S. f. (Ordre encyclopédique, Entendement, Raison, Philosophie ou Science, Science de la nature, Physique générale et particulière, Botanique) partie de l'histoire naturelle, qui a pour objet la connaissance du règne végétal en entier ; ainsi la Botanique est la science qui traite de tous les végétaux et de tout ce qui a un rapport immédiat avec les végétaux.

L'étude de la végétation fait la première partie de cette science, c'est la base de tous les autres ; car on doit commencer par examiner la nature des végétaux en général, avant que de traiter de chaque plante en particulier ; et on ne peut pas parvenir à connaître l'oeconomie végétale, si on ne sait comment les germes des plantes se développent, et comment elles prennent leur accroissement ; quels sont les moyens de les multiplier ; quelle est leur organisation en général ; la structure de chaque partie ; leur manière de se reproduire, et quel est le mouvement et la qualité de la séve ; et enfin si on ne sait en quoi le terrain et le climat peuvent influer sur les plantes. Tels sont les principes généraux qui établissent les fondements de la Botanique : mais ces connaissances dépendent de la Physique, et forment le lien qui unit ces deux sciences. Voyez VEGETATION.

Le détail de la Botanique est divisé en plusieurs parties : il y en a trois principales ; savoir la nomenclature des plantes, leur culture, et leurs propriétés. La dernière est la seule qui soit importante par l'utilité que nous en tirons ; les deux premières ne doivent nous occuper qu'autant qu'elles peuvent contribuer à faire valoir la troisième, en perfectionnant la connaissance des propriétés. On doit entendre par les propriétés des plantes, tous leurs usages, même les usages d'agrément ; ainsi les arbres des forêts et les herbes des parterres ont dans ce sens leurs propriétés, comme les plantes usuelles dans la Médecine.

Dès que la connaissance des plantes a formé un corps de science, l'énoncé de leur nomenclature a dû précéder dans l'exposé de cette science l'histoire de leur culture et de leurs propriétés. Mais il est certain que la première connaissance que l'on ait eu des plantes, a été celle des usages auxquels on les a employées, et que l'on s'en est servi avant que de leur donner des noms. On s'est nourri avec des fruits ; on s'est vêtu avec des feuilles ou des écorces ; on a formé des cabanes avec les arbres des forêts avant que d'avoir nommé les pommiers ou poiriers, le chanvre ou le lin, les chênes ou les ormes, etc. L'homme a dû satisfaire ses besoins les plus pressants par le seul sentiment, et indépendamment de toute connaissance acquise : on a joui d'un parfum des fleurs dès qu'on s'en est approché, et on a recherché leur odeur sans s'inquiéter du nom de la rose et du jasmin. Les usages des plantes qui supposent le plus d'expérience, n'ont jamais été indiqués par le nom ou par l'apparence extérieure d'aucune plante ; c'est par un coup heureux du hasard, que l'on a été instruit de l'utilité que l'on pouvait tirer du riz ou du froment, du caffé et de la vigne. Enfin il y a tout lieu de croire que les plantes usuelles dans la Médecine et dans les Arts, n'ont été nommées, qu'après que leur efficacité a été connue : il y en a plusieurs qui ont encore aujourd'hui des noms relatifs à leurs propriétés.

La nomenclature des plantes n'est donc pas nécessaire pour la découverte de leurs propriétés ; cela est si vrai qu'il serait ridicule de l'avoir mis en question, s'il n'était prouvé par l'état présent de la Botanique et par l'expérience du passé, que l'on s'est appliqué à la nomenclature par préférence aux autres parties de cette science. On fait plus d'observations et on tente plus de combinaisons pour parvenir à réduire la nomenclature des plantes en système, qu'il ne faudrait peut-être faire d'expériences et acquérir de faits pour découvrir quantité de nouvelles propriétés utiles dans ces mêmes plantes. Ce défaut de conduite dans l'étude de la Botanique, est un obstacle à l'avancement de cette science, parce qu'il nous éloigne de son principal objet. Il est même à craindre que si on continuait à marcher dans cette fausse route, on ne vint à le perdre de vue. Pour s'en convaincre il faut examiner quelle est l'utilité que l'on a retirée de la nomenclature des plantes, poussée au point de perfection que les Botanistes se sont efforcés de lui donner ; à quoi cette nomenclature peut servir dans la Botanique ; et à quoi elle peut nuire, en supposant que cette connaissance soit réduite en système constant et même infaillible.

