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Catégorie parente: Morale
Catégorie : Droit naturel & politique
S. m. (Droit naturel et Politique) manière dont la souveraineté s'exerce dans chaque état. Examinons l'origine, les formes, et les causes de la dissolution des gouvernements. Ce sujet mérite les regards attentifs des peuples et des souverains.

Dans les premiers temps, un père était de droit le prince et le gouverneur né de ses enfants ; car il leur aurait été bien mal-aisé de vivre ensemble sans quelque espèce de gouvernement : eh quel gouvernement plus simple et plus convenable pouvait-on imaginer, que celui par lequel un père exerçait dans sa famille la puissance exécutrice des lois de la nature !

Il était difficîle aux enfants devenus hommes faits, de ne pas continuer à leur père l'autorité de ce gouvernement naturel par un consentement tacite ; ils étaient accoutumés à se voir conduire par ses soins, et à porter leurs différends devant son tribunal. La communauté des biens établie entr'eux, les sources du désir d'avoir encore inconnues, ne faisaient point germer de disputes d'avarice ; et s'il s'en élevait quelqu'une sur d'autres sujets, qui pouvait mieux les juger qu'un père plein de lumières et de tendresse ?

L'on ne distinguait point dans ces temps-là entre minorité et majorité ; et si l'enfant était dans un âge à disposer de sa personne et des biens que le père lui donnait, il ne désirait point de sortir de tutele, parce que rien ne l'y engageait : ainsi le gouvernement auquel chacun s'était soumis librement, continuait toujours à la satisfaction de chacun, et était bien plutôt une protection et une sauve-garde, qu'un frein et une sujétion : en un mot les enfants ne pouvaient trouver ailleurs une plus grande sûreté pour leur paix, pour leur liberté, pour leur bonheur, que dans la conduite et le gouvernement paternel.

C'est pourquoi les pères devinrent les monarques politiques de leurs familles ; et comme ils vivaient longtemps, et laissaient ordinairement des héritiers capables et dignes de leur succéder, ils jetaient par-là les fondements des royaumes héréditaires ou électifs, qui depuis ont été réglés par diverses constitutions et par diverses lais, suivant les pays, les lieux, les conjonctures et les occasions.

Que si après la mort du père, le plus proche héritier qu'il laissait n'était pas capable du gouvernement faute d'âge, de sagesse, de prudence, de courage, ou de quelque autre qualité ; ou bien si diverses familles convenaient de s'unir et de vivre ensemble dans une société, il ne faut point douter qu'alors tous ceux qui composaient ces familles n'usassent de leur liberté naturelle, pour établir sur eux celui qu'ils jugeaient le plus capable de les gouverner. Nous voyons que les peuples d'Amérique qui vivent éloignés de l'épée des conquérants, et de la domination sanguinaire des deux grands empires du Pérou et du Mexique, jouissent encore de leur liberté naturelle, et se conduisent de cette manière ; tantôt ils choisissent pour leur chef l'héritier du dernier gouverneur ; tantôt le plus vaillant et le plus brave d'entr'eux. Il est donc vraisemblable que tout peuple, quelque nombreux qu'il soit devenu, quelque vaste pays qu'il occupe, doit son commencement à une ou à plusieurs familles associées. On ne peut pas donner pour l'origine des nations, des établissements par des conquêtes ; ces événements sont l'effet de la corruption de l'état primitif des peuples, et de leurs désirs immodérés. Voyez CONQUETE.

Puisqu'il est constant que toute nation doit ses commencements à une ou à plusieurs familles ; elle a dû au-moins pendant quelque temps conserver la forme du gouvernement paternel, c'est-à-dire n'obéir qu'aux lois d'un sentiment d'affection et de tendresse, que l'exemple d'un chef excite et fomente entre des frères et des proches : douce autorité qui leur rend tous les biens communs, et ne s'attribue elle-même la propriété de rien !

Ainsi chaque peuple de la terre dans sa naissance et dans son pays natal, a été gouverné comme nous voyons que le sont de nos jours les petites peuplades de l'Amérique, et comme on dit que se gouvernaient les anciens Scythes, qui ont été comme la pepinière des autres nations : mais à-mesure que ces peuples se sont accrus par le nombre et l'étendue des familles, les sentiments d'union fraternelle ont dû s'affoiblir.

