S. f. (Jurisprudence) est une juridiction qui connait en première instance de toutes les contestations qui peuvent s'élever au sujet des eaux et forêts de son ressort, et des délits et malversations qui peuvent y être commis.

Il y a des gruries royales, et d'autres seigneuriales.

On appelle aussi grurie par rapport au roi, un droit qui se perçait en quelques endroits à son profit sur les bois d'autrui lors de la vente des coupes, à cause de la justice qu'il fait exercer sur ces bois.

Ailleurs ce droit est nommé grairie, segrairie, ou segreage, tiers et danger, gruage ; tous ces différents noms sont synonymes, excepté que la quotité des droits qu'ils désignent, n'est pas communément la même ; le nom et la quotité du droit dépendent de l'usage des lieux.

Quelques-uns tirent l'étymologie de grurie et de gruyers, à gruibus, à cause que ces animaux veillent la nuit, soutenant une pierre en l'air avec leur pied. D'autres font venir grurie du mot grec , qui signifie chêne et même tout autre arbre. Mais Pithou, sur l'article 181. de la coutume de Troie., dit que grurie vient de gru, qui signifiait autrefois toute sorte de fruits tant de forêts qu'autres. En effet le droit de grurie dans son origine ne se levait pas seulement sur les bois, il se levait aussi sur les terres labourables ; comme il parait par une charte de l'an 1204, rapportée par Duchesne en ses preuves de la maison de Montmorency, où il est parlé d'un accord fait super griaria tam in nemore quam in plano. Ragueau en son glossaire dit qu'il y a la grurie de charbon, dont on fait bail à Paris au profit du roi. Ducange tient que grurie vient de l'allemand gruen ou groen, qui signifie viridis, d'où on a fait viridarius ; et en effet les gruyers sont aussi appelés verdiers en plusieurs endroits.

La grurie prise pour juridiction sur les eaux et forêts, est un attribut naturel de la haute-justice. Avant que l'on eut introduit les inféodations, les seigneurs qui avaient des hautes-justices, soit à cause de leurs aleux, ou à cause de leurs bénéfices civils, avaient droit de grurie. Ce ne fut que depuis l'usage des inféodations que la grurie fut démembrée de plusieurs hautes-justices, pour en former un fief séparé ; ce qui arriva dans les XIe et XIIe siècles, où l'on donnait en fief toutes sortes de choses, ainsi que le remarque M. Brussel, usage des fiefs.

En Champagne la grurie était encore séparée de la haute-justice en l'an 1317 ; comme il parait par une contestation rapportée dans les registres olim, laquelle se mut entre le gruyer de Champagne et le procureur du comte palatin de Champagne et de Brie. Le gruyer prétendait avoir droit de chasse dans la garenne, dans les bois et dans tout le territoire du village appelé la Chapelle, de nuit, de jour, à cor et à cri, tant par lui-même que par ses gens ; d'y prendre des bêtes de toute espèce, de punir les délinquans, d'en exiger des amendes quand le cas y échéait. La contestation fut décidée en sa faveur après une enquête.

La grurie de la forêt de la Cuisse est encore un fief héréditaire dans la personne du seigneur du Haroy. Ses titres lui donnent la qualité de gruyer hérédital, et à son fief celle de fief de la grurie en la dite forêt. Les prérogatives de ce fief sont entr'autres de mener le roi quand il chasse dans cette forêt ; de pouvoir chasser lui-même dans tous les endroits de la forêt, son valet après lui portant une trousse de la gutte avec trois levriers et trois petits chiens, et un vautour sur le poing ; d'y prendre toutes sortes de bêtes à pied rond ; et en cas qu'il en prenne à pied fourché, il en est quitte en avertissant le garde de la forêt : plus le pouvoir de sargenter, allant par la dite forêt à cheval ou à pied ; de prendre 60 sous et un denier sur les chevaux ; en cas de confiscation de charrette et chariots, de pouvoir mener un sergent en sa place ; d'avoir droit de panage et d'herbage ; de prendre la fille ou filles du chesne ; tant pour adoire que pour édifier, faire cuves, tonneaux, etc. et ce au haut du genou, à la serpe et à la coignée ; comme aussi d'ébrancher les chênes jusqu'à la première fourche. Voyez le droit public de M. Bouquet, tom. I. p. 331.