On est parvenu par le moyen de la nomenclature, à distinguer environ vingt mille espèces de plantes, selon l'estime des Botanistes, en comptant toutes celles qui ont été observées tant dans le nouveau monde, que dans l'ancien. S'il y avait eu un plus grand nombre d'observateurs, et s'ils avaient parcouru toute la terre, ils auraient doublé ou triplé le nombre des espèces de plantes ; ils en auraient peut-être trouvé cent mille et plus, conformément aux principes de leur calcul. Mais quel cas doit-on faire de ce calcul ? le résultat n'est pas le même pour tous les observateurs ; chacun compte à sa mode ; les uns multiplient sans nécessité, en séparant sous différentes espèces des individus qui sont semblables ; les autres mêlent ensemble des individus différents, et diminuent par cette confusion le nombre des espèces. On n'a donc pu convenir jusqu'ici d'un principe certain pour constater ce nombre : cependant on y a employé beaucoup d'art, on n'a épargné ni soins ni fatigues, mais toujours infructueusement. Il ne faut pas en être surpris, car il est aisé de remonter à la source de cette erreur. On a voulu faire une science de la nomenclature des plantes, tandis que ce ne peut être qu'un art, et seulement un art de mémoire.

Il s'agissait d'imaginer un moyen de se retracer, sans confusion, l'idée et le nom de chaque plante que l'on aurait Ve réellement existante dans la nature, ou décrite et figurée dans les livres. Il y a cent façons différentes de parvenir à ce but : dès qu'on a bien Ve un objet et qu'on se l'est rendu familier, on le reconnait toujours, on le nomme, et on le distingue de tout autre, avec une facilité qui ne doit surprendre que ceux qui ne sont pas dans l'habitude d'exercer leurs yeux ni leur mémoire. Il est vrai que le nombre des plantes étant, pour ainsi dire, excessif, le moyen de les nommer et de les distinguer toutes les unes des autres, en était d'autant plus difficîle à trouver ; c'était un art qu'il fallait inventer ; art qui aurait été d'autant plus ingénieux, qu'il aurait été plus facîle à être retenu de mémoire. Par cet art une fois établi, on aurait pu se rappeler le nom d'une plante que l'on voyait, ou se rappeler l'idée de celle dont on savait le nom ; mais toujours en supposant dans l'un et l'autre cas, que la plante même fût bien connue de celui qui aurait employé cet art de nomenclature ; car la nomenclature ne peut être constante que pour les choses dont la connaissance n'est point équivoque.

La connaissance en général est absolument indépendante du nom. Pour le prouver, examinons ce que doit faire un homme qui veut connaître une plante qu'il voit pour la première fais, et dont il ne sait pas le nom. S'il commence par s'informer du nom de cette plante il n'en tirera aucune lumière, parce que le nom d'une chose que l'on ne connait pas, n'en peut rappeler aucune idée. Il faudra donc qu'il observe la plante, qu'il l'examine, et qu'il s'en forme une idée distincte : il y parviendra en la voyant ; et s'il expose, s'il décrit tout ce qu'il aura vu, il communiquera aux autres la connaissance qu'il aura acquise. Alors le nom servira de signe pour lui rappeler l'idée de cette plante à lui-même et à ceux qui auront lu la description : mais il est impossible qu'un nom tienne jamais lieu de description ; ce signe peut rappeler l'idée d'une chose connue, mais il ne peut pas donner l'idée d'une chose inconnue.

Cependant on a fait des tentatives infinies pour parvenir à étendre les noms des plantes, à les compliquer et les combiner, de façon qu'ils pussent donner une idée distincte des plantes, sans qu'il fût nécessaire de les avoir vues, ou d'en avoir lu la description entière. Ce projet ne tendait à rien moins qu'à former une science de la nomenclature des plantes, s'il eut réussi : mais on a échoué dans l'exécution autant de fois qu'on l'a entreprise, parce que les descriptions ne peuvent pas être réduites en nomenclature, et que par conséquent les noms ni les phrases ne peuvent pas être équivalents aux descriptions.

Les nomenclateurs ont entrevu la vérité de cette objection, et pour surmonter cette difficulté, ils ont joint au nom une petite partie de la description. C'est ce composé qu'ils appellent phrase. Ils ont tâché d'y faire entrer les caractères spécifiques : mais comme ils n'ont pu comprendre dans ces phrases, c'est-à-dire dans les noms des espèces, qu'une partie de la description qui ne pouvait pas donner une idée de la plante, ils ont prétendu suppléer à ce défaut, en attribuant au nom générique une autre partie de la description. Ces deux parties étant désignées par les noms du genre et la phrase de l'espèce étant encore trop imparfaite pour faire reconnaître la plante, ils ont compris dans l'énoncé de l'ordre et de la classe d'autres parties de la description : mais quelqu'art qu'ils aient employé pour combiner toutes ces partitions, ils n'ont pu parvenir à donner une idée distincte de la plante, parce qu'ils n'ont pas rapporté la description en entier.

