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Catégorie parente: Morale
Catégorie : Droit de la guerre
S. m. (Droit de la guerre) terme général, qui désigne tous les maux que l'on peut causer à l'ennemi en ravageant ses biens et ses domaines pendant le cours de la guerre.

Il est incontestable que le cruel état de guerre permet d'enlever à l'ennemi ses biens, ses possessions, ses domaines, de les endommager, de les ravager, et même de les détruire ; parce que suivant la remarque de Cicéron, il n'est point du-tout contraire à la nature de dépouiller de son bien une personne à qui l'on peut ôter la vie avec justice : Neque est contra naturam spoliare eum si possis, quem honestum est necare. De offic. lib. III. cap. vj.

Les dégats que la guerre occasionne sont un mal nécessaire, dont le peuple est la victime. Un souverain qui fait une guerre injuste, est responsable à Dieu de tous les dégats que souffrent ses sujets et ses ennemis ; et c'est bien ici le cas de dire, Quidquid delirant reges, plectuntur achivi. Puissent apprendre les rois ce que vaut le sang des hommes ! Le fameux connétable Bertrand du Guesclin recommandait en mourant aux vieux capitaines qui l'avaient suivi pendant quarante ans, de se souvenir toujours, qu'en quelque lieu qu'ils fissent la guerre, les femmes, les enfants, et le pauvre peuple, n'étaient point leurs ennemis. M. de Turenne, digne imitateur de ce grand homme, gémissait comme lui de ces maux inévitables que la guerre traine après soi, et que la nécessité oblige de dissimuler, de souffrir, et de faire.

Mais le droit des gens, véritablement tel, et mettant à part les autres règles de nos devoirs, n'excepte-t-il pas du dégat les choses sacrés, c'est-à-dire les choses consacrées ou au vrai Dieu, ou aux fausses divinités dont les hommes font l'objet de leur culte ? Il est d'abord certain que les nations ont eu des coutumes différentes et opposées sur ce sujet ; les unes se sont permis le dégat des choses sacrées, et les autres l'ont envisagé comme une profanation criminelle. Il faut donc recourir aux principes de la nature et du droit des gens, pour décider du droit réel que donne la guerre à cet égard ; et cependant les avis se trouvent encore ici partagés.

Les uns sont convaincus que la consécration des choses au service de Dieu, leur donne la qualité de saintes et de sacrées, comme un caractère intrinseque et ineffaçable dont personne ne peut les dépouiller ; que ces choses par une telle destination changent, pour ainsi dire, de maîtres, n'appartiennent plus aux hommes en propriété, et sont entièrement et absolument soustraites du commerce.

D'autres soutiennent au contraire que les choses sacrées ne sont pas dans le fond d'une nature différente des profanes ; qu'elles appartiennent toujours au public ou au souverain, et que rien n'empêche que le souverain ne change la destination de ces choses pour ses besoins, en les appliquant à d'autres usages. Après tout, de quelque manière qu'on décide cette question, il est du moins incontestable que ceux qui croient que les choses sacrées renferment une destination divine et inviolable, feraient très-mal d'y toucher, puisqu'ils pécheraient en le faisant contre leur propre conscience.

Convenons toutefois d'une raison qui pourrait justifier les payens seulement du reproche de sacrilège, lorsqu'ils pillaient les temples des dieux qu'ils reconnaissaient pour tels ; c'est qu'ils s'imaginaient que quand une ville venait à être prise, les dieux qu'on y adorait abandonnaient en même temps leurs temples et leurs autels, surtout après qu'ils les avaient évoqués, eux et toutes les choses sacrées, avec certaines cérémonies.

Mais tous les princes chrétiens sont aujourd'hui d'accord de respecter dans le dégat des choses que le droit de la guerre autorise, toutes celles qui sont destinées à des usages sacrés ; car quand même toutes ces choses seraient à leur manière du domaine de l'état, et qu'on pourrait impunément selon le droit des gens les endommager ou les détruire, cependant si l'on n'a rien à craindre de ce côté-là, il faut par respect pour la religion conserver les édifices sacrés et toutes leurs dépendances, surtout si l'ennemi à qui elles appartiennent fait profession d'adorer le même Dieu, quelque différence qu'il y ait par rapport à certains sentiments ou certains rits particuliers. Plusieurs peuples en ont donné l'exemple ; Thucidide témoigne que parmi les Grecs de son temps, c'était une espèce de loi générale de ne point toucher aux lieux sacrés lorsqu'on faisait irruption dans les terres d'un ennemi. Ils respectaient également les personnes, à cause de la sainteté des temples où elles s'étaient réfugiées.

