S. m. (Histoire naturelle, Botanique) espèce de coque ou d'excroissance grosse comme une baie de genièvre qui croit sur les feuilles d'une espèce de chêne vert, et qui est d'un usage considérable dans la Médecine et dans la Teinture. Voyez TEINTURE.

Le kermès ou écarlate, appelé cocos baphica par les Grecs, vermiculus par les Latins, et quelquefois vermillon par les Français, est une espèce de nid d'insecte de la grosseur environ d'une baie de genièvre, rond, uni, luisant, d'un très-beau rouge, et rempli d'un suc mucilagineux de la même couleur, que l'on trouve attaché à l'écorce et aux branches d'une espèce de chêne vert appelé par les Botanistes ilea aculeata cocci glandifera, qui croit en Espagne, en Languedoc, et en plusieurs autres pays chauds.

La baie de kermès a une odeur vineuse, un goût amer, assez agréable ; et sa pulpe est remplie d'un nombre infini d'œufs d'animalcules.

L'origine du kermès vient, à ce qu'on croit, d'un petit vermisseau, qui piquant ce chêne pour en tirer sa nourriture et y déposer ses œufs, y fait naître une coque ou une vessie qui se remplit de suc, et qui en murissant devient rouge comme nous la voyons.

De-là vient que quand on fait sécher le kermès, il en sort une si grande quantité de petits vers et de moucherons presque imperceptibles, que toute sa substance intérieure semble s'être convertie en ces petits insectes. C'est pour cette raison qu'on le nomme aussi vermillon, ou parce qu'il fait la teinture du beau rouge vermeil. Pour remédier à cet accident, quelques-uns font tremper pendant un peu de temps le kermès dans du vinaigre, avant de le faire sécher.

On tire le suc ou la pulpe du kermès en le pilant dans un mortier, et le passant à-travers un tamis ; on en fait du syrop en y ajoutant une quantité suffisante de sucre. On fait aussi quelquefois sécher la pulpe séparée de son écorce, et on lui donne le nom de pastel de kermès.

Le kermès est d'un grand usage dans la Médecine : il est cardiaque, dessicatif, astringent. Il fortifie l'estomac, et empêche l'avortement. C'est avec lui que l'on fait la fameuse confection appelée alkermès. Voyez CONFECTION.

Il est néanmoins d'un plus grand usage dans la Teinture ; et pour cet effet on le prépare de la manière suivante. Le grain étant mûr, on l'étend sur un linge, et l'on a soin de le tourner deux ou trois fois par jour, tandis qu'il est encore humide, pour empêcher qu'il ne s'échauffe, jusqu'à ce qu'on aperçoive parmi les grains une poudre rouge ; on sépare celle-ci en la passant à-travers des tamis, et l'on continue d'étendre les grains et de les tamiser jusqu'à ce qu'il ne se ramasse plus de cette poussière sur leurs surfaces.

Lorsqu'on commence à s'apercevoir que les grains de kermès remuent, on les arrose avec du fort vinaigre, et on les frotte entre les mains. Quand on néglige cette précaution, il sort de chacun une petite mouche, qui après avoir volé autour pendant deux ou trois jours, change de couleur et meurt à la fin.

Le grain étant entièrement vide de sa pulpe ou poussière, on le lave dans du vin, et on l'expose au soleil ; après quoi on le met dans des petits sacs avec la poudre qu'il a donnée.

Suivant les expériences que M. le C. de Marsilli a faites à Montpellier, la graine de kermès, de même que la noix de galle, mêlée avec du vitriol, fait de l'encre ; avec de l'huîle de tartre, ou de l'eau de chaux, sa couleur qui ressemble à celle de la brique, se change en un beau cramoisi. Dans la décoction de tournesol, elle conserve la couleur qui lui est naturelle : il n'a pas été possible d'en tirer un sel fixe essentiel, mais elle a donné dans la distillation un sel volatil, qui au sentiment de M. de Marsilli, aurait un bien meilleur effet en Médecine pris dans quelque liquide, qu'enveloppé dans des conserves et des confections qui ne font qu'embarrasser son action.

