S. m. (Histoire naturelle, Botanique) genre de plante à fleur en chaton. Il y a plusieurs étamines qui s'élèvent du fond du calice. Ce calice est composé de quatre feuilles, et stérile. L'embryon nait séparément, et devient un fruit composé de plusieurs petits pelotons d'écailles pleines de suc, qui renferment une semence arrondie. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

MURIER, s. m. (Jardinage) morus, arbre dont on connait trois principales espèces : le mûrier noir, qui s'est trouvé en Europe de toute ancienneté ; le mûrier blanc, qui est originaire de l'Asie ; et le mûrier rouge, qui nous est venu assez récemment de l'Amérique septentrionale. Ces arbres sont si différents, si utiles, si précieux, qu'on ne peut trop s'appliquer à rassembler tous les faits intéressants qui pourront servir à les élever et à les cultiver avec succès. Je traiterai donc de chacun séparément.

Le mûrier noir est un grand arbre dont la tige ordinairement tortueuse, prend une bonne grosseur, mais elle ne se dresse qu'à force de soins. Il jette beaucoup de racines qui n'ont presque point de chevelu, et qui s'étendent beaucoup plus qu'elles ne s'enfoncent. Elles sont fortes et actives ; elles s'insinuent sous les pavés, elles pénètrent dans les murs. Son écorce est ridée, épaisse, souple et filamenteuse ; ses feuilles sont grandes, dentelées, épaisses, rudes au toucher, lanugineuses en-dessous, et elles se terminent en pointe ; la plupart sont entières, et quelques-unes diversement échancrées ; elles sont d'un verd foncé : elles viennent tard au printemps, et elles commencent à tomber dès la fin de l'été. Nulle fleur particulière à cet arbre ; le fruit parait en même temps que les feuilles, et il porte les étamines qui doivent le féconder. C'est une sorte de baie assez grosse, longue, grumeleuse, qui est d'abord verte et âcre, qui devient ensuite rouge et acide, et qui est molle, noire et très-succulente dans sa maturité. C'est au mois d'Aout qu'elle arrive à sa perfection.

Cet arbre est robuste et de longue durée ; mais son accroissement est très-lent dans sa jeunesse ; il ne se multiplie pas aisément, et il ne réussit pas volontiers à la transplantation, surtout lorsqu'il a été arraché depuis quelque temps.

Le mûrier noir aime les lieux tempérés, les plaines découvertes, les pays maritimes : il se plait aussi sur la pente des monticules, à l'exposition du levant, dans les terres meubles et légères, franches et sablonneuses, ni trop seches, ni trop humides, dans les potagers, dans les basse-cours, et surtout dans le voisinage des bâtiments où il puisse être à l'abri des vents d'ouest et du sud-ouest, qui font tomber son fruit ; mais il se refuse au tuf, à l'argille, à la marne et à la craie, à l'humidité trop habituelle, au voisinage des grandes prairies et des eaux stagnantes ; il ne réussit pas dans les terres fortes, dures, arides et trop superficielles ; il dépérit dans un sol vague et inculte ; il craint les lieux trop exposés au froid, l'ombre des grands bâtiments, le voisinage des autres arbres, et on ne le voit jamais prospérer sur la crête des montagnes.

On peut multiplier cet arbre de plusieurs façons ; la plupart fort longues, quelques-unes très-incertaines, et d'autres d'une pratique peu aisée. D'abord de rejetons pris au pied des vieux arbres négligés ; mais ils sont presque toujours si mal enracinés, qu'ils manquent souvent, ou languissent longtemps. De racines assez grosses, détachées de l'arbre et replantées ; autre expédient sujet aux mêmes inconvéniens, et encore plus incertain. De boutures qui, faites à l'ordinaire, réussissent en très-petit nombre, et sont huit ou neuf ans à s'élever de six pieds. De semences qui sont le moyen le plus long et le plus minutieux ; mais le plus convenable à qui veut se procurer un grand nombre de plants. Par la greffe que l'on peut faire de différentes façons, qui réussit difficilement, et qui ne donne pas de beaux arbres ; et enfin, de branches couchées, qui sont la voie la plus courte, la plus facile, la plus sure et la plus propre à donner promptement du fruit.

On peut coucher ces branches depuis le mois d'Octobre jusqu'à celui d'Avril ; le plutôt sera le meilleur. En couchant les branches du mûrier noir, il faudra les marcotter. Pour l'exactitude de l'opération, voyez MARCOTTE. Si la terre est bonne et que l'ouvrage soit bien exécuté, quelques-unes auront d'assez bonnes racines au bout d'un an ; il sera pourtant plus sur de ne les enlever qu'après la seconde année : mais si l'on veut avoir des plants un peu forts et bien conditionnés, il faudra ne les transplanter qu'au bout de trois ans, et l'on sera bien dédommagé de l'attente par le progrès qui suivra. Si l'on voulait par cette même méthode se procurer un plus grand nombre de plants, il faudrait coucher en entier un mûrier de moyenne grandeur, marcotter toutes ses branches, et les couper à trois pouces au-dessous de terre ; de cette façon on accélérerait du double l'accroissement des plants, et ils seraient plus forts, plus grands, mieux dressés et mieux enracinés au bout d'un an, que les marcottes faites au pied de l'arbre ne le seraient après deux ou trois ans.

