CRIME DE, (Droit politique) c'est selon Ulpien, un attentat formel contre l'empire, ou contre la vie de l'empereur. Puis donc que cet attentat tend directement à dissoudre l'empire ou le gouvernement, et à détruire toute obligation des lois civiles, il est de la dernière importance d'en fixer la nature, comme a fait l'auteur de l'esprit des lois dans plusieurs chapitres de son douzième livre. Plus le crime est horrible, plus il est essentiel de n'en point donner le nom à une action qui ne l'est pas. Ainsi déclarer les faux-monnoyeurs coupables du crime de lese-majesté, c'est confondre les idées des choses. Etendre ce crime au duel, à des conspirations contre un ministre d'état, un général d'armée, un gouverneur de province, ou bien à des rébellions de communautés, à des réceptions de lettres d'un prince avec lequel on est en guerre, faute d'avoir déclaré ses lettres, c'est encore abuser des termes. Enfin, c'est diminuer l'horreur du crime de lese-majesté, que de porter ce nom sur d'autres crimes. Voilà pourquoi je pense que les distinctions de crimes de lese-majesté au premier, au second, au troisième chef, ne forment qu'un langage barbare que nous avons emprunté des Romains. Quand la loi Julie eut établi bien des crimes de lese-majesté, il fallut nécessairement distinguer ces crimes ; mais nous ne devons pas être dans ce cas-là.

Qu'on examine le caractère des législateurs qui ont étendu le crime de lese-majesté à tant de choses différentes, et l'on verra que c'étaient des usurpateurs ou des tyrants, comme Auguste et Tibere, ou comme Gratian, Valentinien, Arcadius, Honorius, des princes chancelans sur le trône, esclaves dans leurs palais, enfants dans le conseil, étrangers aux armées, et qui ne gardèrent l'empire, que parce qu'ils le donnèrent tous les jours. L'un fit la loi de poursuivre comme sacrilège, quiconque douterait du mérite de celui qu'il avait choisi pour quelque emploi. Un autre déclara que ceux qui attentent contre les ministres et les officiers du prince, sont criminels de lese majesté ; et ce qui est encore plus honteux, c'est sur cette loi que s'appuyait le rapporteur de M. de Cinq-Mars, pour satisfaire la vengeance du cardinal de Richelieu.

La loi Julie déclarait coupable de lese-majesté, celui qui fondrait des statues de l'empereur qui avaient été reprouvées ; celui qui vendrait des statues de l'empereur qui n'avaient pas été consacrées ; et celui qui commettrait quelque action semblable ; ce qui rendait ce crime aussi arbitraire, que si on l'établissait par des allégories, des métaphores, ou des conséquences.

Il y avait dans la république de Rome une loi de majestate, contre ceux qui commettraient quelque attentat contre le peuple romain. Tibere se saisit de cette loi, et l'appliqua non pas au cas pour lequel elle avait été faite, mais à tout ce qui put servir sa haine ou ses défiances. Ce n'étaient pas seulement les actions qui tombaient dans le cas de cette loi, mais des paroles indiscrettes, des signes, des songes, le silence même. Il n'y eut plus de liberté dans les festins, de confiance dans les parentés, de fidélité dans les esclaves. La dissimulation et la tristesse sombre de Tibere se communiquant par-tout, l'amitié fut regardée comme un écueil, l'ingénuité comme une imprudence, et la vertu comme une affectation qui pouvait rappeler dans l'esprit des peuples, le bonheur des temps précédents.

Les songes mis au rang des crimes de lese-majesté, est une idée qui fait frémir. Un certain Marsyas, dit Plutarque, raconte avoir songé qu'il coupait la gorge à Denys ; le tyran le sut, et le fit mourir, prétendant qu'il n'y aurait pas songé la nuit, s'il n'y avait pas pensé le jour ; mais quand il y aurait pensé, il faut pour établir un crime, que la pensée soit jointe à quelque action.

