S. f. (Histoire naturelle, Ophiologie) vipera, nom générique que l'on a donné à tous les serpens dont la morsure est dangereuse, et dont il y a un très-grand nombre d'espèces dans les pays chauds ; nous n'en avons qu'une seule dans ce pays-ci, connue sous le nom de vipere. Lorsqu'elle a pris tout son accroissement, elle est ordinairement longue de deux pieds ou un peu plus, et sa grosseur égale ou surpasse celle du pouce d'un homme ; les femelles ont le corps plus gros que les mâles ; la tête est plate et a un rebord qui s'étend autour des extrémités de sa partie supérieure ; la vipere diffère principalement de la couleuvre par ce caractère, car dans la couleuvre la tête n'a point de rebord, et elle est plus pointue et plus étroite, à proportion des autres parties du corps. La tête de la vipere a un pouce de longueur, et 7 à 8 lignes de largeur prise vers le sommet, 4 à 5 lignes à l'endroit des yeux, et deux lignes et demie d'épaisseur ; ordinairement les mâles ont le cou un peu plus gros que les femelles, et communément il est de la grosseur du petit doigt à son origine. La queue a environ quatre travers de doigt de longueur ; sa grosseur à son origine est à-peu-près la même que celle du cou ; ensuite elle diminue insensiblement et se termine en pointe ; la queue des mâles est toujours un peu plus longue et plus grosse que celle des femelles.

La couleur des viperes varie, on en voit de blanchâtres, de jaunâtres, de rougeâtres, de grises, de brunes, etc. et elles ont toutes des taches noires ou noirâtres, plus ou moins foncées et placées avec une sorte de symétrie à-peu-près à égale distance les unes des autres, principalement sur la face supérieure et sur les côtés du corps. La peau est couverte d'écailles, les plus grandes se trouvent sous la face inférieure du corps et servent de pieds à cet animal ; elles ont toujours une couleur d'acier dans toute leur étendue, au lieu que celles des couleuvres sont ordinairement marquées de jaune. Il y a autant de grandes écailles que de vertèbres, depuis le commencement du cou jusqu'à celui de la queue ; et comme chaque vertèbre a une côte de chaque côté, chaque écaille soutient par ses deux bouts les extrémités de ces deux côtés. Les écailles de la queue diminuent de grandeur, à proportion de celle de la queue même. Il y a au bas du ventre une ouverture à laquelle aboutissent l'anus et les parties de la génération, tant des mâles que des femelles ; cette ouverture est fermée par la dernière des grandes écailles qui est en demi cercle et qui s'abaisse dans le temps du coït, lorsque la femelle met ses petits au jour, et toutes les fois que les excréments sortent.

Les viperes changent de peau au printemps, et quelquefois aussi en automne ; au moment où elles quittent cette peau écailleuse, elles se trouvent revêtues d'une autre peau également couverte d'écailles dont les couleurs sont bien plus brillantes ; il s'en forme une nouvelle sous celle-ci pour la remplacer dans la suite, de sorte que la vipere a en tout temps une double peau.

La vipere diffère de la couleuvre, non-seulement en ce qu'elle rampe plus lentement, et qu'elle ne bondit et qu'elle ne saute jamais, mais encore en ce qu'elle est vivipare ; au lieu de pondre comme la couleuvre des œufs qui n'éclosent que longtemps après, les petits de la vipere acquièrent leur entière perfection dans la matrice, et courent au sortir du ventre de la mère. Les viperes s'accouplent ordinairement deux fois l'année, elles portent leurs petits quatre ou cinq mois, et elles en font jusqu'à vingt et même vingt-cinq : elles se nourrissent de cantharides, de scorpions, de grenouilles, de souris, de taupes et de lézards ; souvent la capacité de l'estomac n'est pas assez grande pour contenir l'animal qu'elles veulent avaler, alors il en reste une partie dans l'oesophage. La vipere ne rend pas beaucoup d'excréments, ils n'ont point de mauvaise odeur comme ceux des couleuvres, et on n'en sent aucune lorsqu'on ouvre un bocal dans lequel on nourrit plusieurs viperes : elles ne font point de trous en terre pour se cacher comme les couleuvres, elles se retirent ordinairement sous des pierres et dans de vieilles masures ; lorsqu'il fait beau, elles se tiennent sous des herbes touffues ou dans des buissons.

