HERBE DU, (Botanique) c'est la feuille d'une plante du Paraguay, qui est fort en usage au Chili et au Pérou, comme le thé de la Chine l'est en Europe. On dit que ce n'était autrefois que sur les montagnes de Maracayan, éloignées de près de 200 lieues des peuplades du Paraguay, que croissaient naturellement les arbres qui produisent cette feuille. Les Indiens du Paraguay en ont absolument besoin, soit pour leur usage, soit pour l'échanger avec les denrées et les autres marchandises qui leur sont nécessaires. Il leur fallait passer plusieurs mois de l'année à voyager jusqu'à ces montagnes. Leurs peuplades se trouvaient par-là souvent exposées aux irruptions de leurs ennemis. De plusieurs mille qui partaient, il en manquait un grand nombre au retour : le changement de climat et les fatigues en faisaient périr plusieurs ; d'autres rebutés par le travail, s'enfuyaient dans les montagnes et ne paraissaient plus.

Pour remédier à ces inconvénients on fit venir de jeunes arbres de Maracayan, que l'on planta aux environs des peuplades. Ces plants réussirent, et de la semence, qui est assez semblable à celle du lierre, on fit bien-tôt des pépinières ; mais la feuille des arbres cultivés n'a pas la même force que celle des arbres sauvages de Maracayan.

Le roi d'Espagne a accordé aux Indiens des peuplades du Paraguay, d'apporter chaque année à la ville de Sainte-Foy, ou à celle de la Trinité de Buenos-Ayres, jusqu'à douze mille arobes (l'arobe pese vingt-cinq livres de seize onces) de l'herbe du Paraguay : mais ils ne peuvent guère en fournir que la moitié, encore n'est-ce pas de la plus fine et de la plus délicate, qu'on appelle caamini, qui est rare, mais de celle de palos, qui est la plus commune. Le prix courant de cette feuille à Buenos-Ayres, et à la recette royale où se portent les tributs, est de quatre piastres pour chaque arobe ; ainsi ce que les Indiens en portent chaque année monte à environ 24 mille piastres ; l'argent ou les denrées qui reviennent de ce trafic sont partagés également entre les habitants de la peuplade.

J'ai déjà dit que l'herbe du Paraguay était la feuille d'une plante fort en usage au Chili et au Pérou ; mais comme on ne la connait point du-tout en Europe, je vais en donner une description un peu étendue. C'est la feuille d'un arbre de la grandeur d'un pommier moyen, son goût approche de celui de la mauve, et quand elle a toute sa grandeur, elle ressemble de figure à celle de l'oranger, ou à celle de la coca du Pérou ; mais elle y est plus estimée au Pérou même, où l'on en transporte beaucoup, surtout pour ceux qui travaillent aux mines. On l'y porte séche et presque réduite en poussière. Selon le père del Fecho, jésuite espagnol qui a passé la plus grande partie de sa vie au Paraguay ; il y a trois espèces de cette feuille qu'il distingue sous le nom de caacuys, de caamini, et de caaguazu. Le caacuys est le premier bouton qui commence à peine à déployer ses feuilles ; le caamini est la feuille qui a toute sa grandeur, et dont on tire les côtes avant que de la faire griller ; si on les laisse on l'appelle caaguazu, ou yerva de palos.

Les feuilles qu'on a grillées se conservent dans des fosses creusées en terre, et couvertes d'une peau de vache. Le caacuys ne peut se conserver aussi longtemps que les deux autres espèces, dont on transporte les feuilles au Tucuman, au Pérou, et en Espagne, le caacuys ne pouvant souffrir le transport ; il est même certain que cette herbe prise sur les lieux a une amertume qu'elle n'a point ailleurs, et qui augmente sa vertu et son prix. La manière de prendre le caacuys, est de remplir un vase d'eau bouillante et d'y jeter la feuille pulvérisée et réduite en pâte. A mesure qu'elle s'y dissout, s'il y est resté un peu de terre elle surnage, et on l'écume ; on passe ensuite l'eau dans un linge, et après l'avoir un peu laissé reposer, on la prend avec un chalumeau : ordinairement on n'y met point de sucre, mais un peu de jus de citron, ou certaines pastilles qui ont une odeur fort douce ; quand on le prend pour vomitif, on y jette un peu plus d'eau et on le laisse tiédir.