KERMES de Pologne, (Insectologie) autrement dit graine d'écarlate de Pologne ; mais ce n'est point une graine, c'est un véritable insecte qui s'attache à la racine du knawel ; voyez KNAWEL.

De-là vient que Breynius le naturaliste, qui en a parlé avec le plus de connaissance, le nomme coccus radicum. Il a été connu jusqu'ici sous le nom de graine d'écarlate de Pologne, coccus tinctorius polonicus, parce que c'est principalement dans ce royaume qu'on prenait soin de le ramasser.

La Pologne n'est pourtant pas le seul des pays du nord, où cet insecte naisse, et peut-être existe-t-il dans des pays très-tempérés ; mais il pourrait être assez commun en quelques endroits, et y être inconnu, parce qu'il se cache si bien, qu'il n'y a que les hasards qui puissent le faire découvrir, même à ceux qui le cherchent ; d'autant plus que ce n'est que dans des terrains sablonneux et arides qu'on le trouve sur le knawel.

Divers auteurs prétendent que le même insecte, ou un semblable, croit aussi sur les racines de plusieurs autres plantes, comme sur celle de la piloselle, de l'herniaire, de la pimprenelle et de la pariétaire ; cependant on n'a point encore trouvé cet insecte en France, du-moins M. de Reaumur, qui le range dans la classe des progallinsectes, l'a fait chercher sans succès.

Quoi qu'il en sait, comme cet insecte n'en veut qu'aux racines du knawel, on le distingue essentiellement du kermès de Languedoc, qui ne vient que sur les tiges et les branches de l'yeuse.

C'est en Juin qu'on détache le kermès de Pologne, des racines de la plante ; chaque grain est alors à peu près sphérique, et d'une couleur de pourpre violet. Les uns ne sont pas plus gros que des grains de millet ou de pavot ; et les autres sont aussi gros que des grains de poivre ; chacun est logé en partie dans une espèce de coupe ou de calice, comme un gland l'est dans le sien ; plus de la moitié de la surface extérieure du petit insecte, est recouverte par le calice. Le dehors de cette enveloppe est raboteux, et d'un brun noir, mais son intérieur est poli. Il y a telle plante de knawel, sur laquelle on ne trouve qu'un ou deux de ces grains ou insectes, et on en trouve plus de quarante sur d'autres.

A la fin de Juin, il sort un ver de chacun des plus petits grains, de ceux qui ne sont pas plus gros que des grains de pavot ; entre ces vers, les uns se couvrent de duvet, tandis qu'il n'en parait point sur d'autres ; mais tous quittent une dépouille pour se transformer en une nymphe, qui, après être restée quelques jours immobile, devient une mouche à corps rouge, ayant deux ailes blanches, bordées de rouge ; voilà les kermès mâles.

Les insectes, qui égalent en grosseur des grains de poivre, ne subissent point une semblable métamorphose ; aucun d'eux ne se transforme en mouche ; ces gros grains, ou ces gros insectes, par rapport aux autres, sont les kermès femelles, sur lesquelles les petites mouches marchent, montent et joignent leur derrière au leur, vraisemblablement pour en féconder les œufs. On a d'autant plus lieu de se le persuader, que les gros insectes, après avoir passé quelque temps avec les petites mouches, se couvrent bientôt de duvet, et font des œufs au bout de quelques jours ; au lieu que ceux qui n'ont point eu de commerce avec les petites mouches, restent presque nuds ; ou s'ils prennent un peu de duvet, ils ne parviennent point à pondre. Les petits, peu de jours après être nés, se fixent sur quelque nouvelle racine de knawel, s'y nourrissent et y croissent.

Telle est en peu de mots l'histoire du kermès de Pologne, depuis le temps où il parait sous la forme d'une boule, logé en partie dans un calice jusqu'au temps où le petit, sorti de l'œuf, songe à son tour à pulluler. M. Frisch est le premier qui a parlé de la transformation du progallinsecte, des racines de knawel en mouche ; mais M. Breynius a rectifié cette idée trop générale, et a donné l'histoire précise de cet insecte singulier, dans une dissertation latine, jointe à l'appendix des actes des curieux de la nature, année 1733 ; et cette dissertation est ornée de figures qui paraissent faites avec soin. Nous y renvoyons les lecteurs.

