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Catégorie parente: Histoire naturelle
Catégorie : Botanique
S. m. (Histoire naturelle, Botanique) nom vulgaire donné à la première et principale espèce de ricinoïde dans le système de Tournefort ; c'est aussi pour la distinguer que cet habîle botaniste appelle cette plante ricinoides ex quâ paratur tournesol Gallorum I. R. H. 656. dans Mathiole heliotropium minus ; dans C. Bauhin, heliotropium tricoccum ; dans Clusius heliotropium minus tricoccum ; enfin dans Lobel, heliotropium vulgare tournesol Gallorum sive Plinii tricoccon.

La racine de cette plante est blanche, ronde, ordinairement droite et longue, garnie de quelques petites fibres à son extrémité, surtout aux pieds les plus élevés, car il en est plusieurs qui n'en ont point du tout ; elle pousse une tige ronde de différente hauteur, suivant le terrain qu'elle occupe ; cette tige se divise en plusieurs branches, la plupart desquelles sortent des aisselles des feuilles.

Clusius avait raison lorsqu'il a dit que les feuilles du tournesol ont de la ressemblance avec celles du xanthium ; mais il s'est trompé lorsqu'il a cru qu'elles en avaient beaucoup plus avec celles du solanum somniferum ; il en est de même de Lobel lorsqu'il les a comparées à celles du calament de montagne. Elles sont d'un verd pâle et presque cendré, attachées à un fort long pédicule.

Les fleurs sont renfermées dans des petits boutons, lesquels forment une espèce de grappe qui sort d'entre les aisselles de chaque branche, et de leur extrémité. Elles sont les unes stériles, et les autres fécondes.

Les stériles qui occupent la sommité de cette grappe, sont contenues dans un calice divisé en cinq parties découpées jusqu'au centre ; elles sont composées de cinq petites feuilles jaunes, placées autour d'un petit stîle rond surmonté de quelques étamines de même couleur disposées en aigrette ; comme elles sont attachées par un fort petit pédicule qui seche à mesure que la grappe croit et s'éleve, elles se fanent et tombent en fort peu de temps.

Le calice de celles qui en occupent la base, et qui sont fécondes, est divisé en dix pièces fendues pareillement jusqu'au centre ; elles sont composées de cinq petites étamines jaunes surmontées chacune d'un petit sommet de même couleur. Elles sont placées autour du pistil qui est chargé de trois filets fourchus et jaunes. Ce pistil qui est dans le fond du calice, devient dans la suite un fruit rond, raboteux, d'un verd foncé divisé en trois loges, qui renferment chacune une semence ronde et blanche. Il est attaché avec son calice à un pédicule assez long ; de-sorte que lorsque les premières fleurs ont passé, et que le fruit est arrivé à sa juste grosseur, il pend des aisselles des branches, et semble y être né sans aucune fleur. C'est-là ce qui en a imposé à tous ceux qui ont avancé que les fleurs et les fruits de cette plante naissent sur des pieds différents.

La Médecine ne tire aucun secours de cette plante pour la guérison des maladies, quoique Dioscoride nous assure qu'elle est excellente pour chasser les vers du corps, et pour la guérison de cette espèce de verrue, que les Grecs appellent , en les frottant de son suc mêlé avec un peu de sel ; mais elle se vend cher, parce que son usage est réservé pour la teinture ; aussi les auteurs qui en parlent sous le nom d'heliotropium, ont eu raison de dire que le suc de son fruit donnait un verd éclatant, qui se changeait promptement en un fort beau bleu ; le suc des grappes de fleurs produit la même chose, mais cela n'arrive point à celui des feuilles. En effet le tournesol en pâte et en pain a pour base le fruit de cette plante.

Celui qu'on prépare à Gallargues, village du diocèse de Nimes, à quatre ou cinq lieues de Montpellier, est en grande estime. On s'en sert en Allemagne, en Angleterre et en Hollande pour donner une agréable couleur aux confitures, gelées et autres liqueurs. Pomet et Lemery se sont trompés en avançant que le tournesol en drapeau se faisait avec des chiffons empreints d'une teinture rouge préparée avec le suc des fruits de l'heliotropium, et un peu de liqueur acide. Mais voici en deux mots la préparation du tournesol à Gallargues.

