La disposition des lois avait favorisé la liberté d'unir dans les mêmes hommes les deux arts ; ce fut cette liberté même qui causa la chute de la Chirurgie. Il n'est pas difficîle de sentir les raisons de cette décadence. Les dehors de la Chirurgie ne sont pas attrayans ; ils rebutent la délicatesse : cet art, hors les temps de guerre, n'exerce presque les fonctions qui lui sont propres que sur le peuple, ce qui n'amorce ni la cupidité ni l'ambition, qui ne trouvent leur avantage que dans le commerce avec les riches et les grands ; de-là les savants, maîtres de l'un et l'autre art, abandonnèrent l'exercice de la Chirurgie. Les maladies médicales sont les compagnes ordinaires des riches et des grandeurs ; et d'ailleurs elles n'offrent rien qui, comme les maladies chirurgicales, en éloigne les personnes trop délicates ou trop sensibles ; ce fut par ces raisons, que ces hommes illustres, médecins et chirurgiens tout-à-la-fais, abandonnèrent les fonctions de la Chirurgie, pour n'exercer plus que celles de la Médecine.

Cet abandon donna lieu au second état de la Chirurgie. Les Médecins-Chirurgiens, en quittant l'exercice de cet art, retinrent le droit de le diriger, et commirent aux Barbiers les fonctions, les opérations de la Chirurgie, et l'application de tous les remèdes extérieurs. Alors le Chirurgien ne fut plus un homme seul et unique, ce fut le composé monstrueux de deux individus ; du Médecin, qui s'arrogeait exclusivement le droit de la science, et conséquemment celui de diriger ; et du Chirurgien manœuvre, à qui on abandonnait le manuel des opérations.

Les premiers moments de cette division de la science d'avec l'art d'opérer, n'en firent pas sentir tout le danger. Les grands maîtres qui avaient exercé la Médecine comme la Chirurgie vivaient encore ; et l'habileté qu'ils s'étaient acquise suffisait pour diriger l'automate, ou le Chirurgien opérateur. Mais dès que cette race hippocratique, comme l'appelle Fallope, fut éteinte, les progrès de la Chirurgie furent non-seulement arrêtés, mais l'art lui-même fut presque éteint, il n'en resta pour ainsi dire que le nom. On cessa de voir l'exemple de ces brillantes, de ces efficaces opérations, qui du règne des premiers Médecins avaient sauvé la vie à tant d'hommes. De-là cette peinture si vive que fait Magatus du malheur de tant d'infortunés citoyens, qui se trouvaient abandonnés sans ressource, lorsqu'autrefois l'art aurait pu les sauver ; mais ils ne pouvaient rien en espérer dans cette situation. Le chirurgien n'osait se déterminer à opérer, parce qu'il était sans lumières : le Médecin n'osait prendre sur lui d'ordonner, parce qu'il était sans habileté dans ce genre. L'abandon était donc le seul parti qui restât, et la prudence elle-même n'en permettait point d'autre.

La Chirurgie française ne fut point exposée aux mêmes inconvéniens. Une législation dont on ne peut trop louer la sagesse, avait donné à la Chirurgie le seul état qui pouvait la conserver. Cet état est le troisième où la Chirurgie s'est vue, et qui jusqu'à nos jours n'a été connu que de la France.

Long-temps avant le règne de François I. la Chirurgie faisait un corps savant, mais uniquement occupé à la culture de la Chirurgie. Les membres de ce corps possédaient la totalité de la science qui apprend à guérir ; mais ils n'étaient autorisés par la loi qu'à faire l'application des règles de cette science sur les maladies extérieures, et nullement sur les maladies internes, qui faisaient le partage des Physiciens ou Médecins. La science était liée à l'art par des nœuds qui semblaient indissolubles ; le chirurgien savant était borné à la culture de son art. La vanité, l'ambition ou l'intérêt ne pouvaient plus le distraire pour tourner ailleurs son application. Tout semblait prévu ; toute source de désordre semblait coupée dans sa racine ; mais la sagesse des lois peut-elle toujours prévenir les effets des passions, et les tours qu'elles peuvent prendre ? Les lettres qui faisaient le partage des Chirurgiens français semblaient mettre un frein éternel aux tentatives de leurs adversaires. Mais enfin les procès et les guerres outrées qu'ils eurent à soutenir, préparèrent l'avilissement de la Chirurgie. La faculté de Médecine appela les Barbiers pour leur confier les secours de la Chirurgie ministrante ; ensuite elle les initia aux fonctions des grandes opérations de la Chirurgie ; enfin elle parvint à faire unir les Barbiers au corps des Chirurgiens. La Chirurgie ainsi dégradée par son association avec des artisans, fut exposée à tout le mépris qui devait suivre une aussi indigne alliance : elle fut dépouillée par un arrêt solennel en 1660 de tous les honneurs littéraires ; et si les lettres ne s'exilèrent point de la Chirurgie, du moins ne parurent-elles y rester que dans la honte et dans l'humiliation.

