S. f. rubia, (Histoire naturelle, Botanique) genre de plante à fleur campaniforme, ouverte, découpée, et ordinairement percée dans le fond. Son calice devient un fruit composé de deux baies succulentes. Ce fruit renferme une semence qui a communément un ombilic. Les feuilles de la garance sont verticellées. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE.

On compte quatre espèces de garance. Mais la principale que nous allons décrire, est désignée par rubia tinctorum, ou rubia tinctorum sativa. Sa racine est vivace, de la grosseur du petit doigt, rampante, tortueuse, cassante, d'un goût d'abord douçâtre, puis amer et austère. Si ses racines sont vieilles, on les verra rousses à l'extérieur ; si elles sont nouvelles, rouges. Elles tracent et s'étendent beaucoup sans s'enfoncer fort avant dans la terre.

Cette garance pousse plusieurs tiges sarmenteuses, quadrangulaires, rudes au toucher, noueuses, jetant d'espace en espace cinq à six feuilles oblongues pointues, plus larges au milieu qu'à l'extrémité, et hérissées de poil. Le verd en est obscur. Les fleurs sortent de leurs aisselles par épis. Ces fleurs sont jaunes, petites, d'une seule pièce, et découpées en quatre parties, et quelquefois en cinq. Le calice qui les soutient devient un fruit composé de deux baies qui se touchent, de la grosseur des baies du genevrier, d'abord vertes, puis rouges, enfin noirâtres quand elles sont tout à fait mûres, alors succulentes. On y trouve une semence arrondie faite en nombril. Il arrive quelquefois à une de ces semences d'avorter et au fruit de n'avoir plus qu'une baie.

Manière de cultiver la garance. Il faut d'abord la choisir en rejetons ou en meres-plantes. On s'en tient toujours aux rejetons dans le pays ; il faudrait préférer les meres-plantes pour les pays éloignés. Elles soutiendraient plus aisément le transport. Pour être bonne, il la faut pleine et cassante à tous égards. La racine en meres-plantes a été taxée dans la châtellenie de Lille à 7 liv. 10. s. le faix, pesant environ 180 ou 200 liv. de 14 onces, avec la terre dont elle est chargée. Mais on peut estimer les rejetons sur le pied de 4. s. le cent. Trente-quatre mille rejetons suffiront pour garnir un cent de terre, ou deux cent cinquante-quatre taises, trois pieds, quatre lignes carrées ; mesure à laquelle il faut rapporter tout ce que nous allons dire. Ainsi à un sou le cent, il en couterait 68 liv. Si l'on plantait en meres-plantes, il en faudrait environ 8 faix à 7 liv. 10 s. le faix, c'est-à-dire 60 liv.

Il n'y a point de terrain qu'on ne puisse approprier à la garance par les engrais et le fumier. Il faut seulement qu'ils aient du fond, qu'ils ne soient pas pierreux, et qu'ils soient rendus legers. Il n'y en aurait point de meilleur qu'un marais sec, défriché. Jusqu'à-présent on a cru que la même terre ne pouvait donner qu'une bonne dépouille de garance en six ans ; quelques-uns même ont dit douze ans. D'autres au contraire ont prétendu qu'on en continuerait sans interruption la culture dans un même lieu. Mais le fait est que pour profiter de son travail et de sa dépense, il faut changer de terrain. Celui qui a porté de la garance, se trouve pour l'année suivante engraissé et propre à fournir toute autre chose. C'est un engrais gagné par des renouvellements alternatifs, un laboureur trouvera ses terres conduites insensiblement à l'état du meilleur rapport.

Il n'y faut pas épargner le fumier, et fumer avec celui de vache par préférence. On en répandra plus ou moins selon la qualité de la terre, qu'on retournera à la charrue pour lui faire prendre nourriture. On peut donner jusqu'à six charretées de fumier, chacune pesant environ 1400 liv. poids de marc, par cent de terre.

Les uns font ce travail en Novembre, et ne remuent plus la terre de tout l'hiver. D'autres attendent le mois de Mars. Les premiers font mieux, mais quelle que soit la culture qu'on suive, il faut en Mars labourer quatre à cinq fois pour adoucir la terre, et l'ameublir par le moyen de la herse et du cylindre ; préparations qu'on lui donnera en temps sec.

