S. m. (Jeu scénique des Romains) on appelait pantomimes, chez les Romains, des acteurs qui, par des mouvements, des signes, des gestes, et sans s'aider de discours, exprimaient des passions, des caractères, et des événements.

Le nom de pantomime, qui signifie imitateur de toutes choses, fut donné à cette espèce de comédiens, qui jouaient toutes sortes de pièces de théâtre sans rien prononcer ; mais en imitant et expliquant toutes sortes de sujets avec leurs gestes, soit naturels, soit d'institution. On peut bien croire que les pantomimes se servaient des uns et des autres, et qu'ils n'avaient pas encore trop de moyens pour se faire entendre. En effet, plusieurs gestes d'institution étant de signification arbitraire, il fallait être habitué au théâtre pour ne rien perdre de ce qu'ils voulaient dire. Ceux qui n'étaient pas initiés aux mystères de ces spectacles, avaient besoin d'un maître qui leur en donnât l'explication ; l'usage apprenait aux autres à deviner insensiblement ce langage muet. Les pantomimes vinrent à bout de donner à entendre par le geste, non-seulement les mots pris dans le sens propre, mais même les mots pris dans le sens figuré ; leur jeu muet rendait des poèmes en entier, à la différence des mimes qui n'étaient que des bouffons inconséquents.

Je n'entreprendrai point de fixer l'origine des pantomimes ; Zozime, Suidas, et plusieurs autres la rapportent au temps d'Auguste, peut-être par la raison que les deux plus fameux pantomimes, Pylade et Bathylle, parurent sous le règne de ce prince, qui aimait passionnément ce genre de spectacle. Je n'ignore pas que les danses des Grecs avaient des mouvements expressifs ; mais les Romains furent les premiers qui rendirent par de seuls gestes, le sens d'une fable régulière d'une certaine étendue. Le mime ne s'était jamais fait accompagner que d'une flute ; Pylade y ajouta plusieurs instruments, même des voix et des chants, et rendit ainsi les fables régulières. Au bruit d'un chœur composé de musique vocale et instrumentale, il exprimait avec vérité le sens de toutes sortes de poèmes. Il excellait dans la danse tragique, s'occupait même de la comique et de la satyrique, et se distingua dans tous les genres. Bathylle son élève et son rival, n'eut sur Pylade que la prééminence dans les danses comiques.

L'émulation était si grande entre ces deux acteurs, qu'Auguste à qui elle donnait quelquefois de l'embarras, crut qu'il devait en parler à Pylade, et l'exhorter à bien vivre avec son concurrent que Mécénas protégeait : Pylade se contenta de lui répondre, " que ce qui pouvait arriver de mieux à l'empereur, c'était que le peuple s'occupât de Bathylle et de Pylade ". On croit bien qu'Auguste ne trouva point à propos de repliquer à cette réponse. En effet, tel était alors le goût des plaisirs, que lui seul pouvait faire perdre aux Romains cette idée de liberté si chère à leurs ancêtres.

Il fallait que ce peuple se fût mis en tête que l'opération qu'on ferait à leurs pantomimes pour les rendre eunuques, leur conserverait dans tout le corps une souplesse que des hommes ne peuvent point avoir. Cette idée, ou si l'on veut le caprice, faisait exercer sur les enfants qu'on destinait à ce métier, la même cruauté qu'on exerce dans quelques pays sur les enfants dont on ne veut point que la voix mue.

Lucien observe que rien n'était plus difficîle que de trouver un bon sujet pour en former un pantomime. Après avoir parlé de la taille, de la souplesse, de la légèreté, et de l'oreille qu'il doit avoir, il ajoute, qu'il n'est pas plus difficîle de trouver un visage à-la-fais doux et majestueux. Il veut ensuite qu'on enseigne à cet acteur la musique, l'histoire, et je ne sais combien d'autres choses capables de faire mériter le nom d'homme de lettres à celui qui les aurait apprises.

Nous avons nommé pour les deux premiers instituteurs de l'art des pantomimes Pylade et Bathylle sous l'empire d'Auguste ; ils ont rendu leurs noms aussi célèbres dans l'histoire romaine, que le peut être dans l'histoire moderne le nom du fondateur de quelque établissement que ce sait. Pylade, ai-je dit, excellait dans les sujets tragiques, et Bathylle dans les sujets comiques. Ce qui paraitra surprenant, c'est que ces comédiens qui entreprenaient de représenter des pièces sans parler, ne pouvaient pas s'aider du mouvement du visage dans leur déclamation, ils jouaient masqués, ainsi que les autres comédiens ; la seule différence était, que leurs masques n'avaient pas une bouche béante, comme les masques des comédiens ordinaires, et qu'ils étaient beaucoup plus agréables. Macrobe raconte que Pylade se fâcha un jour qu'il jouait le rôle d'Hercule furieux, de ce que les spectateurs trouvaient à redire à son geste trop outré, suivant leurs sentiments. Il leur cria donc, après avoir ôté son masque : " foux que vous êtes, je représente un plus grand fou que vous ".