La grande fabrique de cette herbe est à la nouvelle Villarica, voisine des montagnes de Maracayan, située à l'orient du Paraguay par les 25d. 25''. de latitude australe ; ce canton est le meilleur de tous pour la culture de l'arbre, mais ce n'est point sur les montagnes même qu'il croit, c'est dans les fonds marécageux qui les séparent : l'arobe de cette herbe vaut vingt-une livres de notre monnaie ; cependant le caacuys n'a point de prix fixe, et le caamini se vend le double de l'yerva de palos. Cette herbe est fort apéritive et diurétique ; l'habitude d'en user fait que les habitants ne peuvent plus s'en passer, et qu'ils ont bien de la peine d'en prendre modérément ; on dit qu'alors elle enivre et cause l'aliénation des sens comme les liqueurs fortes ; cependant les Espagnols trouvent dans cette herbe un remède ou un préservatif contre la plupart des maladies. (D.J.)

PARAGUAY, le, (Géographie moderne) grand pays de l'Amérique méridionale, dont il n'est pas aisé de marquer l'étendue. Les meilleures cartes que nous ayons du Paraguay, nous ont été données par les Jésuites, mais ils y ont eu moins d'égard à ce qu'on doit appeler proprement Paraguay qu'à ce qui forme la province de leur compagnie, qui porte ce nom ; et qui obéit à un seul provincial.

Cette province comprend quatre gouvernements, celui du Tucuman, celui de Santa-Cruz de la Sierra, celui du Paraguay particulier, et celui de Rio de Plata. Ces quatre gouvernements sont soumis pour le militaire au vice-roi du Pérou, pour le civil à l'audience royale de Los-Charcas, et pour le spirituel, à l'archevêque de Chuquisaca, ou la Plata, capitale de Los-Charcas ; car chacun de ces quatre gouvernements a un évêque suffragant de l'archevêque que je viens de nommer.

Le Paraguay propre est borné au nord par le grand fleuve des Amazones ; au midi, par les terres Magellaniques ; à l'orient, par le Brésil et par la mer du nord ; à l'occident, par le Tucuman, le grand Chaco, la province de Los-Charcas et celle de Santa-Cruz de la Sierra. Il a pour capitale la ville de l'Assomption, et comprend tout ce qu'arrose le fleuve Paraguay, jusqu'à sa jonction avec le Parana.

La première découverte en fut faite en 1516 ; dix ans après on y bâtit quelques forts, où l'on mit garnison espagnole. L'air y est doux et salubre ; le terroir produit du blé, des fruits, du coton, des cannes de sucre. Il croit dans un canton de cette province, appelé Maracayan, une herbe singulière appelée l'herbe du Paraguay. Voyez PARAGUAY, herbe du, (Botanique exotique)

Les Jésuites ont un grand nombre de doctrines ou de missions entre la rivière du Paraguay, au-dessous de l'Assomption et le Parana : ils en ont encore plusieurs le long de l'Uruguay, grande rivière qui vient du nord-est, et se décharge dans Rio de Plata, par les 34d. sud.

Ces doctrines sont des bourgades de deux ou trois mille Indiens, autrefois errants, que les pères ont rassemblés sur les montagnes et dans les forêts ; ils les ont civilisés, leur ont appris des métiers et à vivre du travail de leurs mains. Voyez PARAGUAY, mission du, (Géographie historique)

Rien ne fait plus d'honneur à leurs missions que d'avoir vaincu, dans ces pays-là, la férocité des sauvages, sans d'autres armes que celles de la douceur ; mais ce n'est pas assez, il faudrait qu'ils leur inspirassent de communiquer avec les Espagnols, et de regarder les rois d'Espagne et de Portugal comme des princes auxquels ils doivent être attachés.

Le père Charlevoix a fait imprimer une histoire du Paraguay en trois volumes in -4°. Paris 1757 avec figures ; elle est curieuse, mais on y désirerait plus d'impartialité et d'amour pour la vérité. (D.J.)

