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Catégorie parente: Histoire naturelle
Catégorie : Paléontologie
argilla, s. f. (Histoire naturelle, Paléontologie) terre pesante, compacte, grasse, et glissante. L'argille a de la ténacité et de la ductilité lorsqu'elle est humide, mais elle devient dure en séchant, et ce changement de consistance n'en desunit point les parties ; c'est pourquoi cette terre est propre à différents usages. On en fait des vases de toute espèce, des tuiles, des briques, des carreaux, des modèles de sculpture, etc. car on peut lui donner toutes sortes de formes lorsqu'elle est molle, et elle les conserve après avoir été durcie au feu. Dans cet état elle résiste à l'humidité ; et si on pousse le feu à un certain point, on la vitrifie. Il y aurait pour ainsi dire une infinité d'espèces d'argille, si on voulait les distinguer par les couleurs ; il y a des argilles blanches, jaunes, grises, rousses, bleues, noires, etc. on en voit qui sont veinées comme les marbres. L'argille se trouve partout, mais à différentes profondeurs ; elle sert de base à la plupart des rochers. C'est une matière des plus abondantes et des plus utiles que nous connaissions.

M. de Buffon a prouvé que l'argille forme une des principales bouches du globe terrestre ; et il a traité cette matière dans toute son étendue. C'est en réfléchissant sur la nature de cette terre, qu'il en découvre l'origine, et qu'il fait voir que sa situation dans le globe est une preuve de l'explication qu'il donne de la formation du globe. Comme cette explication fait partie de la Théorie de la terre, que M. de Buffon nous a donnée dans le premier volume de l'Histoire naturelle géner. et part. avec la descrip. du cabinet du Roi, il faudrait pour la bien entendre avoir une idée suivie de l'ensemble de cet ouvrage. Nous ne pouvons rapporter ici que ce qui a un rapport immédiat avec l'argille.

Les sables, dit M. de Buffon, dont les parties constituantes s'unissent par le moyen du feu, s'assimilent et deviennent un corps dur, très-dense, et d'autant plus transparent que le sable est plus homogène ; exposés au contraire longtemps à l'air, ils se décomposent par la desunion et l'exfoliation des petites lames dont ils sont formés, ils commencent à devenir terre, et c'est ainsi qu'ils ont pu former les terres et les argilles. Cette poussière, tantôt d'un jaune brillant, tantôt semblable à des paillettes d'argent, dont on se sert pour sécher l'écriture, n'est autre chose qu'un sable très-pur, en quelque façon pourri, presque réduit en ses principes, et qui tend à une décomposition parfaite ; avec le temps les paillettes se seraient atténuées et divisées au point qu'elles n'auraient plus eu assez d'épaisseur et de surface pour réfléchir la lumière, et elles auraient acquis toutes les propriétés des glaises. Qu'on regarde au grand jour un morceau d'argille, on y apercevra une grande quantité de ces paillettes talqueuses qui n'ont pas encore entièrement perdu leur forme. Le sable peut donc avec le temps produire l'argille ; et celle-ci en se divisant, acquiert de même les propriétés d'un véritable limon, matière vitrifiable comme l'argille, et qui est du même genre.

Cette théorie est conforme à ce qui se passe tous les jours sous nos yeux. Qu'on lave du sable sortant de sa minière, l'eau se chargera d'une assez grande quantité de terre noire, ductile, grasse, de véritable argille. Dans les villes où les rues sont pavées de grès, les boues sont toujours noires et très-grasses ; et desséchées, elles forment une terre de la même nature, que l'argille. Qu'on détrempe et qu'on lave de même l'argille prise dans un terrain où il n'y a ni grès ni caillous, il se précipitera toujours au fond de l'eau une assez grande quantité de sable vitrifiable.

Mais ce qui prouve parfaitement que le sable, et même le caillou et le verre existent dans l'argille, et n'y sont que déguisés, c'est que le feu en réunissant les parties de celui-ci, que l'action de l'air et des autres éléments avait peut-être divisées, lui rend sa première forme. Qu'on mette de l'argille dans un fourneau de reverbere échauffé au degré de la calcination, elle se couvrira au dehors d'un émail très-dur ; si à l'intérieur elle n'est pas encore vitrifiée, elle aura cependant acquis une très-grande dureté, elle résistera à la lime et au burin ; elle étincellera sous le marteau ; elle aura toutes les propriétés du caillou. Un degré de chaleur de plus la fera couler, et la convertira en un véritable verre.

L'argille et le sable sont donc des matières parfaitement analogues et du même genre. Si l'argille en se condensant peut devenir du caillou, du verre, pourquoi le sable en se divisant ne pourrait-il pas devenir de l'argille. Le verre parait être la véritable terre élémentaire, et tous les mixtes un verre déguisé. Les métaux, les minéraux, les sels, etc. ne sont qu'une terre vitrescible. La pierre ordinaire, les autres matières qui lui sont analogues, et les coquilles des testacées, des crustacées, etc. sont les seules substances qu'aucun agent connu n'a pu jusqu'à présent vitrifier, et les seules qui semblent faire une classe à part. Le feu en réunissant les parties divisées des premières, en fait une matière homogène, dure et transparente à un certain degré, sans aucune diminution de pesanteur, et à laquelle il n'est plus capable de causer aucune altération. Celles-ci au contraire, dans lesquelles il entre une plus grande quantité de principes actifs et volatils, et qui se calcinent, perdent au feu plus du tiers de leur poids, et reprennent simplement la forme de terre, sans aucune altération que la desunion de leurs principes. Ces matières exceptées, qui ne sont pas en bien en grand nombre, et dont les combinaisons ne produisent pas de grandes variétés dans la nature ; toutes les autres substances, et particulièrement l'argille, peuvent être converties en verre, et ne sont essentiellement par conséquent qu'un verre décomposé. Si le feu fait changer promptement de forme à ces substances en les vitrifiant, le verre lui même, soit qu'il ait sa nature de verre, ou bien celle de sable et de caillou, se change naturellement en argille, mais par un progrès lent et insensible.