Pour faire des boutures de mûrier, on prend ordinairement des jeunes rejetons de cet arbre, que l'on coupe de six ou sept pouces de longueur, que l'on plante droits, comme un poireau dans des plates-bandes à l'ombre, que l'on abrite contre le soleil, que l'on arrose fréquemment, et qui avec tous les soins possibles ne réussissent qu'en très-petit nombre ; encore ces faibles productions sont-elles deux ou trois ans à languir et à dépérir en partie : mais on peut faire ces boutures avec plus de succès. Il faut au mois d'Avril prendre sur un arbre vigoureux les plus forts rejetons de la dernière année, les couper avec deux ou trois pouces de vieux bois, choisir ceux qui pourront avoir au moins deux à trois pieds de longueur ; on préparera, n'importe à quelle exposition, une planche de bonne terre de potager, meuble, légère, moèlleuse, qu'il faudra mêler de bon terreau et la bien cultiver jusqu'à deux pieds de profondeur : la planche ainsi disposée, l'on commencera par faire à l'un des bouts une fosse de deux pieds de largeur et de six à huit pouces de profondeur ; on y couchera douze ou quinze branches auxquelles on fera faire le coude le plus qu'il sera possible sans les casser ; on les arrangera de manière qu'elles ne sortiront de terre que d'environ trois pouces, et qu'elles borderont l'extrémité de la planche : ensuite on couvrira ces boutures à-peu-près de six ou huit pouces de terre en hauteur et en épaisseur du côté que les branches sont coudées ; puis on élargira d'autant la fosse ; on formera une autre rangée de branches couchées et relevées contre cette bute de terre ; on les recouvrira de même, et on continuera de suite jusqu'à ce que toutes les branches soient couchées : nul abri contre le soleil, nul autre soin après cela que de faire arroser abondamment ces boutures une fois la semaine dans les grandes sécheresses. Il en manquera peu, elles pousseront même assez bien dès la première année, et elles feront plus de progrès en cinq ans, que les boutures faites de l'autre façon n'en feront en dix années. Il faudra les lever au bout de trois ans, retrancher le superflu de la racine tortueuse et les mettre en pépinière. On pourra même replanter ces morceaux de racines qui auront au-moins un pied de longueur et qui formeront promptement de nouveaux plants. On trouve encore dans les anciens auteurs d'agriculture une autre méthode de faire des boutures, qui peut avoir son mérite ; c'est de prendre une grosse branche de mûrier, de la scier en tronçons d'un pied de long, de les enfoncer tout entiers sur leur bout dans la terre, en sorte qu'ils n'en soient recouverts que d'environ trois doigts : le bas du tronçon fait racine, le dessus pousse plusieurs tiges ; cette pratique est très-convenable pour former des mères.

Pour faire venir le mûrier de graine, l'on choisit les plus grosses mûres noires ; et de la plus parfaite maturité, celles surtout qui tombent d'elles-mêmes : on dépose les mûres sur un grenier pendant quelques jours pour qu'elles achevent de s'y mûrir : on a soin de les remuer chaque jour pour empêcher la fermentation et la pourriture. Quand on croit la maturité à sa perfection, on met les mûres dans un baquet d'eau ; on les frotte avec la main pour en séparer la graine en les écrasant et en délayant la pulpe : par ce moyen la bonne graine tombe au fond du baquet, dont on rejette tout ce qui surnage : on verse doucement l'eau en inclinant le baquet, on repasse la graine dans plusieurs eaux pour commencer de la nettoyer : on la fait sécher à l'ombre, ensuite on en ôte toute la malpropreté, et on la met dans un lieu sec pour ne la semer qu'au printemps. Il est vrai qu'on pourrait le faire aussitôt après la récolte, et pour le plutôt, dans ce climat, au commencement d'Aout ; mais on s'exposerait au double inconvénient de voir périr les jeunes plants ou par les chaleurs de la canicule, ou par les gelées de l'hiver subséquent ; à moins que l'on n'eut pris les plus grandes précautions pour les garantir de ces deux extrêmes : encore n'en résulterait-il aucune accélération dans l'accroissement. J'ai souvent éprouvé que les plants venus de graine semée au printemps, surpassaient en hauteur et en beauté ceux qui avaient été semés l'été précédent. Le mois d'Avril du dix au vingt, est le temps le plus convenable pour cette opération : si on voulait le faire plutôt, il faudrait semer sur couche : on les avance beaucoup par ce moyen, et les jeunes plants sont en état d'être mis en pepinière au bout d'un an ; mais ils exigent de cette façon, beaucoup de soins et des arrosements continuels. Cette méthode ne peut convenir que pour une petite quantité de graine : il faut préférer la pleine terre pour un semis un peu considérable. Il faut choisir à une bonne exposition une terre de potager qui soit meuble, légère, fraiche en bonne culture et mêlée de fumier bien consommé, ou de terreau de couche. On la disposera en planches de quatre pieds de largeur, sur chacune desquelles on formera en longueur quatre ou cinq rayons d'un bon pouce de profondeur, on y semera la graine aussi épais que pour la laitue : il faut une once de graine de mûrier pour semer une planche de trente pieds de long, qui pourra produire quatre à cinq mille plants. Si la graine que l'on veut semer parait dessechée, on fera bien de la laisser tremper pendant vingt-quatre heures, afin d'en avancer la germination. Pour recouvrir la graine, il faut se servir de terreau de couche bien consommé et passé dans un crible fin ; on répandra ce terreau avec la main sur les rayons, en sorte que la graine ne soit recouverte au plus que d'un demi-pouce d'épaisseur : on observe surtout qu'il faut faire ce dernier ouvrage avec grande attention : car c'est le point essentiel de l'opération, et d'où dépendra principalement tout le succès : enfin, on laissera les planches en cet état sans les niveller en aucune façon. Il ne sera pas inutile, quoiqu'on puisse s'en dispenser, de prendre la précaution de garnir les planches d'un peu de paille longue, fort éparse pour ne laisser pénétrer l'air et le soleil qu'à demi, et pour empêcher que la terre ne soit battue par les arrosements ; mais il faudra les faire légèrement et modérément de deux ou trois jours l'un, à proportion que la sécheresse se fera sentir. La graine levera communément au bout de trois semaines. L'on continuera les arrosements, toujours avec discrétion, selon le besoin, et l'on ôtera soigneusement les mauvaises herbes par de fréquents binages, avec d'autant moins d'inconvéniens, que les rayons du semis seront plus espacés. Ce ne sera guère qu'au bout de trois ans que la plupart des jeunes plants seront assez forts pour être mis en pepinière ; et il faudra cinq ou six autres années pour les mettre en état d'être transplantés à demeure.

