuples de l'orient, avaient une science mystérieuse qu'on cachait avec soin à la multitude, et qu'on ne communiquait qu'à quelques privilégiés : or, comme les Juifs tenaient un rang distingué parmi les nations orientales, on se persuadera aisément qu'ils durent adopter de bonne heure cette méthode secrète et cachée. Le mot même de Cabale semble l'insinuer ; car il signifie une tradition orale et secrète de certains mystères dont la connaissance était interdite au peuple. (Lisez Vachterus in Elucidario Cabba. Schrammius, Dissert. de mysteriis Judaeorum philosophicis.) Mais parmi le grand nombre de témoignages que nous pourrions citer en faveur de ce sentiment, nous n'en choisirons qu'un tiré de Jochaïdes écrivain cabalistique. Idra Rabba §. 16. Cabb. denud. tom. II.

R. Schimeon exorsus dixit : qui ambulat ut circumforaneus, revelat secretum ; sed fidelis spiritu operit verbum, ambulants ut circumforaneus : hoc dictum quaestionem meretur, quia dicitur circumforaneus quare ambulants, vir circumforaneus dicendus erat, quid est ambulants ? Verumenimvero in illo, qui non est sedatus in spiritu suo, nec verax, verbum quod audivit, hùc illuc movetur, sicut spina in aquâ, donec illuc foras expellat ; quamobrem ? quia spiritus ejus non est stabilis.... nec enim mundus in stabilitate manet nisi per secretum, et si circa negotia mundana opus est secreto, quanto magis in negotiis secretorum secretissimorum et consideratione senis dierum, quae nequidem tradita sunt angelis.... Coelis non dicam ut auscultent ; terrae non dicam at audiat ; certè enim nos columnae mundorum summus.

Ainsi parle Schimeon Jochaïdes ; et il regardait le secret comme une chose si importante qu'il fit jurer ses disciples de le garder. Le silence était si sacré chez les Esseniens, que Josephe (Prooem. hist. Judaïc.) assure que Dieu punissait ceux qui osaient le violer.

2°. Il n'est donc pas douteux que les Juifs n'aient eu de bonne heure une science secrète et mystérieuse : mais il est impossible de dire quelque chose de positif soit sur la vraie manière de l'enseigner, soit sur la nature des dogmes qui y étaient cachés, soit sur les auditeurs choisis auxquels on la communiquait. Tout ce qu'on peut assurer, c'est que ces dogmes n'étaient point contraires à ceux qui sont contenus dans l'Ecriture-sainte. On peut cependant conjecturer avec vraisemblance, que cette science secrète contenait une exposition assez étendue des mystères de la nouvelle alliance, dont les semences sont répandues dans l'ancien Testament. On y expliquait l'esprit des cérémonies qui s'observaient chez les Juifs, et on y donnait le sens des Prophéties dont la plupart avaient été proposées sous des emblèmes et des énigmes : toutes ces choses étaient cachées au peuple, parce que son esprit grossier et charnel ne lui faisait envisager que les biens terrestres.

3°. Cette Cabale, ou bien cette tradition orale se conserva pure et conforme à la loi écrite tout le temps que les prophetes furent les dépositaires et les gardiens de la doctrine : mais lorsque l'esprit de prophétie eut cessé, elle se corrompit par les questions oisives et par les assertions frivoles qu'on y mêla. Toute corrompue qu'elle était, elle conserva pourtant l'éclat dont elle avait joui d'abord, et on eut pour ces dogmes étrangers et frivoles qu'on y inséra, le même respect que pour les véritables. Voilà quelle était l'ancienne Cabale, qu'il faut bien distinguer de la philosophie cabalistique, dont nous cherchons ici l'origine.

4°. On peut d'abord établir qu'on ne doit point chercher l'origine de la philosophie cabalistique chez les Juifs qui habitaient la Palestine ; car tout ce que les anciens rapportent des traditions qui étaient en vogue chez ces Juifs, se réduit à des explications de la loi, à des cérémonies, et à des constitutions des sages. La philosophie cabalistique ne commença à paraitre dans la Palestine que lorsque les Esseniens, imitant les mœurs des Syriens et des Egyptiens, et empruntant même quelques-uns de leurs dogmes et de leurs instituts, eurent formé une secte de philosophie. On sait par les témoignages de Josephe et de Philon, que cette secte gardait un secret religieux sur certains mystères et sur certains dogmes de Philosophie.

Cependant ce ne furent point les Esseniens qui communiquèrent aux Juifs cette nouvelle Cabale ; il est certain qu'aucun étranger n'était admis à la connaissance de leurs mystères : ce fut Simeon Schetachides qui apporta d'Egypte ce nouveau genre de tradition, et qui l'introduisit dans la Judée. (Voyez l'Histoire des Juifs) Il est certain d'ailleurs que les Juifs, dans le séjour qu'ils firent en Egypte sous le règne de Cambise, d'Alexandre le grand, et de Ptolomée Philadelphe, s'accommodèrent aux mœurs des Grecs et des Egyptiens, et qu'ils prirent de ces peuples l'usage d'expliquer la loi d'une manière allégorique, et d'y mêler des dogmes étrangers : on ne peut donc pas douter que l'Egypte ne soit la patrie de la philosophie cabalistique, et que les Juifs n'aient inseré dans cette science quelques dogmes tirés de la philosophie égyptienne et orientale. On en sera pleinement convaincu, si l'on se donne la peine de comparer les dogmes philosophiques des Egyptiens avec ceux de la Cabale. On y mêla même dans la suite quelques opinions des Peripatéticiens (Morus, Cabb. denud. tom. I.) et J. Juste Losius (Giessae 1706.) a fait une dissertation divisée en cinq chapitres, pour montrer la conformité des sentiments de ces derniers philosophes avec ceux des Cabalistes.

L'origine que nous donnons à la philosophie cabalistique, sera encore plus vraisemblable pour ceux qui seront bien au fait de la Philosophie des anciens, et surtout de l'histoire de la Philosophie judaïque.

Division de la Cabale. La Cabale se divise en contemplative et en pratique : la première est la science d'expliquer l'Ecriture-sainte conformément à la tradition secrète, et de découvrir par ce moyen des vérités sublimes sur Dieu, sur les esprits et sur les mondes : elle enseigne une Métaphysique mystique, et une Physique épurée. La seconde enseigne à opérer des prodiges par une application artificielle des paroles et des sentences de l'Ecriture-sainte, et par leur différente combinaison.

1°. Les partisans de la Cabale pratique ne manquent pas de raisons pour en soutenir la réalité. Ils soutiennent que les noms propres sont les rayons des objets dans lesquels il y a une espèce de vie cachée. C'est Dieu qui a donné les noms aux choses, et qui en liant l'un à l'autre, n'a pas manqué de leur communiquer une union efficace. Les noms des hommes sont écrits au ciel ; et pourquoi Dieu aurait-il placé ces noms dans ses livres, s'ils ne méritaient d'être conservés ? Il y avait certains sons dans l'ancienne Musique, qui frappaient si vivement les sens, qu'ils animaient un homme languissant, dissipaient sa mélancolie, chassaient le mal dont il était attaqué, et le faisaient quelquefois tomber en fureur. Il faut nécessairement qu'il y ait quelque vertu attachée dans ces sons pour produire de si grands effets. Pourquoi donc refusera-t-on la même efficace aux noms de Dieu et aux mots de l'Ecriture ? Les Cabalistes ne se contentent pas d'imaginer des raisons pour justifier leur Cabale pratique ; ils lui donnent encore une origine sacrée, et en attribuent l'usage à tous les saints. En effet ils soutiennent que ce fut par cet art que Moyse s'éleva au-dessus des magiciens de Pharaon, et qu'il se rendit redoutable par ses miracles. C'était par le même art qu'Elie fit descendre le feu du ciel, et que Daniel ferma la gueule aux lions. Enfin, tous les prophetes s'en sont servis heureusement pour découvrir les événements cachés dans un long avenir.

Les Cabalistes praticiens disent qu'en arrangeant certains mots dans un certain ordre, ils produisent des effets miraculeux. Ces mots sont propres à produire ces effets, à proportion qu'on les tire d'une langue plus sainte ; c'est pourquoi l'hébreu est préféré à toutes les autres langues. Les miracles sont plus ou moins grands, selon que les mots expriment ou le nom de Dieu, ou ses perfections et ses émanations ; c'est pourquoi on préfère ordinairement les séphirots, ou les noms de Dieu. Il faut ranger les termes, et principalement les soixante et douze noms de Dieu, qu'on tire des trois versets du XIVe chap. de l'Exode, d'une certaine manière à la faveur de laquelle ils deviennent capables d'agir. On ne se donne pas toujours la peine d'insérer le nom de Dieu : celui des démons est quelquefois aussi propre que celui de la divinité. Ils croient, par exemple, que celui qui bait de l'eau pendant la nuit, ne manque pas d'avoir des vertiges et mal aux yeux : mais afin de se garantir de ces deux maux, ou de les guérir lorsqu'on en est attaqué, ils croient qu'il n'y a qu'à ranger d'une certaine manière le mot hébreu Schiauriri. Ce Schiauriri est le démon qui préside sur le mal des yeux et sur les vertiges ; et en écrivant son nom en forme d'équerre, on sent le mal diminuer tous les jours et s'anéantir. Cela est appuyé sur ces paroles de la Genèse, où il est dit, que les anges frappèrent d'éblouissement ceux qui étaient à la porte de Loth, tellement qu'ils ne purent la trouver. Le Paraphraste chaldaïque ayant traduit aveuglement, beschiauriri, on a conclu que c'était un ange, ou plutôt un démon qui envoyait cette espèce de mal, et qu'en écrivant son nom de la manière que nous avons dit, on en guérit parfaitement. On voit par-là que les Cabalistes ont fait du démon un principe tout-puissant, à la Manichéenne ; et ils se sont imaginés qu'en traitant avec lui, ils étaient maîtres de faire tout ce qu'ils voulaient. Quelle illusion ! les démons sont-ils les maître de la nature, indépendants de la divinité ; et Dieu permettrait-il que son ennemi eut un pouvoir presque égal au sien ? Quelle vertu peuvent avoir certaines paroles préférablement aux autres ? Quelque différence qu'on mette dans cet arrangement, l'ordre change-t-il la nature ? Si elles n'ont aucune vertu naturelle, qui peut leur communiquer ce qu'elles n'ont pas ? Est-ce Dieu ? est-ce le démon ? est-ce l'art humain ? On ne le peut décider. Cependant on est entêté de cette chimère depuis un grand nombre de siècles.

