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Catégorie parente: Morale
Catégorie : Economie rustique
S. f. (Economie rustique) c'est l'écorce du chanvre, lorsqu'elle a reçu toutes les préparations nécessaires pour être filée. Voyez les articles CHANVRE, CORDERIE, et FIL.

Un des plus grands avantages qu'on put procurer à la plupart de nos provinces, est la culture des chanvres, et la fabrication des toiles : il ne faut pour cela que des soins ordinaires, et qui sont à la portée de tout le monde. Les femmes et les filles peuvent s'occuper des apprêts du chanvre, suivant la méthode que nous allons expliquer, et filer dans tous les temps qu'elles ne donnent pas à d'autres occupations ; et les hommes peuvent s'occuper de la culture du chanvre : pourquoi les laboureurs, journaliers, et autres habitants de la campagne n'auraient-ils pas un métier de tisserand, et n'y travailleraient-ils pas aux jours et aux heures qu'ils ne peuvent employer à leurs travaux accoutumés ?

Quoique l'usage du chanvre soit depuis longtemps aussi familier qu'il est nécessaire, il parait cependant que jusqu'à-présent la nature et les propriétés de cette plante n'ont point encore été tout à fait bien connues.

M. Marcandier a observé que le rouissage ordinaire du chanvre n'était autre chose que la dissolution d'une gomme ténace et naturelle à la plante, dont elle fait l'unique lien, et qu'on ne doit laisser le chanvre rouir qu'à proportion de l'abondance de cette gomme et de son adhérence. Si on laisse le chanvre trop longtemps dans l'eau, les fibres de l'écorce se trouvant alors trop séparées entr'elles par la dissolution de presque toute la gomme, on ne peut plus les enlever dans toute leur longueur, et la plus grande partie reste mêlée dans la paille, avec laquelle souvent on la brise. Il est donc dangereux par cette raison de laisser le chanvre trop longtemps rouir, et l'on ne doit avoir d'autre terme que celui qui suffit pour séparer exactement et sans perte l'écorce d'avec la chenevotte ; peut-être ne faut-il pas plus de cinq à six jours pour cet essai.

Comme après avoir laissé le chanvre suffisamment dans l'eau pour le mettre en état seulement d'être tillé ou broyé, l'écorce en parait dure, élastique, et peu propre à l'affinage, suivant l'ancienne méthode ; M. Marcandier, par les réflexions et les différents essais qu'il a faits sous les yeux et par les avis de M. Dodart, Intendant de Bourges, a trouvé le moyen de lui rendre aisément et sans frais toutes les qualités qui lui manquent. L'eau qui a déjà eu la propriété de séparer l'écorce de la paille dans le premier rouissage, divisera bien mieux et sans risque les fibres les unes des autres, par la dissolution totale de ce qui pouvait lui rester de gomme. Pour cet effet, il suffit, après que le chanvre a été tillé, de le mettre dans l'eau par petites poignées d'un quarteron ou environ, on les lie très-lâches dans le milieu par une ficelle un peu forte, pour les pouvoir manier et remuer dans l'eau sans les mêler. Après avoir imbibé d'eau toutes les poignées, il faut les mettre dans un vaisseau de bois ou de pierre, de la même façon qu'on met tremper du fil dans un cuvier. On remplit ensuite le vaisseau d'eau où on laisse le chanvre pendant plusieurs jours s'humecter et se pénétrer autant qu'il faut pour en dissoudre la gomme. Trais ou quatre jours suffisent pour cette opération ; après quoi il faut tirer toutes les poignées par leurs ficelles, les tordre et les laver à la rivière pour les purifier autant qu'il est possible de l'eau bourbeuse et gommée dont elles sortent : quand elles sont ainsi dégorgées on les rapporte chez soi, et on peut alors les battre sur une planche pour achever de diviser toutes les parties qui seraient encore restées trop entières. Pour cet effet, on étend sur un banc de bois fort et solide chaque poignée de ce chanvre, après en avoir fait couler la ficelle, on la frappe dans toute sa longueur avec la tranche d'un battoir ordinaire de blanchisseuse, jusqu'à ce que les parties et têtes les plus épaisses soient suffisamment divisées. Il ne faudrait pourtant pas battre avec excès chaque poignée : les fibres qui se trouveraient trop divisées ne conserveraient point assez de force pour résister au peigne ; et c'est une de ces attentions que la seule expérience peut faire connaître. Il y a même tout lieu de croire qu'en laissant le chanvre assez longtemps dans l'eau pour obtenir la division des fibres par la seule dissolution, on pourrait absolument se dispenser de le battre.