La greffe n'est pas un moyen de grande ressource pour la multiplication du mûrier noir, parce qu'elle réussit difficilement, et qu'il n'en résulte aucune accélération d'accroissement. Le mûrier noir peut se greffer sur le mûrier blanc de toutes les façons usitées pour la greffe, si ce n'est que celle en fente réussit très-rarement. De toutes les méthodes, celles en écusson et en flute sont les meilleures. La greffe en flute se fait avec le plus de succès au commencement du mois de Juin ; mais comme cette pratique est minutieuse, et qu'on ne peut l'appliquer qu'à des petits sujets, on préfère la greffe en écusson, qui est plus facile, plus expéditive et plus assurée. Cette greffe se fait dans les mêmes saisons que pour les arbres fruitiers ; c'est-à-dire dans la première seve, ce qui s'appelle écussonner à la pousse, et durant la seconde seve, ce qui se nomme l'écusson à oeil dormant. Si l'on greffe dans le premier temps, les écussons ne poussant que faiblement, sont sujets à périr pendant l'hiver : il sera donc plus prudent de ne greffer qu'à oeil dormant à la fin de Juillet, ou dans le mois d'Aout. Quoique ces écussons réussissent communément, et qu'on les voie pousser vigoureusement au printemps suivant, il y a encore de plus grands risques à courir. Le peu de convenance qu'il y a entre le sujet et la greffe tourne à inconvénient. La seve surabondante du mûrier blanc ne trouvant pas la même souplesse dans les fibres, ni peut-être la même texture dans le bois du mûrier noir, s'embarrasse, se gonfle, s'extravase, et fait périr la greffe ; c'est ce que j'ai Ve souvent arriver.

Le mois d'Octobre est le temps le plus propre à la transplantation de cet arbre, lorsqu'il est d'une grosseur suffisante pour être placé à demeure. Mais s'il est question de mettre de jeunes plants en pepinière, il ne faudra les y planter qu'au mois d'Avril. Il ne faut à cet arbre qu'une taille toute ordinaire. On aura seulement attention, lorsqu'on le transplante, de n'accourcir ses racines que le moins qu'il sera possible, parce que n'ayant presque point de chevelu, il leur faut plus de volume pour fournir les sucs nécessaires au soutien de l'arbre. Il faut beaucoup de culture au mûrier noir dans sa jeunesse seulement ; mais j'ai remarqué qu'après qu'il est transplanté à demeure, qu'il est repris, bien établi et vigoureux, il faut cesser de le cultiver, et qu'il profite davantage, lorsqu'il est sous un terrain et sous une allée sablée surtout.

La feuille de mûrier noir est la moins propre à la nourriture des vers-à-soie, et on ne doit absolument s'en servir que quand on ne peut faire autrement, parce qu'elle ne produit qu'une soie grossière, forte, pesante et de bas prix ; mais on peut la faire servir à la nourriture du bétail : elle lui profite et l'engraisse promptement. Jamais les feuilles du mûrier ne sont endommagées par les insectes, et on en peut faire un bon dépilatoire en les faisant tremper ne. Elles ont encore la vertu de chasser les punaises, et d'enlever les rousseurs du visage.

Les mûres sont bonnes à manger ; elles sont assez agréables au gout, et même fort saines. Mais de tous les fruits qui se mangent, il n'y a peut-être que celui du mûrier dont il ne faut pas attendre la parfaite maturité, pour qu'il soit profitable. Les mûres doivent seulement être d'un rouge tirant sur le noir pour faire un bon aliment, encore n'en devrait-on manger que quand on a l'estomac vide ; elles excitent l'appétit, et elles sont rafraichissantes. On en fait du syrop pour les maux de gorge. Si l'on veut avoir des mûres très-grosses, il faut mettre le mûrier noir en espalier contre un mur exposé au nord.

Le bois du mûrier noir est jaune dans le cœur, et son aubier est blanchâtre. Il est compacte, pliant et plus dur que celui du mûrier blanc : il est de longue durée ; il noircit en vieillissant, et il résiste dans l'eau presqu' aussi-bien que le chêne ; aussi peut-on l'employer au pilotage : il est propre au charronage, à la menuiserie ; on en tire des cordes pour les bateaux ; on peut le faire servir aux mêmes ouvrages où l'on emploie l'orme. Ce bois, loin d'engendrer aucune vermine, a comme les feuilles la vertu de chasser les punaises. Il reçoit un beau poli, ce qui le fait rechercher par les tourneurs, les ébénistes et les graveurs, c'est même un bon bois de chauffage.

Le mûrier blanc, arbre de moyenne grandeur ; l'un des plus intéressants que l'on puisse cultiver pour le profit des particuliers et pour le bien de l'état. Cet arbre est la base du travail des soies, qui font en France une branche considérable de commerce. Après la toîle qui couvre le peuple, et la laine qui habille les gens de moyen état, la soie fait le brillant vêtement des grands, des riches, des femmes surtout et de tous les particuliers qui peuvent se procurer les superfluités du luxe. On la voit décorer les palais, parer les temples et meubler toutes les maisons où règne l'aisance. Cependant c'est la feuille du mûrier blanc qui fait la source de cette précieuse matière ; il s'en fait une consommation si considérable dans ce royaume, que malgré qu'il y ait déjà près de vingt provinces qui sont peuplées de mûriers, et où l'on fait filer quantité de vers à soie, néanmoins il faut tirer de l'étranger pour quatorze ou quinze millions de soies. Et comme la consommation de nos manufactures monte à ce qu'on prétend à environ vingt-cinq millions, il résulte que les soies qui viennent du cru de nos provinces ne vont qu'à neuf ou dix millions. Ces considérations doivent donc engager à multiplier de plus en plus le mûrier blanc. Les particuliers y trouveront un grand profit, et l'état un avantage considérable. C'est donc faire le bien public que d'élever des mûriers. Quoi de plus séduisant !

Le mûrier blanc tire son origine de l'Asie. Dans les climats tempérés et les plus orientaux de cette vaste partie du monde, le mûrier et les vers à soie ont été connus de toute ancienneté. L'arbre croit de lui-même, et l'insecte s'engendre naturellement à la Chine. Qui peut savoir l'époque où le Chinois a commencé à faire usage des cocons de soie qui se trouvaient sur le mûrier ? Peu-à-peu cet arbre a traversé les grandes Indes pour prendre dans la Perse le plus solide établissement ; de-là il a passé dans les îles de l'Archipel, où on a filé la soie dès le troisième siècle.