Les paysans de ce village ramassent au commencement du mois d'Aout les sommités du ricinoïdes, qu'ils appellent de la mantelle, et les font moudre dans des moulins assez semblables à nos moulins à huîle : quand elles ont été bien moulues, ils les mettent dans des cabats, et mettent ces cabats à une presse, pour en exprimer le suc qu'ils exposent au soleil pendant une heure ou deux. Après cela ils y trempent des chiffons qu'on étend ensuite sur une haie, jusqu'à ce qu'ils soient bien secs ; cela fait, on prend environ dix livres de chaux vive qu'on met dans une cuve de pierre ; et l'on jette par-dessus la quantité d'urine qui peut suffire pour éteindre ladite chaux : on place des bâtons dans la même cuve, à la hauteur d'un pied de liqueur, sur lesquels on étend les chiffons qu'on avait déjà fait sécher. Après qu'ils y ont resté quelque-temps, c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'ils aient été humectés par la vapeur de l'urine et de la chaux, on les tire de la cuve, on les fait sécher au soleil, et quand ils sont bien secs, on les retrempe comme auparavant dans du nouveau suc, et pour-lors on les envoie en différents pays de l'Europe.

Il y a beaucoup d'apparence que les espèces de tournesol en pâte et en pain qu'on reçoit d'Hollande, se fabriquent ou avec ces mêmes chiffons qu'on leur a envoyés de Montpellier, ou se font avec d'autres drogues dont le secret nous est inconnu ; il est dumoins certain que le ricinoïdes ne croit point en Hollande, et que leur tournesol en pain est précieux.

TOURNESOL, (Chimie) on donne en général le nom de tournesol à plusieurs préparations chymiques qui donnent une teinture d'un bleu pourpre. Il sera parlé des plus connues dans la suite de cet article. Celle qu'on appelle en particulier pierre de tournesol, est la principale de ces préparations. Cette pierre de tournesol se fabrique en Hollande, selon un procédé qui est absolument ignoré en France. Nous fournissons seulement aux Hollandais les chiffons ou drapeaux qui en font la base ou matière première. Ces chiffons se préparent au grand Gallargues, village du bas Languedoc du diocèse de Nimes, où on les imbibe du suc d'une plante, qui croit naturellement dans le pays, et qu'on appelle en langue vulgaire maurelle, nom que j'adopte dans cet article. M. de Tournefort appelle cette plante ricinoïdes ex qua paratur tournesol Gallorum, inst. rei herb. app. 565. M. Linnaeus la nomme croton foliis rhombeis, repandis, caule herbaceo. Feu M. Nissolle, de la société royale des Sciences de Montpellier, a donné la description de cette plante, qu'il a accompagnée d'une figure très-exacte. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1712, page 339. Pl. XVII. tout ce travail sera exposé à la fin de cet article.

M. Lemeri dit dans son traité des drogues, p. 863. qu'on prépare le tournesol en Languedoc avec le fruit de l'heliotropium tricoccum, qui est une autre plante d'un genre bien différent de la précédente. Voyez HELIOTROPE ou HERBE AUX VERRUES. On voit que M. Lemeri était mal instruit sur cette préparation où l'héliotrope n'entre point, et où jamais il n'a pu être employé.

M. Lemeri dit dans le même traité des drogues, que la perelle, la chaux et l'urine entrent dans la composition du tournesol. On m'a assuré que l'orseille y entrait encore.

M. Lemeri dit encore dans son traité des drogues, qu'on fabriquait à Lyon du tournesol qui était inférieur à celui d'Hollande. Je crois que M. Lemeri se trompe. On m'a assuré qu'on n'a jamais fabriqué la pierre de tournesol à Lyon. Je pense que M. Lemeri a confondu avec la pierre de tournesol, la préparation de la perelle et d'un autre lichen, qui est une espèce d'orseille qu'on prépare à Lyon pour la teinture.