Celles de ces nations qui par des causes particulières sont restées les moins nombreuses, et sont plus longtemps demeurées dans leur patrie, ont le plus constamment conservé leur première forme de gouvernement toute simple et toute naturelle : mais les nations qui trop resserrées dans leur pays, se sont vues obligées de transmigrer, ont été forcées par les circonstances et les embarras d'un voyage, ou par la situation et par la nature du pays où elles se sont portées, d'établir d'un libre consentement les formes de gouvernement qui convenaient le mieux à leur génie, à leur position et à leur nombre.

Tous les gouvernements publics semblent évidemment avoir été formés par délibération, par consultation et par accord. Qui doute, par exemple, que Rome et Venise n'aient commencé par des hommes libres et indépendants les uns à l'égard des autres, entre lesquels il n'y avait ni supériorité ni sujétion naturelle, et qui sont convenus de former une société de gouvernement ? Il n'est pas cependant impossible, à considérer la nature en elle-même, que des hommes puissent vivre sans aucun gouvernement public. Les habitants du Pérou n'en avaient point ; encore aujourd'hui les Chériquanas, les Floridiens et autres, vivent par troupes sans règles et sans lois : mais en général, comme il fallait chez les autres peuples moins sauvages repousser avec plus de sûreté les injures particulières, ils prirent le parti de choisir une sorte de gouvernement et de s'y soumettre, ayant reconnu que les désordres ne finiraient point, s'ils ne donnaient l'autorité et le pouvoir à quelqu'un ou à quelques-uns d'entr'eux de décider toutes les querelles, personne n'étant en droit sans cette autorité de s'ériger en seigneur et en juge d'aucun autre. C'est ainsi que se conduisirent ceux qui vinrent de Sparte avec Pallante, et dont Justin fait mention. En un mot toutes les sociétés politiques ont commencé par une union volontaire de particuliers, qui ont fait le libre choix d'une sorte de gouvernement ; ensuite les inconvénients de la forme de quelques-uns de ces gouvernements, obligèrent les mêmes hommes qui en étaient membres, de les réformer, de les changer, et d'en établir d'autres.

Dans ces sortes d'établissements s'il est arrivé d'abord (ce qui peut être) qu'on se soit contenté de remettre tout à la sagesse et à la discrétion de celui ou de ceux qui furent choisis pour premiers gouverneurs, l'expérience fit voir que ce gouvernement arbitraire détruisait le bien public, et aggravait le mal loin d'y remédier : c'est pourquoi on fit des lais, dans lesquelles chacun put lire son devoir et connaître les peines que méritent ceux qui les violent.

La principale de ces lois fut que chacun aurait et posséderait en sûreté ce qui lui appartenait en propre. Cette loi est de droit naturel. Quel que soit le pouvoir qu'on accorde à ceux qui gouvernent, ils n'ont point le droit de se saisir des biens propres d'aucun sujet, pas même de la moindre portion de ces biens, contre le consentement du propriétaire. Le pouvoir le plus absolu, quoiqu'absolu quand il est nécessaire de l'exercer, n'est pas même arbitraire sur cet article ; le salut d'une armée et de l'état demande qu'on obéisse aveuglement aux officiers supérieurs : un soldat qui fait signe de contester est puni de mort ; cependant le général même avec tout son pouvoir de vie et de mort, n'a pas celui de disposer d'un denier du bien de ce soldat, ni de se saisir de la moindre partie de ce qui lui appartient en propre.

Je sai que ce général peut faire des conquêtes, et qu'il y a des auteurs qui regardent les conquêtes comme l'origine et le fondement des gouvernements : mais les conquêtes sont aussi éloignées d'être l'origine et le fondement des gouvernements, que la démolition d'une maison est éloignée d'être la vraie cause de la construction d'une autre maison dans la même place. A la vérité la destruction d'un état prépare un nouvel état ; mais la conquête qui l'établit par la force n'est qu'une injustice de plus : toute puissance souveraine légitime doit émaner du consentement libre des peuples.

Quelques-uns de ces peuples ont placé cette puissance souveraine dans tous les chefs de famille assemblés, et réunis en un conseil, auquel est dévolu le pouvoir de faire des lois pour le bien public, et de faire exécuter ces lois par des magistrats commis à cet effet ; et alors la forme de ce gouvernement se nomme une démocratie. Voyez DEMOCRATIE.

D'autres peuples ont attribué toute l'autorité souveraine à un conseil, composé des principaux citoyens, et alors la forme de ce gouvernement s'appelle une aristocratie. Voyez ARISTOCRATIE.