La Grèce est redevable à des moines de lui avoir apporté dans le sixième siècle, sous l'empereur Justinien des œufs de l'utîle insecte, et des graines de l'arbre qui le nourrit. A force de temps, l'un et l'autre passèrent en Sicîle et en Italie. Augustin Gallo auteur italien, qui a écrit sur l'Agriculture en 1540, assure que ce n'est que de son temps qu'on a commencé à élever les mûriers de semence en Italie, d'où on peut conclure que ces arbres n'y étaient alors qu'en petit nombre, puisque ce n'est que par la semence qu'on peut faire des multiplications en grand. Enfin le mûrier a passé en France dans le quinzième siècle sous Charles VII. il a encore fallu plus de cent années pour faire ouvrir les yeux sur l'utilité qu'on en pouvait tirer. Henri II. a commencé de jeter quelques fondements pour établir des manufactures de soie à Lyon et à Tours. Mais Henri IV. ce grand roi, ce père du peuple, a tenté le premier d'exécuter la chose en grand, a fait élever des mûriers, et a donné de la consistance aux premières manufactures de soieries. Ensuite a paru avec tant d'éclat Louis XIV. ce roi grand en tout, attentif à tout et connaisseur en tout. Il avait choisi pour ministre Colbert : ce vaste génie qui préparait le bien de l'état pour des siècles, sans qu'on s'en doutât, sit les plus grandes offres pour la propagation des mûriers dans les provinces méridionales du royaume : car il était raisonnable de commencer par le côté avantageux. Autant il en faisait planter, autant les paysans en détruisaient. Ils n'envisageaient que la privation d'une lisière de terre, et ne voyaient pas le produit à venir des têtes d'arbre qui devaient s'étendre dans l'air. Le ministre habîle imagina le moyen d'intéresser pour le moment le propriétaire du terrain. Il promit vingt-quatre sols pour chaque arbre qui serait conservé pendant trois ans. Il tint parole, tout prospéra. Aussi par les soins de ce grand homme, le Lyonnais, le Forez, le Vivarez, le bas Dauphiné, la Provence et le Languedoc, la Gascogne, la Guyenne et la Saintonge, ont été peuplées de mûriers. Voilà l'ancien fond de nos manufactures de soieries. Il semblait que ce fussent là des limites insurmontables pour le mûrier ; mais Louis XV. ce roi sage, ce père tendre, l'amour de son peuple, a vaincu le préjugé où l'on était que le reste du royaume n'était propre ni à la culture du mûrier, ni à l'éducation des vers à soie. Par ses ordres, feu M. Orry, contrôleur général, à force d'activité et de persévérance, a fait établir des pepinières de mûriers dans l'Angoumais, le Berry, le Maine et l'Orléanais ; dans l'île de France, le Poitou et la Tourraine. Il a fait faire en 1741 un pareil établissement à Montbard en Bourgogne ; et les états de cette province en 1754 ont non-seulement établi à Dijon une seconde pepinière de mûriers très-étendue et des mieux ordonnées ; mais ils font venir du Languedoc des personnes versées dans la culture des mûriers et dans le filage de la soie. M. Joly de Fleury, intendant de Bourgogne, à qui rien d'utîle n'échappe, a fait faire depuis dix ans les mêmes dispositions dans la province de Bresse. Enfin la Champagne et la Franche-Comté ont commencé depuis quelques années à prendre les mêmes arrangements. Le progrès de ces établissements passe déjà les espérances. Quels succès n'a-t-on pas droit de s'en promettre !

Le mûrier blanc fait un arbre de moyenne grandeur ; sa tige est droite, et sa tête assez régulière : ses racines sont de la même qualité que celles du mûrier noir, si ce n'est qu'elles s'étendent beaucoup plus qu'elles ne s'enfoncent. Son écorce est plus claire, plus souple, plus vive, plus lisse et plus filandreuse. Sa feuille, tantôt entière, tantôt découpée, est d'un verd naissant d'agréable aspect ; elle est plus mince, plus douce, plus tendre, et elle parait environ 15 jours plutôt que celle du mûrier noir. Le fruit vient de la même façon, mais plutôt ; il est plus petit. Il y en a du blanc, du purpurin et du noir ; il est également douçâtre, fade et désagréable au gout. Il mûrit souvent dès la fin de Juin.

Cet arbre est robuste, vient très-promptement, se multiplie fort aisément, réussit, on ne peut pas mieux, à la transplantation, et on peut le tailler ou le tondre sans inconvénient dans presque toutes les saisons. Dans l'intérieur du royaume et dans les provinces septentrionales, il faut mettre le mûrier blanc à de bonnes expositions, au midi et au levant, surtout à l'abri des vents du nord et du nord-ouest : ce n'est pas qu'ils ne puissent résister aux intempéries que ces vents causent ; mais comme on ne cultive cet arbre que pour ses feuilles, qui servent de nourriture aux vers à soie, il faut éviter tout ce qui peut les flétrir au printemps, ou en retarder la venue. Ce mûrier se plait sur les pentes douces des montagnes, dans les terres franches mêlées de sable, dans les terres à blé, dans les terres noires, légères et sablonneuses, et en général dans tous les terrains où la vigne se plait. C'est l'indication la plus certaine pour s'assurer s'il fera bien dans un pays. Cet arbre ne réussit pas dans les terres trop légères, trop arides, trop superficielles ; il n'y fait point de progrès. Mais il craint encore plus la glaise, la craie, la marne, le tuf, les fonds trop pierreux, les sables mouvants, la trop grande sécheresse et l'humidité permanente. A ce dernier égard, il faut de l'attention : le mûrier pourrait très-bien réussir le long des ruisseaux, dans les terres où il y a des suintements d'eau ; mais sa feuille perdrait de qualité ; elle serait trop crue pour les vers. Par cette même raison il faut se garder de mettre le mûrier dans les fonds bas, dans les prairies, dans les lieux serrés et ombragés. Cet arbre demande absolument à être cultivé au pied pour produire des feuilles de bonne qualité ; c'est ce qui doit empêcher de les mettre dans des terres en sainfoin, en luzerne, etc. mais on ne doit pas l'exclure des terres labourables, dont les cultures alternatives lui font grand bien.

On peut multiplier cet arbre par les moyens que l'on a expliqué pour le mûrier noir ; si ce n'est que de quelque façon qu'on élève le mûrier blanc, il réussit toujours plus aisément, et il vient bien plus promptement que le noir : on prétend même qu'il n'y a nulle comparaison entre ces deux sortes de mûriers pour la vitesse d'accroissement, et c'est avec juste raison ; car il m'a paru que le blanc s'élevait quatre fois plus vite que le noir. Je vais rappeler ces différentes méthodes de multiplication pour les appliquer particulièrement au mûrier blanc.