Après la mort d'Auguste, l'art des pantomimes reçut de nouvelles perfections. Sous l'empereur Néron il y en eut un qui dansa sans musique instrumentale ni vocale, les amours de Mars et de Vénus. D'abord un seul pantomime représentait plusieurs personnages dans une même pièce ; mais on vit bien-tôt des troupes complete s, qui exécutaient également toutes sortes de sujets tragiques et comiques.

Ce fut peut-être du temps de Lucien que se formèrent ces troupes complete s de pantomimes, et qu'ils commencèrent à jouer des pièces suivies. Apulée nous rend un compte exact de la représentation du jugement de Paris faite par une troupe de ces pantomimes. Comme ils n'avaient que des gestes à faire, on conçoit aisément que toutes leurs actions étaient vives et animées ; aussi Cassiodore les appelle des hommes dont les mains disertes avaient pour ainsi dire une langue au bout de chaque doigt ; des hommes qui parlaient en gardant le silence, et qui savaient faire un récit entier sans ouvrir la bouche ; enfin des hommes que Polymnie, muse qui présidait à la musique, avait formés afin de montrer qu'il n'était pas besoin d'articuler des mots pour faire entendre sa pensée.

Ces sortes de comédiens faisaient des impressions prodigieuses sur les spectateurs. Séneque le père, qui exerçait une profession des plus graves, confesse que son goût pour les représentations des pantomimes, était une véritable passion. Lucien qui se déclare aussi zélé partisan de l'art des pantomimes, dit qu'on pleurait à leur représentation comme à celle des autres comédiens. Saint Augustin et Tertullien font aussi l'éloge de leurs talents.

Cet art aurait eu sans doute beaucoup plus de peine à réussir parmi les nations septentrionales de l'Europe, que chez des Romains, dont la vivacité est si fertîle en gestes, qui signifient presque autant que des phrases entières. Nous ne sommes peut-être pas capables de décider sur le mérite de gens que nous n'avons pas Ve représenter, mais nous ne pouvons pas révoquer en doute le témoignage de tant d'auteurs de l'antiquité, qui parlent de l'excellence et du succès de leur art.

Cependant on a Ve en Angleterre, et sur le théâtre de l'opéra comique à Paris, quelques-uns de ces comédiens jouer des scènes muettes que tout le monde entendait. Je sai bien que Roger et ses confrères, ne doivent pas entrer en comparaison avec les pantomimes de Rome ; mais le théâtre de Londres ne possede-t-il pas à présent un pantomime qu'on pourrait opposer à Pylade et à Bathylle ? le fameux Garrick est un acteur d'autant plus merveilleux, qu'il exécute également toutes sortes de sujets tragiques et comiques. Nous savons aussi que les Chinois ont des espèces de pantomimes qui jouent chez eux sans parler ; les danses des Persans ne sont-elles pas des pantomimes ?

Enfin il est certain que leur art charma les Romains dans sa naissance, qu'il passa bien-tôt dans les provinces de l'empire les plus éloignées de la capitale, et qu'il subsista aussi longtemps que l'empire même. L'histoire des empereurs romains fait plus souvent mention des pantomimes fameux que des orateurs célèbres. Auguste se plaisait extrêmement à leurs pièces, et Bathylle enchantait Mécénas. Les Romains épris de tous les spectacles du théâtre, préféraient celui-ci aux représentations des autres comédiens. Dès les premières années du règne de Tibere, le sénat fut obligé de faire un règlement pour défendre aux sénateurs de fréquenter les écoles des pantomimes, et aux chevaliers romains de leur faire cortège en public : ne domos pantomimorum senator introïret, ne egredientes in publicum equittes romani cingèrent. Tacit. Annal. l. I. Ce decret prouve assez que les professions chéries dans les pays de luxe sont bien-tôt honorées, et que le préjugé ne tient pas contre le plaisir.

L'extrême passion que le peuple et les personnes du plus haut rang avaient pour ce spectacle, donna lieu de tramer des cabales pour faire applaudir les uns plutôt que les autres, et ces cabales devinrent des factions. Il arriva que les pantomimes prirent des livrées différentes, à l'imitation de ceux qui conduisaient les chariots dans les courses du cirque. Les uns s'appelèrent les bleus, et les autres les verts, etc. Le peuple se partagea donc aussi de son côté, et toutes les factions du cirque, dont il est parlé si souvent dans l'histoire romaine, épousèrent des troupes de pantomimes.

Ces factions dégénéraient quelquefois en partis aussi échauffés les uns contre les autres, que les Guelfes et les Gibelins peuvent l'avoir été sous les empereurs d'Allemagne. Il fallait avoir recours à un expédient triste pour le gouvernement, qui ne cherchait que les moyens d'amuser le peuple, en lui fournissant du pain, et en lui donnant des spectacles ; mais cet expédient devenu nécessaire, était de faire sortir de Rome tous les pantomimes.

