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Catégorie : Politique
S. m. (Politique d'Athènes) loi par laquelle le peuple athénien condamnait sans flétrissure ni déshonneur, à dix ans d'exil, les citoyens dont il craignait la trop grande puissance, et qu'il soupçonnait de vouloir aspirer à la tyrannie.

Cette loi fut appelée ostracisme, du mot grec , qui signifie proprement une écaille, ou une coquille ; mais qui dans cette occasion, est pris pour le bulletin, s'il m'est permis de me servir de ce terme, sur lequel les Athéniens écrivaient le nom du citoyen qu'ils voulaient bannir. Peut-être que désignait un morceau de terre cuite faite en forme d'écaille ou de coquille, du-moins les Latins ont traduit le mot grec par testula.

Le ban de l'ostracisme n'avait d'usage que dans les occasions où la liberté était en danger ; s'il arrivait par exemple, que la jalousie ou l'ambition mit la discorde parmi les chefs de la république, et qu'il se formât différents partis qui fissent craindre quelque révolution dans l'état, le peuple alors s'assemblait, et délibérait sur les moyens qu'il y avait à prendre pour prévenir les suites d'une division qui pouvait devenir funeste à la liberté. L'ostracisme était le remède ordinaire auquel on avait recours dans ces sortes d'occasions ; les délibérations du peuple se terminaient le plus souvent par un decret, qui indiquait à certain jour, une assemblée particulière pour procéder au ban de l'ostracisme. Alors ceux qui étaient ménacés du bannissement, ne négligeaient rien de ce qui pouvait leur concilier la faveur du peuple, et le persuader de l'injustice qu'il y aurait à les bannir.

Quelque temps avant l'assemblée, on formait au milieu de la place publique, un enclos de planches dans lequel on pratiquait dix portes, c'est-à-dire autant de portes qu'il y avait de tribus dans la république ; et lorsque le jour marqué était venu, les citoyens de chaque tribu entraient par leur porte particulière, et jetaient au milieu de cet enclos, la petite coquille de terre sur laquelle était écrit le nom du citoyen qu'ils voulaient bannir. Les archontes et le sénat présidaient à cette assemblée, et comptaient les bulletins. Celui qui était condamné par six mille de ses concitoyens, était obligé de sortir de la ville dans l'espace de dix jours ; car il fallait au-moins six mille voix contre un athénien pour qu'il fût banni par l'ostracisme.

Quoique nous n'ayons point de lumières sur l'époque précise de l'institution de l'ostracisme, il est vraisemblable qu'il s'établit après la tyrannie des Pisistratides, temps où le peuple athénien ayant eu le bonheur de secouer le joug de la tyrannie, commençait à goûter les douceurs de la liberté. Extrêmement jaloux de cette liberté, c'est alors sans doute qu'il dut redoubler son attention pour prévenir et éloigner tout ce qui pourrait y donner la moindre atteinte. Quoique Pisistrate eut gouverné la république avec beaucoup de douceur et d'équité, cependant la seule idée d'un maître causait une telle horreur à ce peuple, qu'il crut ne pouvoir prendre d'assez fortes précautions, pour ne plus retomber sous un joug qui lui paraissait insupportable. Attaché par goût à la démocratie, il jugea que l'unique moyen d'affermir et de conserver cette espèce de gouvernement, était de maintenir tous les citoyens dans une parfaite égalité ; et c'est sur cette égalité qu'il fondait le bonheur de l'état.

Ce fut sur de tels motifs que les Athéniens établirent l'ostracisme, au rapport d'Androtion cité par Harpocration : " Hipparchus, dit-il, était parent du tyran Pisistrate, et il fut le premier que l'on condamna au ban de l'ostracisme ; cette loi venait d'être établie, à cause du soupçon et de la crainte qu'on avait, qu'il ne se trouvât des gens qui voulussent imiter Pisistrate, qui ayant été à la tête des affaires de la république, et général d'armée, s'était fait tyran de la patrie ".