Les mêmes égards doivent s'étendre sur les maisons religieuses, les sépulcres et les monuments vides, érigés en l'honneur des morts ; parce qu'outre que ce serait fouler aux pieds les lois de l'humanité, un dégat de ce genre ne sert de rien, ni pour la défense, ni pour le maintien des droits, ni pour aucune fin légitime de la guerre. Concluons qu'en tous ces points on doit observer scrupuleusement les lois de la religion, et ce qui est établi par les coutumes des peuples. Florus, parlant de Philippe, (liv. II. chap. vij.) dit qu'en violant les temples et les autels, il porta les droits de la victoire au-delà des justes bornes. Détruire des choses, dit le sage Polybe, (liv. V. chap. xj.) qui ne sont d'aucune utilité pour la guerre, sans que d'ailleurs leur perte diminue les forces de l'ennemi, surtout détruire les temples, les statues et autres semblables ornements, quand même on le ferait par droit de représailles, c'est le comble de l'extravagance.

Après avoir mis à couvert les choses sacrées et leurs dépendances, voyons avec quelle modération on doit user du dégat, même à l'égard des choses profanes.

Premièrement, suivant les observations de Grotius, pour pouvoir sans injustice ravager ou détruire le bien d'autrui, il faut de trois choses l'une ; ou une nécessité telle qu'il y ait lieu de présumer qu'elle forme un cas excepté, dans un établissement primitif de la propriété des biens ; comme par exemple, si pour éviter le mal qu'on a à craindre de la part d'un furieux, on prend une épée d'autrui dont il allait se saisir, et qu'on la jette dans la rivière ; sauf à reparer ensuite le dommage que le tiers souffre par-là, et on n'en est pas même alors dispensé : ou bien il faut ici une dette qui provienne de quelque inégalité, c'est-à-dire que le dégat du bien d'autrui se fasse en compensation de ce qui nous est dû ; comme si alors on recevait en payement la chose que l'on gâte ou que l'on ravage, appartenante au débiteur, sans quoi on n'y aurait aucun droit : ou enfin il faut qu'on nous ait fait quelque mal qui mérite d'être puni d'une telle manière, ou jusqu'à un tel point ; car, par exemple, l'équité ne permet pas de ravager une province pour quelques troupeaux enlevés, ou quelques maisons brulées.

Voilà les raisons légitimes, et la juste mesure de l'usage du droit dont il s'agit. Du reste, lors même qu'on y est autorisé par de tels motifs, si l'on n'y trouve pas en même temps un grand avantage, ce serait une fureur criminelle de faire du mal à autrui sans qu'il nous en revienne du bien,

Quoiqu'on ne puisse condamner un dégât qui en peu de temps réduirait l'ennemi à la nécessité de demander la paix, cependant à bien considérer la chose, l'animosité a souvent plus de part à ces sortes d'expéditions, qu'une délibération sage et réfléchie.

Il faut s'abstenir du dégât lorsqu'il s'agit d'une chose dont on retire du fruit, et qui n'est point au pouvoir de l'ennemi : par exemple, des arbres fruitiers, des semences, etc. il faut aussi s'en abstenir quand on a grand sujet d'espérer une prompte victoire.

Il faut encore user de pareille modération lorsque l'ennemi peut avoir d'ailleurs de quoi vivre, comme si la mer lui est ouverte, ou l'entrée de quelqu'autre pays entièrement libre. Dans les guerres de nos jours on laisse labourer et cultiver en toute sûreté, moyennant des contributions que les ennemis exigent de part et d'autre ; et cette pratique n'est pas nouvelle, elle avait lieu parmi les Indiens du temps de Diodore de Sicile. Le fameux capitaine Timothée donnait à ferme les meilleurs endroits du pays où il était entré avec son armée.