Miraumont cite une vieille loi de Louis et de Clotaire, en laquelle il est parlé du droit de grurie, jus gruariae, et où il est dit que l'on institua des gruyers, verdiers, gardes des eaux et forêts : et ne fraus fieret canoni, instituti praefecti, gruarii, viridarii, custodes silvarii, aliique quibus silvarum procuratio demandata ; mais dans les justices des seigneurs, lorsque la grurie n'en avait point été démembrée, ou qu'elle y avait été réunie, elle en faisait toujours partie. Voyez M. Bouquet, pag. 331.

Une ordonnance de Philippe-le-Bel de 1291, dit que les maîtres des eaux et forêts, les gruyers, gruerir, et forestiers, feront serment entre les mains de leurs supérieurs, en la forme qui avait déjà été ordonnée.

Les gruries avaient dès-lors l'inspection sur les eaux, de même que sur les forêts : en effet Philippe V. ordonna en 1318 que les gruyers gouverneraient les eaux et les viviers en la manière accoutumée ; que sous prétexte d'aucun don ou mandement du roi, ils ne délivreraient à personne aucuns poissons du roi, jusqu'à ce que tous ses viviers et ses eaux fussent à plein publiés ; que quand les sergens des bois auraient compté de leurs prises et des exploits des forêts, les gruyers leur feraient écroues de leur compte sous leurs sceaux ; enfin que les gruyers ne feraient aucunes ventes, qu'elles ne fussent mesurées.

Les gruries royales furent érigées en titre d'office par édit du mois de Février 1554, et rendues héréditaires par édit du mois de Janvier 1583.

Pour ce qui est des gruries seigneuriales, il n'y en avait anciennement que dans les terres des seigneurs qui avaient une concession particulière du droit de grurie, auquel cas le seigneur commettait un juge particulier pour exercer sa juridiction de la grurie. Il est fait mention de ces gruries seigneuriales dès l'an 1380, et il y en avait même longtemps auparavant, ainsi qu'on l'a déjà observé. Voyez ci-apr. le mot GRUYER.

Les choses demeurèrent dans cet état jusqu'à l'édit du mois de Mars 1707, par lequel le roi créa une grurie dans chaque justice des seigneurs ecclésiastiques et laïques, pour faire dans l'étendue de ces justices les mêmes fonctions qu'exerçaient les gruyers du roi dans ses eaux et forêts. L'appel de ces gruries était porté aux maitrises.

Les offices de ces nouvelles gruries n'ayant pas été levés ; par une déclaration du mois de Mars 1708, ils furent réunis aux justices des seigneurs moyennant finance. Depuis ce temps, tous les seigneurs hauts-justiciers sont réputés avoir droit de grurie chacun dans l'étendue de leur haute-justice, et tous juges de seigneurs sont gruyers.