Les viperes diffèrent encore des couleuvres, en ce qu'elles ont des dents canines ; leur nombre varie dans différents individus, ordinairement il n'y en a qu'une de chaque côté de la mâchoire supérieure, mais on en trouve quelquefois deux ; ces dents sont entourées jusqu'à environ les deux tiers de leur longueur, d'une vésicule assez épaisse et remplie d'un suc jaunâtre, transparent et médiocrement liquide ; il y a au milieu de cette vésicule sous la grosse dent, plusieurs petites dents crochues, les unes plus longues que les autres et qui servent à remplacer les grosses dents, soit qu'elles tombent d'elles-mêmes ou accidentellement : celles-ci ont environ 2 lignes de longueur ; elles sont crochues, blanches, creuses, diaphanes et très-pointues ; ses grosses dents restent ordinairement couchées le long de la mâchoire, et leur pointe ne parait qu'au moment où la vipere veut mordre ; alors elle les redresse et les enfonce dans sa proie. Le venin pénètre dans la plaie que fait la vipere en mordant, en passant par le canal intérieur de la dent ; les glandes qui le filtrent sont situées à la partie postérieure de chaque orbite et à la même hauteur que l'oeil, elles sont petites et jointes ensemble, elles forment un corps de la grosseur de l'oeil et s'étendent en longueur dans l'orbite au-dessous, et en partie derrière l'oeil ; chaque glande a un vaisseau qui communique dans la vésicule de la gencive et qui aboutit à la racine de la grosse dent. Mém. de l'acad. royale des Scienc. tom. III. part. II. Voyez SERPENT.

Personne n'ignore combien la morsure des viperes est dangereuse, ainsi que celle des serpens qui ne sont proprement que des viperes de différentes espèces. Le remède le plus assuré que l'on ait trouvé jusqu'ici contre leurs morsures, est l'eau de luce, c'est-à-dire un alkali volatil très-pénétrant combiné avec le succin ; on en met dix gouttes dans un verre d'eau que l'on fera prendre à plusieurs reprises à la personne qui aura été mordue, qui se couchera dans un lit bien bassiné, où elle éprouvera une transpiration très-forte, qui fera disparaitre les accidents. Cette découverte est dû. à M. Bernard de Jussieu, qui en a fait l'expérience avec beaucoup de succès.

VIPERE, (Pharmacie, Matière médicale) vipere de notre pays ou commune ; c'est une des matières animales les plus usitées en Médecine. Les anciens médecins ont regardé la vipere comme un aliment médicamenteux, dont le long usage était très-utile, presque spécifique contre plusieurs maladies chroniques, opiniâtres, et notamment contre les maladies de la peau. Pline rapporte, qu'Antonius Musa, médecin d'Auguste, avait guéri par l'usage des décoctions de vipere, des ulcères qui passaient pour incurables.

Les viperes sont principalement consacrées encore aujourd'hui aux maladies de la peau ; elles sont regardées comme excitant principalement l'excrétion de cet organe, et comme le délivrant par-là de certains sucs malins qui sont censés l'infecter et causer la plupart de ces maladies. Elles sont regardées encore, comme purifiant le sang et comme chassant le venin, soit celui des animaux vénéneux, soit celui des fièvres malignes, etc. ce qui est une autre conséquence de l'opinion qu'on a de leurs qualités sudorifiques. Comme l'exercice de cette dernière propriété n'existe point sans que le mouvement du sang soit augmenté et que la vipere d'ailleurs est évidemment alimenteuse ; c'est encore une suite nécessaire de cette opinion, qu'elle soit regardée comme cordiale et analeptique.