Cette description complete est absolument nécessaire pour caractériser une plante, de façon qu'on la puisse distinguer de toute autre plante : c'est une loi constante pour tous les objets de l'histoire naturelle, et principalement pour ceux qui sont aussi nombreux que les plantes. Cependant on a tâché d'éluder cette difficulté insurmontable dans la nomenclature, en se persuadant que l'on trouverait dans les plantes, des parties dont la description pourrait suppléer à la description de la plante entière, et que ces parties seraient assez constantes pour ne manquer à aucune plante, assez variées pour fournir des caractères à chaque espèce, et assez évidentes pour être facilement reconnues. ç'a été par le moyen de ces attributs imaginaires, que l'on a prétendu réduire la nomenclature en système, en méthode, en distribution méthodique ; et si l'on en croit les plus enthousiastes des nomenclateurs, ce système est le système de la nature ; cependant la nature dément à chaque instant de pareils systèmes. Il n'y a dans les plantes aucunes parties qui se manifestent dans toutes les espèces : les fleurs et les semences, qui paraissent être les parties les plus essentielles, et par conséquent les plus constantes, ne sont pas reconnaissables dans plusieurs espèces. C'est pourtant sur les parties de la fructification, que les systèmes les plus vantés sont établis Mais comme leur fondement n'est pas plus sur que les fondements des autres systèmes de nomenclature, ils ne se soutiennent pas mieux, et ils ne sont pas moins éloignés les uns que les autres du système de la nature. Voyez METHODE.

En effet, comment peut-on espérer de soumettre la nature à des lois arbitraires ? sommes-nous capables de distinguer dans un individu qu'elle nous présente, les parties principales et les parties accessoires ? Nous voyons des espèces de plantes, c'est-à-dire des individus qui sont parfaitement ressemblans ; nous les reconnaissons avec certitude, parce que nous comparons les individus tout entiers : mais dès qu'on fait des conventions pour distinguer les espèces les unes des autres, pour établir des genres et des classes, on tombe nécessairement dans l'erreur, parce qu'on perd de vue les individus réels pour suivre un objet chimérique que l'on s'est formé. De-là viennent l'incertitude des nomenclateurs sur le nombre des espèces, des genres et des classes, et la multiplicité des noms pour les plantes ; par conséquent toutes les tentatives que l'on a faites pour réduire la nomenclature des plantes en corps de science, ont rendu la connaissance des plantes plus difficîle et plus fautive qu'elle ne le serait, si on ne se servait que de ses yeux pour les reconnaître, ou si on n'employait qu'un art de mémoire sans aucun appareil scientifique. Ces systèmes n'ont servi à l'avancement de la Botanique, que par les descriptions exactes de plusieurs parties des plantes, et par les observations que l'on a faites sur ces mêmes parties, pour établir des caractères méthodiques.

Voilà donc à quoi ont servi toutes les méthodes que l'on a imaginées jusqu'ici dans la nomenclature des plantes. Voyons à présent ce que l'on pourrait attendre de ces mêmes méthodes, en supposant qu'elles fussent portées au point de perfection, tant désiré par les nomenclateurs. Quiconque serait bien instruit de ce prétendu système de la nature, aurait à la vérité un moyen infaillible de reconnaître toutes les espèces de plantes, et de les distinguer les unes des autres : mais l'application de ce système paraitrait immense dans le détail ; et ce serait vraiment un chef-d'œuvre de combinaisons et de mémoire, dont peu de personnes seraient capables, que de pouvoir rapporter sans équivoque vingt mille noms à vingt mille plantes que l'on ne connaitrait presque pas. D'ailleurs un pareil système de nomenclature, une aussi grande connaissance de noms et de phrases, ne pourrait en aucune façon nous instruire de la culture et des propriétés des plantes ; puisque ces deux parties de la Botanique demandent chacune des observations toutes différentes de celles que suppose la nomenclature. Un méthodiste observe scrupuleusement la position, le nombre, et la forme de certaines parties de chaque plante : mais il n'en peut tirer aucune conséquence pour la culture ; parce que, suivant son système, le nombre, la position, et la forme de ces parties, doivent être les mêmes en quelque climat que se trouve la plante, et de quelque façon qu'elle soit cultivée. Ces mêmes observations ne peuvent donner aucune lumière pour les propriétés des plantes. La preuve en est connue. Nous savons parfaitement que toutes les plantes que l'on rapporte au même genre, n'ont pas les mêmes propriétés : ce fait a été constaté dans tous les systèmes de nomenclature qui ont été faits jusqu'à présent ; et malheureusement on peut dire d'avance qu'il sera confirmé par tous ceux que l'on pourra faire dans la suite. Cependant les méthodistes les plus zélés pour la découverte du prétendu système de la nature, ont annoncé qu'on pourrait parvenir à indiquer les propriétés des plantes par les vrais caractères génériques. Ils prétendent même qu'on a déjà établi plusieurs de ces vrais caractères qu'ils appellent naturels, et qui se sont soutenus dans la plupart des méthodes. Si cela est, ce ne peut être que l'effet d'un heureux hasard : car les méthodistes ne peuvent changer les propriétés des plantes, comme l'ordre de leur nomenclature.