Par une espèce de prodige, malgré les lettres presque éteintes dans le nouveau corps, la théorie s'y conserva. On en fut redevable au précieux reste de l'ancien corps de la Chirurgie. Ces grands hommes, malgré leur humiliation, malgré la douleur de se voir confondus avec de vils artisans, espérèrent le rétablissement de leur art. Ils conservèrent le précieux dépôt de la doctrine, et firent tous leurs efforts pour le transmettre fidèlement à des successeurs qui pourraient un jour voir renaître la Chirurgie : leur zèle n'oublia rien. Parmi cette troupe d'hommes avec qui ils étaient confondus, ils trouvèrent dans quelques-uns des teintures des lettres, prises dans une heureuse éducation ; dans d'autres, des talents marqués pour réparer, dans un âge avancé, le malheur d'une éducation négligée ; et dans tous enfin, le zèle le plus vif pour la conservation d'un art qui était devenu le leur.

Ce fut ainsi que la Chirurgie se maintint dans la possession de la théorie. Ce fut le fruit des sentiments que ces pères de l'art, restes de l'ancienne Chirurgie, surent inspirer à leurs nouveaux associés. Mais cette possession n'était pas une possession d'état, une possession publique autorisée par la loi ; c'était une possession de fait, une possession furtive, qui dès lors ne pouvait pas longtemps se soutenir. La séparation de la théorie, d'avec les opérations de l'art, était la suite infaillible de cet état, et la Chirurgie se voyait par-là sur le penchant de sa ruine. On sentit même plus que le présage de cette décadence, et l'on ne doit point en être surpris ; car les dictées et les lectures publiques étant interdites, on n'avait d'autre moyen que la tradition pour faire passer aux élèves les connaissances de la Chirurgie ; et l'art dut nécessairement se ressentir de l'insuffisance de cette voie pour transmettre ses préceptes.

La perte de la Chirurgie était donc assurée : il ne fallait rien moins pour prévenir ce malheur, qu'une loi souveraine qui rappelât cet art dans son état primitif. L'établissement de cinq démonstrateurs royaux en 1724, pour enseigner la théorie et la pratique de l'art, la fit espérer : bientôt après elle parut comme prochainement annoncée (en 1731) par la formation de l'académie royale de Chirurgie dans le corps de S. Côme ; et ce fut enfin l'impression du premier volume des mémoires de cette nouvelle compagnie, qui amena l'instant favorable où il plut au Roi de prononcer. Voici les propres termes de cette loi mémorable, qui non-seulement prévint en France la chute de la Chirurgie, mais qui en assure à jamais la conservation et les progrès, en fermant pour toujours les voies par lesquelles on avait pensé conduire la Chirurgie à sa perte.

Après avoir déclaré d'abord que la Chirurgie est reconnue pour un art savant, pour une vraie science qui mérite les distinctions les plus honorables, la loi ajoute : " Que l'on en trouve la preuve la moins équivoque dans un grand nombre d'ouvrages sortis de l'école de S. Côme, où l'on voit que depuis longtemps les Chirurgiens de cette école ont justifié par l'étendue de leurs connaissances, et par l'importance de leurs découvertes, les marques d'estime et de protection que les rois prédécesseurs ont accordées à une profession si importante pour la conservation de la vie humaine : mais que les Chirurgiens de robe longue qui en avaient été l'objet, ayant eu la facilité de recevoir parmi eux, suivant les lettres patentes du mois de Mars 1656, enregistrées au parlement, un corps entiers de sujets illittérés, qui n'avaient pour partage que l'exercice de la Barberie, et l'usage de quelques pansements aisés à mettre en pratique ; l'école de Chirurgie s'avilit bientôt par le mélange d'une profession inférieure, en sorte que l'étude des lettres y devint moins commune qu'elle ne l'était auparavant : mais que l'expérience a fait voir combien il était à désirer que dans une école aussi célèbre que celle des Chirurgiens de S. Côme, on n'admit que des sujets qui eussent étudié à fond les principes d'un art dont le véritable objet est de chercher, dans la pratique précédée de la théorie, les règles les plus sures qui puissent résulter des observations et des expériences. Et comme peu d'esprits sont assez favorisés de la nature pour pouvoir faire de grands progrès dans une carrière si pénible, sans y être éclairés par les ouvrages des maîtres de l'art, qui sont la plupart écrits en latin, sans avoir acquis l'habitude de méditer et de former des raisonnements justes par l'étude de la Philosophie. Nous avons reçu favorablement les représentations qui nous ont été faites par les Chirurgiens de notre bonne ville de Paris, sur la nécessité d'exiger la qualité de maître-ès-arts de ceux qui aspirent à exercer la Chirurgie dans cette ville, afin que leur art y étant porté par ce moyen à la plus grande perfection qu'il est possible, ils méritent également par leur science et par leur pratique, d'être le modèle et les guides de ceux qui, sans avoir la même capacité, se destinent à remplir la même profession dans les provinces et dans les lieux où il ne serait pas facîle d'établir une semblable loi ".