Carmine laesa Ceres sterilem vanescit in herbam ?

Deficiunt laesae carmine fontis aquae ;

Ilicibus glandes, cantataque vitibus uva

Decidit, et nullo poma movente fluunt.

(Ovid. Amor. lib. III. Eleg. 7.)

Il faudrait guérir l'imagination des hommes, puisque c'est-là où réside le mal : mais il n'est pas aisé de porter le remède jusque-là. Il vaut donc mieux laisser tomber cet art dans le mépris, que de lui donner une force qu'il n'a pas naturellement, en le combattant et en le réfutant.

2°. La Cabale contemplative est de deux espèces ; l'une qu'on appelle littérale, artificielle, ou bien symbolique ; l'autre qu'on appelle philosophique ou non artificielle.

La Cabale littérale est une explication secrète, artificielle, et symbolique de l'Ecriture-sainte, que les Juifs disent avoir reçue de leurs pères, et qui, en transposant les lettres, les syllabes, et les Paroles, leur enseigne à tirer d'un verset un sens caché, et différent de celui qu'il présente d'abord. On peut voir dans Banage les soudivisions de cette espèce de Cabale, et les exemples de transpositions. Histoire des Juifs, chap. IIIe

La Cabale philosophique contient une Métaphysique sublime et symbolique sur Dieu, sur les esprits, et sur le monde, selon la tradition que les Juifs disent avoir reçue de leurs pères. Elle se divise encore en deux espèces, dont l'une s'attache à la connaissance des perfections divines et des intelligences célestes, et s'appelle le Chariot ou Mercava ; parce que les Cabalistes sont persuadés qu'Ezéchiel en a expliqué les principaux mystères dans le chariot miraculeux, dont il parle au commencement de ses révélations ; et l'autre qui s'appelle Bereschit ou le Commencement, roule sur l'étude du monde sublunaire. On lui donne ce nom à cause que c'est le premier mot de la Genèse. Cette distinction était connue dès le temps de Maïmonides, lequel déclare qu'il veut expliquer tout ce qu'on peut entendre dans le Bereschit et le Mercava. (Maïmonides More Nevochim, pag. 2. ch. xxxjx. pag. 273.) Il soutient qu'il ne faut parler du bereschit, que devant deux personnes ; et que si Platon et les autres Philosophes ont voilé les secrets de la nature sous des expressions métaphoriques, il faut à plus forte raison cacher ceux de la religion, qui renferment des mystères beaucoup plus profonds.

Il n'est pas permis aux maîtres d'expliquer le Mercava devant leurs disciples. (Excerpta Gemarae de opère currus, apud Hottinger, pag. 50, 53, 89.) Les docteurs de Pumdebita consultèrent un jour un grand homme qui passait par-là, et le conjurèrent de leur apprendre la signification de ce chariot. Il demanda pour condition, qu'ils lui découvrissent ce qu'ils savaient de la création : on y consentit ; mais, après les avoir entendus, il refusa de parler sur le chariot, et emprunta ces paroles du Cantique des Cantiques, le lait et le miel sont sous ta langue, c'est-à-dire qu'une vérité douce et grande doit demeurer sous la langue, et n'être jamais publiée. Un jeune étudiant se hasarda un jour de lire Ezéchiel, et à vouloir expliquer sa vision : mais un feu dévorant sortit du chasmal qui le consuma : c'est pourquoi les docteurs délibérèrent s'il était à propos de cacher le livre du prophète, qui causait de si grands désordres dans la nation. Un rabbin chassant l'âne de son maître, R. Jochanan, fils de Sauai, lui demanda la permission de parler, et d'expliquer devant lui la vision du chariot. Jochanan descendit aussi-tôt, et s'assit sous un arbre ; parce qu'il n'est pas permis d'entendre cette explication en marchant, monté sur un âne. Le disciple parla, et aussi-tôt le feu descendit du ciel ; tous les arbres voisins entonnèrent ces paroles du pseaume : Vous, la terre, louez l'Eternel, etc. On voit par-là que les Cabalistes attachent de grands mystères à ce chariot du prophète. Maïmonides (More Nevochim, part. III. préf.) dit, qu'on n'a jamais fait de livre pour expliquer le chariot d'Ezéchiel ; c'est pourquoi un grand nombre de mystères qu'on avait trouvés sont perdus. Il ajoute qu'on doit le trouver bien hardi d'en entreprendre l'explication ; puisqu'on punit ceux qui révelent les secrets de la loi, et qu'on récompense ceux qui les cachent : mais il assure qu'il ne débite point ce qu'il a appris par la révélation divine ; que les maîtres ne lui ont pas enseigné ce qu'il Ve dire, mais qu'il l'a puisé dans l'Ecriture même ; tellement qu'il semble que ce n'était qu'une traduction. Voilà de grandes promesses : mais ce grand docteur les remplit mal, en donnant seulement à son disciple quelques remarques générales, qui ne développent pas le mystère.

En effet, on se divise sur son explication. Les uns disent que le vent qui devait souffler du septentrion avec impétuosité, représentait Nabuchodonosor, lequel ruina Jérusalem et brula son temple ; que les quatre animaux étaient les quatre anges qui présidaient sur les monarchies. Les roues marquaient les empires qui recevaient leur mouvement, leur progrès et leur décadence du ministère des anges. Il y avait une roue dans l'autre ; parce qu'une monarchie a détruit l'autre. Les Babyloniens ont été renversés par les Perses : ceux-ci par les Grecs, qui ont été à leur tour vaincus par les Romains. C'est-là le sens littéral, mais on y découvre bien d'autres mystères, soit de la nature, soit de la religion. Les quatre animaux sont quatre corps célestes, animés, intelligens. La roue est la matière première, et les quatre roues sont les quatre éléments. Ce n'est-là que l'écorce du chariot ; si vous pénétrez plus avant, vous y découvrez l'essence de Dieu, ses attributs et ses perfections, la nature des anges, et l'état des âmes après la mort. Enfin Morus, grand cabaliste, y a trouvé le règne du messie. (Visionis Ezéchieleliticae, sive mercavae expositio, ex principiis philosophiae pytag. theosophiaeque judaicae ; Cabbala Denud. tom. I. p. 225.)

Pour donner aux lecteurs une idée de la subtilité des Cabalistes, nous mettrons encore ici l'explication philosophique, qu'ils donnent du nom de Jehovah. Lexicon cabalisticum.

" Tous les noms et tous les sur noms de la divinité sortent de celui de Jehovah, comme les branches et les feuilles d'un grand arbre sortent d'un même tronc, et ce nom ineffable est une source infinie de merveilles et de mystères. Ce nom sert de lien à toutes les splendeurs, ou séphirots : il en est la colonne et l'appui. Toutes les lettres qui le composent sont pleines de mystères. Le Jod, ou l'J, est une de ces chose que l'oeil n'a jamais vues : elle est cachée à tous les mortels ; on ne peut en comprendre ni l'essence ni la nature ; il n'est pas même permis d'y méditer. Quand on demande ce que c'est, on répond non, comme si c'était le néant ; parce qu'elle n'est pas plus compréhensible que le néant. Il est permis à l'homme de rouler ses pensées d'un bout des cieux à l'autre : mais il ne peut pas aborder cette lumière inaccessible, cette existence primitive que la lettre Jod renferme. Il faut croire sans l'examiner et sans l'approfondir : c'est cette lettre qui découlant de la lumière primitive, a donné l'être aux émanations : elle se lassait quelquefois en chemin ; mais elle reprenait de nouvelles forces par le secours de la lettre h, he, qui fait la seconde lettre du nom ineffable. Les autres lettres ont aussi des mystères ; elles ont leurs relations particulières aux séphirots. La dernière h découvre l'unité d'un Dieu et d'un Créateur ; mais de cette unité sortent quatre grands fleuves ; les quatre majestés de Dieu, que les Juifs appellent Schetinah. Moyse l'a dit ; car il rapporte qu'un fleuve arrosait le jardin d'Eden, le Paradis terrestre, et qu'ensuite il se divisait en quatre branches. Le nom entier de Jehovah renferme toutes choses. C'est pourquoi celui qui le prononce met dans sa bouche le monde entier, et toutes les créatures qui le composent. De-là vient aussi qu'on ne doit jamais le prononcer qu'avec beaucoup de précaution. Dieu lui-même l'a dit : Tu ne prendras point le nom de l'Eternel en vain. Il ne s'agit pas-là des serments qu'on viole, et dans lesquels on appelle mal-à-propos Dieu à témoin des promesses qu'on fait ? mais la loi défend de prononcer ce grand nom, excepté dans son temple, lorsque le souverain sacrificateur entre dans le lieu très-saint au jour des propitiations. Il faut apprendre aux hommes une chose qu'ils ignorent, c'est qu'un homme qui prononce le nom de l'Eternel ou de Jehovah, fait mouvoir les cieux et la terre, à proportion qu'il remue sa langue et ses lèvres. Les anges sentent le mouvement de l'univers ; ils en sont étonnés, et s'entredemandent pourquoi le monde est ébranlé : on répond que cela se fait, parce que N. impie a remué ses lèvres pour prononcer le nom ineffable ; que ce nom a remué tous les noms et les surnoms de Dieu, lesquels ont imprimé leur mouvement au ciel, à la terre, et aux créatures. Ce nom a une autorité souveraine sur toutes les créatures. C'est lui qui gouverne le monde par sa puissance ; et voici comment tous les autres noms et surnoms de la divinité se rangent autour de celui-ci, comme les officiers et les soldats autour de leur général. Quelques-uns qui tiennent le premier rang, sont les princes et les Porte-étendards ; les autres sont comme les troupes et les bataillons qui composent l'armée. Au-dessous des LXX. noms, sont les LXX. princes des nations qui composent l'univers ; lors donc que le nom de Jehovah influe sur les noms et surnoms, il se fait une impression de ces noms sur les princes qui en dépendent, et des princes sur les nations qui vivent sous leur protection. Ainsi le nom de Jehovah gouverne tout. On représente ce nom sous la figure d'un arbre qui a LXX. branches, lesquelles tirent leur suc et leur seve du tronc ; et cet arbre est celui dont parle Moyse, qui était planté au milieu du jardin, et dont il n'était pas permis à Adam de manger : ou bien ce nom est un roi qui a différents habits, selon les différents états où il se trouve. Lorsque le prince est en paix, il se revêt d'habits superbes, magnifiques, pour éblouir les peuples ; lorsqu'il est en guerre, il s'arme d'une cuirasse, et a le casque en tête : il se deshabille lorsqu'il se retire dans son appartement, sans courtisans et sans ministres. Enfin il découvre sa nudité lorsqu'il est seul avec sa femme.

