S. f. (Droit politique) Favorin la définit, un acte par lequel le souverain se relâche à-propos de la rigueur du Droit ; et Charron l'appelle une vertu qui fait incliner le prince à la douceur, à remettre et relâcher la rigueur de la justice avec jugement et discrétion. Ces deux définitions renfermant les mêmes idées qu'on doit avoir de la clémence, sont également bonnes.

En effet, c'est une vertu du souverain qui l'engage à exempter entièrement les coupables des peines, ou à les modérer, soit dans l'état de paix, soit dans l'état de guerre.

Dans ce dernier état, la clémence porte plus communément le nom de modération, et est une vertu fondée sur les lois de l'humanité, qui a entr'autres l'avantage d'être la plus propre à gagner les esprits : l'histoire nous en fournit quantité d'exemples, comme aussi d'actions contraires, qui ont eu des succès tout opposés.

Dans l'état de paix, la clémence consiste à exempter entièrement de la peine, lorsque le bien de l'état peut le permettre, ce qui est même une des règles du Droit romain ; ou à adoucir cette peine, s'il n'y a de très-fortes raisons au contraire, et c'est-là la seconde partie de la clémence.

Il n'est pas nécessaire de punir toujours sans rémission les crimes d'ailleurs punissables ; il y a des cas où le souverain peut faire grâce, et c'est de quoi il faut juger par le bien public, qui est le grand but des peines. Si donc il se trouve des circonstances où en faisant grâce, on procure autant ou plus d'utilité qu'en punissant, le souverain doit nécessairement user de clémence. Si le crime est caché, s'il n'est connu que de très-peu de gens, s'il y a des inconvénients à l'ébruiter, il n'est pas toujours nécessaire, quelquefois même il serait dangereux de le publier, en le punissant par quelque peine. Solon n'avait point fait de loi contre le parricide. L'utilité publique, qui est la mesure des peines, demande encore quelquefois que l'on fasse grâce à cause des conjonctures, du grand nombre des coupables, des causes, des motifs qui les ont animés, des temps, des lieux, etc. car il ne faut pas exercer, au détriment de l'état, la justice qui est établie pour la conservation de la société.

S'il n'y a point de fortes et pressantes raisons au souverain de pouvoir faire grâce, il doit alors pancher plutôt à mitiger la peine (à moins que des raisons valables et justes ne s'y opposent entièrement, comme quand il s'agit de crime qui violent les droits de la nature et de la société humaine), parce que toute peine rigoureuse a quelque chose de contraire par elle-même, sinon à la justice, du moins à l'humanité. L'empereur Marc Antonin le pensait ainsi, et y conformait sa conduite.

La clémence est contraire à la cruauté, à la trop grande rigueur, non à la justice, de laquelle elle ne s'éloigne pas beaucoup, mais qu'elle adoucit, qu'elle tempere ; et la clémence est nécessaire à cause de l'infirmité humaine et de la facilité de faillir, comme dit Charron.

Suivant les principes généraux qu'on vient d'établir, on peut voir quand le souverain doit punir, quand il doit mitiger la peine, et quand il doit pardonner. D'ailleurs, lorsque la clémence a des dangers, ces dangers sont très-visibles ; on la distingue aisément de cette faiblesse qui mène le prince au mépris, et à l'impuissance même de punir, comme le remarque l'illustre auteur de l'esprit des lais.

Voici ce qu'il ajoute sur cette matière dans cet ouvrage, liv. VI. ch. xxj.

" La clémence est la qualité distinctive des monarques. Dans la république où l'on a pour principe la vertu, elle est moins nécessaire. Dans l'état despotique où règne la crainte, elle est moins en usage, parce qu'il faut contenir les grands de l'état par des exemples de sévérité. Dans les monarchies où l'on est gouverné par l'honneur, qui souvent exige ce que la loi défend, elle est plus nécessaire. La disgrace y est équivalente à la peine ; les formalités même des jugements y sont des punitions. C'est-là que la honte vient de tous côtés pour former des genres particuliers de peines.

Les grands y sont si fort punis par la disgrace, par la perte souvent imaginaire de leur fortune, de leur crédit, de leurs habitudes, de leurs plaisirs, que la rigueur à leur égard est inutîle ; elle ne peut servir qu'à ôter aux sujets l'amour qu'ils ont pour la personne du prince, et le respect qu'ils doivent avoir pour les places.

On disputera peut-être aux monarques quelque branche de l'autorité, presque jamais l'autorité entière ; et si quelquefois ils combattent pour la couronne, ils ne combattent point pour la vie.

Ils ont tant à gagner par la clémence, elle est suivie de tant d'amour, ils en tirent tant de gloire, que c'est presque toujours un bonheur pour eux d'avoir occasion de l'exercer, et ils le peuvent presque toujours dans nos contrées ".

C'est une heureuse prérogative dont ils jouissent, et le caractère d'une belle âme quand ils en font usage. Cette prérogative leur est utîle et honorable, sans énerver leur autorité. Je ne connais point de plus beau trait dans l'oraison de Cicéron pour Ligarius, que celui où il dit à César, pour le porter à la clémence : " Vous n'avez rien reçu de plus grand de la fortune, que le pouvoir de conserver la vie ; ni rien de meilleur de la nature, que la volonté de le faire ". Article de M(D.J.)

* CLEMENCE, (Mythologie) Les anciens en avaient fait une divinité ; elle tenait une branche de laurier d'une main, et une lance de l'autre. Le pied de sa statue fut un asîle dans Athènes. On lui dédia dans Rome un temple et des autels après la mort de Jules César. Sa figure se voit sur les monnaies de Tibere et de Vitellius. Elle est là bien mal placée.