On nous envoie le tournesol d'Amsterdam tel qu'on le voit chez les épiciers-droguistes ; savoir en petits pains secs d'une couleur bleue foncée, de forme parallélépipede d'environ un pouce de longueur. En cet état on l'appelle tournesol en pâte ou en pain.

Le tournesol était autrefois d'un usage plus étendu. Mais depuis que les Chymistes ont découvert le bleu de Prusse, l'indigo, le pastel, etc. et les autres bleus qui se préparent en Allemagne, et qu'on tire du cobolt, ceux-ci ont été substitués en beaucoup d'occasions au tournesol, et effectivement la couleur du tournesol est peu durable ; elle pâlit à l'air, et le moindre acide la détruit.

Le tournesol se dissout fort aisément dans l'eau froide, il donne une teinture bleue fort chargée, qui est de faux teint, et que les teinturiers n'appliquent que sur des toiles de fil ou de coton.

Les peintres s'en servent quelquefois pour colorer le papier et le crayonner. On l'emploie aussi à la détrempe et sans gomme, parce que cette couleur est fine et n'a pas de corps. On en peint quelquefois les murailles bien blanchies avec la chaux, qui ne sont pas exposées à la pluie. On n'en fait aucun usage avec l'huile, ni dans les fresques.

Les dessinateurs s'en servent pour les différents desseins qu'ils tracent sur la toile, ou sur les étoffes de soie qu'on veut faire broder ; mais l'usage le plus commun du tournesol est pour teindre le papier ; par exemple, ce gros papier d'un bleu foncé tirant sur le violet, avec lequel on enveloppe le sucre, est teint avec le tournesol.

Les chymistes se servent de la dissolution très-étendue ou délayée de tournesol dans l'eau, qu'ils appellent communément teinture de tournesol, pour reconnaître si une liqueur saline contient de l'acide ou de l'alkali, et lequel de ces deux principes y est surabondant. Si c'est l'acide, la teinture rougit ; si c'est l'alkali, elle verdit, mais ce verd tire un peu sur le pourpre ; et si elle est neutre, la couleur ne change point. Quoique cet effet soit en général assez constant, il a ses exceptions, mais en petit nombre. On se sert encore de la teinture de tournesol dans l'analyse des eaux minérales à la même intention.

Les limonadiers et les confiseurs l'emploient pour imiter ou foncer les infusions de violette, et pour donner la couleur bleue ou violette à plusieurs liqueurs : mais c'est une falsification véritablement condamnable ; car les liqueurs ou syrops où il y a du tournesol, ont toujours un mauvais goût tirant sur le pourri. On s'en sert encore, mais sans inconvénient, dans le même art pour donner une couleur bleue à certaines pâtes, conserves, et autres confitures. On peut donner une couleur violette à l'esprit-de-vin, en y versant quelques gouttes d'une forte teinture de tournesol.

On emploie encore beaucoup la pierre de tournesol dans les blancheries de toiles, en particulier pour les cambrais et les batistes que l'on passe à ce bleu, après les avoir passées au lait.

Outre ce tournesol que nous pouvons appeler le nôtre, ou le tournesol de Languedoc, LÉmeri (traité des drogues) fait encore mention d'un tournesol en drapeau, qu'il dit venir de Constantinople, et qu'il assure être fait avec de la cochenille et quelques acides. Ce qui parait impossible, puisque les acides éclaircissent le rouge de la cochenille, et le font changer en ponceau ou orangé. Les alkalis pourraient plutôt produire cet effet, en tournant la couleur rouge en violet.

Il y a suivant le même auteur, du tournesol fait avec du coton ; c'est du coton aplati de la grandeur et figure d'un écu, qu'on teint en Portugal avec la cochenille mesteque. M. LÉmeri dit que l'un et l'autre tournesol servent à colorer les liqueurs et les gelées de fruits. Mais toutes ces espèces de teintures ne sont plus en usage, et on n'entend aujourd'hui par tournesol, que celui qui se fait avec le suc de la maurelle ; et c'est de celui-là que je vais parler d'après le mémoire que j'ai donné sur cette matière, dans le volume des Mém. de l'acad. royale des Scienc. pour l'ann. 1754.

