S. f. (Morale) conduite détournée de gens qui cherchent à parvenir, à s'avancer, à obtenir des emplois, des grâces, des honneurs, par la cabale et le manège. C'est la ressource des âmes faibles et vicieuses, comme l'escrime est le métier des lâches.

INTRIGUE, (Belles Lettres) assemblage de plusieurs événements ou circonstances qui se rencontrent dans une affaire, et qui embarrassent ceux qui y sont intéressés.

Ce mot vient du latin intricare, et celui-ci, suivant Nonius, de triae, entrave qui vient du grec , cheveux : quod pullos gallinaceos involvant et impediant capilli. Tripand adopte cette conjecture, et assure que ce mot se dit proprement des poulets qui ont les pieds empêtrés parmi des cheveux, et qu'il vient du grec , cheveux.

Intrigue, dans ce sens, est le nœud ou la conduite d'une pièce dramatique, ou d'un roman, c'est-à-dire, le plus haut point d'embarras où se trouvent les principaux personnages, par l'artifice ou la fourbe de certaines personnes, et par la rencontre de plusieurs événements fortuits qu'ils ne peuvent débrouiller. Voyez NOEUD.

Il y a toujours deux desseins dans la tragédie, la comédie ou le poème épique. Le premier et le principal est celui du héros ; le second comprend tous les desseins de ceux qui s'opposent à ses prétentions. Ces causes opposées produisent aussi des effets opposés, savoir, les efforts du héros pour l'exécution de son dessein, et les efforts de ceux qui lui sont contraires.

Comme ces causes et ces desseins sont le commencement de l'action, de même ces efforts contraires en sont le milieu, et forment une difficulté et un nœud qui fait la plus grande partie du poème ; elle dure autant de temps que l'esprit du lecteur est suspendu sur l'événement de ces efforts contraires. La solution ou dénouement commence, lorsque l'on commence à voir cette difficulté levée et les doutes éclaircis. Voyez ACTION, FABLE, etc.

Homère et Virgile ont divisé en deux chacun de leurs trois poèmes, et ils ont mis un nœud et un dénouement particulier en chaque partie.

La première partie de l'iliade est la colere d'Achille, qui veut se vanger d'Agamemnon par le moyen d'Hector et des Troiens. Le nœud comprend le combat de trois jours qui se donne en l'absence d'Achille, et consiste d'une part dans la resistance d'Agamemnon et des Grecs ; et de l'autre, dans l'humeur vindicative et inexorable d'Achille, qui ne lui permet pas de se reconcilier. Les pertes des Grecs et le désespoir d'Agamemnon disposent au dénouement, par la satisfaction qui en revient au héros irrité. La mort de Patrocle, jointe aux offres d'Agamemnon, qui seules avaient été sans effet, lèvent cette difficulté, et font le dénouement de la première partie. Cette même mort est aussi le commencement de la seconde partie, puisqu'elle fait prendre à Achille le dessein de se vanger d'Hector ; mais ce héros s'oppose à ce dessein, et cela forme la seconde intrigue, qui comprend le combat du dernier jour.

Virgile a fait dans son poème le même partage qu'Homère. La première partie est le voyage et l'arrivée d'Enée en Italie ; la seconde est son établissement. L'opposition qu'il essuie de la part de Junon dans ces deux entreprises, est le nœud général de l'action entière.

Quant au choix du nœud et à la manière d'en faire le dénouement, il est certain qu'ils doivent naître naturellement du fond et du sujet du poème. Le P. le Bossu donne trois manières de former le nœud d'un poème ; la première est celle dont nous venons de parler ; la seconde est prise de la fable et du dessein du poète ; la troisième consiste à former le nœud, de telle sorte que le dénouement en soit une suite naturelle. Voyez CATASTROPHE et DENOUEMENT.

Dans le poème dramatique, l'intrigue consiste à jeter les spectateurs dans l'incertitude sur le sort qu'auront les principaux personnages introduits dans la scène ; mais pour cela elle doit être naturelle, vraisemblable et prise, autant qu'il se peut, dans le fond même du sujet. 1°. Elle doit être naturelle et vraisemblable ; car une intrigue forcée ou trop compliquée, au lieu de produire dans l'esprit ce trouble qu'exige l'action théâtrale, n'y porte au contraire que la confusion et l'obscurité, et c'est ce qui arrive immanquablement, lorsque le poète multiplie trop les incidents ; car ce n'est pas tant le surprenant et le merveilleux qu'on doit chercher en ces occasions, que le vraisemblable ; or rien n'est plus éloigné de la vraisemblance que d'accumuler dans une action, dont la durée n'est tout au plus supposée que de 24 heures, une foule d'actions qui pourraient à peine se passer en une semaine, ou en un mois. Dans la chaleur de la représentation ces surprises multipliées plaisent pour un moment, mais à la discussion on sent qu'elles accablent l'esprit, et qu'au fond le poète ne les a imaginées que faute de trouver dans son génie les ressources propres à soutenir l'action de sa pièce par le fond même de sa fable. De-là tant de reconnaissances, de déguisements, de suppositions d'état dans les tragédies de quelques modernes dont on ne suit les pièces qu'avec une extrême contention d'esprit ; le poète dramatique doit à la vérité conduire son spectateur à la pitié par la terreur, et réciproquement à la terreur par la pitié. Il est encore également vrai que c'est par les larmes, par l'incertitude, par l'espérance, par la crainte, par les surprises et par l'horreur, qu'il doit le mener jusqu'à la catastrophe ; mais tout cela n'exige pas une intrigue pénible et compliquée. Corneille et Racine, par exemple, prodiguent-ils à tout propos les incidents, les reconnaissances et les autres machines de cette nature, pour former leur intrigue ? L'action de Phèdre marche sans interruption, et roule sur le même intérêt, mais infiniment simple, jusqu'au troisième acte où l'on apprend le retour de Thesée. La présence de ce prince, et la prière qu'il fait à Neptune, forment tout le nœud, et tiennent les esprits en suspens. Il n'en faut pas davantage pour exciter l'horreur pour Phèdre, la crainte pour Hyppolite, et ce trouble inquiétant dont tous les cœurs sont agités dans l'impatience de découvrir ce qui doit arriver. Dans Athalie, le secret du grand-prêtre sur le dessein qu'il a formé de proclamer Joas roi de Juda, l'empressement d'Athalie à demander qu'on lui livre cet enfant inconnu, conduisent et arrêtent comme par degré l'action principale, sans qu'il soit besoin de recourir à l'extraordinaire et au merveilleux. On verra de même dans Cinna, dans Rodogune, et dans toutes les meilleures pièces de Corneille, que l'intrigue est aussi simple dans son principe, que féconde dans ses suites. 2°. Elle doit naître du fond du sujet autant qu'il se peut ; car lorsque la fable ou le morceau d'histoire que l'on traite, fournit naturellement les incidents et les obstacles qui doivent contraster avec l'action principale, qu'est-il besoin de recourir à des épisodes qui ne font que la compliquer, ou partager et refroidir l'intérêt ? Princip. pour la lect. des Poètes. tom. II.