Les paroles indiscrettes, peu respectueuses, devinrent la matière de ce crime ; mais il y a tant de différence entre l'indiscrétion, les termes peu mesurés, et la malice ; et il y en a si peu dans les expressions qu'elles emploient, que la loi ne peut guère commettre les paroles à une peine capitale, à-moins qu'elle ne déclare expressément celles qu'elle y soumet. La plupart du temps les paroles ne signifient quelque chose, que par le ton dont on les dit ; souvent en redisant les mêmes paroles, on ne rend pas le même sens, parce que ce sens dépend de la liaison qu'elles ont avec d'autres choses. Comment donc peut-on sans tyrannie, en faire un crime de lese-majesté ?

Dans le manifeste de la feue czarine, donné en 1740, contre la famille d'Olgourouki, un de ces princes est condamné à mort, pour avoir proféré des paroles indécentes qui avaient du rapport à la personne de l'impératrice. Un autre pour avoir malignement interprêté ses sages dispositions pour l'empire, et offensé sa personne sacrée par des paroles peu respectueuses. S'il est encore des pays où cette loi règne, la liberté, je dirai mieux, son ombre même, ne s'y trouve pas plus qu'en Russie. Des paroles ne deviennent des crimes que lorsqu'elles accompagnent une action criminelle, qu'elles y sont jointes, ou qu'elles la suivent. On renverse tour, si l'on fait des paroles un crime capital.

Les écrits contiennent quelque chose de plus permanent que les paroles ; mais lorsqu'ils ne préparent pas au crime de lese-majesté, on en fait plutôt dans la monarchie un sujet de police, que de crime. Ils peuvent ces écrits, dit M. de Montesquieu, amuser la malignité générale, consoler les mécontens, diminuer l'envie contre les places, donner au peuple la patience de souffrir, et le faire rire de ses souffrances. Si quelque trait Ve contre le monarque, ce qui est rare, il est si haut que le trait n'arrive point jusques à lui : quelque décemvir en peut être effleuré, mais ce n'est pas un grand malheur pour l'état.

Je ne prétends point diminuer par ces réflexions, l'indignation que méritent ceux qui par des paroles ou des écrits, chercheraient à flétrir la gloire de leur prince ; mais une punition correctionnelle est sans doute plus convenable que toute autre. César se montra fort sage, en dédaignant de se vanger de ceux qui avaient publié des libelles diffamatoires très-violents contre sa personne ; c'est Suétone qui porte ce jugement : si quae dicerentur adversùs se, inhibere maluit quàm vindicare, Aulique Cecinnae criminosissimo libro, &. Pitholaï carminibus, laceratam existimationem suam, civili animo tulit. Trajan ne voulut jamais permettre que l'on fit la moindre recherche contre ceux qui avaient malicieusement inventé des impostures contre son honneur et sa conduite : quasi contentus esset magnitudine suâ, quâ nulli magis caruerunt, quàm qui sibi majestatem vindicarent, dit si bien Pline le jeune. Voyez le mot LIBELLE.

Rien ne fut plus fatal à la liberté romaine, que la loi d'Auguste, qui fit regarder certains écrits comme objets du crime de lese-majesté. Cremutius Cordus en fut accusé, parce que dans ses annales, il avait appelé Cassius le dernier des Romains. Mais ce serait être vraiment criminel, j'ai pensé dire vraiment coupable du crime de lese-majesté, que de corrompre le pouvoir du prince, jusqu'à lui faire changer de nature, parce que ce serait lui ôter tout ensemble son bonheur, sa tranquillité, sa sûreté, l'affection, et l'obéissance de ses sujets.