Pour l'intelligence du procédé que je vais décrire, il est nécessaire que je dise un mot de la manière dont on ramasse la plante, et des instruments dont on se sert pour faire cette préparation. J'ai appris de plusieurs habitants du grand Gallargues, qu'on préparait ces drapeaux dans ce village depuis plusieurs siècles.

" Les habitants du grand Gallargues n'ont pas la liberté de cueillir la maurelle dans tous les temps de l'année. En vertu d'un ancien règlement, ils ne peuvent faire cette récolte qu'après en avoir obtenu la permission des maire et consuls du lieu. On donne ordinairement cette permission à toute la communauté vers le 25 Juillet, temps où la récolte du blé est déjà faite, et où la maurelle est dans sa perfection. On ne fait dans l'année que cette seule récolte, depuis le 25 Juillet jusqu'au 5 ou 8 de Septembre. Les paysans vont alors chercher cette plante à quinze ou vingt lieues à la ronde dans le Gévaudan, et même jusqu'en Provence. Ils ont grand soin de se cacher les uns aux autres les lieux particuliers où elle croit en abondance : ils font cette récolte en diligence, la plante pour pouvoir être employée, devant être fort récente ; la fermentation nuisant toujours au succès de l'opération dont il s'agit : il faut aussi que la maurelle ne soit pas terreuse.

Les vaisseaux et instruments dont on se sert ne sont pas tous de la même grandeur, et on croit assez inutîle de les assujettir à une certaine capacité déterminée.

Les particuliers qui font l'opération que nous décrivons, placent leurs vaisseaux à un rez-de-chaussée, dans une espèce de hangar ou d'écurie, où l'on voit d'abord un gros pressoir fait de bois de chêne verd, et soutenu des deux côtés sur deux murs de maçonnerie. Ce pressoir a d'ordinaire un pied d'épaisseur à chaque bras, sur huit pieds et demi de longueur, et un pied et demi de hauteur : je ne puis mieux le comparer qu'à une grande presse de relieur. On pratique sous ce pressoir une cuve de pierre, qu'on appelle en langue vulgaire pîle ; elle a communément la forme d'un parallélépipede, et rarement celle d'un gros cylindre ; son épaisseur ordinaire est de trois ou quatre pouces : on lui donne intérieurement un pied et demi de large, sur trois pieds de long, et sur deux pieds de profondeur : c'est dans cette cuve qu'on met l'urine et autres ingrédiens nécessaires. Enfin on trouve dans ce même lieu un moulin, dont la meule posée de champ, a un pied d'épaisseur ; un cheval la fait tourner : elle roule autour d'un pivot perpendiculaire, dans une ornière circulaire, assez large et assez profonde, où l'on met la maurelle qu'on veut broyer. Ce moulin est de même forme que ceux dont on se sert pour écraser les olives ou le tan. M. Astruc, de la société royale des Sciences de Montpellier, a donné la figure très-exacte de ce moulin, dans ses Mémoires pour l'histoire naturelle de la province de Languedoc. Voyez pages 336, 337. Pl. VI. fig. 1. ".

Procédé de la coloration des drapeaux ou chiffons avec lesquels les Hollandais font la pierre de tournesol. Les habitants du grand Gallargues qui ont ramassé une certaine quantité de maurelle, choisissent pour la faire broyer et en tirer le suc, un jour convenable. Ils veulent que le temps soit fort serein, l'air sec, le soleil ardent ; que le vent souffle du nord ou du nord-ouest : il n'est pas difficîle d'avoir au mois d'Aout, dans le bas Languedoc, des jours où toutes ces circonstances se trouvent réunies. La constitution de l'athmosphère étant telle que nous venons de le dire, on fait moudre la maurelle dans le moulin que nous avons décrit ; quand elle est bien écrasée, on la met dans un cabas de forme circulaire, fait d'une espèce de jonc, et fabriqué à Lunel, parfaitement semblable à ceux dont on se sert pour mettre les olives au pressoir. On remplit le cabas de maurelle bien écrasée, on la met ensuite au pressoir et on presse fortement ; le suc découle dans la cuve de pierre, placée immédiatement sous le pressoir : dès qu'il a cessé de couler, on retire le cabas du pressoir, et on jette le marc. On commence cette opération dans la matinée, et on continue la même manœuvre jusqu'à ce que tout le suc soit exprimé, ayant soin de changer de cabas dès qu'on s'aperçoit que celui dont on s'était servi jusque-là est percé. Quand on a tiré tout le suc, les uns avant que de l'employer le laissent reposer un quart d'heure ; les autres en font usage sur le champ ; quelques-uns, mais en petit nombre, mettent auparavant dans le suc une chopine ou un pot d'urine, sur environ trente pots de suc (il y a en général peu d'uniformité dans la manière de procéder). La plupart emploient leur suc tout de suite, comme je viens de le dire. On en sent assez la raison sans que je l'explique, et voici de quelle façon ils procedent.