On ignore si le kermès de Pologne a, comme la cochenille du Mexique, la propriété de se conserver, au lieu que nous sommes surs de la conservation de la cochenille du Mexique, pendant plus d'un siècle. Les insectes, mangeurs de cadavres d'insectes, ne veulent point de celui-ci : peut-être n'en serait-il pas de même du kermès de Pologne. On l'employait autrefois pour teindre en rouge ; c'était pour ainsi dire la cochenille du Nord ; on y en faisait des récoltes ; mais ces recoltes moins abondantes, plus difficiles que celles de la véritable cochenille, et qui donnent une drogue moins bonne pour la teinture, ont été tellement abandonnées, que bien-tôt nous n'en connaitrons plus l'usage que par les écrits des savants.

C'est du moins ce qui est arrivé à bien d'autres matières animales, qui servaient autrefois à la teinture de pourpre, comme aussi aux insectes de la racine de pimprenelle, du lentisque, de la pariétaire, du plantain et de la piloselle, dont on ne parle plus. Le seul kermès du Languedoc se recueille encore, parce qu'on l'a anciennement introduit dans deux préparations de médecine, qui, quoique très-médiocres en vertu, subsistent toujours d'après les vieux préjugés. Nous ne manquons pas en Pharmacie d'exemples pareils ; toutes les préparations galéniques sont de ce nombre.

(Le Chevalier DE JAUCOURT.)

KERMES, (Mat. méd. et Pharmacie) coque de kermès, et plus communément graine de kermès.

On prépare en Languedoc un suc ou sirop de kermès, de la manière suivante : on mêle trois parties de sucre avec une partie de coques de kermès écrasées ; on garde ce mélange pendant un jour dans un lieu frais ; le sucre s'unit pendant ce temps au suc de kermès, et forme avec ce suc une liqueur, qui, étant passée et exprimée, a la consistance de sirop. Cette composition est envoyée en grande quantité à Paris et dans les pays étrangers.

On nous apporte aussi du même pays les coques de kermès nouvelles et bien mures, dont on prépare quelquefois une conserve, suc ou sirop de kermès, de la manière suivante : pilez des graines de kermès dans un mortier de marbre, gardez-les dans un lieu frais pendant sept à huit heures, pour que le suc se dépure par une légère fermentation ; exprimez et gardez encore le suc pendant quelques heures, pour qu'il acheve de s'éclaircir par le repos ; versez la liqueur par inclination ; mêlez-la avec deux parties de sucre, et faites évaporer à un feu doux, jusqu'à la consistance d'un sirop épais.

Les apoticaires de Paris préparent rarement ce sirop ; ils préfèrent avec raison celui qu'on apporte de Languedoc. C'est avec l'un ou l'autre de ces sirops, qu'on prépare la célèbre confection alkermès. Voyez l'article CONFECTION.

Les semences de kermès, données en substance, depuis un demi-scrupule jusqu'à un gros, ont acquis beaucoup de célébrité dans ces derniers temps contre l'avortement. Geoffroy assure, dans sa matière médicale, d'après sa propre expérience, que plusieurs femmes, qui n'avaient jamais pu porter leurs enfants à terme, étaient heureusement accouchées au bout de neuf mois, sans accident, après avoir pris, pendant tout le temps de leur grossesse, les pilules suivantes :

Prenez graine de kermès récente en poudre, et confection d'hyacinte, de chacun un gros ; germes d'œufs dessechés et réduits en poudre un scrupule ; sirop de kermès, suffisante quantité ; faites une masse de pilules pour trois doses ; on donnera à six heures de distance l'une de l'autre, c'est-à-dire en douze heures, avalant par dessus chaque dose un verre de bon vin avec de l'eau, ou d'une eau cordiale convenable.