Il serait bien à souhaiter qu'il fût possible d'établir un pareil système. Cette découverte serait plus profitable au genre humain, que celle du système du monde : cependant elle ne nous dispenserait pas de faire des expériences pour découvrir de nouvelles propriétés dans les plantes, il y aurait beaucoup de genres qui ne comprendraient que des espèces dont on ne connaitrait pas les propriétés. Quoiqu'on put tirer quelque indication de la propriété générale attribuée à la classe, il faudrait encore acquérir de nouvelles lumières pour assigner le degré d'efficacité des plantes d'un de ses genres : d'ailleurs toutes les espèces d'un même genre seraient-elles également actives, demanderaient-elles la même préparation, etc. Je n'insisterai pas davantage sur une supposition chimérique ; il me suffira de faire observer, qu'autant la nature est indépendante de nos conventions, autant les propriétés des plantes sont indépendantes de leur nomenclature. Peut-être que les descriptions complete s des plantes pourraient donner quelques indices de leurs propriétés : mais que peut-on attendre d'une description imparfaite de quelques parties ? On conçoit que la description exacte d'un animal, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, peut donner quelque idée de ses qualités. Mais si l'on n'observait que les parties de la génération, comme on prétend le faire dans les plantes, que pourrait-on conclure de cet animal ? à peine pourrait-on savoir s'il est plus ou moins fécond qu'un autre. S'il est vrai que certaines plantes, dont les parties de la fleur et du fruit sont semblables à quelques égards, aient les mêmes propriétés, c'est un fait de hasard qui n'est point constant dans les autres plantes. Ces combinaisons fortuites peuvent arriver dans tous les systèmes des nomenclateurs : mais je pense qu'il n'est pas plus possible de trouver leur prétendu système naturel, que de juger de la qualité des fruits sans les avoir goutés.

Non-seulement la nomenclature des plantes ne peut contribuer en rien à la connaissance de leur culture, ni de leurs propriétés, mais elle y est très-préjudiciable en ce qu'elle retarde l'avancement de ces deux parties de la Botanique. La plupart de ceux qui se sont occupés de cette science depuis le renouvellement des Lettres, se sont appliqués par préférence à la nomenclature. Que de méthodes se sont détruites en se succédant les unes aux autres ! que de vains efforts pour parvenir à un but imaginaire ! Mais toutes ces tentatives ont marqué beaucoup de soin, de finesse, et de sagacité dans le plus grand nombre des méthodistes. Ils auraient pu s'épargner bien des fatigues ; ou en faire un meilleur emploi, en s'appliquant à la culture ou aux propriétés des plantes. Une seule méthode suffisait pour la nomenclature ; il ne s'agit que de se faire une sorte de mémoire artificielle pour retenir l'idée et le nom de chaque plante, parce que leur nombre est trop grand pour se passer de ce secours : pour cela toute méthode est bonne. A présent qu'il y en a plusieurs, et que les noms des plantes se sont multipliés avec les méthodes, il serait à souhaiter qu'on put effacer à jamais le souvenir de tous ces noms superflus, qui font de la nomenclature des plantes, une science vaine et préjudiciable aux avantages réels que nous pouvons espérer de la Botanique, par la culture et par les propriétés des plantes.