On plantera les rejetons au commencement de Juin, ou même plutôt, si le temps doux précipite la pousse. On les enlevera des meres-plantes avec une broche de fer, grosse d'un doigt, et pointue ; les détachant légèrement avec la pointe, de manière qu'ils emportent avec eux un peu de racine. Il faut bien se garder d'endommager la mère, ce qui pourrait arriver, si l'on se servait d'un instrument plat et tranchant comme le couteau. Chaque rejeton doit avoir un pied de longueur. On plante au cordeau chaque rejeton à trois doigts de son voisin, couché comme le porreau, à la distance d'un pied entre chaque ligne. La terre qu'on lève pour la seconde ligne sert à couvrir la première, et ainsi des autres. Quant aux meres-plantes, il faudrait aussi les planter au cordeau dans le mois d'Octobre, toutes aboutissantes les unes aux autres, à cinq pieds de distance ; on coucherait les rejetons dans cet intervalle, à mesure qu'ils grandiraient, de manière que tout se remplirait. Il est sous-entendu que pour planter dans ce mois, il faut engraisser la terre aussi-tôt après la moisson.

Ainsi les cinq charretées de fumier évaluées à 15 liv. les cinq labours à 3 liv. 8. s. 9 d. les trois herses à 9 s. les trois passages de cylindre à 9 s. le tirage des rejetons à 2 liv. 10 s. et la plantation à 3 liv. 15 s. le tout reviendra à 25 liv. 11 s. 9 d.

Quand la garance est plantée, voici les façons qu'il faut lui donner. On a dû laisser de 15 en 15 pieds une distance d'un pied et demi d'un bout à l'autre de la terre, pour y pratiquer au mois de Mars une rigole profonde d'un pied et demi, dont la terre servira à couvrir les plantes, en la dispersant à droite et à gauche, comme pour le colsat. Voyez COLSAT. Au mois de Juillet, lorsque la pousse sera relevée d'un pied, on la couchera de nouveau, la couvrant de la terre tirée des intervalles laissés entre chaque ligne, et l'on observera de creuser légèrement sous la racine, qui tirera de-là du soulagement, de la force, de la liberté, et provignera facilement. Il en coutera pour les rigoles 18 s. pour le provin 2. liv. 10 s.

Si l'on demande quelle autre précaution il y a à prendre avant la récolte, je dirai de laisser amortir la fanne de la première année, de couper au mois d'Aout celle de la seconde, et d'enlever le chaume restant adroitement jusqu'à la racine ; on peut donner aux vaches de cette fanne, mais en petite quantité.

Le temps sec est celui qui est le plus favorable pour la garance. On en fait la récolte en Novembre de la seconde année. Si on la laissait en terre plus longtemps, elle pourrait à la vérité profiter en grossissant ; mais on est persuadé qu'il en pourrirait une bonne partie, dommage qui ne serait point compensé ; à quoi il faut ajouter la perte d'une année.

La récolte se fait soit à la beche, soit à la charrue. On laboure en ligne droite assez profondément pour détacher les racines sans les endommager. Cependant on préfère la beche. L'usage en est plus sur ; mais le temps est plus long. A mesure que des travailleurs détachent les racines, d'autres les retirent sur le terrain avec des fourches. Dès le lendemain ou sur le champ on peut les enlever. On peut évaluer la récolte à 5 liv. par mesure, qui avec la dépense précédente font 38 liv. 19 s. 9. d.

On retire par cent de terre une année dans l'autre, depuis quatre jusqu'à dix ou douze faix au plus, ou année commune, huit faix, qui pourront peser 15 à 1600 livres, qui se réduiront à 200 livres à la sortie des étuves. On aura à-peu-près le même poids en poudre.

Quand la plante donnerait graine, les rejetons qu'on a en abondance produisant tous les deux ans une dépouille, on n'aurait garde d'employer une semence dont la plante ne serait recueillie qu'au bout de cinq à six ans.

On la placera après la récolte hors des hangards, où on la laissera à l'abri de la pluie sécher pendant quelques mois. On pourra, si l'on aime mieux, la tenir dans des lieux fermés, amoncelée comme le foin, mais très-perméable à l'air.

Quand elle sera séchée on la lavera, ou si l'on veut la battre, on la battra pour en ôter la terre ; on la portera ensuite au séchoir, et de-là au moulin. On fait des séchoirs de mille manières différentes. La construction d'un moulin peut couter depuis 1000 liv. sans autre bâtiment, jusqu'à 20000 liv. selon sa grandeur. Il y en avait un à Tournay qui ne servait plus, qu'on disait avoir couté au-moins 20000 écus. On voit que l'entretien en est proportionné à sa grandeur. Pour le servir, il faut un homme qui tamise, dans un moulin à six pilons, et un cheval qui tourne. Il faudrait un second cheval pour relever le premier, dans un moulin qui tournerait tous les jours de l'année. On peut donner 20 s. par jour au tamiseur, et estimer l'entretien du cheval au même prix.