La graine de kermès en substance, est fort célèbre encore pour rétablir et soutenir les forces abattues, surtout dans l'accouchement difficile, à la dose d'un gros jusqu'à deux. Le sirop est employé au même usage à la dose d'une ou de deux onces.

L'un et l'autre de ce remède passe pour stomachique, tonique et astringent ; les anciens ne lui ont connu que cette dernière propriété.

Quelques auteurs ont attribué à la graine de kermès une qualité corrosive, capable d'entamer la membrane intérieure des intestins ; Geoffroy prétend que cette imputation n'est point fondée.

La poudre de graine sechée de kermès, entre dans la confection alkermès, dans la confection d'hiacinthe, dans la poudre contre l'avortement ; le sirop entre dans les pilules de Becher. (b)

KERMES MINERAL, (Chimie et Mat. médicale) Prenez une livre de bon antimoine crud que vous concasserez grossièrement ; mettez-la avec quatre onces de liqueur de nitre fixé dans une caffetière de terre vernissée ; versez par-dessus une pinte d'eau de pluie, et faites bouillir le tout pendant deux heures ; filtrez ensuite la liqueur toute bouillante ; reversez sur l'antimoine, qui est resté dans la caffetière, une autre pinte d'eau de pluie, et trois onces de liqueur de nitre fixé ; faites bouillir de nouveau pendant deux heures, et filtrez comme la première fois ; ajoutez après cela deux onces de liqueur de nitre fixé, et une pinte d'eau de pluie, à ce qui reste dans la caffetière ; faites bouillir pour la troisième et dernière fois pendant deux autres heures ; après quoi, filtrez la liqueur, et la mêlez avec les précédentes ; laissez le tout en repos, pour donner lieu à la précipitation qui se fera d'une poudre rouge ; la précipitation finie, décantez la liqueur qui surnage le précipité ; faites passer ensuite, à différentes reprises, de l'eau chaude sur ce précipité, jusqu'à ce qu'il soit insipide ; laissez-le bien égoutter sur le filtre ; faites-le sécher, et lorsqu'il sera bien sec, brulez de l'eau-de-vie une ou deux fois ; faites-le secher de nouveau, et vous aurez ce qu'on appelle le kermès minéral, ou la poudre des chartreux.

La description que l'on vient de donner de la manière de préparer le kermès minéral, est celle qui fur publiée par ordre du roi en 1720, lorsque M. le régent en eut fait, au nom de S. M. l'acquisition du sieur de la Ligerie, chirurgien, qui est celui qui a fait connaître ce remède en France. Il est nommé dans cette description, poudre alkermès, ou aurifique minéral, à la façon de Glauber mais il était déjà connu depuis quelques années sous le nom de poudre des chartreux. L'origine de cette dernière dénomination était venue de ce que le sieur de la Ligerie avait fait part au frère Simon, apoticaire des chartreux, des grandes vertus et de la composition de son remède. Celui-ci ayant eu occasion d'en faire l'épreuve avec un succès étonnant, sur un religieux de ses confrères, qui était attaqué d'une fluxion de poitrine des plus violentes, et dont les médecins regardaient l'état comme désespéré ; il ne tarda pas à s'annoncer comme le possesseur du nouveau remède, et à en ouvrir boutique, de sorte que le public ayant pris confiance à cette poudre rouge, lui imposa le nom des religieux par qui elle était parvenue à sa connaissance, et desquels il était obligé de l'acheter pour son usage ; c'est pourquoi elle fut appelée poudre des chartreux.

Ce remède est un très-bon fondant de la lymphe et de toutes les humeurs épaisses ; c'est pourquoi on en fait beaucoup d'usage dans le traitement de plusieurs maladies, tant aiguës que chroniques, soit pour lever les obstructions, soit pour procurer différentes évacuations ; on le recommande surtout dans les maladies de poitrine, causées par un engorgement d'humeurs lymphatiques dans les bronches du poumon, pour procurer l'expectoration ; il est aussi très-propre à fondre la bile, et à en favoriser l'évacuation par les selles ; on l'emploie même quelquefois avec succès pour exciter les sueurs, lorsque la nature semble vouloir diriger ses mouvements vers cette route.