Après ce leger travail qui est cependant le plus long, il faut relaver à l'eau courante chaque poignée en la prenant bout pour bout, et l'on voit alors le succès de tout cet appareil. Toutes les fibres du chanvre ainsi battu se divisent dans l'eau, se lavent, se dégagent les unes des autres, et paraissent aussi parfaitement dressées que si elles avaient déjà passé dans le peigne ; plus l'eau est rapide, vive et belle, plus les fibres se blanchissent et se purifient. Lorsque le chanvre parait assez clair et entièrement purgé de sa crasse, on le tire de l'eau le plus en largeur qu'il est possible ; puis on le met sur une perche au soleil égoutter et sécher.

Si cette méthode ne parait pas assez prompte à ceux qui ne s'embarrasseraient pas de la dépense, ou qui trouveraient ces opérations trop pénibles dans les lieux où il n'y a pas d'eau courante, ils pourront employer les lessives ordinaires de cendres, soit qu'on les fasse exprès, ou qu'on veuille profiter de celles que l'on fait assez souvent pour le linge. M. Marcandier qui a fait diverses expériences sur cet objet, et qui a reçu les observations de quelques particuliers également zélés pour le bien public, a reconnu que la gomme du chanvre, qu'on aurait bien fait dégorger auparavant, n'est point contraire au linge avec lequel il se trouverait mêlé, qu'il suffirait seulement de mettre une couche de belle paille d'environ deux pouces d'épaisseur au fond du cuvier, pour filtrer et purifier l'eau dont cette paille retiendrait et la bourbe et la gomme. Par cette légère précaution, les sels de la lessive ainsi dégagés exercent toute leur activité sur le chanvre ou sur le linge que l'eau pénètre ; et l'on ne s'est point aperçu qu'il s'y soit trouvé aucune tache. On sent aisément que la chaleur de l'eau et l'alkali des cendres doivent opérer une dissolution bien plus prompte que celle qui ne se ferait qu'à l'eau froide ; mais il ne sera pas moins nécessaire de battre le chanvre qui resterait encore trop entier, et de le laver au moins pour la dernière fois dans une eau courante et belle, pour le purger totalement de l'eau de lessive et de sa gomme.

De cette manière, les fibres du chanvre, comme autant de brins de soie, se dégagent, se divisent, se purifient, s'affinent, et se blanchissent, parce que la gomme qui était le seul principe de leur union, était aussi celui de leur crasse, et des différentes couleurs qu'on voit au chanvre. Il a même paru dans les expériences qu'on a faites, que le chanvre le plus noir et le plus rebuté, était celui qui acquérait la plus grande perfection dans les opérations de la nouvelle méthode.

Quand le chanvre est une fois bien sec, on le plie avec précaution, en le tordant un peu, pour que les fils ne puissent pas se méler davantage : on le peut alors donner au chanvreur, pour en tirer le plin ou filasse. Il ne sera plus nécessaire de le piler si longtemps qu'auparavant : cet ouvrage autrefois si dur par les forces qu'il exigeait, et si dangereux par la poussière mortelle que l'ouvrier respirait, ne sera plus qu'un métier médiocrement pénible.

Il ne faudra plus chercher de machines pour sauver aux hommes les fatigues et les dangers du travail ; l'opération du chanvreur sera bornée désormais à un pilage facile, et aux seules façons ordinaires du peigne. Elle devient d'autant plus aisée que la matière est plus douce au travail, et n'exhale plus aucune poussière incommode ; aussi n'y a-t-il presque plus de déchet dans cette opération. Si l'on veut se servir de peignes fins, le chanvre ainsi lavé donnera de la filasse susceptible du plus beau filage, et comparable au plus beau lin, et ne fournira guère plus d'un tiers de fort bonnes étoupes.