Les LXX. nations qui peuplent la terre, ont leurs princes dans le ciel, lesquels environnent le tribunal de Dieu, comme des officiers prêts à exécuter les ordres du roi. Ils environnent le nom de Jehovah, et lui demandent tous les premiers jours de l'an leurs étrennes ; c'est-à-dire, une portion de bénédictions qu'ils doivent répandre sur les peuples qui leur sont soumis. En effet, ces princes sont pauvres, et auraient peu de connaissance, s'ils ne la tiraient du nom ineffable qui les illumine et qui les enrichit. Il leur donne au commencement de l'année, ce qu'il a destiné pour chaque nation, et on ne peut plus rien ajouter ni diminuer à cette mesure. Les princes ont beau prier et demander pendant tous les jours de l'année, et les peuples prier leurs princes, cela n'est d'aucun usage : c'est-là la différence qui est entre le peuple d'Israèl et les autres nations. Comme le nom de Jehovah est le nom propre des Juifs, ils peuvent obtenir tous les jours de nouvelles grâces ; car Salomon dit, que les paroles, par lesquelles il fait supplication à Dieu, seront présentes devant l'Eternel, Jehovah, le jour et la nuit ; mais David assure, en parlant des autres nations, qu'elles prieront Dieu, et qu'il ne les sauvera pas ". Que de folies !

L'intention des Cabalistes est de nous apprendre que Dieu conduit immédiatement le peuple des Juifs, pendant qu'il laisse les nations infidèles sous la direction des anges : mais ils poussent le mystère plus loin. Il y a une grande différence entre les diverses nations, dont les unes paraissent moins agréables à Dieu et sont plus durement traitées que les autres : mais cela vient de ce que les princes sont différemment placés autour du nom de Jehovah ; car quoique tous ces princes reçoivent leur nourriture de la lettre Jod ou J, qui commence le nom de Jehovah, cependant la portion est différente, selon la place qu'on occupe. Ceux qui tiennent la droite, sont des princes doux, libéraux : mais les princes de la gauche sont durs et impitoyables. De-là vient aussi ce que dit le prophète, qu'il vaut mieux espérer en Dieu qu'aux princes, comme fait la nation Juive, sur qui le nom de Jehovah agit immédiatement.

D'ailleurs, on voit ici la raison de la conduite de Dieu sur le peuple juif. Jérusalem est le nombril de la terre, et cette ville se trouve au milieu du monde. Les royaumes, les provinces, les peuples, et les nations l'environnent de toutes parts, parce qu'elle est immédiatement sous le nom de Jehovah. C'est-là son nom propre ; et comme les princes, qui sont les chefs des nations, sont rangés autour de ce nom dans le ciel, les nations infidèles environnent le peuple juif sur la terre.

On explique encore par-là les malheurs du peuple juif, et l'état déplorable où il se trouve ; car Dieu a donné quatre capitaines aux LXX. princes, lesquels veillent continuellement sur les péchés des Juifs, afin de profiter de leur corruption, et de s'enrichir à leurs dépens. En effet lorsqu'ils voient que le peuple commet de grands péchés, ils se mettent entre Dieu et la nation, et détournent les canaux qui sortaient du nom de Jehovah, par lesquels la bénédiction coulait sur Israel, et les font pancher du côté des nations, qui s'en enrichissent et s'en engraissent. et c'est ce que Salomon a si bien expliqué lorsqu'il dit : La terre tremble pour l'esclave qui règne, et le sot qui se remplit de viande : l'esclave qui règne, ce sont les princes ; et le sot qui se remplit de viande, ce sont les nations que ces princes gouvernent, etc.

Au fond, les Cabalistes nous mènent par un long détour, pour nous apprendre, 1°. que c'est Dieu de qui découlent tous les biens, et qui dirige toutes choses : 2°. que Dieu juge tous les hommes avec une justice tempérée par la miséricorde : 3°. que quand il est irrité contre les pécheurs, il s'arme de colere et de vengeance : 4°. que lorsqu'on le fléchit par le repentir, il laisse agir sa compassion et sa miséricorde : 5°. qu'il préfère le peuple juif à toutes les autres nations, et qu'il leur a donné sa connaissance : enfin, ils entremêlent ces vérités de quelques erreurs, comme de prétendre que Dieu laisse toutes les nations du monde sous la conduite des anges.

On rapporte aussi à la Cabale réelle ou non artificielle l'alphabet astrologique et céleste, qu'on attribue aux Juifs. On ne peut rien avancer de plus positif que ce que dit là-dessus Postel : Je passerai peut-être pour un menteur, si je dis que j'ai lu au ciel, en caractères hébreux, tout ce qui est dans la nature ; cependant Dieu et son Fils me sont témoins que je ne ments pas : j'ajouter ai seulement que je ne l'ai lu qu'implicitement.

Pic de la Mirandole attribue ce sentiment aux docteurs juifs ; et comme il avait fort étudié les Cabalistes dont la science l'avait ébloui, on peut s'imaginer qu'il ne se trompait pas (Picus Mir. in Astrolog. lib. VIII. cap. v.). Agrippa soutient la même chose (Voyez de occultâ Philosoph. lib. III. capit. xxx.) ; et Gaffarel, (Curiosités inouies, cap. xiij.) ajoute à leur témoignage l'autorité d'un grand nombre de rabbins célèbres, Maimonides, Nachman, Aben-Esra, etc. Il semble qu'on ne puisse pas contester un fait appuyé sur un si grand nombre de citations.

Pic de la Mirandole avait mis en problème, si toutes choses étaient écrites et marquées dans le ciel à celui qui savait y lire. (Pici Mir. heptaplus, cap. jv.) Il soutenait même que Moyse avait exprimé tous ces effets des astres par le terme de lumière, parce que c'est elle qui traine et qui porte toutes les influences des cieux sur la terre. Mais il changea de sentiment, et remarqua que non-seulement ces caractères, vantés par les docteurs hébreux, étaient chimériques ; mais que les signes mêmes n'avaient pas la figure des noms qu'on leur donne ; que la sphère d'Aratus était très-différente de celle des Chaldéens, qui confondant la balance avec le scorpion, ne comptent qu'onze signes du zodiaque. Aratus même, qui avait imaginé ces noms, était au jugement des anciens, très-ignorant en Astrologie.

Enfin, il faut être visionnaire pour trouver des lettres dans le ciel, et y lire, comme Postel prétendait l'avoir fait. Gaffarel, quoique engagé dans l'Eglise par les places, n'était pas plus raisonnable ; s'il n'avait pas prédit la chute de l'empire Ottoman, du moins il la croyait, et prouvait la solidité de cette science par un grand fatras de littérature. Cependant il eut la honte de survivre à sa prédiction : c'est le sort ordinaire de ceux qui ne prennent pas un assez long terme pour l'accomplissement de leurs prophéties. Ils devraient être assez sages, pour ne hasarder pas un coup qui anéantit leur gloire, et qui les convainc d'avoir été visionnaires : mais ces astrologues sont trop entêtés de leur science et de leurs principes, pour écouter la raison et les conseils que la prudence leur dicte.

Examinons maintenant quels sont les fondements de la Cabale philosophique.