Les Athéniens prévirent sans doute les inconvénients de cette loi ; mais ils aimèrent mieux, comme l'a remarqué Cornélius Népos, s'exposer à punir des innocens, que de vivre dans des alarmes continuelles ; cependant, comme ils sentirent que l'injustice aurait été trop criante, s'ils avaient condamné le mérite aux mêmes peines dont on avait coutume de punir le crime, ils adoucirent autant qu'ils purent, la rigueur de l'ostracisme ; ils en retranchèrent ce que le bannissement ordinaire avait d'odieux et de déshonorant par lui-même. On ne confisquait pas les biens de ceux qui étaient mis au ban de l'ostracisme ; ils en jouissaient dans le lieu où ils étaient rélégués ; on ne les éloignait que pour un temps limité, au-lieu que le bannissement ordinaire était toujours suivi de la confiscation des biens des exilés, et qu'on leur ôtait toute espérance de retour.

Malgré les adoucissements que les Athéniens apportèrent à la rigueur de leur loi, il est aisé de voir, que si d'un côté elle était favorable à la liberté, de l'autre elle était odieuse, en ce qu'elle condamnait des citoyens sans entendre leur défense, et qu'elle abandonnait le sort des grands hommes à la délation artificieuse, et au caprice d'un peuple inconstant et capricieux. Il est vrai que cette loi aurait été avantageuse à l'état, si le même peuple qui l'avait établie, eut toujours eu assez de discernement et d'équité, pour n'en faire usage que dans les occasions où la liberté aurait été réellement en danger ; mais l'histoire de la république d'Athènes ne justifia que par trop d'exemples, l'abus que le peuple fit de l'ostracisme.

Cet abus ne fut jamais plus marqué que dans le bannissement d'Aristide. On en peut juger par l'aventure qui lui arriva dans l'assemblée du peuple, le jour même de son bannissement. Un citoyen qui ne savait pas écrire, s'adressa à lui comme au premier venu, pour le prier d'écrire le nom d'Aristide. Aristide étonné, lui demanda quel mal cet homme lui avait fait, pour le bannir. Il ne m'a point fait de mal, répondit-il ; je ne le connais même pas, mais je suis las de l'entendre par-tout nommer le juste. Aristide écrivit son nom sans lui répondre.

Ce sage fut banni par les intrigues de Thémistocle, qui débarrassé de ce vertueux rival, demeura maître du gouvernement de la république, avec plus d'autorité qu'auparavant ; mais il ne jouit pas longtemps de l'avantage qu'il avait remporté sur son émule ; il devint à son tour l'objet de l'envie publique ; et malgré ses victoires et les grands services qu'il avait rendus à l'état, il fut condamné au ban de l'ostracisme.

Il est certain que la liberté n'avait pas de plus dangereux écueil à craindre, que la réunion de l'autorité dans la main d'un seul homme ; et c'est cependant ce que produisit l'ostracisme, en augmentant le crédit et la puissance d'un citoyen, par l'éloignement de ses concurrents. Périclès en sut tirer avantage contre Cimon et Thucydide, les deux seuls rivaux de gloire qui restaient à éloigner, pour tenir le timon de l'état.

Sentant qu'il ne pouvait élever sa puissance que sur les débris de celle de Cimon qui était en crédit auprès des grands, il excita l'envie du peuple contre ce rival, et le fit bannir par la loi de l'ostracisme, comme ennemi de la démocratie, et fauteur de Lacédémone. En vain Thucydide forma un puissant parti pour l'opposer à celui de Périclès ; tous ses efforts hâtèrent sa propre ruine. Le peuple tint l'assemblée de l'ostracisme, pour reléguer l'un de ces deux chefs. Thucydide fut banni, et laissa Périclès tyran désarmé, comme un ancien écrivain l'appele, en possession de gouverner la république avec une autorité absolue, qu'il conserva jusqu'à la fin de sa vie. Il trouva le moyen par son habileté de subjuguer ce peuple envieux et jaloux, ennemi plus redoutable à celui qui le gouvernait, que les Perses et les Lacédémoniens.