Je finis par un trait bien singulier de notre histoire ; Montgomeri pris les armes à la main dans Domfront, fut condamné à la mort en 1574, comme criminel de lese-majesté. On sait que quinze ans auparavant il avait eu le malheur de tuer Henri II. dans un tournois, et cet ancien accident le conduisit sur l'échafaud ; car pour le crime de lese majesté dont on l'accusait par sa prise d'armes, il ne pouvait en être recherché, en vertu de plusieurs édits, et surtout depuis la dernière amnistie ; mais la régente voulait sa mort à quelque prix que ce fût, et l'on lui accorda cette satisfaction. Exemple mémorable, dit de Thou, pour nous apprendre que dans les coups qui attaquent les têtes couronnées, le hasard seul est criminel, lors même que la volonté est la plus innocente. (D.J.)

LESE-MAJESTE, (Jurisprudence) Il y a crime de lese-majesté divine et lese-majesté humaine.

Le crime de lese-majesté divine est une offense commise directement contre Dieu, telles que l'apostasie, l'hérésie, sortilege, simonie, sacrilege et blasphème.

Ce crime est certainement des plus détestables, aussi est-il puni griévement, et même quelquefois de mort, ce qui dépend des circonstances. Quelques-uns ont pensé que ce n'était pas un crime public, et conséquemment que les juges de seigneurs en pouvaient connaître ; mais le bien de l'état demandant que le culte divin ne soit point troublé, on doit regarder ce crime de lese-majesté divine comme un cas royal.

Le crime de lese-majesté humaine est une offense commise contre un roi ou autre souverain : ce crime est aussi très-grave, attendu que les souverains sont les images de Dieu sur terre, et que toute puissance vient de Dieu.

En Angleterre on appelle crime de haute trahison ce que nous appelons crime de lese-majesté humaine.

On distingue, par rapport au crime de lese-majesté humaine, plusieurs chefs ou degrés différents qui rendent le crime plus ou moins grave.

Le premier chef, qui est le plus grave, est la conspiration ou conjuration formée contre l'état ou contre la personne du souverain pour le faire mourir, soit par le fer ou par le feu, par le poison ou autrement.

Le deuxième chef est lorsque quelqu'un a composé et semé des libelles et placards diffamatoires contre l'honneur du roi, ou pour exciter le peuple à sédition ou rebellion.

La fabrication de fausse monnaie, le duel, l'infraction des saufs-conduits donnés par le prince à l'ennemi, à ses ambassadeurs ou otages, sont aussi considérés des crimes de lese-majesté.

Quelques auteurs distinguent trois ou quatre chefs du crime de lese majesté, d'autres jusqu'à huit chefs, qui sont autant de cas différents où la majesté du prince est offensée ; mais en fait de crime de lese-majesté proprement dit, on ne distingue que deux chefs, ainsi qu'on vient de l'expliquer.

Toutes sortes de personnes sont reçues pour accusateurs en fait de ce crime, et il peut être dénoncé et poursuivi par toutes sortes de personnes, quand même elles seraient notées d'infamie : le fils même peut accuser son père et le père accuser son fils.

On admet aussi pour la preuve de ce crime le témoignage de toutes sortes de personnes, même ceux qui seraient ennemis déclarés de l'accusé ; mais dans ce cas on n'a égard à leurs dépositions qu'autant que la raison et la justice le permettent : la confession ou déclaration d'un accusé est suffisante dans cette matière pour emporter condamnation.

Tous ceux qui ont trempé dans le crime de lese-majesté sont punis ; et même ceux qui en ayant connaissance ne l'ont pas revélé, sont également coupables du crime de lese-majesté.

Celui qui ose attenter sur la personne du roi est traité de parricide, parce que les rois sont considérés comme les pères communs de leurs peuples.

Le seul dessein d'attenter quelque chose contre l'état ou contre le prince, est puni de mort lorsqu'il y en a preuve.

On tient communément que la connaissance du crime de lese-majesté au premier chef appartient au parlement, les autres chefs sont seulement réputés cas royaux.

Le crime de lese-majesté au premier chef est puni de la mort la plus rigoureuse, qui est d'être tiré et démembré à quatre chevaux.