Mais les inconveniens que l'on trouva à laisser les gruyers des seigneurs seuls maîtres de la poursuite de toutes sortes de délits indistinctement, surtout dans les bois des gens de main-morte, donnèrent lieu à la déclaration du 8 Janvier 1725, par laquelle il a été ordonné que les officiers des eaux et forêts du roi exerceront sur les eaux et forêts des prélats et autres ecclésiastiques, chapitres et communautés régulières, séculières et laïques, la même juridiction qu'ils exercent sur les eaux et forêts du roi, en ce qui concerne le fait des usages, délits, abus et malversations qui s'y commettent, sans qu'il soit besoin qu'ils aient prévenu, ni qu'ils en aient été requis, encore que les délits n'aient pas été commis par les bénéficiers dans les bois dépendants de leurs bénéfices ; et à l'égard des usages, abus et malversations qui concernent les eaux et forêts qui appartiennent aux seigneurs laïques ou autres particuliers, il est dit que les officiers des eaux et forêts du roi en connaitront pareillement sans qu'ils en aient été requis, ni qu'ils aient prévenu, lorsque les propriétaires de ces eaux et forêts auront eux-mêmes commis les délits et abus ; mais ils ne peuvent en prendre connaissance quand ils ont été commis par d'autres, à-moins qu'ils n'en aient été requis et qu'ils n'aient prévenu les juges gruyers des seigneurs : enfin cette déclaration ordonne que l'appel des gruyers des seigneurs se relevera directement à la table-de-marbre, comme avant l'édit du mois de Mars 1707.

Les bois tenus en grurie sont ceux qui sont soumis à la juridiction des officiers du roi, et sur lesquels il jouit de quelques droits, à cause de la justice qu'il y fait exercer. Les bois de cette qualité ne peuvent être vendus que par le ministère des officiers du roi pour les eaux et forêts, et avec les mêmes formalités que les bois et forêts du roi.

Dans tous les bois sujets aux droits de grurie ou grairie, la justice et en conséquence tous les profits qui en procedent, tels que les amendes et confiscations, appartiennent au roi ; ensemble la chasse, paisson et glandée, privativement à tous autres, si ce n'est qu'à l'égard de la paisson et glandée il y eut titre au contraire.

Le droit de grurie qu'on appelle aussi en quelques endroits grairie, est une portion de la vente que le roi perçait sur les bois d'autrui, soit en argent ou en essence du meilleur bois.

Dans la forêt d'Orléans, le droit de grurie ou grairie est de deux sous parisis d'une part du prix de la vente, et de dix-huit deniers d'autre part.

Dans d'autres endroits, comme dans la Beauce, le Gatinais et le Hurepais, ce droit est de treize parts dans trente ; à Beaugency il est de la moitié, le quint du principal, et toute l'enchère qui se fait sur la publication de la vente faite par le tréfoncier. A Senlis, le roi a dans quelques bois le tiers ; dans d'autres la moitié, dans d'autres le quint et le vingtième, dans d'autres le vingtième seulement. A Chauny, il a le quart et le quint. Au pays de Valais, il a le tiers dans les bois des tréfonciers. En Normandie et dans quelques autres pays, le roi a le tiers et danger, c'est-à-dire le tiers et le dixième. Voyez DANGER, TIERS ET DANGER.

Les parts et portions que le roi prend lors de la coupe et usance des bois sujets aux droits de grurie et grairie, sont levées et perçues en espèce ou argent, suivant l'ancien usage de chaque maitrise où ils sont situés.

L'ordonnance de Moulins défend de donner, vendre ni aliéner en tout ou partie, les droits de grurie, ni même de les donner à ferme pour telle cause et prétexte que ce sait. Ces défenses ont été renouvellées par l'ordonnance de 1669, au moyen de quoi ces droits ne peuvent être engagés ni affermés ; mais leur produit ordinaire est donné à recouvrer au receveur des domaines et bois.

Les autres règles que l'on observe pour les bois tenus en grurie, sont expliquées dans le titre 22 de la même ordonnance de 1669.

L'appel des gruries royales doit être relevé aux maitrises du ressort ; au lieu que l'appel des gruries seigneuriales, c'est-à-dire des juges de seigneurs en matière d'eaux et forêts, se relève directement en la table-de-marbre. Voyez Saint-Yon, dans son commentaire, titre des bois tenus à tiers et danger, et la conférence des eaux et forêts, titre des gruyers et tit. des bois tenus en grurie. Voyez ci-après GRUYER, et ci-devant GRAIRIE. (A)