La vipere se donne ordinairement en substance ou en décoction, de l'une et de l'autre manière sous diverses formes pharmaceutiques dont nous parlerons dans la suite de cet article. Il est écrit dans les livres de médecine, et la tourbe ne manque pas de répéter que ces remèdes font suer, échauffent, donnent même la fièvre, qu'on est souvent obligé d'en suspendre et même d'en supprimer l'usage, etc. mais il est écrit aussi, et le même ordre de médecins répète que la vipere contient beaucoup de sel volatil, ce qui est démonstrativement faux, qu'elle abonde en esprits, expression qui très-évidemment n'est qu'un vain son, etc. ainsi en évaluant la première assertion par ce qu'on connait clairement de la dernière dont elle est très-vraisemblablement déduite, on peut en bonne logique réputer absolument pour rien le témoignage de ces auteurs et de ces médecins : reste à consulter l'expérience. J'avoue que je n'ai jamais eu assez de foi aux prétendues vertus de la vipere pour l'ordonner fréquemment ; je proteste cependant avec sincérité, sanctè affirmo, que je l'ai donnée quelquefois et Ve donner un plus grand nombre, et que je n'ai pas observé ces prétendues vertus ; mais je crois que le lecteur doit suspendre son jugement et s'en rapporter à des expériences ultérieures et contradictoires, c'est-à-dire faites par des gens qui ne se sont pas mis d'avance dans la tête, que les viperes chassent le venin et font suer. Au reste, quoiqu'il soit très-vrai que la prétendue abondance de sel volatil et d'esprits ne saurait produire ces vertus dans la vipere, puisque ces principes sont purement imaginaires ; quoi qu'il soit très-vraisemblable encore que ces vertus n'ont été imaginées que parce que on les a déduites par une conséquence très-fausse et très-précaire de la vertu sudorifique, de la qualité incendiaire que possède réellement l'alkali volatil retiré de la vipere par le feu chymique ; cependant il est très-possible que les viperes animent, échauffent, fassent suer, donnent la fièvre ; il est seulement très raisonnable d'en douter, par le soupçon très-légitime que nous venons d'exposer. Quoi qu'il en sait, les formes ordinaires sous lesquelles on administre la vipere sont celles de bouillon, soit préparé à la manière commune avec des racines et herbes appropriées, soit préparées au bain-marie.

Cette dernière préparation, qui est la plus usitée parce qu'elle est la plus élégante, et qu'on croit par ce moyen mieux retenir les parties volatiles précieuses, se fait ainsi.

Bouillon de vipere. Prenez une vipere en vie, rejetez-en la tête et la queue, écorchez-la et éventrez-la, et coupez-la par morceaux, que vous mettrez dans un vaisseau convenable, avec le cœur, le foie et le sang que vous aurez conservé, et avec douze onces d'eau commune, et si vous voulez quelques plantes ou racines, selon l'indication. Fermez exactement votre vaisseau, et faites cuire au bain-marie pendant sept à huit heures. La pharmacopée de Paris dit trois ou quatre, mais ce n'est pas assez : passez avec une légère expression.

On prépare encore une gelée de vipere, en faisant cuire une certaine quantité de viperes récemment écorchées et éventrées, dans suffisante quantité d'eau, au degré bouillant pendant cinq ou six heures, en clarifiant et filtrant la décoction, l'évaporant au bain-marie, et la faisant prendre dans un lieu froid.

La poudre de vipere se prépare ainsi. Prenez des troncs, des cœurs et des foies de viperes, sechés selon l'art (Voyez DESSICATION) et coupés par petits morceaux ; réduisez-les sur le champ en poudre selon l'art, et par un temps sec ; enfermez-la dans une bouteille bien seche, que vous boucherez exactement, car l'humidité de l'air corrompt facilement cette poudre.

Les trochisques de vipere, appelés aussi trochisci theriaci, se préparent de la manière suivante. Prenez de la chair de viperes choisies, dont vous aurez séparé les têtes, les queues, que vous aurez écorchées et éventrées ; faites cuire cette chair dans suffisante quantité d'eau, avec de l'aneth verd et du sel, jusqu'à ce qu'elle se soit séparée des épines ; prenez en huit onces ; battez-la dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, en y jetant peu-à-peu 2 onces et demie de mie de pain de froment très-blanc, séchée et réduite en poudre très-fine, jusqu'à ce qu'il ne paraisse aucune partie de chair de vipere, et que le tout soit exactement mêlé ; alors vous étant frotte les mains de baume de la mecque, formez des trochisques du poids d'un gros, que vous ferez sécher sur un tamis renversé, selon l'art.