La dose du kermès est depuis un demi-grain jusqu'à un grain pour une prise, que l'on répète plusieurs fois dans la journée, suivant les circonstances ; mais lorsqu'on le donne pour faire vomir ou pour purger, la dose en est depuis un grain jusqu'à trois ou quatre. Additions au cours de Chimie de Lemery, par M. Baron.

La théorie chimique de l'opération du kermès minéral, est bien simple. L'alcali-fixe se combine avec le soufre de l'antimoine crud, sous la forme d'un foie de soufre par la voie humide, lequel attaque ensuite la partie réguline de l'antimoine, et en tient une portion en vraie dissolution ; ou bien, ce qui est encore plus vraisemblable, l'alcali fixe s'unit au soufre déjà combiné avec le régule d'antimoine, en sorte que le soufre passe dans cette nouvelle combinaison, chargé d'une partie de régule qu'il y entraîne avec soi. La liqueur filtrée, après les ébullitions, est donc une vraie dissolution, ou lessive de foie de soufre antimonial, et la poudre qui s'en précipite d'elle-même, et qui est le kermès, est une partie de ce composé, qui sert de composé d'une manière indéfinie jusqu'à présent. Cette précipitation spontanée n'a rien de particulier ; elle est parfaitement analogue à celle d'une quantité plus ou moins considérable de terre que les alcali fixes dissous laissent échapper, à celle d'une portion de la dose de plusieurs sels métalliques ; par exemple, du vitriol martial, et enfin à celle qu'éprouvent la plupart des foies de soufres métalliques. Il ne faut donc pas croire, avec M. Baron (qui a d'ailleurs très-bien traité ce sujet dans ses additions à la Chimie de Lemery, d'où nous avons tiré le commencement de cet article), que le kermés soit le foie de soufre antimonial entier, qui se soit précipité par le refroidissement de la liqueur : parce qu'il n'est pas vraiment soluble dans l'eau, et qu'il n'y a été suspendu qu'à la faveur du mouvement violent de l'ébullition ; car premièrement il est bien vrai que le kermés est insoluble par les liqueurs aqueuses, et même par la plupart des menstrues connus ; mais le foie de soufre antimonié est vraiment soluble dans l'eau, et même à froid ; la dissolution de cette substance dans l'eau froide est démontrée par la préparation du soufre doré, qu'on sépare par le moyen d'un précipitant d'une dissolution à froid, permanente, constante, d'un vrai foie de soufre antimonié. Secondement, le foie de soufre antimonié, formé dans l'opération du kermès, passe à-travers le filtre de papier, et y passe avec une liqueur dont il n'altère pas la transparence, ce qui annonce suffisamment une dissolution réelle. (Voyez FILTRE et MENSTRUE). Traisiemement enfin, la liqueur, du sein de laquelle le kermès s'est échappé par une précipitation spontanée, contient encore un foie de soufre antimonial, et non pas du kermès ; et elle n'est pas non plus devenue pure ou presque pure, comme elle devrait l'être, si elle s'était débarrassée, en se refroidissant, d'une matière insoluble qu'elle eut simplement tenu suspendue à la faveur du mouvement d'ébullition. Donc ce n'est pas le foie de soufre antimonial entier, qui, s'étant séparé, en tout ou en partie, de la liqueur dans laquelle il était auparavant soutenu, constitue le kermès ; mais une partie, un des matériaux seulement, ou même un débris d'un composé réellement dissous dans cette liqueur.