Enfin toutes les choses qui sont de nature à ne pouvoir être d'aucun usage pour faire la guerre, ni contribuer en quoi que ce soit à la prolonger, doivent être épargnées, comme tous les bâtiments publics sacrés et profanes, les peintures, les tableaux, les statues, tout ce qui concerne les arts et les métiers. Protogène peignait tranquillement dans une maison près de Rhodes, tandis que Demetrius l'assiégeait : Je ne puis croire, disait le peintre au conquérant, que tu fasses la guerre aux Arts.

Finissons par les réflexions que fait le même Grotius pour engager les princes à garder dans le dégat une juste modération en conséquence du fruit qui peut leur en revenir à eux-mêmes. D'abord, dit-il, on ôte à l'ennemi une des plus puissantes armes, je veux dire le désespoir : de plus, en usant de la modération dont il s'agit, on donne lieu de penser que l'on a grande espérance de remporter la victoire, et la clémence par elle-même est le moyen le plus propre pour gagner les cœurs. Il est encore du devoir des souverains et des généraux d'empêcher le pillage, la ruine, l'incendie des villes prises, et tous les autres actes d'hostilité de cette nature, quand même ils seraient d'une grande conséquence pour les affaires principales de la guerre ; par la raison que de tels actes d'hostilité ne peuvent être exécutés sans causer beaucoup de mal à un grand nombre de personnes innocentes ; et que la licence du soldat est affreuse dans de telles conjonctures, si elle n'est arrêtée par la discipline la plus sévère.

" L'Europe, (dit l'historien du siècle de Louis XIV.) vit avec étonnement l'incendie du Palatinat ; les officiers qui l'exécutèrent ne pouvaient qu'obéir : Louvois en avait à la vérité donné les conseils ; mais Louis avait été le maître de ne les pas suivre. Si le roi avait été témoin de ce spectacle, il aurait lui-même éteint les flammes. Il signa du fond de son palais de Versailles, la destruction de tout un pays, parce qu'il ne voyait dans cet ordre que son pouvoir, et le malheureux droit de la guerre ; mais de plus près il n'en eut Ve que les horreurs. Les nations qui jusques-là n'avaient blâmé que son ambition, en l'admirant, blâmèrent alors sa politique ". Article de M(D.J.)

Si on en croit M. de Folard, les entreprises qui consistent uniquement à ravager et à faire le dégat bien avant dans une frontière, ne sont guère utiles, et elles font plus de bruit qu'elles ne sont avantageuses ; parce que si l'on n'a pas d'autre objet que celui de détruire le pays, on se prive des contributions. " Si l'on faisait, dit Montecuculli, le ravage au temps de la récolte, on ôterait à l'ennemi une partie de sa substance ; mais comme on ne peut le faire alors, parce que l'ennemi tient la campagne, et qu'il l'empêche, on le fait dans l'hiver quand il est entièrement inutile. " Il est certain que le ravage d'un pays, lorsqu'il n'est pas fort étendu, ne change rien ou peu de chose à la nature de la guerre. L'ennemi se pourvait d'une plus grande quantité de provisions, et le mal ne tourne, comme le dit l'auteur qu'on vient de citer, qu'à l'oppression des pauvres paysans, ou des propriétaires des biens qu'on a détruits. Si l'on remporte ensuite quelque avantage sur l'ennemi, on ne peut suivre sa victoire : on souffre les mêmes inconvénients qu'on a voulu faire souffrir à son ennemi : ainsi, " loin que ces dégâts nous soient avantageux, dit encore Montecuculli, ils nous sont au contraire très-préjudiciables, et nous faisons justement ce que l'ennemi devrait faire s'il n'était pas en état de tenir la campagne ".

Un général prudent et judicieux ne doit donc pas faire le dégât d'un pays sans de grandes raisons ; c'est-à-dire lorsque ce dégât est absolument nécessaire pour sauver ou conserver les provinces frontières ; mais lorsque le dégât ne peut produire que du mal, et l'intérêt de quelques particuliers chargés de cette triste fonction ; le bien des habitants, celui même de l'armée qu'on commande, s'opposent à cette destruction. On dit le bien de l'armée même, parce que le pays qu'on pille fournit des provisions pour servir de ressource dans le besoin. (Q)




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