D'autres nations ont confié indivisément la souveraine puissance et tous les droits qui lui sont essentiels, entre les mains d'un seul homme, roi, monarque ou empereur ; et alors la forme de ce gouvernement est une monarchie. Voyez MONARCHIE.

Quand le pouvoir est remis entre les mains de ce seul homme, et ensuite de ses héritiers ; c'est une monarchie héréditaire ; s'il lui est confié seulement pendant sa vie, et à condition qu'après sa mort le pouvoir retourne à ceux qui l'ont donné, et qu'ils nommeront un successeur, c'est une monarchie élective.

D'autres peuples faisant une espèce de partage de souveraineté, et mélangeant pour ainsi dire les formes des gouvernements dont on vient de parler, en ont confié les différentes parties en différentes mains, ont tempéré la monarchie par l'aristocratie, et en même temps ont accordé au peuple quelque part dans la souveraineté.

Il est certain qu'une société a la liberté de former un gouvernement de la manière qu'il lui plait, de le mêler et de le combiner de différentes façons. Si le pouvoir législatif a été donné par un peuple à une personne, ou à plusieurs à vie, ou pour un temps limité, quand ce temps-là est fini, le pouvoir souverain retourne à la société dont il émane. Dès qu'il y est retourné, la société en peut de nouveau disposer comme il lui plait ; le remettre entre les mains de ceux qu'elle trouve bon, de la manière qu'elle juge à-propos, et ainsi ériger une nouvelle forme de gouvernement. Que Puffendorf qualifie tant qu'il voudra toutes les sortes de gouvernements mixtes du nom d'irréguliers, la véritable régularité sera toujours celle qui sera le plus conforme au bien des sociétés civiles.

Quelques écrivains politiques prétendent que tous les hommes étant nés sous un gouvernement, n'ont point la liberté d'en instituer un nouveau : chacun, disent-ils, nait sujet de son père ou de son prince, et par conséquent chacun est dans une perpétuelle obligation de sujétion ou de fidélité. Ce raisonnement est plus spécieux que solide. Jamais les hommes n'ont regardé aucune sujétion naturelle dans laquelle ils soient nés, à l'égard de leur père ou de leur prince, comme un lien qui les oblige sans leur propre consentement à se soumettre à eux. L'histoire sacrée et profane nous fournissent de fréquents exemples d'une multitude de gens qui se sont retirés de l'obéissance et de la juridiction sous laquelle ils étaient nés, de la famille et de la communauté dans laquelle ils avaient été nourris, pour établir ailleurs de nouvelles sociétés et de nouveaux gouvernements.

Ce sont ces émigrations, également libres et légitimes, qui ont produit un si grand nombre de petites sociétés, lesquelles se répandirent en différents pays, se multiplièrent, et y séjournèrent autant qu'elles trouvèrent de quoi subsister, ou jusqu'à ce que les plus forts engloutissant les plus faibles, établirent de leurs débris de grands empires, qui à leur tour ont été brisés et dissous en diverses petites dominations : au lieu de quantité de royaumes, il ne se serait trouvé qu'une seule monarchie dans les premiers siècles, s'il était vrai que les hommes n'aient pas eu la liberté naturelle de se séparer de leurs familles et de leur gouvernement, quel qu'il ait été, pour en ériger d'autres à leur fantaisie.

Il est clair par la pratique des gouvernements eux-mêmes, aussi-bien que par les lois de la droite raison, qu'un enfant ne nait sujet d'aucun pays ni d'aucun gouvernement ; il demeure sous la tutele et l'autorité de son père, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à l'âge de raison. A cet âge de raison, il est homme libre, il est maître de choisir le gouvernement sous lequel il trouve bon de vivre, et de s'unir au corps politique qui lui plait davantage ; rien n'est capable de le soumettre à la sujétion d'aucun pouvoir sur la terre, que son seul consentement. Le consentement qui le soumet à quelque gouvernement, est exprès ou tacite. Le consentement exprès le rend sans contredit membre de la société qu'il adopte ; le consentement tacite le lie aux lois du gouvernement dans lequel il jouit de quelque possession : mais si son obligation commence avec ses possessions, elle finit aussi avec leur jouissance. Alors des propriétaires de cette nature sont maîtres de s'incorporer à une autre communauté, et d'en ériger une nouvelle, in vacuis locis, comme on dit en termes de Droit, dans un désert, ou dans quelque endroit du monde, qui soit sans possesseurs et sans habitations.