Au lieu de nous occuper d'une suite de noms vains et surabondants, appliquons-nous à multiplier un bien réel et nécessaire ; tâchons de l'accroitre au point d'en tirer assez de superflu pour en faire un objet de commerce. Tel est le but que nous présente la Botanique dans la seconde partie, qui est la culture des plantes. Il ne dépend pas toujours de nous de découvrir leurs propriétés ; nous ne pouvons jamais les modifier à notre gré : mais il est en notre pouvoir de multiplier le nombre des plantes utiles, et par conséquent d'accroitre la source de nos biens, et de la rendre intarissable par nos soins. Les anciens nous en ont donné l'exemple : au lieu de passer tout leur temps et d'employer tous leurs soins à des recherches vaines sur les caractères distinctifs du froment, du seigle, de l'orge, du riz, de l'avoine, du millet, du panic, du chiendent, et des nombreuses suites d'espèces que l'on prétend rapporter à chacun de ces genres, ils se sont uniquement appliqués à cultiver celles de toutes ces plantes dont ils connaissaient l'utilité. Ils sont parvenus, à force de travail et de constance, à les rendre assez abondantes pour fournir aux besoins des hommes et des animaux domestiques. C'est en perfectionnant l'art de la culture des plantes, qu'ils ont trouvé le moyen de les distribuer sur la surface de la terre dans l'ordre le plus convenable à leur multiplication et à leur accroissement. On a semé les terres qui pouvaient produire d'abondantes moissons ; on a planté des vignobles dans les lieux propres à la maturité du raisin ; on a fait des pâturages ; on a élevé des forêts, etc. enfin on a su aider à la nature, en rassemblant les plantes utiles dans les lieux les plus convenables, et en écartant de ces mêmes lieux, autant qu'il était possible, toutes les plantes inutiles. Voilà l'ordre le plus nécessaire, et l'arrangement le plus sage que l'on puisse mettre dans la division des plantes : aussi ç'a été le premier que les hommes aient senti et recherché pour leur propre utilité. Voyez AGRICULTURE.

La connaissance de la nature du terrain et de la température du climat, est le premier principe de l'Agriculture. C'est de l'intelligence de ce principe, et du détail de ses conséquences, que dépend le succès de toutes les pratiques qui sont en usage pour la culture des plantes. Cependant on n'est guidé que par des expériences grossières, pour reconnaître les différents terrains. Les gens de la campagne ont sur ce sujet une sorte de tradition, qu'ils ont reçue de leurs pères, et qu'ils transmettent à leurs enfants. Ils supposent chacun dans leur canton, sans aucune connaissance de cause, du moins sans aucune connaissance précise, que tel ou tel terrain convient ou ne convient pas à telle ou telle plante. Ces préjugés bien ou mal fondés, passent sans aucun examen ; on ne pense seulement pas à les vérifier : l'objet est cependant assez important pour occuper les meilleurs physiciens. N'aurons-nous jamais des systèmes raisonnés, des distributions méthodiques des terrains, des climats, relativement à leurs productions ; je veux dire, de ces systèmes fondés sur l'expérience ?

La convenance du climat est moins équivoque que celle du terrain, parce qu'on la détermine aisément par la maturité des fruits, ou par les effets de la gelée : mais on n'a pas assez observé combien cette convenance de température a de fréquentes vicissitudes dans un même lieu. Les deux principales causes de ces changements sont les coupes des forêts, ou seulement des arbres épars, ce qui diminue la quantité des brouillards ; et l'élévation des vallons, ou seulement des bords des rivières et des ruisseaux, ce qui desseche le terrain et rend les inondations moins fréquentes. On conçoit aisément quels changements ces deux causes peuvent occasionner dans la température du climat par rapport aux plantes. Il serait trop long de suivre ce sujet dans les détails. Je me contenterai de faire observer que l'on ne doit pas renoncer à cultiver telle plante dans tel lieu, parce qu'elle n'y a pas réussi pendant quelque temps. On ne doit pas craindre de multiplier les expériences en Agriculture ; le moindre succès dédommage abondamment de toutes les tentatives inutiles.

On peut distinguer deux principaux objets dans la culture des plantes. Le premier est de les multiplier, et de leur faire prendre le plus d'accroissement qu'il est possible. Le second est de perfectionner leur nature, et de changer leur qualité.