PARAGUAY, (Géographie moderne) rivière de l'Amérique méridionale, qui se joint avec le Parana vers les 27d. de latitude australe, pour former ce qu'on appelle communément Rio de Plata. Cette rivière sort du lac Xarayez, environ par les 19d. 30'. sud, mais on prétend qu'elle vient de beaucoup plus loin. Quoiqu'elle perde son nom en mêlant ses eaux à celles du Parana, elle en est dédommagée par plusieurs autres rivières qu'elle reçoit elle-même dans son sein, et par l'honneur qu'elle a de donner son nom à un vaste pays.

PARAGUAY, missions du, (Géographie historique) c'est ainsi qu'on nomme une suite d'établissements formés par les Jésuites dans ce grand pays de l'Amérique méridionale qu'arrose le fleuve Paraguay.

L'auteur d'un mémoire sur ce sujet, imprimé à la fin des voyages de Frézier, édition d'Hollande, nous apprend que le premier établissement des Jésuites dans ce pays, a commencé par cinquante familles d'Indiens errants, que les Jésuites rassemblèrent sur le rivage de la rivière de Japsur, dans le fond des terres. Cet établissement a tellement prospéré, qu'à s'en rapporter aux Jésuites eux-mêmes dans les mémoires de Trévoux, Octobre 1741, les réductions ou peuplades formées par leurs missionnaires, étaient en 1717 au nombre de trente et une, répandues dans une étendue de pays d'environ six cent lieues, seize sur le bord du Parana, et quinze le long de l'Uraguay, qui se déchargent tous deux dans le fleuve Paraguay. On comptait alors dans ces peuplades cent vingt-un mille cent soixante-un Indiens.

On assure que ces peuples civilisés occupent les plus belles terres de tout le pays situé à 200 lieues des Portugais paulistes du côté du nord, et vers le sud à 200 lieues de la province de Buenos-Ayres, 180 lieues de celles de Tucuman, et 100 lieues de celles du Paraguay.

Les terres de la mission sont fertiles, traversées par beaucoup de rivières qui forment nombre d'iles ; les bois de haute futaye, et les arbres fruitiers y abondent ; les légumes y sont excellents ; le blé, le lin, l'indigo, le chanvre, le coton, le sucre, le piment, l'ipécacuanha, le jalap, le mechoacan, les racines pantrabunda, et plusieurs autres simples admirables pour les remèdes y viennent. Les savanes ou paturages y sont remplis de chevaux, mules, vaches, taureaux, et troupeaux de moutons : ces peuples sont doux, très-soumis, adroits, laborieux, et font toutes sortes de métiers.

L'auteur du mémoire que nous avons cité, rapporte que dans le temps qu'il écrivait, ces peuples étaient divisés en quarante-deux paroisses, distantes depuis une jusqu'à dix lieues l'une de l'autre, et s'étendant le long de la rivière du Paraguay. Il y a dans chaque paraisse un jésuite auquel tout obéit, et qui gouverne souverainement. Un seul homme commande de cette façon à quelques mille âmes, et cette manière de gouverner est égale dans toutes les peuplades. A la soumission de ces peuples se joint un désintéressement sans exemple que les Jésuites leur ont inspiré. Il y a dans chaque paraisse de grands magasins où les sujets sont obligés de porter vivres et marchandises, sans rien garder par-devers eux.

La principale fonction des caciques ou officiers de police, est de connaître le nombre des familles, de leur communiquer les ordres du père, d'examiner le travail de chacun suivant son talent, et de promettre des récompenses à ceux qui travailleront le plus et le mieux. Il y a d'autres inspecteurs pour le travail de la campagne, auxquels les Indiens sont obligés de déclarer tout ce qu'ils recueillent, et tout doit entrer dans les magasins sous des peines rigoureuses. Il y a ensuite des distributeurs pour fournir à chaque famille selon le nombre des personnes, deux fois par semaine, de quoi subsister : les Jésuites veillent à tout avec un ordre infini, pour ne laisser prendre aucun mauvais pied à leurs sujets, et ils en sont bien récompensés par les profits qu'ils tirent du travail de tant de gens.

Les Indiens ne boivent ni vin ni liqueur enivrante, et personne ne peut blâmer cette défense, quand on fait réflexion sur l'énorme abus qu'en font les nations du nouveau monde à qui les Européens en débitent. On inspire à tous les habitants dès la plus tendre enfance la crainte de Dieu, le respect pour le père jésuite, la vie simple, et le dégoût des biens temporels.