1°. De rejetons enracinés que l'on trouve ordinairement au pied des vieux arbres qui ont été négligés. On fait arracher ces rejetons en leur conservant le plus de racines qu'il est possible : on accourcit celles qui sont trop longues ; on met ces plants en pepinière, et on retranche leur cime à deux ou trois yeux au-dessus de la terre.

2°. Par les racines. Dans les endroits où on a arraché des arbres un peu âgés, les racines un peu fortes qui sont restées dans la terre poussent des rejetons. On peut les faire soigner, et les prendre l'année suivante, pour les mettre en pepinière de la même façon que les rejetons.

3°. De boutures. Voyez la méthode de les faire qui a été détaillée à l'article du MURIER NOIR. Toute la différence qui s'y trouvera, c'est que les boutures de mûrier blanc feront plus aisément racines, et prendront un accroissement plus prompt, en sorte qu'on pourra les lever et les mettre en pepinière au bout d'un an.

4°. De branches couchées. Voyez ce qui a été dit à ce sujet pour le mûrier noir. La différence qu'il y aura ici, c'est qu'il ne sera pas nécessaire de marcotter les branches, et que faisant racine bien plus promptement que celles du mûrier noir, elles seront en état d'être transplantées au bout d'un an.

5°. Par la greffe. C'est-à-dire qu'on peut multiplier par ce moyen les bonnes espèces de mûrier blanc, en les greffant sur celles que l'on regarde comme inférieures, relativement à la quantité de leurs feuilles. Si l'on en croit les anciens auteurs qui ont traité de l'Agriculture, on peut greffer le mûrier sur le terebinthe, le figuier, le poirier, le pommier, le chataignier, le hêtre, l'orme, le tilleul, le frêne, le peuplier blanc, le cormier, l'alisier, l'aubepin, et même sur le groseiller. Ces faits ont d'abord été hasardés-très-anciennement dans des poésies pour charger l'illusion par des prodiges, ensuite répétés pendant nombre de siècles par un tas d'écrivains plagiaires, puis révoqués en doute par les gens réfléchis ; enfin renversés et obscurcis par le flambeau de l'expérience.

Les mûriers venus de semence donnent des feuilles d'une si grande variété, que souvent pas un arbre ne ressemble à l'autre. Il y a des feuilles de toute grandeur : il s'en trouve qui sont entières et sans découpures ; mais la plupart les ont très-petites et très-découpées : ce sont ceux-ci que l'on regarde comme sauvages, parce que leurs feuilles sont de très-peu de ressources pour la nourriture des vers à soie : au lieu que l'on appelle mûriers francs, les mûriers dont les feuilles sont larges et entières, et surtout ceux qui ont été greffés. Il faudra donc prendre des greffes sur les mûriers de bonnes feuilles pour écussonner ceux qui auront des feuilles trop petites ou trop découpées. Voyez au surplus ce qui a été dit de la greffe pour le mûrier noir. Mais il y aura ici une différence considérable, qui sera toute à l'avantage du mûrier blanc. D'abord la greffe leur réussit avec plus de facilité, surtout l'écusson à oeil dormant : ensuite on peut greffer des sujets de tout âge, même ceux qui n'ont que deux ans de semence, ou ceux qui ont passé seulement un an dans la pepinière. Quand les plants sont forts, on les greffe à la hauteur de six pieds. Si les arbres sont âgés, et qu'on ne soit pas content de leurs feuilles, on les coupe à une certaine hauteur, on leur laisse pousser de nouveaux rejetons que l'on greffe par après.

6°. De semence. Si l'on n'est pas à portée de se procurer des graines dans le pays, il faudra en faire venir de Bagnols, ou de quelqu'autre endroit du Languedoc ; elle sera meilleure et mieux conditionnée que celle que l'on tirerait des provinces de l'intérieur du royaume. Une livre de graine de mûrier blanc coute huit livres environ sur le lieu, et elle peut produire soixante mille plants. Voyez sur le temps et la manière de semer, ce qui a été dit pour le mûrier noir. Mais il y aura à l'égard du mûrier blanc, une grande différence pour l'accroissement. Les jeunes plants du mûrier blanc s'éleveront dès la première année, communément à un pied, et quelques-uns à un pied et demi. On pourra donc, et il sera même à propos dès le printemps suivant au mois d'Avril, d'ôter environ un tiers des plants, en choisissant les plus forts pour les mettre en pepinière ; mais il ne faudra pas se servir d'aucun outil pour lever ces plants, parce qu'en soulevant la terre on dérangerait quantité des plants qui doivent rester. Le meilleur parti sera de faire arroser largement la planche de mûrier pour rendre la terre meuble et douce ; cela donnera la facilité de pouvoir arracher les plants avec la main. Au bout de la seconde année, les plants auront communément quatre à cinq pieds, alors il n'y aura plus moyen de différer ; il faudra les mettre en pepinière. Si on les laissait encore un an, les plants les plus forts étoufferaient les autres ; il en périrait la moitié. Il y a un grand avantage à ne mettre ces jeunes plants en pepinière, que quand ils sont un peu forts, c'est-à-dire à l'âge de deux ans ; ils exigent alors moins d'arrosements, moins de culture, et bien moins de soins que quand ils n'ont qu'un an. On suppose que l'on a disposé pour la pepinière un terrain convenable et en bonne culture. On fait arracher proprement les jeunes plants, que l'on nomme pourette, et après avoir accourci les racines avec discrétion, et coupé le pivot sans rien ôter de la cime pour ce moment, on les plante à un pied et demi de distance en rangées d'alignement, éloignées de trois pieds l'une de l'autre. Quand la plantation est faite, on coupe toutes les pourettes à deux ou trois yeux au-dessous de terre, et on les arrose selon que le temps l'exige. On ne doit rien retrancher cette première année des nouvelles pousses, sans quoi on affoiblirait le jeune plant, attendu que la seve ne s'y porte qu'à proportion de la quantité de feuilles qui la pompent. Mais au printemps suivant, il faut supprimer toutes les branches, à l'exception de celle qui se trouvera la mieux disposée à former une tige ; encore faudra-t-il en retrancher environ un tiers ou moitié, selon sa longueur, afin qu'elle puisse mieux se fortifier. Et toutes les fois que les arbres seront trop faibles, il faudra les couper à six pouces de terre ; ensuite beaucoup de ménagement pour la taille, ou même ne point couper du tout. Je vois que presque tous les jardiniers ont la fureur de retrancher chaque année toutes les branches latérales pour former une tige qui en quatre ans prend huit à neuf pieds de hauteur, sur un demi-pouce de diamètre. Voilà des arbres perdus : ils sont faibles, minces, étiolés et courbés. Nul remède que de les couper au pied pour les former de nouveau ; car ils ne reprendraient pas à la transplantation. Rien de plus aisé que d'éviter cet inconvénient, qui est très-grand à cause du retard. Il ne faut supprimer des branches que peu-à-peu chaque année, à mesure que l'arbre prend de la force ; car c'est uniquement la grosseur de la tige qui doit déterminer la quantité de l'élaguement : et pour donner de la force à l'arbre, il faut pendant l'été accourcir à demi ou aux deux tiers, les branches qui s'écartent trop. Par ce moyen on aura en quatre ans, des arbres de neuf à dix pieds de haut sur quatre à cinq pouces de circonférence, qui seront très-propres à être transplantés à demeure. On suppose enfin qu'on aura donné chaque année à la pepinière un petit labour au printemps, et deux ou trois binages pendant l'été pour détruire les mauvaises herbes ; car cette destruction doit être regardée comme le premier et le principal objet de la bonne culture. Je ne puis trop faire observer qu'il faut à cet arbre une culture très-suivie, par rapport à ce que les plaies qu'on lui fait en le taillant, se referment difficilement, à moins qu'il ne soit dans un accroissement vigoureux.