Le premier a dû être aperçu dès qu'il y a eu des hommes qui ont vécu en nombreuse société. Les essais que l'on aura faits dans ces premiers temps, étaient sans-doute fort grossiers : mais ils étaient si nécessaires, qu'on a lieu d'être surpris qu'ils n'aient pas été suivis jusqu'à présent de plus de progrès. Nous ne savons pas combien de moyens différents ont été employés pour labourer la terre depuis que les hommes existent : mais nous ne pouvons pas douter que ceux que nous employons ne puissent encore devenir meilleurs, et même qu'il n'y en ait d'autres à trouver qui vaudraient bien mieux. Cependant la charrue est toujours la même depuis plusieurs siècles, tandis que les modes de nos ameublements et de nos équipages changent en peu d'années, et que nous sommes parvenus à cet égard à un point de commodité qui ne nous laisse presque rien à désirer. Que l'on compare une charrue à une chaise de poste, on verra que l'une est une machine grossière abandonnée à des mains qui le sont encore plus ; l'autre au contraire est un chef-d'œuvre auquel tous les Arts ont concouru. Notre charrue n'est pas meilleure que celle des Grecs et des Romains : mais il a fallu bien plus d'industrie et d'invention pour faire nos chaises de poste, qu'il n'y en a jamais eu dans les chars de triomphe d'Alexandre et d'Auguste. L'art de la culture des terres a été négligé, parce qu'il n'a été exercé que par les gens de la campagne ; les objets du luxe ont prévalu même en Agriculture ; nous sommes parvenus à faire des boulingrins aussi beaux que des tapis, et à élever des palissades de décoration. Enfin nous connaissons l'architecture des jardins, tandis que la mécanique du laboureur n'a presque fait aucuns progrès. Cependant les moyens de multiplier les plantes et de les faire croitre, semblent être à la portée de tous les hommes ; et je ne doute pas qu'on ne put arriver en peu de temps à un haut degré de perfection, si ceux qui sont capables d'instruire les autres daignaient s'en occuper plus qu'ils ne le font.

Il parait qu'il est plus difficîle de produire des changements dans la nature des plantes, et de leur donner de meilleures qualités qu'elles n'en ont naturellement. On y est pourtant parvenu par le moyen de la greffe et de la taille des arbres. Cet art est connu depuis longtemps ; et il a, pour ainsi dire, survécu à la plupart de ses effets. Nous savons des anciens qu'ils avaient le secret de tirer des semences du pommier et du poirier sauvages des fruits délicieux. Ces fruits ne sont pas venus jusqu'à nous : mais nous avons su faire des pommes et des poires que nous ne changerions pas pour celles des Romains ; parce que nous avons semé, greffé, et taillé les arbres aussi bien qu'eux. Cet art précieux est inépuisable dans ses productions. Combien ne nous reste-t-il pas d'expériences à faire, dont il peut résulter de nouveaux fruits qui seraient peut-être encore meilleurs que ceux que nous avons déjà trouvés ? Ce que nous avons fait pour les arbres et les arbrisseaux ne peut-il pas aussi se faire pour les autres plantes, surtout depuis que nous croyons savoir comment s'opère leur génération, en substituant aux poussières fécondantes d'une plante, des poussières d'une autre espèce ? n'y aurait-il pas lieu d'espérer qu'elles produiraient dans le pistil de nouveaux germes, dont nous pourrions tirer des sortes de mulets, comme nous en avons dans les animaux ; et que ces mulets de plantes auraient de nouvelles propriétés, dont nous pourrions faire usage. Le nombre des variétés auxquelles la nature peut se prêter, est presque infini : c'est de ces variétés que nous avons tiré nos meilleurs fruits. Si nos prunes, nos pêches, nos abricots, etc. ne sont pas des espèces constantes, ce sont au moins des productions préférables à la plupart des espèces constantes, et bien dignes par leur utilité d'occuper les Botanistes, qui semblent les dédaigner et en abandonner le soin aux Jardiniers.

La transmigration des plantes n'est pas un des moindres objets de leur culture : en tirant de l'étranger une nouvelle plante utile, on s'approprie un nouveau bien qui peut devenir meilleur que ceux dont on jouissait auparavant. Le plane, l'orme, le marronnier, le pêcher, l'abricotier, le rosier et tant d'autres, ont été transportés de pays fort éloignés, et ont été, pour ainsi dire, naturalisés chez nous. La nature a favorisé la première tentative que l'on a faite pour leur transplantation : mais combien y a-t-il de plantes qui nous paraissent trop délicates pour résister à notre climat, et qui pourraient peut-être y vivre, si on les en approchait par degrés ; si au lieu de les transporter brusquement d'un lieu chaud à un lieu froid, on les déposait successivement dans des climats de température moyenne, et si on leur donnait le temps de se fortifier avant que de les exposer à la rigueur de nos hivers ? Il faudrait peut-être plusieurs générations de la même plante dans chaque dépôt, et beaucoup d'industrie dans leur culture, pour les rendre plus robustes : mais quels avantages ne tirerait-on pas de toutes ces expériences, si on réussissait dans une seule ? Je sai qu'il n'est pas possible de suppléer à la chaleur du soleil pour les plantes qui sont en plein air : mais on rapporte souvent au défaut de chaleur ce qui ne dépend que du terrain ; et je crois qu'il est toujours possible de le rendre convenable à la plante que l'on veut cultiver.