Le kermès minéral peut se préparer par une autre voie, savoir par la voie seche ou par la fonte. Cette manière, qui est de M. Geoffroy, consiste à faire fondre ensemble dans un creuset une partie d'alkali fixe, et deux parties d'antimoine crud ; à mettre en poudre la masse résultante de ce mélange, encore chaude, à la jeter dans l'eau bouillante, et à l'y laisser environ deux heures ; à filtrer ensuite cette eau au papier, à la recevoir au sortir du filtre dans un grand vaisseau rempli d'eau bouillante, à décanter lorsque la précipitation est faite, à édulcorer, sécher, etc. Mais les bons auteurs de Chimie médicinale conviennent unanimement que le kermès préparé par cette voie, a le défaut grave d'être trop chargé de parties régulines, et d'avoir ses parties trop lourdes, trop grossières, trop peu divisées. M. Geoffroy avoue lui-même qu'il n'a pas le velouté ou la douceur du toucher de celui qui est prépare par la voie humide ; ce qui est manquer d'une qualité essentielle, ou être inférieur dans un point essentiel ; car la qualité qu'on doit se proposer éminemment dans la préparation des remèdes insolubles destinés à passer dans les secondes voies, c'est de leur procurer la plus grande ténuité possible, moyennant laquelle il est même encore douteux si on les met en état de passer par les voies du chyle.

M. Lemery le père a parlé dans son traité de l'antimoine, d'un précipité spontané de foie antimonial qu'il a donné pour une espèce de soufre doré, et que M. Lemery le fils a prétendu avec raison être un vrai kermès minéral, dans un des mém. de l'Acad. R. des Sciences pour l'année 1720. Mais, quoique celui-ci soit préparé par la voie humide, on peut lui reprocher peut-être avec raison, d'être inférieur au kermès de la Ligerie par les mêmes défauts que nous venons d'attribuer au kermès fait par la fonte : car M. Lemery ayant employé une liqueur alkaline beaucoup plus concentrée que celle que demande la Ligerie, et son précipité s'étant formé dans une bien moindre masse de liqueur ; il est très-vraisemblable que ce précipité contiendra plus de parties régulines, et qu'il sera moins divisé, moins subtil.

Quelques artistes scrupuleusement attachés à la recette publiée par ordre du roi, ont constamment observé d'employer à la préparation du kermès la liqueur de nitre fixe, à l'exclusion de tout autre alkali ; mais ce préjugé doit être regardé comme un reste de l'ancienne ignorance. La saine Chimie avait déjà démontré longtemps avant la publication du procédé du kermès, que l'alkali du nitre et celui du tartre formaient, avec un grand nombre d'autres alkalis végétaux, un genre d'alkali, dont toutes ces différentes espèces étaient exactement identiques : or ces différentes espèces employées à la préparation du kermès, produisant constamment le même effet, selon le témoignage des bons observateurs, il est prouvé par la raison et par l'expérience que le choix exclusif de la liqueur de nitre fixe est vraiment puérile. On peut dire la même chose de l'usage de bruler de l'eau-de-vie sur le kermès. Les bons ouvriers regardent cette manœuvre comme une espèce de pratique superstitieuse et absolument superflue.

Il y a sur la préparation du kermès un autre problème important : les lotions exactes et multipliées du kermès le rendent-elles plus actif, plus émétique, ou au contraire ? M. Malouin soutient l'affirmative dans sa Chimie médicinale, et M. Baron adopte le sentiment de son confrère dans les additions à la Chimie de Lemery, ch. déjà cité. Mender prétend au contraire, que le kermès " lorsqu'il n'est pas bien dégagé de son alkali par l'édulcoration est beaucoup plus émétique qu'après qu'on lui a enlevé tout son alkali en l'adoucissant ". Les raisons dont M. Baron étaye son sentiment sont très-plausibles ; mais comme ce ne sont que des raisons de la théorie, et qu'il faut absolument des expériences pour établir d'une manière décisive les propriétés des remèdes ; il restera absolument douteux si le kermès parfaitement lavé est plus ou moins émétique que le kermès lavé négligemment, ou même non lavé ; et c'est pour éclaircir ce doute, et non pour l'employer dès à présent avec succès et sans aucune crainte, comme le propose M. Baron, qu'il serait à propos que les artistes tinssent chez eux, pour l'usage médical, du kermès non lavé, de même qu'ils conservent du kermès bien lavé. (b)