Principes et fondements de la Cabale philosophique. Henri Morus et Van-Helmont (Knorrius, Cabala denud. tom. I.) sont les deux savants qui ont les premiers débrouillé le chaos de la philosophie cabalistique. Les efforts qu'ils ont faits tous les deux pour porter la lumière dans un système où on avait comme affecté de répandre tant d'obscurité, seraient plus louables et plus utiles, s'ils n'eussent point attribué aux Cabalistes des sentiments qu'ils n'ont jamais eus : l'exposition qu'ils ont donnée des principes de la Cabale, a été examinée par des savants distingués ; qui ne l'ont pas trouvée conforme à la vérité (Cel. Wachterus, Spinosism. in Judaism. detect. p. 2.) Pour éviter de tomber dans le même défaut, nous puiserons ce que nous avons à dire sur ce sujet, dans les auteurs anciens et modernes qui passent pour avoir traité cette matière avec le plus d'ordre et de clarté. Parmi les modernes on doit distinguer R. Iizchak Loriia, et R. Abraham-Cohen Irira. Le premier est auteur du livre Druschim : qui contient une introduction métaphysique à la Cabale ; et le second du livre Schaar hascamaim, c'est-à-dire, Porte des cieux, qui renferme un traité des dogmes cabalistiques, écrit avec beaucoup de clarté et de méthode. Voici donc les principes qui servent de base à la philosophie cabalistique.

PREMIER PRINCIPE. De rien il ne se fait rien, c'est-à-dire qu'aucune chose ne peut être tirée du néant. Voilà le pivot sur lequel roule toute la Cabale philosophique, et tout le système des émanations, selon lequel il est nécessaire que toutes choses émanent de l'essence divine, parce qu'il est impossible qu'aucune chose de non-existente devienne existente. Ce principe est supposé dans tout le livre d'Irira. Dieu, dit-il, (Dissert. IV. cap. j.) n'a pas seulement produit tous les êtres existants, et tout ce que ces êtres renferment, mais il les a produits de la manière la plus parfaite, en les faisant sortir de son propre fonds par voie d'émanation, et non pas en les créant.

Ce n'est pas que le terme de création fût inconnu chez les Cabalistes : mais ils lui donnaient un sens bien différent de celui qu'il a chez les Chrétiens, parmi lesquels il signifie l'action par laquelle Dieu tire les êtres du néant ; au lieu que chez les premiers il signifiait une émission, une expansion de la divine lumière faite dans le temps, pour donner l'existence aux mondes. C'est ce qu'on verra clairement dans le passage suivant de Loriia (Tr. I. Druschim, cap. j.). L'existence de la création, dit-il, dépend du temps où a commencé l'expansion et l'émission de ces lumières, et de ces mondes dont nous venons de parler ; car puisqu'il fallait que l'expansion de ces lumières se fit dans un certain ordre, il n'était pas possible que ce monde existât ou plutôt ou plus tard. Chaque monde a été créé après le monde qui lui était supérieur, et tous les mondes ont été créés en différents temps, et les uns après les autres, jusqu'à ce qu'enfin le rang de celui-ci arrivât, etc. On peut lire beaucoup de choses semblables dans le Lexicon cabalistique.

On peut bien juger que les Cabalistes n'ont point emprunté ce principe de l'église judaïque ; il est certain qu'ils l'ont tiré de la philosophie des Gentils. Ceux-ci regardaient comme une contradiction évidente, de dire qu'une chose existe et qu'elle a été faite de rien, comme c'en est une de soutenir qu'une chose est et n'est pas. Cette difficulté qui se présente assez souvent à la raison, avait déjà choqué les Philosophes. Epicure l'avait poussée contre Héraclite et les Stoïciens. Comme cet axiome est véritable dans un certain sens, on n'a pas voulu se donner la peine de développer ce qu'il a de faux. Accoutumés que nous sommes à nous laisser frapper par des objets sensibles et matériels, qui s'engendrent et qui se produisent l'un l'autre, on ne peut se persuader qu'avec peine, que la chose se soit faite autrement, et on fait préexister la matière sur laquelle Dieu a travaillé ; c'est ainsi que Plutarque comparait Dieu à un charpentier, qui bâtissait un palais de matériaux qu'il avait assemblés, et à un tailleur qui faisait un habit d'une étoffe qui existait déjà. Voyez CHAOS.

On avoue aux Cabalistes, qu'il est vrai que rien ne peut être fait de rien, et qu'il y a, comme ils disent, une opposition formelle et une distance infinie entre le néant et l'être, s'il entendent par-là ces trois choses. 1°. Que le néant et l'être subsistent en même-temps ; en effet, cela implique contradiction aussi évidemment que de dire qu'un homme est aveugle et qu'il voit : mais comme il n'est pas impossible qu'un aveugle cesse de l'être, et voie les objets qui lui étaient auparavant cachés, il n'est pas impossible aussi que ce qui n'existait pas acquière l'existence et devienne un être. 2°. Il est vrai que le néant ne peut concourir à la production de l'être ; il semble que les Cabalistes regardent le néant comme un sujet sur lequel Dieu travaille, à-peu-près comme la boue dont Dieu se servit pour créer l'homme ; et comme ce sujet n'existe point, puisque c'est le néant, les Cabalistes ont raison de dire que Dieu n'a pu tirer rien du néant. Il serait ridicule de dire que Dieu tire la lumière des ténèbres, si on entend par-là que les ténèbres produisent la lumière : mais rien n'empêche que le jour ne succede à la nuit, et qu'une puissance infinie donne l'être à ce qui ne l'avait pas auparavant. Le néant n'a été ni le sujet, ni la matière, ni l'instrument, ni la cause des êtres que Dieu a produits. Il semble que cette remarque est inutile, parce que personne ne regarde le néant comme un fond sur lequel Dieu ait travaillé, ou qui ait coopéré avec lui. Cependant c'est en ce sens que Spinosa, qui avait pris ce principe des Cabalistes, combat la création tirée du néant : il demande avec insulte : si on conçoit que la vie puisse sortir de la mort : dire cela, ce serait regarder les privations comme les causes d'une infinité d'effets ; c'est la même chose que si on disait, le néant et la privation de l'être sont la cause de l'être. Spinosa et ses maîtres ont raison ; la privation d'une chose n'en est point la cause. Ce ne sont ni les ténèbres qui produisent la lumière, ni la mort qui enfante la vie. Dieu ne commande point au néant comme à un esclave qui est obligé d'agir et de plier sous ses ordres, comme il ne commande point aux ténèbres ni à la mort, d'enfanter la lumière ou la vie. Le néant est toujours néant, la mort et les ténèbres ne sont que des privations incapables d'agir : mais comme Dieu a pu produire la lumière qui dissipe les ténèbres, et ressusciter un corps, le même Dieu a pu aussi créer des êtres qui n'existaient point auparavant, et anéantir le néant, si on peut parler ainsi, en produisant un grand nombre de créatures. Comme la mort ne concourt point à la résurrection, et que les ténèbres ne sont point le sujet sur lequel Dieu travaille pour en tirer la lumière, le néant aussi ne coopère point avec Dieu, et n'est point la cause de l'être, ni la matière sur laquelle Dieu a travaillé pour faire le monde. On combat donc ici un fantôme ; et on change le sentiment des Chrétiens orthodoxes, afin de le tourner plus aisément en ridicule. 3°. Enfin il est vrai que rien ne se fait de rien ou par rien, c'est-à-dire sans une cause qui préexiste. Il serait, par exemple, impossible que le monde se fût fait de lui-même ; il fallait une cause souverainement puissante pour le produire.

L'axiome, rien ne se fait de rien, est donc vrai dans ces trois sens.

II. PRINCIPE. Il n'y a donc point de substance qui ait été tirée du néant.

III. PRINCIPE. Donc la matière même n'a pu sortir du néant.

IV. PRINCIPE. La matière, à cause de sa nature vile, ne doit point son origine à elle-même : la raison qu'en donne Irira, est que la matière n'a point de forme, et qu'elle n'est éloignée du néant que d'un degré.

V. PRINCIPE. De-là il s'ensuit que dans la nature il n'y a point de matière proprement dite.

La raison philosophique que les Cabalistes donnent de ce principe, est que l'intention de la cause efficiente est de faire un ouvrage qui lui soit semblable ; or la cause première et efficiente étant une substance spirituelle, il convenait que ses productions fussent aussi des substances spirituelles, parce qu'elles ressemblent plus à leur cause que les substances corporelles. Les Cabalistes insistent beaucoup sur cette raison. Suivant eux, il vaudrait autant dire que Dieu a produit les ténèbres, le péché et la mort, que de soutenir que Dieu a créé des substances sensibles et matérielles, différentes de sa nature et de son essence : car la matière n'est qu'une privation de la spiritualité, comme les ténèbres sont une privation de la lumière, comme le péché est une privation de la sainteté, et la mort une privation de la vie.

VI. PRINCIPE. De-là il s'ensuit que tout ce qui est, est esprit.

VII. PRINCIPE. Cet esprit est incréé, éternel, intellectuel, sensible, ayant en soi le principe du mouvement ; immense, indépendant, et nécessairement existant.

VIII. PRINCIPE. Par conséquent cet esprit est l'Ensoph ou le Dieu infini.

IX. PRINCIPE. Il est donc nécessaire que tout ce qui existe soit émané de cet esprit infini. Les Cabalistes n'admettant point la création telle que les Chrétiens l'admettent, il ne leur restait que deux partis à prendre ; l'un de soutenir que le monde avait été formé d'une matiére préexistante, l'autre de dire qu'il était sorti de Dieu même par voie d'émanation. Ils n'ont osé embrasser le premier sentiment, parce qu'ils auraient cru admettre hors de Dieu une cause matérielle, ce qui était contraire à leurs dogmes. Ils ont donc été forcés d'admettre les émanations ; dogme qu'ils ont reçu des Orientaux, qui l'avaient reçu eux-mêmes de Zoroastre, comme on peut le voir dans les livres cabalistiques.