Cependant les écoles de Pylade et de Bathylle subsistèrent toujours, conduites par leurs élèves, dont la succession ne fut point interrompue. Rome était pleine de professeurs qui enseignaient cet art à une foule de disciples, et qui trouvaient des théâtres dans toutes les maisons. Non-seulement les femmes les recherchaient pour leurs jeux, mais encore par des motifs d'une passion effrénée : illis foeminae, simulque viri, animas et corpora substituunt, dit Tertullien. La plupart des passages des Poètes sont tels sur ce sujet, qu'on n'ose même les citer en latin. Galien ayant été appelé pour voir une femme de condition attaquée d'une maladie extraordinaire, il découvrit par les altérations qui survinrent dans la malade, quand on parla d'un certain pantomime devant elle, que son mal venait uniquement de la passion qu'elle avait conçue pour lui.

Il est vrai que les pantomimes furent chassés de Rome sous Tibere, sous Néron, et sous quelques-autres empereurs, mais leur exil ne durait pas longtemps : la politique qui les avait chassés, les rappelait bien-tôt pour plaire au peuple, ou pour faire diversion à des factions plus à craindre pour l'empire. Domitien, par exemple, les ayant chassés, Néron les fit revenir, et Trajan les chassa encore. Il arrivait même que le peuple, fatigué de ses propres désordres, demandait l'expulsion des pantomimes ; mais il demandait bien-tôt leur rappel avec plus d'ardeur.

Ce qui acheve de prouver à quel point leur nombre s'augmenta, et combien les Romains les croyaient nécessaires, est ce qu'on lit dans Ammien Marcellin, l'an cxc. Rome étant menacée de la famine, on prit la précaution d'en faire sortir tous les étrangers, ceux-mêmes qui professaient les arts libéraux ; mais on laissa tranquilles les gens de théâtre, et il resta dans la ville trois mille danseuses, et autant d'hommes qui jouaient dans les chœurs, sans compter les comédiens : les Historiens assurent que ce nombre prodigieux augmenta encore dans la suite.

Il est aisé de juger que l'ardeur des Romains pour les jeux des pantomimes dut leur faire négliger la bonne comédie. En effet, on vit depuis le vrai genre dramatique décheoir insensiblement, et bien-tôt il fut presque absolument oublié. Cette nation guerrière qui s'était vouée au dieu Mars, et qui avait méprisé les arts et les sciences, perdit avec la liberté toute son ancienne vertu. Les Romains ayant longtemps méconnu ce qu'il y avait de plus naturel et de plus agréable dans les occupations de l'âme, n'en acquirent que de plus grandes dispositions à passer à des excès opposés. Aussi ne doit-on pas s'étonner, si sentant trop tard la nécessité des beaux-arts, les erreurs de leur esprit s'opposèrent souvent à la distinction exacte qu'ils auraient dû faire des expressions les plus essentielles, les plus vraies, et les plus heureuses, d'avec celles qui ne pourraient avoir le même avantage. Cette ignorance de la délicatesse du sentiment, fit sans doute la réputation des pantomimes.

On négligea les expressions de l'organe de la voix, pour ne s'appliquer qu'à celles que pouvaient rendre les mouvements et les gestes du corps. Ces expressions qui ne pouvaient admettre toutes les nuances de celles des sons, et avec lesquelles on n'eut jamais inventé les sciences spéculatives, firent sous les empereurs une partie de l'éducation de la jeunesse romaine. Les maîtres de cet art frivole recevaient, comme je l'ai dit, des attentions très-marquées du peuple, des chevaliers, des sénateurs et des dames romaines. Les personnes les plus respectables leur rendaient des visites de devoir, et les accompagnaient par-tout. Si cette bonne fortune eut des intervalles de disgraces, ils s'en relevaient avec plus d'éclat. L'empereur Antonin s'étant aperçu que les pantomimes étaient cause qu'on négligeait le commerce, l'éloquence, et la philosophie, voulut réduire leurs jeux à des jours marqués ; mais le peuple murmura, et il fallut lui rendre en entier ces amusements, malgré toute l'indécence qui marchait à leur suite. Pline le jeune loue son siècle d'avoir abandonné ce goût efféminé qui avait tant amolli le courage du peuple romain ; mais Pline s'abusa dans ses louanges. Rome était trop riche, trop puissante, et trop plongée dans la mollesse, pour redevenir vertueuse ; l'art des pantomimes, qui s'était introduit si brillamment sous Auguste, et qui fut une des causes de la corruption des mœurs, ne finit qu'avec la destruction de l'empire.

Je me suis bien gardé de tout dire sur cette matière, je n'en ai pris que la fleur ; mais ceux qui seront curieux de plus grands détails, peuvent lire Plutarque, Lucien, les Mémoires de littérature, l'abbé du Bos, et le traité plein d'érudition de Calliacchi, de ludis scenicis, imprimé à Padoue en 1714, in-4(D.J.)