L'arrêt du 29 Septembre 1595, rendu contre Jean Chastel, qui avait blessé Henri IV. d'un coup de couteau au visage, le déclara atteint et convaincu du crime de lese-majesté divine et humaine au premier chef, pour le très-méchant et très-cruel parricide attenté sur la personne du roi. Il fut condamné à faire amende honorable et de dire à genoux que malheureusement et proditoirement il avait attenté cet inhumain et très-abominable parricide, et blessé le roi d'un couteau en la face, et par de fausses et damnables instructions, il avait dit être permis de tuer les rois ; et que le roi Henri IV. lors regnant, n'était point en l'église jusqu'à ce qu'il eut l'approbation du pape. De là on le conduisit en un tombereau en la place de Greve, où il fut tenaillé aux bras et aux cuisses, et sa main droite tenant le couteau dont il s'était efforcé de commettre ce parricide, coupée, et après son corps tiré et démembré avec quatre chevaux et ses membres et corps jetés au feu et consommés en cendres, et les cendres jetées au vent ; ses biens acquis et confisqués au roi. Avant l'exécution il fut appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, pour avoir révélation de ses complices. La cour fit aussi défenses à toutes personnes de proférer en aucun lieu de semblables propos, lesquels elle déclara scandaleux, séditieux, contraires à la parole de Dieu, et condamnés comme hérétiques par les saints decrets.

La maison de Jean Chastel, qui était devant la porte des Barnabites, fut rasée ; et dans la place où elle était on éleva une pyramide avec des inscriptions : elle fut abattue en 1606.

L'arrêt rendu le 27 Mars 1610 contre Ravaillac, pour le parricide par lui commis en la personne du roi Henri IV. fut donné les grand'chambre, tournelle et chambre de l'édit assemblées. La peine à laquelle Jean Chastel avait été condamné fut encore aggravée contre Ravaillac, parce que celui-ci avait fait mourir le roi. Il fut ordonné que sa main droite serait brulée de feu de soufre, et que sur les endroits où il serait tenaillé il serait jeté du plomb fondu, de l'huîle bouillante, de la poix-resine bouillante, de la cire et soufre fondus ensemble ; il fut aussi ordonné que la maison où il était né serait démolie, le propriétaire préalablement indemnisé, sans que sur le fonds il put être à l'avenir construit aucun autre bâtiment ; et que dans quinzaine après la publication de l'arrêt à son de trompe et cri public en la ville d'Angoulême (lieu de sa naissance), son père et sa mère videraient le royaume, avec défenses d'y jamais revenir, à peine d'être pendus et étranglés sans autre forme ni figure de procès. Enfin il fut défendu à ses frères et sœurs, oncles et autres de porter ci-après le nom de Ravaillac, et il leur fut enjoint de le changer sous les mêmes peines ; et au substitut du procureur général du roi de faire publier et exécuter ledit arrêt, à peine de s'en prendre à lui.

La confiscation pour crime de lese-majesté au premier chef appartient au roi seul privativement à tous seigneurs hauts-justiciers ; le roi prend ces biens comme premier créancier privilégié à l'exclusion de tous autres créanciers ; il les prend même sans être tenu d'aucunes charges ou hypothèques, ni même des substitutions.

Touchant le crime de lese-majesté, voyez Julius Clarus, lib. V. sententiar. §. laesae majestatis crimen. Chopin, traité du domaine, liv. I. ch. VIIe et sur Paris, liv. III. n. 25. Lebret, traité de la souver. liv. IV. ch. Ve Papon, liv. XXII. tit. 1. Dupuy, traité des droits du roi, p. 141.

Voyez aussi la déclaration de François I. du mois d'Aout 1539 ; l'édit de Charles IX. du mois de Décembre 1563, art. 13 ; celui d'Henri III. du mois de Janvier 1560, art. 6 ; l'ordonnance criminelle de 1670, tit. j. art. 11. (A)