Cependant, quoique les hommes soient libres de quitter un gouvernement, pour se soumettre à un autre, il n'en faut pas conclure que le gouvernement auquel ils préfèrent de se soumettre, soit plus légitime que celui qu'ils ont quitté ; les gouvernements de quelque espèce qu'ils soient, qui ont pour fondement un acquiescement libre des peuples, ou exprès, ou justifié par une longue et paisible possession, sont également légitimes, aussi longtemps du-moins que par l'intention du souverain, ils tendent au bonheur des peuples : rien ne peut dégrader un gouvernement qu'une violence ouverte et actuelle, soit dans son établissement, soit dans son exercice, je veux dire l'usurpation et la tyrannie. Voyez USURPATION et TYRANNIE.

Mais la question qui partage le plus les esprits, est de déterminer quelle est la meilleure forme de gouvernement. Depuis le conseil tenu à ce sujet par les sept grands de Perse jusqu'à nos jours, on a jugé diversement cette grande question, discutée jadis dans Hérodote, et on l'a presque toujours décidée par un goût d'habitude ou d'inclination, plutôt que par un goût éclairé et réfléchi.

Il est certain que chaque forme de gouvernement a ses avantages et ses inconvéniens, qui en sont inséparables. Il n'est point de gouvernement parfait sur la terre ; et quelque parfait qu'il paraisse dans la spéculation, dans la pratique et entre les mains des hommes il sera toujours accompagné d'instabilité, de révolutions et de vicissitudes : enfin le meilleur se détruira, tant que ce seront des hommes qui gouverneront des hommes.

On pourrait cependant répondre en général à la question proposée, que c'est dans un tempérament propre à réprimer la licence, sans dégénérer en oppression, qu'il faut prendre l'idée de la meilleure forme de gouvernement. Tel sera celui qui fuyant les extrémités, pourra pourvoir au bon ordre, aux besoins du dedans et du dehors, en laissant au peuple des sûretés suffisantes qu'on ne s'écartera pas de cette fin.

Le législateur de Lacédémone voyant que les trois sortes de gouvernements simples avaient chacun de grands inconvénients ; que la monarchie dégénérait aisément en pouvoir arbitraire, l'aristocratie en un gouvernement injuste de quelque particulier, et la démocratie en une domination aveugle et sans règles ; Lycurgue, dis-je, crut devoir faire entrer ces trois sortes de gouvernements dans celui de sa patrie, et les fondre, pour ainsi dire, en un seul, en sorte qu'ils se servissent l'un à l'autre de balance et de contre-poids. Ce sage mortel ne se trompa pas, du-moins nulle république n'a conservé si longtemps ses lais, ses usages et sa liberté, que celle de Lacédémone.

Il y a dans l'Europe un état extrêmement florissant, où les trois pouvoirs sont encore mieux fondus que dans la république des Spartiates. La liberté politique est l'objet direct de la constitution de cet état, qui, selon toute apparence, ne peut périr par les désordres du dedans, que lorsque la puissance législative sera plus corrompue que l'exécutrice. Personne n'a mieux développé le beau système du gouvernement de l'état dont je parle, que l'auteur de l'esprit des lais.

Au reste il est très-nécessaire d'observer que tout gouvernement ne convient pas également à tous les peuples ; leur forme doit dépendre infiniment du local, du climat, ainsi que de l'esprit, du génie, du caractère de la nation, et de son étendue.

Quelque forme que l'on préfère, il y a toujours une première fin dans tout gouvernement, qui doit être prise du bien général de la nation ; et sur ce principe le meilleur des gouvernements est celui qui fait le plus grand nombre d'heureux. Quelle que soit la forme du gouvernement politique, le devoir de quiconque en est chargé, de quelque manière que ce sait, est de travailler à rendre heureux les sujets, en leur procurant d'un côté les commodités de la vie, la sûreté et la tranquillité ; et de l'autre tous les moyens qui peuvent contribuer à leurs vertus. La loi souveraine de tout bon gouvernement est le bien public, salus populi, suprema lex esto : aussi dans le partage où l'on est sur les formes du gouvernement, on convient de cette dernière vérité d'une voix unanime.