Or cette étoupe qui était auparavant un objet de rebut, et qu'on vendait ordinairement à quelques cordiers deux sous six deniers la livre, devient par une nouvelle opération un objet de la plus grande utilité. En la cardant comme de la laine, il en résulte une nouvelle matière fine, moèlleuse, et blanche, et dont jusqu'à présent on ne connaissait pas l'usage. On peut l'employer seule en cet état, pour en faire des ouates, qui, à beaucoup d'égards, l'emporteront sur les ouates ordinaires ; mais de plus on la peut filer et en tirer un très-beau fil. On peut aussi la mêler avec du coton, de la soie, de la laine même, et du poil ; et le fil qui résulte de ces mélanges fournit, par ses variétés infinies, matière à de nouveaux essais très-intéressants pour les arts, et très-utiles à plusieurs manufactures.

On n'a pas encore, à beaucoup près, épuisé toutes les combinaisons qui peuvent multiplier les avantages du chanvre sous ses différentes formes. Les toiles qui seront fabriquées de chanvre ainsi préparé ne seront pas si longtemps au blanchissage, et le fil même n'aura plus besoin des lessives par lesquelles on était obligé de le faire passer.

Ces premières découvertes ont conduit à penser que les déchets même du chanvre les plus grossiers, et les balayures des ateliers où on le travaille, renfermaient encore une matière précieuse qu'on jetait ordinairement au feu ou sur le fumier, parce qu'on n'en connaissait pas l'usage. Elle n'a cependant besoin que d'être broyée, nettoyée, et purifiée dans l'eau, pour être d'un excellent emploi dans les papeteries : l'épreuve qui en a été faite ne laisse aucun doute sur cet objet ; et l'on sent aisément qu'il est d'une véritable importance.

Une pratique aveugle et les préjugés qu'elle a produits, ont fait méconnaître jusqu'à-présent les excellentes propriétés et la perfection naturelle du chanvre : on ne s'était pas encore aperçu que le fil existait dans la plante, indépendamment des opérations de l'art, qui ne peut ni le former ni le perfectionner ; que le travail se borne uniquement à le nettoyer et le diviser, en séparant les soies dont le ruban ou l'écorce est composée ; que ce ruban est une espèce d'écheveau naturel dont les fils sont assemblés dans leur longueur par une humeur sale et glutineuse qu'il faut absolument dissoudre et chasser, comme également contraire à l'ouvrier et à l'ouvrage.

La nature du chanvre et ses propriétés nous étant à-présent mieux connues, on ne doute pas que les gens de campagne ne mettent à profit tous les avantages qu'ils peuvent se procurer par la pratique de ces nouvelles méthodes. S'ils s'appliquent à la culture des chanvres de Berri, où ils sont les plus estimés ; et s'ils en perfectionnent les apprêts, ils s'assureront le débit de tous leurs ouvrages, soit qu'ils se bornent simplement au filage, ou qu'ils veuillent en faire de belles toiles.

M. Dodart, Intendant de Bourges, n'a rien négligé pour encourager cette nouvelle culture du chanvre, et l'établissement successif d'une multitude de petites manufactures dispersées dans sa province, pour laquelle il a bien Ve qu'elles seraient une source considérable d'opulence.

Il ne s'est pas contenté de promettre sa faveur et sa protection à ceux qui aimaient assez le bien public pour le seconder, et d'inviter les gentils-hommes qui demeurent dans leurs terres, les curés et les bourgeois, d'entrer dans ses vues. Il a de plus proposé un prix de trente liv. qui sera distribué dans chacune des villes d'Issoudun, Châteauroux, la Châtre, S. Amand, et Bourges, à la femme qui apportera six livres de fil le plus parfait, pourvu qu'il ait été filé de filasse préparée selon la nouvelle méthode, et deux prix de dix liv. aux deux femmes qui auront le mieux travaillé après la première fileuse.

On offre de prendre le fil non-seulement de celles qui auront remporté le prix, mais encore celui des bonnes fileuses qui auront concouru, et de le leur payer, si elles le veulent.

Ceux qui connaissent les vrais moyens d'étendre le Commerce, de favoriser la population, et de rendre les peuples heureux, ne trouveront pas les prix proposés par M. l'Intendant de Bourges, fort inférieurs à ceux qu'on a fondés dans les académies. Son goût pour les choses utiles s'est étendu jusqu'à la perfection de notre ouvrage ; et c'est du mémoire qu'il a fait répandre dans sa province, et qu'il a bien voulu nous communiquer, que nous avons tiré ce qui précède sur la culture du chanvre et sur la meilleure préparation de la filasse.




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