Ceux qui font cette préparation achetent à Montpellier, ou dans d'autres villes voisines, de grands sacs à laine, de vieilles serpilières, ou quelqu'autre toîle écrue (je veux dire qu'on n'emploie à Gallargues que cette espèce de toile, qui n'a pas été blanchie par la rosée, ni par la lessive), qui ait déjà servi, et qui soit à bon compte ; si elle est sale, on la lave et on la fait sécher. Toute toîle est bonne pour cette opération, pourvu qu'elle soit de chanvre ; la plus grossière, la moins serrée dans son tissu, n'est pas à rejeter ; mais il faut qu'on l'ait bien nettoyée, car tous les corps gras et huileux sont contraires au succès de cette préparation.

On divise la toîle dont on se sert en plusieurs pièces ; sur cela il n'y a aucune règle, les femmes font toute la manœuvre de cette opération. Le suc exprimé est porté dans une espèce de petite cuve de bois, que nous appelons dans ce pays semâou ou comporte. La femme a devant soi un baquet de bois, pareil à ceux dont les blanchisseuses se servent pour savonner leur linge ; elle prend une, deux ou trois pièces de toile, suivant qu'elles sont plus ou moins grandes, qu'elle met dans le baquet ; elle verse ensuite sur ces morceaux de toile, un pot du suc de maurelle qu'elle a toujours à son côté ; et tout de suite, par un procédé pareil à celui des blanchisseuses qui savonnent le linge, elle froisse bien la toîle avec ses mains, afin qu'elle soit partout bien imbibée de suc. Cela fait, on ôte ces chiffons, et on en remet d'autres qui sont à portée, et toujours ainsi de suite : on ne cesse de faire cette manœuvre que tout le suc exprimé n'ait été employé. Après cette opération, l'on Ve étendre ces drapeaux sur des haies exposées au soleil le plus ardent, pour les faire bien sécher : on ne les met jamais à terre, parce que l'air y pénétrerait moins facilement, et qu'il est essentiel que les chiffons sechent vite. Je ferai observer que les femmes qui font cette manœuvre savent bien mettre à profit tout leur suc : les drapeaux ne sortent du baquet qu'imbibés de ce suc dans une juste proportion.

Après que les drapeaux ont été bien séchés au soleil, on les ramasse et on en forme des tas. Les femmes ont soin un mois avant que de commencer cette préparation, de ramasser de l'urine dans leur cuve de pierre, qui, après qu'on y a mis tous les ingrédiens, est appelée l'aluminadou, ce qui indique qu'on y mettait autrefois de l'alun ; quelques particuliers, en petit nombre, s'en servent encore aujourd'hui.