X. PRINCIPE. Plus les choses qui émanent sont proches de leur source, plus elles sont grandes et divines ; et plus elles en sont éloignées, plus leur nature se dégrade et s'avilit.

XI. PRINCIPE. Le monde est distingué de Dieu, comme un effet de sa cause ; non pas à la vérité comme un effet passager, mais comme un effet permanent. Le monde étant émané de Dieu, doit donc être regardé comme Dieu même, qui étant caché incompréhensible dans son essence, a voulu se manifester et se rendre visible par ses émanations.

Voilà les fondements sur lesquels est appuyé tout l'édifice de la Cabale. Il nous reste encore à faire voir comment les Cabalistes tirent de ces principes quelques autres dogmes de leur système, tels que ceux d'Adam Kadmon, des dix séphirots, des quatre mondes, des anges, etc.

Explication des séphirots ou des splendeurs. Les séphirots font la partie la plus secrète de la Cabale. On ne parvient à la connaissance de ces émanations et splendeurs divines, qu'avec beaucoup d'étude et de travail : nous ne nous piquons pas de pénétrer jusqu'au fond de ces mystères, la diversité des interprétations qu'on leur donne est presque infinie.

Losius (Pomum Aristot. dissert. II. de Cabb. cap. ij.) remarque que les interpretes y trouvent toutes les sciences dont ils font profession ; les Logiciens y découvrent leurs dix prédicaments ; les Astronomes dix sphères ; les Astrologues des influences différentes ; les Physiciens s'imaginent qu'on y a caché les principes de toutes choses ; les Arithméticiens y voient les nombres, et particulièrement celui de dix, lequel renferme des mystères infinis.

Il y a dix séphirots ; on les représente quelquefois sous la figure d'un arbre, parce que les uns sont comme la racine et le tronc, et les autres comme autant de branches qui en sortent ; on les range souvent en dix cercles différents, parce qu'ils sont enfermés les uns dans les autres. Ces dix séphirots sont la couronne, la sagesse, l'intelligence, la force ou la sévérité, la miséricorde ou la magnificence ; la beauté, la victoire ou l'éternité, la gloire, le fondement, et le royaume.

Quelques-uns soutiennent que les splendeurs (c'est le nom que nous leur donnerons dans la suite) ne sont que des nombres ; mais selon la plupart, ce sont les perfections et les attributs de la divinité. Il ne faut pas s'imaginer que l'essence divine soit composée de ces perfections, comme d'autant de parties différentes ; ce serait une erreur : l'essence de Dieu est simple. Mais afin de se former une idée plus nette de la manière dont cette essence agit, il faut distinguer ses attributs ; considérer sa justice, sa miséricorde, sa sagesse. Il semble que les Cabalistes n'aient pas d'autre vue que de conduire leurs disciples à la connaissance des perfections divines, et de leur faire voir que c'est de l'assemblage de ces perfections que dépendent la création et la conduite de l'Univers ; qu'elles ont une liaison inséparable ; que l'une tempere l'autre : c'est pourquoi ils imaginent des canaux par lesquels les influences d'une splendeur se communiquent aux autres. " Le monde, disait Siméon Jochaïdes (in Jezirah, cum not. Bittangel, pag. 185 et 186.) ne pouvait être conduit par la miséricorde seule et par la colonne de la grâce ; c'est pourquoi Dieu a été obligé d'y ajouter la colonne de la force ou de la sévérité, qui fait le jugement. Il était encore nécessaire de concilier les deux colonnes ; et de mettre toutes choses dans une proportion et dans un ordre naturel ; c'est pourquoi on met au milieu la colonne de la beauté, qui accorde la justice avec la miséricorde, et met l'ordre sans lequel il est impossible que l'Univers subsiste. De la miséricorde qui pardonne les péchés, sort un canal qui Ve à la victoire ou à l'éternité " ; parce que c'est par le moyen de cette vertu qu'on parvient au triomphe ou à l'éternité. Enfin les canaux qui sortent de la miséricorde et de la force, et qui vont aboutir à la beauté, sont chargés d'un grand nombre d'anges. Il y en a trente-cinq sur le canal de la miséricorde, qui récompensent et qui couronnent la vertu des saints ; et on en compte un pareil nombre sur le canal de la force, qui châtient les pécheurs : et ce nombre de soixante dix anges, auxquels on donne des noms différents, est tiré du XIVe chap. de l'Exode. Il y a là une vérité assez sensible ; c'est que la miséricorde est celle qui récompense les fidèles, et que la justice punit les impénitens.

Il me semble que la clé du mystère consiste en ceci : les Cabalistes regardant Dieu comme une essence infinie qui ne peut être pénétrée, et qui ne peut se communiquer immédiatement à la créature, ont imaginé qu'elle se faisait connaître et qu'elle agissait par les perfections qui émanaient de lui, comme les perfections de l'âme et son essence se manifestent et se font connaître par les actes de raison et de vertu qu'elle produit, et sans lesquels ces perfections seraient cachées.

Ils appellent ces attributs les habits de Dieu, parce qu'il se rend plus sensible par leur moyen. Il semble à la vérité que Dieu se cache par-là au lieu de se revéler, comme un homme qui s'enveloppe d'un manteau ne veut pas être Ve ; mais la différence est grande, parce que l'homme est fini et borné, au lieu que l'essence de la divinité est imperceptible sans le secours de quelqu'opération : ainsi on ne peut voir le soleil, parce que son éclat nous éblouit ; mais on le regarde derrière un nuage, ou au travers de quelque corps diaphane.

Ils disent aussi que c'étaient les instruments dont le souverain architecte se servait, mais de peur qu'on ne s'y trompe, ils ont ajouté (Abrahami patriarchae liber Jezirah, cap. j. sect. 2. p. 175.) que ces nombres sont sortis de l'essence de Dieu même ; et que si on les considère comme des instruments, ce serait pourtant une erreur grossière que de croire que Dieu peut les quitter et les reprendre selon les besoins qu'il en a, comme l'artisan quitte les outils lorsque l'ouvrage est fini ou qu'il veut se reposer, et les reprend lorsqu'il recommence son travail. Cela ne se peut, car les instruments ne sont pas attachés à la main du Charpentier ; mais les nombres, les lumières resplendissantes sortent de l'essence de l'infini et lui sont toujours unies, comme la flamme au charbon. En effet, comme le charbon découvre par la flamme sa force et sa vertu qui était cachée auparavant, Dieu revele sa grandeur et sa puissance par les lumières resplendissantes dont nous parlons.

Enfin les Cabalistes disent que ce ne sont pas là seulement des nombres, comme Morus l'a cru, mais des émanations qui sortent de l'essence divine, comme les rayons sortent du soleil, et comme la chaleur nait par le feu sans en être séparée. La divinité n'a souffert ni trouble, ni douleur, ni diminution, en leur donnant l'existence, comme un flambeau ne perd pas sa lumière et ne souffre aucune violence lorsqu'on s'en sert pour en allumer un autre qui était éteint, ou qui n'a jamais éclairé. Cette comparaison n'est pas tout à fait juste ; car le flambeau qu'on allume, subsiste indépendamment de celui qui lui a communiqué sa lumière : mais l'intention de ceux qui l'ont imaginée était seulement de prouver que Dieu ne souffre aucune altération par l'émanation de ses perfections, et qu'elles subsistent toujours dans son essence.

L'ensoph, qu'on met au-dessus de l'arbre séphirotique ou des splendeurs divines, est l'infini. On l'appelle tantôt l'être, et tantôt le non-être. C'est un être, puisque toutes choses tirent de lui leur existence : c'est le non-être, parce qu'il est impossible à l'homme de pénétrer son essence et sa nature. Il s'enveloppe d'une lumière inaccessible, il est caché dans une majesté impénétrable ; d'ailleurs il n'y a dans la nature aucun objet qu'on puisse lui comparer, et qui le représente tel qu'il est. C'est en ce sens que Denys l'Aréopagite a osé dire que Dieu n'était rien, ou que c'était le néant. On fait entendre par-là que Dieu est une essence infinie, qu'on ne peut ni la sonder ni la connaître ; qu'il possède toutes choses d'une manière plus noble et plus parfaite que les créatures ; et que c'est de lui qu'elles tirent toute leur existence et leurs qualités par le moyen de ses perfections, qui sont comme autant de canaux par lesquels l'être souverain communique ses faveurs.