La transplantation du mûrier blanc doit se faire en automne, depuis le 20 Octobre jusqu'au 20 Novembre. Il ne faut la remettre au printemps que par des raisons particulières, ou parce qu'il s'agirait de planter dans une terre forte et humide. Mais un pareil terrain, comme je l'ai déjà fait observer, ne convient nullement à l'usage que l'on fait des feuilles du mûrier blanc. Les trous doivent avoir été ouverts l'été précédent, de trois pieds en carré au moins, sur deux et demi de profondeur, si le terrain l'a permis. On fera arracher les arbres avec attention et ménagement : on taillera l'extrémité des racines ; on retranchera toutes celles qui sont altérées ou mal placées, ainsi que tout le chevelu. On coupera toutes les branches de la tige jusqu'à sept pieds de hauteur environ, et on ne laissera à la tête que trois des meilleurs brins, qu'on rabattra à trois ou quatre pouces. Ensuite après avoir garni le fond du trou d'environ un pied de bonne terre, on y placera l'arbre, et on garnira ses racines avec grand soin, de la terre la plus meuble et la meilleure que l'on aura : on continuera d'emplir le trou avec du terreau consommé, ou d'autre terre de bonne qualité, que l'on pressera contre le collet de l'arbre pour l'assurer. Mais il faut se garder de buter les arbres : c'est une pratique qui leur est préjudiciable. Il vaut mieux au contraire, que le terrain ait une pente insensible autour de l'arbre pour y conduire les pluies et y retenir les arrosements. Il est difficîle de décider la distance qu'il faut donner aux mûriers : elle doit dépendre de la qualité du terrain et de l'arrangement général de la plantation. On peut mettre ces arbres à quinze, dix-huit ou vingt pieds, lorsqu'il est question d'en faire des avenues, de border des chemins, ou d'entourer des héritages. Quand il s'agit de planter tout un terrain, on se règle sur la qualité de la terre, et on met les arbres à quinze ou vingt pieds. On doit même pour le mieux les arranger en quinconces. Si cependant on veut faire rapporter du grain à ce terrain, on espace ces arbres à six ou huit taises, pour faciliter le labourage. Mais dans ce dernier cas, l'arrangement le moins nuisible, et qui admet le plus de plants, c'est de former des lignes à la distance de huit à dix taises, et d'espacer les arbres dans ces lignes, à quinze, dix-huit ou vingt pieds, selon la qualité du sol. Comme en faisant le labourage, la charrue n'approche pas suffisamment des arbres pour les tenir en culture les premières années, et qu'il faut y suppléer par la main d'homme, il y a un excellent parti à prendre, qui est de planter entre les arbres de jeunes mûriers en buisson ou en haie : le tout n'occupe jamais qu'une lisière de trois ou quatre pieds de largeur, que l'on fait cultiver à la pioche. Ces buissonnières ou ces haies de mûrier ont un grand avantage ; elles donnent une grande quantité de feuilles qui sont aisées à cueillir, et qui paraissent quinze jours plutôt que sur les grands arbres : on peut par quelques précautions, les mettre à couvert de la pluie ; ce qui est quelquefois très-nécessaire pour l'éducation des vers. On prétend qu'on s'est très-bien trouvé dans le Languedoc, de ces buissonnières et de ces haies, parce qu'elles donnent plus de feuilles que les grands arbres, qu'elles sont plutôt en état d'en donner, et qu'on peut les dépouiller au bout de trois ans, sans les altérer et sans inconvenient pour les vers ; au lieu qu'on ne doit commencer à prendre des feuilles sur les arbres de tige qu'après cinq ou six ans de plantation. Les haies de mûrier se garnissent et s'épaississent si fortement et si promptement, qu'elles sont bien-tôt impénétrables au bétail : en sorte qu'on peut s'en servir pour clorre le terrain, et dans ce cas on plante la haie double : le bétail en la rongeant au-dehors la fait épaissir, et travaille contre lui-même. Si dans l'année de la plantation, il survenait de grandes sécheresses, il faudrait arroser quelquefois les nouveaux plants, et toujours abondamment. Il n'est besoin cette première année que de sarcler pour empêcher les mauvaises herbes : elles sont après le bétail le plus grand fléau des plantations. Nul autre soin que de visiter la plantation de temps en temps pendant l'été, pour abattre en passant la main, les rejets qui poussent le long des tiges, et ensuite de couper à chaque printemps le bois mort, les branches chiffonnes ou gourmandes, même d'accourcir celles qui s'élancent trop : tout ce qu'il faut en un mot, pour former la tête des arbres et la disposer à la production et à la durée. Quand les arbres seront parvenus à dix-huit ou vingt ans, la plupart seront alors fatigués, languissants, dépérissants, ou ne produiront que de petites feuilles. Il sera nécessaire en ce cas, de les ététer, non pas en les coupant précisément au-dessous du tronc ; ce qui faisant pousser des rejets trop vigoureux et en petit nombre, causerait un double inconvénient : les feuilles seraient trop crues pour la nourriture des vers, et la tête de l'arbre serait trop longtemps à se former. La meilleure façon de faire cette tonte, c'est de ne couper que le menu branchage un peu avant la seve. On fait aussi ces tontes peu-à-peu pour ne pas changer tout-à-coup la qualité des feuilles. On prétend que cet arbre est dans sa force à vingt ou vingt-cinq ans, et que sa durée Ve jusqu'à quarante-cinq ou cinquante, et même plus loin lorsqu'on a soin de le soutenir par la taille.