La quantité d'urine qu'on met dans la cuve n'est pas déterminée, on en met ordinairement une trentaine de pots, ce qui donne cinq ou six pouces d'urine dans chaque cuve. On jette ensuite dans la cuve cinq à six livres de chaux vive. Ceux qui sont dans l'usage d'employer l'alun, y en mettent alors une livre : car il faut remarquer qu'on y met toujours de la chaux, quoiqu'on emploie l'alun. On remue bien ce mélange avec un bâton ; après cela on place à la superficie de l'urine, des sarments ou des roseaux, assujettis à chaque extrémité de la cuve ; on étend sur ces roseaux les drapeaux imbibés de suc et bien séchés : on en met l'un sur l'autre ordinairement sept à huit, quelquefois plus ou moins, ce qui dépend de la grandeur de la cuve ; on couvre ensuite cette même cuve d'un drap ou d'une couverture. On laisse communément les drapeaux exposés à la vapeur de l'urine pendant vingt-quatre heures ; sur cela il n'y a aucune règle certaine, la force et la quantité de l'urine doivent décider : quelques particuliers laissent leurs drapeaux exposés à la vapeur pendant plusieurs jours, les autres s'en tiennent au temps que j'ai marqué. Mais pour juger avec certitude du succès de l'opération, l'on visite de temps en temps les drapeaux ; et quand on s'aperçoit qu'ils ont pris la couleur bleue, on les ôte de dessus la cuve. Il faut se souvenir que pendant que les chiffons sont exposés à la vapeur de l'urine, il faut les retourner sens-dessus-dessous, afin qu'ils présentent à la vapeur toutes leurs surfaces. On doit prendre garde que les chiffons qui sont sur les morceaux de bois exposés à la vapeur de l'urine, ne trempent point dans cette liqueur, ce serait autant de perdu, l'urine détruirait entièrement la partie colorante des drapeaux.

Comme il faut une grande quantité d'urine, et que d'ailleurs les cuves sont trop petites pour que l'on puisse colorer dans l'espace d'un mois et demi tous les drapeaux que demandent les marchands, les particuliers ont eu recours à une autre méthode, ils ont substitué le fumier à l'urine ; cependant la plus grande partie emploient l'urine, mais tous en font en même temps par l'une et par l'autre méthode. Les drapeaux que l'on colore par le moyen de l'urine, sont les plus aisés à préparer ; quelque temps qu'on les laisse exposés à sa vapeur, ils ne prennent jamais d'autre couleur que la bleue, et la partie colorante n'est jamais détruite par l'alkali volatil qui s'élève de l'urine, quelque abondant qu'il soit : il n'en est pas de même quand on emploie le fumier ; cette autre méthode demande beaucoup de vigilance, comme nous l'allons voir. Dès qu'on veut exposer les drapeaux qui ont reçu la première préparation à la vapeur du fumier, on en étend une bonne couche à un coin de l'écurie ; sur cette couche on jette un peu de paille brisée, on met par-dessus les chiffons entassés les uns sur les autres, et tout de suite on les couvre d'un drap, comme dans l'autre méthode : on met sur le fumier à-peu-près le même nombre de drapeaux que l'on exposerait à la vapeur de l'urine.

Si le fumier est de la première force, on Ve au bout d'une heure retourner sens-dessus-dessous les chiffons ; une heure après on Ve encore les visiter, et s'ils ont pris une couleur bleue, on les retire de dessus le fumier ; on les met en tas et on les expose à l'air pour les faire sécher. Je ferai remarquer que si le fumier n'est pas fort, on les y laisse plus longtemps, quelquefois douze heures, et plus même s'il est nécessaire. On sent bien que tout ceci dépend des différents degrés de force du fumier : la couleur bleue est la pierre de touche pour connaître la durée du temps dont nous parlons. On doit être attentif à visiter souvent les drapeaux ; car la vapeur du fumier, si on les y laissait trop longtemps exposés, en détruirait la couleur, et tout le travail serait perdu. Le fumier qu'on emploie est celui de cheval, de mule ou de mulet. Certaines femmes exposent d'une autre manière leurs drapeaux à la vapeur du fumier ; elles les mettent entre deux draps, et les draps entre deux couches de fumier.

Pour l'ordinaire on n'expose qu'une seule fois les chiffons à la vapeur de l'urine ou du fumier. Quelques particuliers m'ont dit que quand l'opération ne réussissait pas par le moyen du fumier, on exposait les drapeaux qu'on n'avait pu colorer par cette voie, à la vapeur de l'urine ; mais ces cas sont extrêmement rares. Je ferai observer que pendant tout le temps que dure cette préparation, l'on met presque tous les jours de l'urine dans la cuve ; et à l'égard de la chaux vive, on n'en met que trois fois pendant toute la durée de l'opération : il en est de même quand on y met de l'alun. On remarquera que toutes les fois qu'on expose de nouveaux drapeaux à la vapeur de l'urine, il faut, avant de les y exposer, bien remuer l'urine avec un bâton : on change de même le fumier à chaque nouvelle opération. Après que les femmes ont achevé toutes leurs préparations, qui se font chaque année, elles jettent l'urine de leur cuve qu'elles nettoient bien.