Les trois premières splendeurs sont beaucoup plus excellentes que les autres. Les Cabalistes les distinguent : ils les approchent beaucoup plus près de l'infini, auquel elles sont étroitement unies ; et la plupart en font le chariot d'Ezéchiel ou le mercava, qu'on ne doit expliquer qu'aux initiés. Les Chrétiens (Kirch. Oedip. Aegypt. Gymnas. Hyerog. ciass. 4. §. 2.) profitent de cet avantage, et soutiennent qu'on a indiqué par-là les trois personnes de la Trinité dans une seule et même essence qui est infinie. Ils se plaignent même de l'ignorance et de l'aveuglement des Cabalistes modernes, qui regardent ces trois splendeurs comme autant d'attributs de la Divinité ; mais ces Cabalistes sont les plus sages. En effet, on a beau citer les Cabalistes qui disent que celui qui est un a fait émaner les lumières ; qu'il a fait trois ordres d'émanations, et que ces nombres prouvent la trinité du roi pendant toute l'éternité ; ces expressions vagues d'Isachor Beer (Isachor Beer, fil. Mosis. Pesahc. lib. imve Beriah.) sont expliquées un moment après : tout le mystère consiste dans l'émanation de quatre mondes ; l'Archetipe, l'Angélique, celui des Etoiles, et l'Elémentaire. Cependant ces quatre mondes n'ont rien de commun avec la Trinité, c'est ainsi que Siméon Jochaïdes trouvait dans le nom de Jehovah, le Père, le Fils, la Fille et la Mere ; avec un peu de subtilité, on trouverait le Saint-Esprit dans la Fille de la Voix, et la Mere pourrait être regardée comme l'essence divine ou l'Eglise chrétienne. Cependant on voit bien que ce n'était point l'intention de ce cabaliste. Le jod, disait-il, est le Père ; l'h, ou la seconde lettre du nom ineffable, est la Mere ; l'a est le Fils ; la dernière, h, est la Fille : et qu'entend-il par-là ? l'Esprit, le Verbe, la voix, et l'ouvrage. On cite Maimonides, qui dit que " la couronne est l'esprit original des dieux vivants ; que la sagesse est l'esprit de l'Esprit, et que l'intelligence est l'eau qui coule de l'esprit ; que s'il y a quelque distinction entre les effets de la sagesse, de l'intelligence et de la science, cependant il n'y a aucune différence entr'elles ; car la fin est liée avec le commencement, et le commencement avec la fin ". Mais il s'explique lui-même, en comparant cela au feu ou à la flamme qui jette au-dehors plusieurs couleurs différentes, comme autant d'émanations qui ont toutes leur principe et leur racine dans le feu. On ne conçoit pas les personnes de la Trinité. comme le bleu, le violet et le blanc qu'on voit dans la flamme ; cependant les Cabalistes soutiennent que les splendeurs émanent de la Divinité, comme les couleurs sortent de la flamme, ou plutôt du feu. Il ne faut donc pas s'arrêter aux éloges que les docteurs font des trois premiers séphirots, comme si c'étaient les personnes de la Trinité, d'autant plus qu'ils unissent tous les séphirots à l'essence de Dieu ; et dès le moment qu'on regarde les trois premiers comme autant de personnes de l'Essence divine, il faudra les multiplier jusqu'à dix, puisqu'ils subsistent tous de la même manière, quoiqu'il y ait quelque différence d'ordre.

La couronne est la première des grandes splendeurs, parce que comme la couronne est le dernier habit qui couvre l'homme, et qu'on porte sur la tête, cette splendeur est la plus proche de l'infini, et le chef du monde azileutique : elle est pleine de mille petits canaux d'où coulent les effets de la bonté et de l'amour de Dieu. Toutes les troupes des anges attendent avec impatience qu'une portion de cette splendeur descende sur eux, parce que c'est elle qui leur fournit les aliments et la nourriture. On l'appelle le non-être, parce qu'elle se retire dans le sein caché de Dieu, dans un abîme inaccessible de lumière.

On donne quelquefois le titre de couronne au royaume, qui n'est que la dernière des splendeurs : mais c'est dans un sens impropre, parce qu'il est la couronne du temple, de la foi, et du peuple d'Israèl.

La seconde émanation est la sagesse, et la troisième est l'intelligence : mais nous serions trop longs si nous voulions expliquer ces trois grandes splendeurs, pour descendre ensuite aux sept autres. Il vaut mieux remarquer la liaison qui est entre ces splendeurs, et celle qu'elles ont avec les créatures qui composent l'univers. A chaque séphirot on attache un nom de Dieu, un des principaux anges, une des planètes, un membre du corps humain, un des commandements de la loi ; et de là dépend l'harmonie de l'univers. D'ailleurs une de ces choses fait penser à l'autre, et sert de degré pour parvenir au plus haut degré de la connaissance et de la Théologie contemplative. Enfin on apprend par-là l'influence que les splendeurs ont sur les anges, sur les planètes, sur les astres, sur les parties du corps humain, etc.

Il y a donc une subordination entre toutes les choses dont cet univers est composé, et les unes ont une grande influence sur les autres ; car les splendeurs influent sur les anges, les anges sur les planètes, et les planètes sur l'homme : c'est pourquoi on dit que Moyse qui avait étudié l'Astronomie en Egypte, eut beaucoup d'égard aux astres dans sa loi. Il ordonna qu'on sanctifiât le jour du repos, à cause de Saturne qui préside sur ce jour là, et dont les malignes influences seraient dangereuses, si on n'en détournait pas les effets par la dévotion et par la prière. Il mit l'ordre d'honorer son père et sa mère sous la sphère de Jupiter, qui étant plus doux, est capable d'inspirer des sentiments de respect et de soumission. Je ne sai pourquoi Moyse qui était si habile, mit la défense du meurtre sous la constellation de Mars ; car il est plus propre à les produire qu'à en arrêter le cours. Ce sont là les excès et les visions de la Cabale. Passons à d'autres.

En supposant la liaison des splendeurs ou perfections divines, et leur subordination, il a fallu imaginer des canaux et des conduits, par lesquels les influences de chaque perfection se communiquassent à l'autre : autrement l'harmonie aurait été traversée ; et chaque splendeur agissant dans sa sphère particulière, les mondes des anges, des astres, et des hommes terrestres, n'en auraient tiré aucun avantage. C'est pourquoi les Cabalistes ne manquent pas de dire qu'il y a vingt-deux canaux, conformément au nombre des lettres de l'alphabet hébreu, et ces vingt-deux canaux servent à la communication de tous les séphirots : car ils portent les influences de l'une à l'autre.

Ils ont trois canaux de la couronne, dont l'un Ve se rendre à la sagesse, le second à l'intelligence, et le troisième à la beauté. De la sagesse sort un quatrième canal qui Ve se jeter dans l'intelligence : le cinquième passe de la même source à la beauté, et le sixième à la magnificence.

Il faut remarquer que ces lignes de communication ne remontent jamais, mais elles descendent toujours. Tel est le cours des eaux qui ont leur source sur les montagnes, et qui viennent se répandre dans les lieux plus bas. En effet quoique toutes les splendeurs soient unies à l'essence divine, cependant la première a de la superiorité sur la seconde ; du-moins c'est de la première que sort la vertu et la force, qui fait agir la seconde ; et le royaume, qui est le dernier, tire toute sa vigueur des splendeurs qui sont au-dessus de lui. Cette subordination des attributs de Dieu pourrait paraitre erronée : mais les Cabalistes disent que cela ne se fait que selon notre manière de concevoir ; et qu'on range ainsi ces splendeurs, afin de distinguer et de faciliter la connaissance exacte et pure de leurs opérations.

C'est dans la même vue qu'ils ont imaginé trente-deux chemins et cinquante portes qui conduisent les hommes à la connaissance de ce qu'il y a de plus secret et de plus caché. Tous les chemins sortent de la sagesse ; parce que l'Ecriture dit, tu as créé le monde avec sagesse. Toutes ces routes sont tracées dans un livre qu'on attribue au patriarche Abraham ; et un rabbin célèbre du même nom y a ajouté un commentaire, afin d'y conduire plus surement les hommes.

Les Chrétiens se divisent sur l'explication des séphirots aussi-bien que les Juifs ; et il n'y a rien qui puisse mieux nous convaincre de l'incertitude de la Cabale, que les différentes conjectures qu'ils ont faites : car ils y trouvent la Trinité et les autres principes de la religion chrétienne. (Morus, epist. in Cab. denud. tom. II. Kircher, Oedip. Aegypt. Gymnas. etc. cap. IXe tom. II.) Mais si l'on se donne la peine d'examiner les choses, on trouvera que si les Cabalistes ont voulu dire quelque chose, ils ont eu dessein de parler des attributs de Dieu. Faut-il, parce qu'ils distinguent trois de ces attributs comme plus excellents, conclure que ce sont trois personnes ? Qu'on lise leurs docteurs sans préjugé, on y verra qu'ils comparent les séphirots à dix verres peints de dix couleurs différentes. La lumière du soleil qui frappe tous ces verres est la même, quoiqu'elle fasse voir des couleurs différentes : c'est ainsi que la lumière ou l'essence divine est la même, quoiqu'elle se diversifie dans les splendeurs, et qu'elle y verse des influences très-différentes. On voit par cette comparaison que les séphirots ne sont point regardés par les Cabalistes comme les personnes de la Trinité que les Chrétiens adorent. Ajoutons un autre exemple qui met la même chose dans un plus grand jour, quoiqu'on s'en serve quelquefois pour prouver le contraire.

Rabbi Schabté compare les splendeurs à un arbre, dans lequel on distingue la racine, le germe, et les branches. " Ce trois choses forment l'arbre ; et la seule différence qu'on y remarque, est que la racine est cachée pendant que le tronc et les branches se produisent au dehors. Le germe porte sa vertu dans les branches qui fructifient : mais au fond, le germe et les branches tiennent à la racine, et forment ensemble un seul et même arbre. Disons la même chose des splendeurs. La couronne est la racine cachée, impénétrable ; les trois esprits, ou séphirots, ou splendeurs, sont le germe de l'arbre ; et les sept autres, sont les branches unies au germe sans pouvoir en être séparées : car celui qui les sépare, fait comme un homme qui arracherait les branches de l'arbre, qui couperait le tronc et lui ôterait la nourriture en le séparant de sa racine. La couronne est la racine qui unit toutes les splendeurs. " (Schabté in Jezirah.)