Il faut pourtant convenir, que ce même peuple très-éclairé sur les inconvénients de l'ostracisme, sentit plus d'une fois le tort que son abus avait fait à la république ; le rappel d'Aristide et de Cimon, avant que le terme des dix ans fût expiré, en est une preuve éclatante. Mais quelques raisons que les Athéniens eussent de rejeter une loi, qui avait causé plusieurs fois un grand préjudice à l'état, ce ne furent pas ces motifs qui les déterminèrent à l'abolir ; ce fut une raison opposée, et qui est vraiement singulière : nous en devons la connaissance à Plutarque.

Il s'était élevé, dit cet auteur, un grand différend entre Alcibiade et Nicias ; leur mésintelligence croissait de jour en jour, et le peuple eut recours à l'ostracisme : il n'était pas douteux que le sort ne dû. tomber sur l'un ou l'autre de ces chefs. On détestait les mœurs dissolues d'Alcibiade, et l'on craignait sa hardiesse ; on enviait à Nicias les grandes richesses qu'il possédait, et on n'aimait point son humeur austère. Les jeunes gens qui désiraient la guerre, voulaient faire tomber le sort de l'ostracisme sur Nicias ; les vieillards qui aimaient la paix, sollicitaient contre Alcibiade. Le peuple étant ainsi partagé, Hyperbolus, homme bas et méprisable, mais ambitieux et entreprenant, crut que cette division était pour lui une occasion favorable de parvenir aux premiers honneurs. Cet homme avait acquis parmi le peuple une espèce d'autorité ; mais il ne la devait qu'à son impudence. Il n'avait pas lieu de croire que l'ostracisme put le regarder ; il sentait bien que la bassesse de son extraction le rendait indigne de cet honneur ; mais il espérait que si Alcibiade ou Nicias était banni, il pourrait devenir le concurrent de celui qui resterait en place. Flatté de cette espérance, il témoignait publiquement la joie qu'il avait de les voir en discorde, et il animait le peuple contr'eux. Les partisans d'Alcibiade et de Nicias ayant remarqué l'insolence et la lâcheté de cet homme, se donnèrent le mot secrètement, se réunirent, et firent en sorte que le sort de l'ostracisme tomba sur Hyperbolus.

Le peuple ne fit d'abord que rire de cet événement ; mais il en eut bien-tôt après tant de honte et de dépit, qu'il abolit la loi de l'ostracisme, la regardant comme déshonorée par la condamnation d'un homme si méprisable. Par l'abolition de cette loi, les Athéniens voulurent marquer le répentir qu'ils avaient d'avoir confondu un vil délateur, et de condition servile, avec les Aristides, les Cimons, et les Thucydides : ce qui a fait dire à Platon le comique, parlant d'Hyperbolus, que ce méchant avait bien mérité d'être puni à cause de ses mauvaises mœurs ; mais que le genre de supplice était trop honorable pour lui, et trop au dessus de sa basse extraction, et que l'ostracisme n'avait point été établi pour les gens de sa sorte.

Finissons par quelques courtes réflexions : je remarque d'abord que l'ostracisme ne fut point particulier à Athènes, mais que toutes les villes où le gouvernement était démocratique, l'adoptèrent ; c'est Aristote qui le dit ; on sait qu'à l'imitation des Athéniens, la ville de Syracuse établit le Pétalisme. Voyez PETALISME.

Le bill appelé d'atteinder en Angleterre, se rapporte beaucoup à l'ostracisme ; il viole la liberté contre un seul, pour la garder à tous. L'ostracisme conservait la liberté ; mais il eut été à souhaiter qu'elle se fût maintenue par quelque autre moyen. Quoiqu'il en sait, si les Athéniens ont mal pourvu au soutien de leur liberté, cela ne peut préjudicier aux droits de toutes les autres nations du monde. Le pis qu'on puisse dire, c'est que par leur loi de l'ostracisme, ils n'ont fait de mal qu'à eux-mêmes, en se privant pour un temps des bénéfices qu'ils pouvaient se promettre des vertus éclatantes des personnes qu'ils condamnaient pour dix ans à cette espèce d'exil. (D.J.)




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