Nous avons dit qu'on n'exposait qu'une seule fois les drapeaux à la vapeur de l'urine ou du fumier : cette opération étant faite, comme je viens de la décrire, on a de nouveau suc de maurelle (car il est bon de faire observer que pendant toute la durée de cette préparation, il y a des hommes en campagne pour recueillir de la maurelle) ; on imbibe une seconde fois les drapeaux de ce nouveau suc, en faisant la même manœuvre qu'à la première opération, je veux dire qu'on savonne en quelque sorte les drapeaux avec ce nouveau suc, et on les fait bien sécher, comme nous avons dit. Si après cette seconde imbibition de suc les chiffons sont d'un bleu foncé tirant sur le noir, on ne leur fournit plus de nouveau suc ; alors la marchandise est dans l'état requis. Si les chiffons n'ont pas cette couleur foncée que je viens d'indiquer, on les imbibe de nouveau suc une troisième fais, quelquefois une quatrième, mais ces cas sont bien rares.

Les particuliers qui font cette préparation, ne commencent à imbiber leurs drapeaux de suc de maurelle que vers les dix ou onze heures du matin, comme j'en ai été témoin : la raison en est qu'alors le soleil commence à être dans sa plus grande force, et que les drapeaux étant exposés à son ardeur, sechent plus vite. Le temps est très-favorable, comme je l'ai déjà dit, quand le vent est majhistrâou ou nord-ouest, et le soleil bien ardent. On se garde bien de faire cette préparation quand le vent est sud-est, ou, comme on dit dans ce pays-ci, marin ; on risquerait alors de perdre tout le fruit de son travail : ce vent est fort humide, et les chiffons, pour réussir, doivent secher promptement. Il est arrivé dans certaines années pluvieuses, que des particuliers ont perdu leur maurelle, recueillie avec beaucoup de peine, faute de trouver un jour favorable.

Nous avons dit que quand la toîle qu'on emploie est sale, on la lave et on la fait sécher ; de même il faut prendre garde qu'elle ne soit pas imbibée de quelque corps gras ou huileux. On me raconta qu'un particulier avait employé dans sa fabrique certaines toiles qui avaient servi sur les vaisseaux ; elles étaient un peu enduites de gaudron, cela fit une mauvaise préparation, à cause que le gaudron empêchait le suc de faire union avec le chanvre ; aussi lui confisqua-t-on sa marchandise, comme n'étant pas de recette.

Je remarquai, étant au grand Gallargues, que dans la grande quantité de drapeaux colorés, il y en avait quelques morceaux qui n'avaient pas pris la couleur bleue. Je ne fus pas surpris de ce phénomène, dès que j'eus Ve manœuvrer les femmes ; elles n'observent pas beaucoup de régularité en étendant leurs chiffons, tant sur la cuve que sur le fumier : la partie volatîle de l'urine ou du fumier ne peut pas pénétrer par-tout également. D'ailleurs, si on a le malheur de laisser un peu trop longtemps les drapeaux à la vapeur du fumier, qui a beaucoup de force, il mange la couleur, si je puis m'exprimer ainsi ; au lieu d'être bleue, elle tire sur la couleur de chair : les femmes appellent cela en leur langue faula. Aussi la plupart de celles qui ont leurs chiffons sur du fumier extrêmement fort, vont-elles les visiter souvent.