Comment trouver là la Trinité ? Si on l'y découvre, il faut que ce soit dans ces trois choses qui composent l'arbre, la racine, le germe, et les branches. Le Père sera la racine, le germe sera le Fils, et les branches le saint Esprit qui fructifie. Mais alors les trois premières splendeurs cessent d'être les personnes de la Trinité, car ce sont elles qui forment le tronc et le germe de l'arbre ; et que fera-t-on des branches et de la racine, si l'on veut que ce tronc seul, c'est-à-dire les trois premières splendeurs soient la Trinité ? D'ailleurs ne voit-on pas que comme les dix splendeurs ne font qu'un arbre, il faudrait conclure qu'il y a dix personnes dans la Trinité, si on voulait adopter les principes des Cabalistes ?

Création du monde par voie d'émanation. Les Cabalistes ont un autre système, et qui n'est pas plus intelligible que le précédent. Ils soutiennent qu'il y a plusieurs mondes, et que ces mondes sont sortis de Dieu par voie d'émanation. Ils sont composés de lumière. Cette lumière divine était fort subtîle dans sa source, mais elle s'est épaissie peu-à-peu à proportion qu'elle s'est éloignée de l'Etre souverain, auquel elle était originairement attachée.

Dieu voulait donc créer l'univers, il y trouva deux grandes difficultés. Premièrement tout était plein, car la lumière éclatante et subtîle (Introduct. ad lib. Zohar. sect. I. Cab. denud. tom. III.) qui émanait de l'essence divine, remplissait toutes choses : il fallait donc former un vide pour placer les émanations et l'univers. Pour cet effet, Dieu pressa un peu la lumière qui l'environnait, et cette lumière comprimée se retira aux côtés, et laissa au milieu un grand cercle vide, dans lequel on pouvait situer le monde. On explique cela par la comparaison d'un homme qui se trouvant chargé d'une robe longue la retrousse. On allegue l'exemple de Dieu qui changea de figure ou la manière de sa présence, sur le mont Sinaï et dans le buisson ardent. Mais toutes ces comparaisons n'empêchent pas qu'il ne reste une idée de substance sensible en Dieu. Il n'y a que les corps qui puissent remplir un lieu, et qui puissent être comprimés.

On ajoute que ce fut pour l'amour des justes et du peuple saint, que Dieu fit ce resserrement de lumière. Ils n'étaient pas encore nés, mais Dieu ne laissait pas de les avoir dans son idée. Cette idée le réjouissait : et ils comparent la joie de Dieu qui produisit les points, et ensuite les lettres de l'alphabet, et enfin les récompenses et les peines, au mouvement d'un homme qui rit de joie.

La lumière qui émanait de l'essence divine, faisait une autre difficulté, car elle était trop abondante et trop subtîle pour former les créatures. Afin de prévenir ce mal, Dieu tira une longue ligne, qui descendant les parties basses, tantôt d'une manière droite, et tantôt en se recourbant, pour faire dix cercles ou dix séphirots, servit de canal à la lumière. Elle se communiqua d'une manière moins abondante, et s'épaississant à proportion qu'elle s'éloignait de son centre, et descendant par le canal, elle devenait plus propre à former les esprits et les corps.

La première émanation, plus parfaite que les autres, s'appelle Adam Kadmon, le premier de tout ce qui a été créé au commencement. Son nom est tiré de la Genèse, où Dieu dit, faisons l'homme ou Adam à notre image ; et on lui a donné ce nom, parce que comme l'Adam terrestre est un petit monde, celui du ciel est un grand monde ; comme l'homme tient le premier rang sur la terre, l'Adam céleste l'occupe dans le ciel ; comme c'est pour l'homme que Dieu a créé toutes choses, l'Eternel a possedé l'autre dès le commencement, avant qu'il fit aucunes de ses œuvres, et dès les temps anciens. (Prov. ch. VIIIe vers. 22.) Enfin, au lieu qu'en commençant par l'homme (Abraham Cohen Irirae philosoph. Cab. dissert. VI. cap. vij.) on remonte par degrés aux intelligences supérieures jusqu'à Dieu ; au contraire, en commençant par Adam céleste qui est souverainement élevé, on descend jusqu'aux créatures les plus viles et les plus basses. On le représente comme un homme qui a un crane, un cerveau, des yeux, et des mains ; et chacune de ses parties renferme des mystères profonds. La sagesse (Apparatus in lib. Zohar. figurâ primâ, pag. 195.) est le crane du premier Adam, et s'étend jusqu'aux oreilles, l'intelligence est son oreille droite ; la prudence fait son oreille gauche ; ses pieds ne s'allongent pas au-delà d'un certain monde inférieur, de peur que s'ils s'étendaient jusqu'au dernier ils ne touchassent à l'infini, et qu'il ne devint lui-même infini. Sur son diaphragme est un amas de lumière qu'il a condensée : mais une autre partie s'est échappée par les yeux et par les oreilles. La ligne qui a servi de canal à la lumière, lui a communiqué avec l'intelligence et la bonté, le pouvoir de produire d'autres mondes. Le monde de cet Adam premier est plus grand que tous les autres ; ils reçoivent de lui leurs influences, et en dépendent. Les cercles qui forment la couronne, marquent sa vie et sa durée, que Plotin et les Egyptiens ont représentée par un cercle ou par une couronne.

Comme tout ce qu'on dit de cet Adam premier semble convenir à une personne, quelques chrétiens interprétant la Cabale, ont cru qu'on désignait par-là Jésus-Christ, la seconde personne de la Trinité. Ils se sont trompés, car les Cabalistes (Abraham Cohen Irirae philosoph. Cab. Dissert. IV. cap. vij.) donnent à cet Adam un commencement : ils ont même placé un espace entre lui et l'infini, pour marquer qu'il était d'une essence différente, et fort éloigné de la perfection de la cause qui l'avait produit ; et malgré l'empire qu'on lui attribue pour la production des autres mondes, il ne laisse pas d'approcher du néant, et d'être composé de qualités contraires : d'ailleurs les Juifs qui donnent souvent le titre de fils à leur Seir-Anpin, ne l'attribuent jamais à Adam Kadmon qu'ils élèvent beaucoup au-dessus de lui.

On distingue quatre sortes de mondes, et quatre manières de création.

1°. Il y a une production par voie d'émanation, et ce sont les séphirots et les grandes lumières qui ont émané de Dieu, et qui composent le monde Azileutique ; c'est le nom qu'on lui donne. Ces lumières sont sorties de l'Etre infini, comme la chaleur sort du feu, la lumière du soleil, et l'effet de la cause qui le produit. Ces émanations sont toujours proches de Dieu, où elles conservent une lumière plus vive et plus subtîle ; car la lumière se condense et s'épaissit à proportion qu'on s'éloigne de l'Etre infini.

Le second monde s'appelle Briathique, d'un terme qui signifie dehors ou détacher. On entend par là le monde ou la création des âmes qui ont été détachées de la première cause, qui en sont plus éloignées que les séphirots, et qui par conséquent sont plus épaisses et plus ténébreuses. On appelle ce monde le trône de la gloire, et les séphirots du monde supérieur y versent leurs influences.

Le troisième degré de la création regarde les anges. On assure (Philos. Cabb. diss. I. cap. xvij.) qu'ils ont été tirés du néant dans le dessein d'être placés dans des corps célestes, d'air ou de feu ; c'est pourquoi on appelle leur formation Jesirah, parce que ces esprits purs ont été formés pour une substance qui leur était destinée. Il y avait dix troupes de ces anges. A leur tête était un chef nommé Métraton, élevé au-dessus d'eux, contemplant incessamment la face de Dieu, leur distribuant tous les jours le pain de leur ordinaire. Ils tirent de lui leur vie et leurs autres avantages ; c'est pourquoi tout l'ordre angélique a pris son nom.

Enfin Dieu créa les corps qui ne subsistent point par eux-mêmes comme les âmes, ni dans un autre sujet, comme les anges. Ils sont composés d'une matière divisible changeante, ils peuvent se détruire, et c'est cette création du monde qu'ils appellent Asiah. Voilà l'idée des Cabalistes, dont le sens est que Dieu a formé différemment les âmes, les anges et les corps, car pour les émanations, ou le monde Azileutique, ce sont les attributs de la divinité qu'ils habillent en personnes créées, ou des lumières qui découlent de l'Etre infini.

Quelque bizarres que soient toutes ces imaginations, on a tâché de justifier les visionnaires qui les ont enfantées, et ce sont les Chrétiens qui se chargent souvent de ce travail pour les Juifs. Mais il faut avouer qu'ils ne sont pas toujours les meilleurs interpretes de la Cabale. Ils pensent toujours à la Trinité des personnes divines ; et quand il n'y aurait que ce seul article dont ils s'entêtent, ils n'entreraient jamais dans le sentiment des Cabalistes. Ils nous apprennent seulement par leur idée de la Trinité ; qu'on peut trouver tout ce qu'on veut dans la Cabale. Cohen Irira, dans son livre intitulé, Philos. Cab. dissert. V. chap. VIIIe nous fait mieux comprendre la pensée des Cabalistes, en soutenant, 1°. que la lumière qui remplissait toutes choses était trop subtîle pour former des corps ni même des esprits.

Il fallait condenser cette lumière qui émanait de Dieu. Voilà une première erreur, que le monde est sorti de la divinité par voie d'émanation, et que les esprits sont sortis de la lumière. 2°. Il remarque que Dieu ne voulant pas créer immédiatement lui-même, produisit un être qu'il revêtit d'un pouvoir suffisant pour cela, et c'est ce qu'ils appellent Adam premier ou Adam kadmon. Ce n'est pas que Dieu ne put créer immédiatement, mais il eut la bonté de ne le pas faire, afin que son pouvoir parut avec plus d'éclat, et que les créatures devinssent plus parfaites. 3°. Ce premier principe que Dieu produisit, afin de s'en servir pour la création de l'Univers, était fini et borné : Dieu lui donna les perfections qu'il a, et lui laissa les défauts qu'il n'a pas. Dieu est indépendant, et ce premier principe dépendait de lui ; Dieu est infini, et le premier principe est borné ; il est immuable, et la première cause était sujette au changement.