La feuille du mûrier blanc est le seul objet de la culture de cet arbre. Elle est la seule nourriture que l'on puisse donner aux vers à soie ; mais outre cet usage, cette feuille a toutes les qualités de celles du mûrier noir. Voyez ce qui en a été dit.

Les mûres que produit cet arbre ne peuvent servir qu'à nourrir la volaille ; elle les mange avec avidité, et s'en engraisse promptement.

Le bois du mûrier blanc sert aux mêmes usages que celui du mûrier noir, il est de même qualité, si ce n'est qu'il n'est pas si compact et si fort ; de plus, on en fait des cercles et des perches pour les palissades des jardins, qui sont de longue durée. On se sert aussi de ce bois en Provence pour faire du merrain à futailles pour le vin, mais il faut qu'il soit préparé à la scie, parce qu'il se refuse à la fente. On peut encore tirer du service de toute l'écorce de cet arbre, non-seulement pour en former des cordes, mais encore pour en faire de la toîle ; l'écorce des jeunes rejetons est plus convenable pour ce dernier usage. Comme le mûrier pousse vigoureusement, et qu'on a souvent occasion de le tailler, on peut rassembler les rejetons de jeune bois les plus forts et les plus longs qui sont provenus des tontes ou d'autres menues tailles ; les faire rouir comme le chanvre, les tiller de même ; ensuite seraner, filer, façonner cette matière comme la toile. La même économie se pratique en Amérique. M. le Page, dans ses mémoires sur la Louisiane, dit que le premier ouvrage des filles de huit à neuf ans, est d'aller couper, dans le temps de la seve, les rejetons que produisent les mûriers après avoir été abattus ; qu'elles pelent ces rejetons qui ont cinq à six pieds de longueur, ensuite font sécher l'écorce, la battent à deux reprises pour en ôter la poussière et la diviser ; puis la blanchissent et enfin la filent de la grosseur d'une ficelle. Quelques auteurs modernes prétendent qu'on pourrait employer le mûrier blanc à former du bois taillis ; qu'il y viendrait aussi vite, et y réussirait aussi-bien que le coudrier, l'orme, le frène et l'érable ; mais on n'a point encore de faits certains à ce sujet.

Le mûrier d'Espagne est de la même espèce que le mûrier blanc ; c'est une variété d'une grande perfection que la graine a produit en Espagne. Il fait un bel arbre, une tige très-droite, et une tête régulière ; sa feuille est beaucoup plus grande que celle des mûriers blancs ordinaires de la meilleure espèce ; elle est plus épaisse, plus ferme, plus succulente, et toujours entière, sans aucunes découpures. Les mûres que cet arbre produit, sont grises et plus grosses que celles des autres mûriers blancs, sur lesquels on peut le multiplier par la greffe en écusson, qui réussit très-aisément ; mais cette feuille ne convient pas toujours pour la nourriture des vers à soie. On prétend que si on ne leur donnait que de celle-là, il n'en viendrait qu'une soie grossière ; cependant on convient assez généralement qu'on peut leur en donner quelques jours avant qu'ils fassent leurs cocons, et que la soie en sera plus forte et toute aussi fine.

Le mûrier de Virginie à fruit rouge, c'est un grand et bel arbre qui est rare et précieux. Il faut le soigner pour lui faire une tête un peu régulière, parce que ses branches s'élancent trop ; son écorce est unie, lisse et d'une couleur cendrée fort claire. Ses feuilles sont très-larges, et de neuf à dix pouces de longueur, dentelées en manière de scie, et terminées par une pointe allongée ; leur surface est inégale et rude au toucher : elles sont moèlleuses, tendres, d'un vert naissant, et en général d'une grande beauté. Elles viennent douze ou quinze jours plutôt que celles du mûrier blanc. Dès la mi-Avril l'arbre porte des chatons qui ont jusqu'à trois pouces de longueur ; à la fin du même mois, les mûres paraissent, et leur maturité s'accomplit au commencement de Juin ; alors elles sont d'une couleur rouge assez claire, d'une forme conique allongée, et d'un goût plus acide que doux ; mais elles n'ont pas tant de suc que les mûres noires. Cet arbre porte des chatons, dès qu'il a trois ou quatre ans ; cependant il ne donne du fruit que huit ou neuf ans après qu'il a été semé. Ce mûrier est aussi robuste que les autres, lorsqu'il est placé à mi-côte ou sur des lieux élevés ; mais quand il se trouve dans un sol bas et humide ; il est sujet à avoir des cimes gelées dans les hivers rigoureux. Son accroissement est du double plus prompt que celui du mûrier blanc ; il réussit aisément à la transplantation, mais il n'est pas aisé de le multiplier. Ceux que j'ai élevés, sont venus en semant les mûres qui avaient été envoyées d'Amérique, et qui étaient bien conservées. Les plantes qui en vinrent, s'élevèrent en trois ans à sept pieds la plupart ; et en quatre autres années après la transplantation, ils ont pris jusqu'à quinze pieds de hauteur, sur sept à huit pouces de circonférence. Ces arbres dans la force de leur jeunesse poussent souvent des branches de huit à neuf pieds de longueur. Les mûres qu'ils ont produites en Bourgogne, et que j'ai semées jusqu'à deux fais, n'ont pas réussi. Serait-ce par l'insuffisance de la fécondité des graines, ou le succès aura-t-il dépendu de quelques circonstances de culture qui ont manqué ? C'est ce qui ne peut s'apprendre qu'avec de nouvelles tentatives. Cet arbre se refuse absolument à venir de boutures, et la greffe ne réussit pas mieux. Il est vrai qu'elle prend sur les autres mûriers, mais il en est de cette greffe comme Palladius a dit de celle du mûrier blanc sur l'orme, parturit magnae infelicitatis augmenta ; elle Ve toujours en dépérissant.