On m'a raconté à Gallargues et dans les lieux voisins, qu'on ne pouvait préparer ces drapeaux de la manière que je viens de décrire, que dans ce premier village seulement : les habitants du grand Gallargues et des environs le craient fermement ; voici les preuves qu'ils en donnent. Les filles de ce village, disent-ils, qui vont se marier ailleurs, par exemple, à Aigues-vives, autre village qui n'en est éloigné que d'une petite lieue, ne peuvent réussir à faire cette préparation, quoiqu'elles l'aient faite plusieurs fois dans leur maison. Tout ceci sent le merveilleux ; j'ai l'expérience du contraire. J'ai préparé moi-même à Montpellier dans mon laboratoire de pareils drapeaux, par le moyen de la vapeur de l'urine, et ils sont aussi beaux que ceux qu'on nous envoie de Gallargues. Il est vrai de dire, qu'au sujet des drapeaux qu'on prépare au grand Gallargues, on ne peut le faire que dans une partie de cette province et dans quelqu'autres voisines, comme la Provence et une partie du Dauphiné, où cette plante croit dans quelques cantons.

M. Nissolle dit, que la maurelle ne croit pas du côté de Lyon, ni en Auvergne : si elle croissait en Hollande, les Hollandais ne seraient pas assez dupes pour nous acheter nos drapeaux ; ils les prépareraient chez eux, et par-là ils épargneraient beaucoup. Ce serait au gouvernement à acheter ou à se procurer le secret des Hollandais pour faire la pierre bleue appelée tournesol ; le commerce en retirerait un grand avantage, et principalement cette province ; par ce moyen deux préparations se feraient dans le même pays. Il est impossible de faire la première, que dans le pays où la maurelle croit naturellement : s'il était nécessaire de la multiplier, on pourrait laisser mûrir la graine, et en semer des champs comme on seme le blé.

Je pense qu'un jour, il en faudra venir à ce que je propose ; cette année (1760), la maurelle a manqué, les marchands n'ont pas pu avoir la quantité des drapeaux qu'on leur demande d'Hollande ; on n'en a préparé à ce qu'on m'a assuré, que pour trois mille livres. Si le gouvernement n'y prend garde, on détruira entièrement cette plante ; les paysans qui font cette recolte arrachent la plante, et alors la graine n'est pas mûre, et par-là on voit qu'elle ne peut pas se multiplier, ils assurent que ce qui a fait la rareté cette année de la maurelle, c'est la sécheresse, et qu'il n'a pas plu au commencement de l'été ; mais je crois que c'est faute de graine qu'il n'en vient point, cette plante n'étant pas vivace.

La maurelle ne peut pas être transportée fort loin, parce qu'il faut qu'elle soit verte pour être employée, et qu'on ne peut la garder trop longtemps sans qu'elle se gâte par une trop grande fermentation, comme on peut le voir dans la théorie que j'ai donnée du procédé. Voyez les mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1754, pag. 698. et suiv.

Quand les drapeaux ou chiffons, préparés comme je viens de le dire, sont bien secs, on les emballe dans de grands sacs, on les y serre et presse bien, puis on fait un second emballage dans d'autres sacs dans de la toîle avec de la paille, et on en forme des balles de trois ou quatre quintaux ; des marchands-commissionnaires de Montpellier ou des environs, les achetent pour les envoyer en Hollande, en les embarquant au port de Cette. Cette marchandise se vend 30 à 32 liv. le quintal, elle a valu certaines années jusqu'à 50 liv. On m'a assuré qu'on fabriquait toutes les années dans ce village (qui est composé de 230 maisons, et qui a mille habitans) de ces drapeaux pour dix ou douze mille livres.

Ces drapeaux colorent le vin qui peche par la couleur, et toutes sortes de liqueurs : on m'a assuré qu'on les employait en Hollande à cet usage, et au rapport de M. Nissolle, Simon Pauli désapprouve toutes ces pratiques. Je ne vois pas cependant que cela puisse être fort dangereux.

Les Hollandais font un grand usage des drapeaux de Gallargues pour colorer leur fromage ; ils le nomment alors fromage à croute rouge, tirant sur le violet, dont le principal commerce se fait sur les côtes de la Méditerranée, comme l'Espagne, la France et l'Italie.

Je crois avoir suffisamment détaillé toutes les parties de ce procédé chymique, qui fait le principal sujet de cet article, et je renvoie mes lecteurs pour la partie théorique, à ce que j'en ai dit dans le mémoire déjà cité de l'académie royale des Sciences pour l'année 1754. Article de M. MONTET, maître Apoticaire, et membre de la société royale des Sciences de Montpellier.