Dans les terrains où le caillou ordinaire est la pierre dominante, les campagnes en sont ordinairement jonchées ; et si le lieu est inculte, et que ces caillous aient été longtemps exposés à l'air, sans avoir été remués, leur superficie supérieure est toujours très-blanche, tandis que le côté opposé qui touche immédiatement la terre, est très-brun, et conserve sa couleur naturelle. Si on casse plusieurs de ces caillous, on reconnaitra que la blancheur n'est pas seulement en-dehors ; mais qu'elle pénètre dans l'intérieur plus ou moins profondément, et y forme une espèce de bande qui n'a dans de certains caillous que très-peu d'épaisseur, mais qui dans d'autres occupe presque toute celle du caillou ; cette partie blanche est un peu grenue, entièrement opaque, aussi tendre que la pierre ; et elle s'attache à la langue comme les bols, tandis que le reste du caillou est lisse et poli, qu'il n'a ni fil ni grain, et qu'il a conservé sa couleur naturelle, sa transparence, et sa même dureté. Si on met dans un fourneau ce même caillou à moitié décomposé, sa partie blanche deviendra d'un rouge couleur de tuile, et sa partie brune d'un très-beau blanc. Qu'on ne dise pas avec un de nos plus célèbres naturalistes, que ces pierres sont des caillous imparfaits de différents âges, qui n'ont pas encore acquis leur perfection. Car pourquoi seraient-ils tous imparfaits ? pourquoi le seraient-ils tous du même côté ? pourquoi tous du côté exposé à l'air ? Il me semble qu'il est aisé de se convaincre que ce sont au contraire des caillous altérés, décomposés, qui tendent à reprendre la forme et les propriétés de l'argille et du bol dont ils ont été formés. Si c'est conjecturer que de raisonner ainsi, qu'on expose en plein air le caillou le plus caillou (comme parle ce fameux naturaliste), le plus dur et le plus noir, en moins d'une année il changera de couleur à la surface ; et si on a la patience de suivre cette expérience, on lui verra perdre insensiblement et par degré sa dureté, sa transparence, et ses autres caractères spécifiques, et approcher de plus en plus chaque jour de la nature de l'argille.

Ce qui arrive au caillou, arrive au sable. Chaque grain de sable peut être considéré comme un petit caillou, et chaque caillou comme un amas de grains de sable extrêmement fins et exactement engrenés. L'exemple du premier degré de décomposition du sable se trouve dans cette poudre brillante, mais opaque, mica, dont nous venons de parler, et dont l'argille et l'ardoise sont toujours parsemées : les caillous entièrement transparents, les quartz, produisent en se décomposant des sables gras et doux au toucher ; aussi pétrissables et ductiles que la glaise, et vitrifiables comme elle, tels que ceux de Venise et de Moscovie ; et il me parait que le talc est un terme moyen entre le verre ou le caillou transparent et l'argille ; au lieu que le caillou grossier et impur en se décomposant passe à l'argille sans intermède.

Notre verre factice éprouve aussi la même altération ; il se décompose à l'air, et se nourrit en quelque façon en séjournant dans les terres. D'abord la superficie s'irise, s'écaille, s'exfolie, et en le maniant on s'aperçoit qu'il s'en détache des paillettes brillantes : mais lorsque sa décomposition est plus avancée, il s'écrase entre les doigts, et se réduit en poudre talqueuse très-blanche et très-fine. L'art a même imité la nature par la décomposition du verre et du caillou. Est etiam certa methodus solius aquae communis ope, silices et arenam in liquorem viscosum, eumdemque in sal viride convertendi ; et hoc in oleum rubicundum, etc. solius ignis et aquae ope speciali experimento durissimos quosque lapides in mucorem resolvo, qui distillatus subtilem spiritum exhibet, et oleum nullis laudibus praedicabile. Bech. Physic. subterr.

Les différentes couches qui couvrent le globe terrestre, étant encore actuellement ou de matières que nous pourrons considérer comme vitrifiables, ou de matières analogues au verre, qui en ont les propriétés les plus essentielles, et qui toutes sont vitrescibles ; et comme il est évident d'ailleurs que de la décomposition du caillou et du verre, qui se fait chaque jour sous nos yeux, il résulte une véritable terre argilleuse ; ce n'est donc pas une supposition précaire ou gratuite, que d'avancer, que les glaises, les argilles et les sables ont été formés par des scories et des écumes vitrifiées du globe terrestre, surtout quand on y joint les preuves à priori, qu'il a été dans un état de liquéfaction causée par le feu. Voyez Hist. nat. tom. I. pag. 259. (I)