Il n'y a donc actuellement d'autre moyen de multiplier ce mûrier, que de le faire venir de branches couchées ; encore faut il y employer toutes les ressources de l'art ; les marcottes, les serres, au moyen d'un fil de fer, et avec le procédé le plus exact, n'auront de bonnes racines qu'au bout de trois ans. En coupant les jeunes branches de cet arbre, et en détachant les feuilles, j'ai observé qu'il en sort un suc laiteux assez abondant, un peu corrosif et tout opposé à la seve des autres mûriers, qui est fort douce. C'est apparemment cette différence entre les seves, qui fait que la greffe ne prend pas sur le sujet. La feuille de ce mûrier serait-elle convenable pour la nourriture des vers, et quelle qualification donnerait-elle à la soie ? c'est ce qu'on ne sait encore aucunement. Cet arbre est en seve pendant toute la belle saison, et jusque fort tard en automne ; en sorte que les feuilles ne tombent qu'après avoir été frappées des premières gelées.

Le mûrier de Virginie à feuilles velues. On n'a point cet arbre encore en France, il est même extrêmement rare en Angleterre. Presque tout ce qu'on en peut savoir jusqu'à présent, se trouve dans la sixiéme édition du dictionnaire des Jardiniers de M. Miller, auteur anglais, qui rapporte que les feuilles de ce mûrier ont beaucoup de ressemblance avec celles du mûrier noir, mais qu'elles sont plus grandes et plus rudes au toucher ; que l'écorce de ses jeunes branches est noirâtre, comme les rameaux du micocouiller, qu'il est robuste ; qu'il y en a un grand arbre à Fulham, près de Londres ; que cet arbre a quelquefois donné un grand nombre de chatons semblables à ceux du naisettier, mais qu'ils n'ont jamais porté de fruit ; que les greffes qu'on a essayées sur le mûrier blanc et sur le noir, n'ont pas réussi, et que, comme l'arbre est élevé on n'a pas pu le faire venir de branches couchées. Au rapport de Linnœus, les nouvelles feuilles de ce mûrier sont extrêmement velues en-dessous, et quelquefois découpées, et ses chatons sont de la longueur de ceux du bouleau.

Le mûrier noir à feuilles panachées. C'est une belle variété, la seule que l'on puisse employer dans les jardins pour l'agrément. Cet arbre pourrait trouver place dans une partie de bosquets où l'on rassemble les arbres panachés ; il a de plus le mérite de la rareté. On peut le multiplier par la greffe sur le mûrier noir ordinaire. M. D' AUB. le Subdélégué.

MURIER, (Diete et mat. méd.) ce n'est presque que le mûrier noir ou des jardins, qui est d'usage en médecine, et dont on mange communément le fruit.

Le fruit du mûrier ou les mûres sont la principale partie de cet arbre qui soit employée en Médecine. On prépare de leur suc un rob et un syrop simple. Le rob appelé diamorum devrait, selon la force du mot, n'être autre chose que le suc des mûres, épuré et épaissi par l'évaporation jusqu'à consistance requise, mais on y ajoute communément le miel ; le syrop simple se prépare avec le même suc et le sucre.

Le rob miellé et le syrop ont la même vertu médicinale. On prépare et on emploie beaucoup plus communément le dernier, qui même est presque la seule de ces deux préparations qu'on trouve dans les boutiques depuis que le sucre a été substitué au miel dans presque toutes les anciennes préparations officinales.

Le syrop de mûres est fort communément employé dans les gargarismes contre les inflammations, les légères érosions, et l'enflure douloureuse de la gorge et des glandes du fond de la bouche, etc. c'est même presque son unique usage : on l'emploie cependant aussi quelquefois dans les juleps rafraichissants contre les diarrhées bilieuses, les légères dissenteries, etc. et il est assez propre à l'un et à l'autre usage par sa très-légère et assez agréable acidité ; au reste, ce sont là les vertus que les anciens, Dioscoride et Galien, attribuent aux mûres vertes immaturis, au-lieu qu'ils n'attribuent à celles qui sont mûres qu'une vertu laxative.

Ces mêmes auteurs ont accusé les mûres de se corrompre facilement et d'être ennemies de l'estomac ; mais Pline dont le sentiment est plus conforme à l'expérience, dit qu'elles rafraichissent, qu'elles apaisent la soif, et qu'elles donnent de l'appétit. On trouve dans Horace les vers suivants sur les mûres.

Ille salubres

Aestates peraget nigris qui prandia moris

Finiet ante gravem quae legerat arbore solem.

Mais ces qualités particulières, soit bonnes soit mauvaises, ne sont établies que sur une observation peu exacte. Le suc des mures qui ont atteint leur maturité, n'a d'autre qualité bien constatée que celle de suc doux légèrement aigrelet (voyez DOUX, Diete), mais ce suc est contenu dans un paranchyme molasse et abondant qui rend ce fruit indigeste lorsqu'on le mange entier.

On trouve encore dans les auteurs de Pharmacie un rob et un syrop de mûres composé, mais ces remèdes ne sont point en usage parmi nous.

L'écorce de mûrier, et surtout celle de la racine, est un puissant vermifuge dont on se sert fort communément, soit seule, soit mêlée à d'autres remèdes, (voyez VERMIFUGE) à la dose d'un demi-gros ou d'un gros réduite en poudre et incorporée avec un syrop approprié.

L'écorce de la racine du mûrier blanc a la même vertu que la précédente.

On trouve dans quelques auteurs, sous le nom de morel, une espèce de julep ainsi nommé du syrop de mûre qui entre dans sa composition. Voyez JULEP. (b)