Un moulin de six pilons broyera 400 liv. et sur ce pied, si la dépouille d'un cent de terre se réduit à 200 liv. de poudre, comme nous l'avons dit, ce moulin pourra broyer en 24 heures la dépouille d'un 100 de terre, et par conséquent en 64 fois 24 heures, la dépouille de huit boniers, c'est-à-dire le produit total de presque toute la quantité de terre cultivée en garance dans la châtellenie de Lille.

Toute la poudre n'est pas d'un prix égal. On distingue la robée, dont on peut évaluer à 45 ou 50 l. le cent ; la non-robée, à 30 ou 32 liv. la fine-grappe, à 62 ou 63 liv. et le son à 10 liv.

Si l'on ramasse toute dépense faite ci-dessus depuis le commencement de la dépouille jusqu'à la fin de la récolte, on trouvera pour deux années 33 liv. 11 s. 9 d.

La récolte de 8 faix à 7 10 s. produira 60 liv. il restera donc 16 liv. 8 s. 3 d. ou 13 l. 4 s. 1 d. par an ; sur quoi il faut diminuer le loyer de la terre, les rentes foncières, et autres charges, les impositions ou tailles, l'inconvénient que le laboureur compte pour quelque chose de ne pouvoir dépouiller tous les ans.

Si l'on ajoute à cela 60 liv. pour l'achat des meres-plantes, ou 68 liv. pour celui des rejetons, ce qui est indispensable pour la première plantation, on trouvera une perte certaine dans les deux premières années, et l'on ne peut espérer de jouir entièrement qu'au bout de quatre ans.

Ainsi il n'est pas étonnant que, quoiqu'on ait accordé dans la châtellenie de Lille une gratification au-dessus de l'exemption, cette culture ait bien de la peine à s'y ranimer.

La garance d'un an passe pour la meilleure ; celle qui reste trop perd de sa vivacité.

De quelques phénomènes singuliers sur la garance. En 1737 un chirurgien anglais appelé Belchier, remarqua que les of d'un pourceau qu'on avait nourri avec du son chargé d'un reste d'infusion de racine de garance, étaient teints en rouge. Il fit prendre de la racine pulvérisée à un coq, dont les of se teignirent aussi de la même couleur. M. Duhamel est revenu sur ces expériences qu'il a réitérées avec le même succès que Belchier, sur les poulets, les dindons, les pigeonneaux, et autres animaux. Dès le troisième jour un pigeon avait ses of teints. Ni tous les of dans un même animal, ni les mêmes of en différents animaux ne prennent pas la même nuance. Les cartilages qui doivent s'ossifier, ne se teignent qu'en s'ossifiant. Si on cesse de donner en nourriture les particules de garance, les of perdront peu-à-peu leur teinture. Les of les plus durs se coloreront le mieux. Ils soutiendront les débouillis. Ils ne sont cependant pas intacts à l'action de l'air. Les plus rouges y perdent de leur couleur ; les autres blanchissent tout à fait en moins d'un an. La moèlle de ces of teints, et toutes les autres parties molles de l'animal conservent leur couleur naturelle.

La garance que prennent ces animaux, agit aussi sur leur jabot et sur leurs intestins, du-moins dans la volaille ; ils en sont teints ; pour peu qu'on les tienne à ces aliments, ils tombent en langueur et meurent ; on leur trouve quand ils sont morts, les of plus gros, plus moèlleux, plus spongieux, plus cassants. On peut demander pourquoi les parties colorantes ne se portent qu'aux os. Mizaldus qui a fait imprimer en 1566 un mauvais livre intitulé memorab. jucund. et utilium cent. IX. a dit le premier de la garance qu'elle teignait en rouge les of des animaux vivants. On voit dans le recueil de l'acad. des Scien. année 1746. qu'elle n'est pas la seule plante qui ait cette propriété.

La racine de garance est aussi d'usage en Médecine. Quelques auteurs la comptent parmi les cinq racines apéritives mineures. On a dit qu'elle résolvait puissamment le sang épanché, les obstructions des viscères, et surtout celle des reins et des voies urinaires. Mais si l'on tire des expériences précédentes les conséquences naturelles qu'elles présentent, on en inférera que l'usage de la garance est tout-au-moins mal-sain.

Nous nous sommes fort étendus sur cette plante, à cause de son importance dans la teinture. On s'en sert pour fixer les couleurs déjà employées sur les toiles de coton. Il y a un grand nombre de cas où le succès des opérations demande qu'on garance. Voyez l'article TEINTURE.