De ces préparations celle qui mérite le plus de considération, est le bouillon de vipere ; c'est celle-là qu'on ordonne communément contre la lepre, les dartres rebelles, et les autres maladies de la peau ; contre les bouffissures, les obstructions commençantes, attribuées à une lymphe épaisse, et à une circulation languissante, etc. les pâles-couleurs dépendantes de cette dernière disposition, etc. et c'est aussi sur celle-là qu'il conviendrait de tenter les expériences dont nous avons parlé plus haut.

La gelée de vipere est fort peu usitée ; il est très-vraisemblable qu'elle a les mêmes vertus que le bouillon.

L'usage ordinaire de la poudre de vipere est absolument puérîle ; on la fait entrer à petite dose dans les portions cordiales ou sudorifiques, et l'on y imagine bonnement, d'après l'erreur que nous avons déjà relevée plus haut, qu'elle y produit le même effet, quoique véritablement un peu plus doux que l'alkali volatil de vipere.

Les trochisques de vipere ne sont point du tout d'usage dans les prescriptions magistrales ; on ne les prépare absolument que pour les employer à la composition de la thériaque.

Outre les remèdes dont nous avons parlé jusqu'à présent, qui ne sont que la substance même de la vipere, ou qui en sont véritablement retirés sans avoir essuyé aucune altération ; on en retire par l'art chymique, par une décomposition manifeste, une substance qui est employée à titre de médicament, je veux dire de l'alkali volatil, tant sous forme fluide, que sous forme concrete. Mais ce sel qui est un des produits de la distillation analytique de la vipere, n'a absolument que les vertus communes des produits analogues des substances animales. Voyez SUBSTANCE ANIMALE et SEL ALKALI VOLATIL.

Les Apothicaires gardent ordinairement chez eux dans des cucurbites profondes de verre, des viperes en vie. Ils les prennent pour l'usage avec de longues pinces, par le cou. Il est vrai, ce qu'on dit communément, que si on les prend par la queue, et qu'on les laisse pendre la tête en bas, elles n'ont pas la force de se redresser et d'aller piquer la main à laquelle elles sont suspendues. Il est pourtant plus sur de les prendre par le cou, parce que de l'autre manière elles peuvent facilement atteindre la main libre de celui qui les tient, ou quelque assistant mal avisé. On doit encore observer que la morsure des têtes séparées du corps, est aussi à craindre, et aussi dangereuse que la morsure de la vipere entière. Les Apothicaires ont coutume de jeter ces têtes dans de l'eau-de-vie à mesure qu'ils les séparent, elles y meurent bien-tôt ; dans plusieurs pays le peuple les achète pour faire des amuletes.

On trouve dans les pharmacopées, sous le nom de syrop de vipere roborant, une composition très-compliquée, et dont les viperes sont un ingrédient assez inutile. Au reste, ce syrop doit être très-cordial et sudorifique.

Les Pharmacologistes ont mis encore au rang des remèdes, indépendamment des plus usuels dont nous venons de parler, le fiel de vipere, à titre d'ophtalmique ; la graisse, comme un puissant résolutif, sudorifique, anodin, prise intérieurement à la dose d'un gros. Wedelius rapporte deux observations de phtisiques, traités avec succès par l'usage intérieur de cette graisse. Elle est encore célébrée pour l'usage extérieur, comme un excellent ophtalmique adoucissant et cicatrisant ; comme excellente contre la gale, les tumeurs scrophuleuses, et contre les rides et les taches du visage ; comme utîle dans l'accouchement laborieux si on en frotte le nombril, etc. et enfin ses arêtes séchées et réduites en poudre, comme un bon alexipharmaque.

La poudre de vipere est appelée par quelques auteurs bezoard-animal ; la poudre du cœur et du foie porte le même nom chez plusieurs autres. (b)