Il faut donc avouer que ces théologiens s'éloignent des idées ordinaires, et de celles que Moyse nous a données sur la création. Ils ne parlent pas seulement un langage barbare ; ils enfantent des erreurs, et les cachent sous je ne sai quelles figures. On voit évidemment par Isaac Loriia, commentateur Juif, qui suit pas à pas son maître, qu'ils ne donnent pas immédiatement la création à Dieu ; ils font même consister sa bonté à avoir fait un principe inférieur à lui qui put agir. Trouver J. C. dans ce principe, c'est non-seulement s'éloigner de leur idée, mais en donner une très-fausse du Fils de Dieu, qui est infini, immuable, et dépendant.

Si on descend dans un plus grand détail, on aura bien de la peine à ne se scandaliser pas du Seir Anpin, qui est homme et femme ; de cette mère, ce père, cette femme, ou Nucha, qu'on fait intervenir ; de cette lumière qu'on fait sortir par le crane, par les yeux et par les oreilles du grand Anpin. Ces métaphores sont-elles bien propres à donner une juste idée des perfections de Dieu, et de la manière dont il a créé le monde ? Il y a quelque chose de bas et de rampant dans ces figures, qui bien loin de nous faire distinguer ce qu'on doit craindre et ce qu'on doit aimer, ou de nous unir à la divinité, l'avilissent, et la rendent méprisable aux hommes.

Voilà les principes généraux de la Cabale, que nous avons tâché d'expliquer avec clarté, quoique nous ne nous flattions pas d'y avoir réussi. Il faut avouer qu'il y a beaucoup d'extravagance, et même de péril dans cette méthode ; car si on ne dit que ce que les autres ont enseigné sur les opérations et sur les attributs de Dieu, il est inutîle d'employer des allégories perpétuelles, et des métaphores outrées, qui, bien loin de rendre les vérités sensibles, ne servent qu'à les obscurcir. C'est répandre un voîle sur un objet qui était déjà caché, et dont on ne découvrait qu'avec peine quelques traits. D'ailleurs, on renverse toute l'écriture, on en change le sens, et jusqu'aux mots, afin de pouvoir trouver quelque fondement et quelque appui à ses conjectures. On jette même souvent les hommes dans l'erreur, parce qu'il est impossible de suivre ces théologiens, qui entassent figures sur figures, et qui ne les choisissent pas toujours avec jugement. Ce mélange d'hommes et de femmes qu'on trouve associés dans les splendeurs, leur union conjugale, et la manière dont elle se fait, sont des emblêmes trop puérils et trop ridicules pour représenter les opérations de Dieu, et sa fécondité. D'ailleurs, il y a souvent une profondeur si obscure dans les écrits des Cabalistes, qu'elle devient impénétrable : la raison ne dicte rien qui puisse s'accorder avec les termes dont leurs écrits sont pleins. Après avoir cherché longtemps inutilement, on se lasse, on ferme le livre ; on y revient une heure après, on croit apercevoir une petite lueur, mais elle disparait aussitôt. Leurs principes paraissent d'abord avoir quelque liaison, mais la diversité des interpretes qui les expliquent est si grande, qu'on ne sait où se fixer. Les termes qu'on emploie sont si étrangers ou si éloignés de l'objet, qu'on ne peut les y ramener ; et il y a lieu d'être étonné qu'il y ait encore des personnes entêtées, qui croient que l'on peut découvrir ou éclaircir des vérités importantes, en se servant du secours de la Cabale. Il serait difficîle de les guérir : d'ailleurs si en exposant aux yeux cette science dans son état naturel, on ne s'aperçoit pas qu'elle est creuse et vide, et que sous des paroles obscures, souvent inintelligibles à ceux-mêmes qui s'en servent, on cache peu de chose ; tous les raisonnements du monde ne convaincraient pas. En effet, un homme de bon sens qui aura étudié à fond les séphirots, la couronne qui marque la perfection, la sagesse, ou la magnificence, en comprendra-t-il mieux que Dieu est un être infiniment parfait, et qu'il a créé le monde ? Au-contraire, il faut qu'il fasse de longues spéculations avant que de parvenir là. Il faut lire les Cabalistes, écouter les différentes explications qu'ils donnent à leurs splendeurs, les suivre dans les conséquences qu'ils en tirent, peser si elles sont justes. Après tout, il faudra en revenir à Moyse ; et pourquoi n'aller pas droit à lui, puisque c'est le maître qu'il faut suivre, et que le cabaliste s'égare dès le moment qu'il l'abandonne ? Les séphirots sont, comme les distinctions des scolastiques, autant de remparts, derrière lesquels un homme qui raisonne juste ne peut jamais percer un ignorant qui sait son jargon. Les écrivains sacrés ont parlé comme des hommes sages et judicieux, qui voulant faire comprendre des vérités sublimes, se servent de termes clairs. Ils ont dû nécessairement fixer leur pensée et celle des Lecteurs, n'ayant pas eu dessein de les jeter dans un embarras perpétuel et dans des erreurs dangereuses. S'il est permis de faire à Dieu tout ce qu'il a pu dire, sans que ni le terme qu'il a employé, ni la liaison du discours détermine à un sens précis, on ne peut jamais convenir de rien. Les systèmes de religion varieront à proportion de la fécondité de l'imagination de ceux qui liront l'Ecriture ; et pendant que l'un s'occupera à chercher les événements futurs et le sort de l'Eglise dans les expressions les plus simples, un autre y trouvera sans peine les erreurs les plus grossières.

Mais, nous dira-t-on, puisque les Juifs sont entêtés de cette science, ne serait-il pas avantageux de s'en servir pour les combattre plus facilement ? Quel avantage ! quelle gloire pour nous, lorsqu'on trouve, par la Cabale, la Trinité des personnes, qui est le grand épouvantail des Juifs, et le fantôme qui les trouble ! quelle consolation, lorsqu'on découvre tous les mystères dans une science qui semble n'être faite que pour les obscurcir !

Je réponds 1°. que c'est agir de mauvaise foi que de vouloir que le Christianisme soit enfermé dans les séphirots ; car ce n'était point l'intention de ceux qui les ont inventés. Si on y découvre nos mystères, afin de faire sentir le ridicule et le faible de cette méthode, à la bonne heure : mais Morus et les autres cabalistes chrétiens entrent dans le combat avec une bonne foi qui déconcerte, parce qu'elle fait connaître qu'ils ont dessein de prouver ce qu'ils avancent, et qu'ils sont convaincus que toute la religion chrétienne se trouve dans la Cabale ; ils insultent ceux qui s'en moquent, et prétendent que c'est l'ignorance qui enfante ces sourires méprisans. On peut employer cette science contre les rabbins qui en sont entêtés, afin d'ébranler leur incrédulité par les arguments que l'on tire de leur propre sein ; et l'usage qu'on fait des armes qu'ils nous prêtent, peut être bon quand on les tourne contre eux-mêmes : mais il faut toujours garder son bon sens au milieu du combat, et ne se laisser pas éblouir par l'éclat d'une victoire qu'on remporte facilement, ni la pousser trop loin. Il faut sentir la vanité de ces principes, et n'en pas faire dépendre les vérités solides du Christianisme ; autrement on tombe dans deux fautes sensibles.

En effet, le juif converti par des arguments cabalistiques, ne peut pas avoir une véritable foi. Elle chancellera dès le moment que la raison lui découvrira la vanité de cet art ; et son christianisme, s'il n'est tiré que du fond de la Cabale, tombera avec la bonne opinion qu'il avait de sa science ; quand même l'illusion durerait jusqu'à la mort, en serait-on plus avancé ? On ferait entrer dans l'église chrétienne un homme dont la foi n'est appuyée que sur des roseaux. Une connaissance si peu solide peut-elle produire de véritables vertus ? Mais, de plus, le prosélyte, dégagé des préjugés de sa nation, et de l'autorité de ses maîtres, et de leur science, perdra peu à peu l'estime qu'il avait pour elle. Il commencera à douter : on ne le ramenera pas aisément, parce qu'il se défiera de ses maîtres qui ont commencé par la fraude ; et s'il ne r'entre pas dans le Judaïsme par intérêt, il demeurera Chrétien sans religion et sans piété. Cet article est extrait de l'histoire des Juifs de Basnage. (C)

Voilà bien des chimères : mais l'histoire de la Philosophie, c'est-à-dire des extravagances d'un grand nombre de savants, entre dans le plan de notre ouvrage ; et nous croyons que ce peut être pour les Philosophes même un spectacle assez curieux et assez intéressant, que celui des reveries de leurs semblables. On peut bien dire qu'il n'y a point de folies qui n'aient passé par la tête des hommes, et même des sages ; et Dieu merci, nous ne sommes pas sans doute encore au bout. Ces Cabalistes qui découvrent tant de mystères en transposant des lettres ; cette lumière qui sort du crâne du grand Anpin ; la flamme bleue que les brachmanes se cherchent au bout du nez ; la lumière du Tabor que les ombilicaux croyaient voir à leur nombril ; toutes ces visions sont à peu-près sur la même ligne : et après avoir lu cet article et plusieurs autres, on pourra dire ce vers des Plaideurs :

Que de fous ! je ne fus jamais à telle fête. (O)




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