Le gouvernement militaire, dit le même auteur, n'est pas moins bien réglé que le civil ; chaque paraisse donne un certain nombre de soldats disciplinés par régiments, et qui ont leurs officiers : les armes des Indiens consistent en fusils, bayonnettes, et frondes : on prétend que toutes les missions réunies peuvent mettre dix à douze mille hommes sur pied.

Les Jésuites n'apprennent point à leurs Indiens la langue espagnole, et les empêchent, autant qu'il est possible, de communiquer avec les étrangers. Les quarante-deux jésuites qui gouvernent les paroisses sont indépendants l'un de l'autre, et ne répondent qu'au principal du couvent de Cordua, dans sa province de Tucuman. Ce père provincial visite une fois l'an ses missions. Il fait rendre compte, pendant son séjour, aux Jésuites de chaque paraisse, de la fourniture des magasins, et de la consommation qui en a été faite depuis sa dernière visite. Toutes les marchandises de vente sont transportées des missions à Santa-Fé, qui est le magasin d'entrepôt, et de Santa-Fé à Buenos-Ayres par terre, où il y a aussi un procureur général. C'est de ces deux endroits que l'on distribue ces marchandises dans les provinces de Tucuman, du Paraguay, et de Buenos-ayres, et dans les royaumes du Chili et du Pérou.

Outre le mémoire sur les missions du Paraguay, joint au voyage de Frézier, les jésuites de Trévoux ont donné dans leur Journal, Novembre 1744, l'extrait d'un livre publié sous le nom du célèbre Muratori, et intitulé, il christianissimo delle missioni de' Padri della compagnia di Giesu. Venezia, 1743. in-4 °.

Cet ouvrage est tout à la gloire des missions du Paraguay, et parait venir de la main des Jésuites ; l'auteur dit dans le chapitre XIIe que le baptême fait déposer aux enfants sauvages du Paraguay la férocité qui leur est propre ; mais il leur reste une indolence invincible qui les rend incapables de se gouverner eux-mêmes, en sorte qu'ils ont besoin d'être toujours en tutele.

Dans le chapitre XVIIe on fait dire à M. Muratori, que rien ne prouve mieux le bonheur qui accompagne la pauvreté volontaire, que le contentement dont jouissent les Indiens du Paraguay, qui n'ont que le pur nécessaire pour vivre, et ne souhaitent rien au-delà. Le corrégidor et son lieutenant sont nommés par le gouverneur, mais ils doivent être choisis dans la bourgade même, et tous les autres officiers sont élus par les Indiens, c'est-à-dire je pense par les Jésuites, puisque les Jésuites sont leurs maîtres.

Il y a des portions de terrain qui se cultivent à frais communs pour les besoins qui surviennent, pour les veuves, les orphelins, les malades, et tous ceux qui doivent être entretenus aux dépens du public. La pêche, la chasse, les fruits qui viennent sans culture, le miel et la cire qu'on recueille dans les bois sont de droit commun. Si quelque calamité afflige une bourgade et fait manquer la récolte, ou la rend insuffisante, toutes les autres y pourvoyent.

L'auteur dit au sujet du gouvernement militaire de ces Indiens, que leurs armes sont déposées dans des magasins, et qu'on ne les leur confie que quand il faut marcher ou faire l'exercice ; enfin l'auteur observe au sujet du gouvernement domestique, que les chefs mêmes des Indiens subissent avec humilité et promptitude les pénitences que leur imposent les missionnaires.

On ne nous apprend point sur quels mémoires M. Muratori a composé son ouvrage ; il est certain que par lui-même il a été bien moins en état de s'instruire du gouvernement du Paraguay, que les voyageurs, quoique ces derniers n'approchent guère que de cent lieues des missions.

Sur le tout, quelque jugement qu'on porte de la conduite, des motifs, et des richesses que les Jésuites possèdent au Paraguay, il faut avouer que l'état de leurs peuplades d'Indiens est un chef-d'œuvre d'habileté, de politique, et qu'il est bien surprenant que des moines européens aient trouvé l'art de ramasser des hommes épars dans les bois, les dérober à leur misere, les former aux arts, captiver leurs passions, et en faire un peuple soumis aux lois et à la police. (D.J.)