Il est sans-doute important de rechercher, en partant d'après ce principe, quel serait dans le monde le plus parfait gouvernement qu'on put établir, quoique d'autres servent aux fins de la société pour laquelle ils ont été formés ; et quoiqu'il ne soit pas aussi facîle de fonder un nouveau gouvernement, que de bâtir un vaisseau sur une nouvelle théorie, le sujet n'en est pas moins un des plus dignes de notre curiosité. Dans le cas même où la question sur la meilleure forme de gouvernement serait décidée par le consentement universel des politiques, qui sait si dans quelques siècles il ne pourrait pas se trouver une occasion de réduire la théorie en pratique, soit par la dissolution d'un ancien gouvernement, soit par d'autres événements qui demanderaient qu'on établit quelque part un nouveau gouvernement ? Dans tous les cas il nous doit être avantageux de connaître ce qu'il y a de plus parfait dans l'espèce, afin de nous mettre en état de rapprocher autant qu'il est possible toutes constitutions de gouvernement de ce point de perfection, par de nouvelles lais, par des altérations imperceptibles dans celles qui règnent, et par des innovations avantageuses au bien de la société. La succession des siècles a servi à perfectionner plusieurs arts et plusieurs sciences ; pourquoi ne servirait-elle pas à perfectionner les différentes sortes de gouvernements, et à leur donner la meilleure forme ?

Déjà par des principes éclairés et des expériences connues, on éviterait dans une nouvelle constitution ou dans une réforme de gouvernement, tous les défauts palpables qui s'opposent ou qui ne manqueraient pas de s'opposer à son accroissement, à sa force et à sa prospérité.

Ce serait des défauts dans un gouvernement, si les lois et les coutumes d'un état n'étaient pas conformes au naturel du peuple, ou aux qualités et à la situation du pays. Par exemple, si les lois tendaient à tourner du côté des armes un peuple propre aux arts de la paix ; ou si ces mêmes lois négligeaient d'encourager, d'honorer le commerce et les manufactures, dans un pays situé favorablement pour en retirer un grand profit. Ce serait des défauts dans un gouvernement, si la constitution des lois fondamentales n'était avantageuse qu'aux grands ; si elle tendait à rendre l'expédition des affaires également lente et difficile. Telles sont les lois à réformer en Pologne, où, d'un côté, celui qui a tué un paysan, en est quitte pour une amende ; et où d'un autre côté, l'opposition d'un seul des membres de l'assemblée rompt la diete, qui d'ailleurs est bornée à un temps trop court pour l'expédition des affaires. Enfin (car je n'ai pas le dessein de faire la satyre des états) partout où se trouveraient des règlements et des usages contraires aux maximes capitales de la bonne politique, ce serait des défauts considérables dans un gouvernement ; et si par malheur on pouvait colorer ces défauts du prétexte spécieux de la religion, les effets en seraient beaucoup plus funestes.

Ce n'est pas assez que d'abroger les lois qui sont des défauts dans un état, il faut que le bien du peuple soit la grande fin du gouvernement. Les gouverneurs sont nommés pour la remplir ; et la constitution civîle qui les revêt de ce pouvoir, y est engagée par les lois de la nature, et par la loi de la raison, qui a déterminé cette fin dans toute forme de gouvernement, comme le mobîle de son bonheur. Le plus grand bien du peuple, c'est sa liberté. La liberté est au corps de l'état, ce que la santé est à chaque individu ; sans la santé, l'homme ne peut goûter de plaisir ; sans la liberté, le bonheur est banni des états. Un gouverneur patriote verra donc que le droit de défendre et de maintenir la liberté, est le plus sacré de ses devoirs.

Ensuite le soin principal dont il doit s'occuper, est de travailler à prévenir toutes les tristes causes de la dissolution des gouvernements ; et cette dissolution peut se faire par les désordres du dedans, et par la violence du dehors.

1°. Cette dissolution du gouvernement peut arriver, lorsque la puissance législative est altérée. La puissance législative est l'âme du corps politique ; c'est de-là que les membres de l'état tirent tout ce qui leur est nécessaire pour leur conservation, pour leur union, et pour leur bonheur. Si donc le pouvoir législatif est ruiné, la dissolution et la mort de tout le corps politique s'ensuivent.

2°. Un gouvernement peut se dissoudre, lorsque celui qui a la puissance suprême et exécutrice abandonne son emploi, de manière que les lois déjà faites ne puissent être mises en exécution. Ces lois ne sont pas établies pour elles-mêmes ; elles n'ont été données que pour être les liens de la société, qui continssent chaque membre dans sa fonction. Si les lois cessent, le gouvernement cesse en même temps, et le peuple devient une multitude confuse, sans ordre et sans frein ; quand la justice n'est plus administrée, et que par conséquent les droits de chacun ne sont plus en sûreté, il ne reste plus de gouvernement. Dès que les lois n'ont plus d'exécution, c'est la même chose que s'il n'y en avait point ; un gouvernement sans lais, est un mystère dans la politique, inconcevable à l'esprit de l'homme, et incompatible avec la société humaine.