Tous ces différents objets d'agriculture sont bien dignes d'occuper les hommes, et principalement ceux qui se sont voués à la Botanique : mais les propriétés des plantes nous touchent encore de plus près, c'est le bien dont l'agriculture nous prépare la jouissance. Nous devrions réunir tous nos efforts pour y parvenir, et nous appliquer par préférence à découvrir de nouvelles propriétés.

Nous devons certainement au hasard la plupart de celles que nous connaissons ; et la découverte des autres est si ancienne, que nous en ignorons l'histoire. Pour juger des temps passés par ce qui se fait à présent au sujet des propriétés des plantes, il est très-probable qu'on n'en a jamais connu aucune que par des circonstances fortuites. Bien loin d'avoir eu des principes pour avancer cette connaissance, on a souvent pris les plantes les plus salutaires pour des poisons, tandis que l'on mettait en usage celles dont les effets auraient paru très-dangereux, si on les avait examinées sans prévention. On a peine à concevoir que les hommes gardent des préjugés contre leurs propres intérêts, cependant on n'en a que trop d'exemples : on s'est souvent laissé prévenir sans raison pour ou contre des remèdes dont on faisait dépendre la vie ou la mort des malades ; chacun les employait ou les rejetait à son gré, sans trop penser à en déterminer les vraies propriétés. D'où vient donc cette indifférence pour des choses qui nous intéressent de si près ? Notre amour pour la vie n'est point équivoque, et cependant nous semblons négliger ce qui peut la conserver. Nous savons que les propriétés des plantes sont les moyens les plus doux et souvent les plus surs pour rétablir notre santé, ou pour prévenir nos maladies ; et l'art qui pourrait nous conduire à reconnaître ces propriétés, n'est pas encore né. Que d'arts frivoles ont été portés à leur comble ! que de connaissances vaines ont été accumulées au point de former des sciences ! tandis que l'on s'est contenté de faire une liste des plantes usuelles dans la Médecine, et de distinguer leurs propriétés par un ordre méthodique qui les repartit en classes et en genres. On a compris dans une même classe les plantes évacuantes, et dans une autre les plantes altérantes : les purgatives, les émétiques sont des genres de la première classe ; et la seconde est divisée en plantes céphaliques, béchiques, cardiaques, diurétiques, diaphorétiques, etc. Voyez MATIERE MEDICALE.

Cette méthode est très-incomplete ; parce qu'à l'exception du genre des purgatifs qui est partagé en purgatifs forts et en purgatifs minoratifs, il n'y en a aucun autre qui soit sous-divisé ; et parce que dans tous les espèces ne sont point déterminées, les plantes y sont seulement rassemblées pêle-mêle sans être caractérisées, de façon que l'on puisse distinguer leurs propriétés de celles des autres plantes du même genre. Cependant cette méthode est bonne, en ce qu'elle est moins arbitraire qu'aucune méthode d'histoire naturelle ; ses caractères dépendant des effets que produisent les plantes sur le corps humain, sont aussi constants que la nature des plantes et que la nature humaine : aussi cet ordre méthodique n'a point été changé jusqu'ici ; et je crois qu'il vaudrait bien mieux le développer en entier et le suivre dans les détails, que de penser à en faire d'autres. L'abus que l'on a fait des méthodes dans les nomenclatures des plantes, doit nous préserver d'un pareil abus dans l'exposé de leurs propriétés, qui ne peut être que le résultat de nos observations.

Il se présente naturellement deux objets principaux dans les observations qui peuvent nous conduire à la connaissance des propriétés des plantes. Le premier est de déterminer l'effet des propriétés connues, et de le modifier dans les différentes circonstances. Le second est de trouver les moyens de découvrir de nouvelles propriétés.