3°. Les gouvernements peuvent se dissoudre quand la puissance législative ou exécutrice agissent par la force, au-delà de l'autorité qui leur a été commise, et d'une manière opposée à la confiance qu'on a prise en elles : c'est ce qui arrive, par exemple, lorsque ceux qui sont revêtus de ces pouvoirs, envahissent les biens des citoyens, et se rendent arbitres absolus des choses qui appartiennent en propre à la communauté, je veux dire de la vie, de la liberté, et des richesses du peuple. La raison pour laquelle on entre dans une société politique, c'est afin de conserver ses biens propres ; et la fin pour laquelle on revêt certaines personnes de l'autorité législative et de la puissance exécutrice, c'est pour avoir une puissance et des lois qui protegent et conservent ce qui appartient en propre à toute la société.

S'il arrive que ceux qui tiennent les renes du gouvernement trouvent de la résistance, lorsqu'ils se servent de leur pouvoir pour la destruction, et non pour la conservation des choses qui appartiennent en propre au peuple, ils doivent s'en prendre à eux-mêmes, parce que le bien public et l'avantage de la société sont la fin de l'institution d'un gouvernement. D'où résulte nécessairement que le pouvoir ne peut être arbitraire, et qu'il doit être exercé suivant des lois établies, afin que le peuple puisse connaître son devoir, et se trouver en sûreté à l'ombre des lois ; et afin qu'en même temps les gouverneurs soient retenus dans de justes bornes, et ne soient point tentés d'employer le pouvoir qu'ils ont en main, pour faire des choses nuisibles à la société politique.

4°. Enfin une force étrangère, prévue ou imprévue, peut entièrement dissoudre une société politique ; quand cette société est dissoute par une force étrangère, il est certain que son gouvernement ne saurait subsister davantage. Ainsi l'épée d'un conquérant renverse, confond, détruit toutes choses ; et par elle la societé et le gouvernement sont mis en pièces, parce que ceux qui sont subjugués, sont privés de la protection de ce gouvernement dont ils dépendaient, et qui était destiné à les défendre. Tout le monde conçoit aisément, que lorsque la société est dissoute, le gouvernement ne saurait subsister : il est aussi impossible que le gouvernement subsiste alors, qu'il l'est que la structure d'une maison subsiste, après que les matériaux dont elle avait été construite, ont été séparés les uns des autres par un ouragan, ou ont été confondus pêle-mêle en un monceau, par un tremblement de terre.

Indépendamment de ces malheurs, il faut convenir qu'il n'y a point de stabilité absolue dans l'humanité ; car ce qui existe immuablement, existe nécessairement, et cet attribut de l'Etre suprême ne peut appartenir à l'homme ni à ses ouvrages. Les gouvernements les mieux institués, ainsi que les corps des animaux les mieux constitués, portent en eux le principe de leur destruction. Etablissez avec Lycurgue les meilleures lois ; imaginez avec Sidney les moyens de fonder la plus sage république ; faites avec Alfred qu'une nation nombreuse trouve son bonheur dans une monarchie, tout cela ne durera qu'un certain temps. Les états après s'être accrus et agrandis, tendent ensuite à leur décadence et à leur dissolution : ainsi la seule voie de prolonger la durée d'un gouvernement florissant, est de le ramener à chaque occasion favorable, aux principes sur lesquels il a été fondé. Quand ces occasions se présentent souvent, et qu'on les saisit à-propos, les gouvernements sont plus heureux et plus durables ; lorsque ces occasions arrivent rarement, ou qu'on en profite mal, les corps politiques se dessechent, se fannent, et périssent. Article de M. le Chev(D.J.)

GOUVERNEMENT MILITAIRE, (Art militaire) c'est le commandement souverain et la disposition de tout le pouvoir militaire d'une nation par terre et par mer. Voyez GOUVERNEMENT. (Q)

GOUVERNEMENT, (Marine) c'est la conduite du vaisseau. Le maître et le pilote ne sont pas responsables de la force des courants ni des vents contraires, mais ils le doivent être de la manœuvre et du mauvais gouvernement. (Z)




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