Le premier a été bien suivi par les bons observateurs, tant pour les remèdes intérieurs de la Médecine, que pour les topiques de la Chirurgie par rapport au règne végétal. Aussi est-ce par le résultat de ces observations que l'on constate la plupart des connaissances de la matière médicale, qui est sans-doute une des parties les plus certaines de la Médecine. Mais ces mêmes observations sont imparfaites en ce qui dépend de la Botanique et de la Pharmacie, c'est-à-dire de l'état actuel de la plante que l'on emploie et de sa préparation. On ne sait pas bien en quoi diffèrent les propriétés d'une racine arrachée au printemps ou en automne, en été ou en hiver ; une fleur cueillie, des feuilles séchées, une écorce enlevée ou un bois coupé dans ces différentes saisons ; en quelle proportion l'efficacité des plantes augmente ou diminue à mesure qu'on les garde après les avoir recueillies ; quelle différence y occasionne un dessechement plus ou moins prompt, et la façon de les tenir dans un lieu plus ou moins fermé ; en quoi les propriétés des plantes dépendent de leur âge, du terrain, et du climat dans lequel elles croissent, etc. Si on a quelques connaissances des effets que produisent ces différentes circonstances, ce sont des connaissances bien vagues et bien éloignées du point de précision qu'exige l'importance du sujet. On n'a jamais fait des expériences assez suivies pour avoir de bonnes observations sur ces différents objets : de telles observations pourraient nous faire connaître la meilleure façon de préparer les plantes pour modifier leur efficacité à tel ou à tel point. Nous saurions au moins quel changement arrive dans la propriété d'une plante par une infusion plus ou moins longue, et par quantité d'autres préparations.

Il sera sans-doute plus facîle de déterminer l'effet des propriétés connues dans les plantes, et de les modifier par differents procédés, que de trouver le moyen de découvrir des vertus nouvelles. Les Chimistes avaient entrepris cette recherche, et avaient cru pouvoir y parvenir en déçomposant les plantes , et en en faisant une analyse exacte : mais les plus habiles artistes ont échoué dans cette entreprie; les résultats de l'analyse n'ont pas été d'accord avec les qualités les plus connues des plantes analysées. On a même prétendu que les plantes les plus opposées en vertu, se réduisaient aux mêmes principes. Enfin on a abandonné la voie de l'analyse, après s'être convaincu qu'elle ne pouvait conduire à aucune connaissance certaine fur les propriétés des plantes. Que de travaux infructueux! La plupart des plantes usuelles avaient été analysées; on les avait déjà caractérisées par les principes auxquels elles avaient été réduites, et on espérait que cette méthode nous ferait connaître les propriétés d'une nouvelle plante par les résultats de son analyse.

Il faut donc renoncer à cette erreur, quelque flatteuse qu'elle soit: mais pour avoir fait des tentatives inutiles, on ne doit pas se décourager dans un sujet aussi important. Il s'agit à présent de substituer à l'analyse des plantes quelqu'autre moyen de découvrir leurs propriétés: dû.-on échouer de nouveau après une longue suite d'expériences, on ne peut trop les multiplier, pour peu que le succès soit probable. On vient de faire une découverte dont on pourrait tirer des lumières pour cette recherche. M. de Buffon nous a fait voir des corps mouvants, non-seulement dans les semences des animaux, mais dants celles des plantes. Lorsqu'on a fait infuser pendant quelque temps des semences broyées ou d'autres parties d'une plante, on y voit, par le moyen du microscope, des parties organiques qui se développent, qui se meuvent de différentes manières, et qui prennent des figures différentes. Histoire naturelle tom. II. Voyez ANIMACULE. Cette belle découverte qui a, pour ainsi dire, dévoilé aux yeux de son auteur le mystère de la réproduction des animaux et des plantes, pourrait peut-être nous rendre les propriétés des plantes ensibles aux yeux. Ce fut la première réflexion que je fis, lorsque M. de Buffon me montra ces corps mouvants dans toutes les infusions de plantes qu'il mit en expérience pour la première fais, après qu'il eut conclu, que puisqu'il y avait des parties organiques sensibles dans les semences des animaux, elles devaient aussi se trouver dans celles des plantes. Cette induction, qui ne pouvait venir que d'un génie fait pour les plus grandes découvertes, a été confirmée par toutes les expériences qui ont été faites depuis. M. Néedham en a fait beaucoup en vue de la végétation. Nouvell. obs. microscop. J'en ai fait quelques-unes par rapport aux propriétés des plantes, et je crois qu'il serait à propos d'en faire bien d'autres, pour tâcher de parvenir par ce moyen à déterminer les différences entre les propriétés connues, et à en trouver de nouvelles. Le développement, la situation, la figure, le mouvement, la durée de ces corps mouvants pourraient servir de règle et de mesure pour juger des propriétés de la plante, et pour évaluer leur efficacité. Voyez HISTOIRE NATURELLE, PLANTE. (I)