Exposer les dispositions de cette favorable déclaration, c'est en démontrer la sagesse. Les Chirurgiens souffrirent néanmoins à son occasion des contradictions de toute espèce Cette loi les lavait de l'ignominie qui les couvrait : en rompant le contrat d'union avec les Barbiers, elle rendait les Chirurgiens à l'état primitif de leur art, à tous les droits, privilèges, prérogatives dont ils jouissaient par l'autorité des lois avant cette union. La faculté de Médecine disputa aux Chirurgiens les prérogatives qu'ils voulaient s'attribuer, et elle voulut faire regarder le rétablissement des lettres dans le sein de la Chirurgie, comme une innovation préjudiciable au bien public et même aux progrès de la Chirurgie. L'université s'éleva contre les Chirurgiens, en réclamant le droit exclusif d'enseigner. Les Chirurgiens répondirent à toutes les objections qui leur furent faites. Ils prouvèrent contre l'université, qu'une profession fondée sur une législation constante les autorisait à donner par-tout où bon leur semblerait, des leçons publiques de l'art et science de Chirurgie ; qu'ils avaient toujours joui pleinement du droit d'enseigner publiquement dans l'université ; que la Chirurgie étant une science profonde et des plus essentielles, elle ne pouvait être enseignée pleinement et surement que par les Chirurgiens ; et que les Chirurgiens ayant toujours été de l'université, l'enseignement de cette science avait toujours appartenu à l'université.

De-là les Chirurgiens conclurent que l'université, pour conserver ce droit, qu'ils ne lui contestaient pas, avait tort de s'élever contre la déclaration du Roi, qui en maintenant les Chirurgiens (obligés dorénavant à être maîtres-ès-arts) dans la possession de lire et d'enseigner publiquement dans l'université, lui conservait entièrement son droit. Ils ajoutèrent que si l'université refusait de reconnaître le collège et la faculté de Chirurgie, comme faisant partie d'elle-même, elle ne pourrait encore faire interdire aux Chirurgiens le droit d'enseigner cette science, étant les seuls qui soient reconnus capables de l'enseigner pleinement ; et que l'université voudrait en vain dans ce cas opposer aux lais, à l'usage, et à la raison, son prétendu droit exclusif d'enseigner, puisqu'elle ne peut se dissimuler que ce droit, qu'elle tient des papes, a été donné par nos rais, seuls arbitres du sort des sciences, à différents colléges qui enseignent, hors de l'université, des sciences que l'université enseigne elle-même.

Ces contestations, qui furent longues et vives, et dans le cours desquelles les deux principaux partis se livrèrent sans-doute à des procédés peu mesurés, pour soutenir leurs prétentions respectives, sont enfin terminées par un arrêt du conseil d'état du 4 Juillet 1750. " Le Roi voulant prévenir ou faire cesser toutes les nouvelles difficultés entre deux professions (la Médecine et la Chirurgie) qui ont un si grand rapport, et y faire régner la bonne intelligence, qui n'est pas moins nécessaire pour leur perfection et pour leur honneur, que pour la conservation de la santé et de la vie des sujets de Sa Majesté, elle a résolu d'expliquer ses intentions sur ce sujet. " Le Roi prescrit par cet arrêt, 1°. un cours complet des études de toutes les parties de l'art et science de la Chirurgie, qui sera de trois années consécutives ; 2°. que pour rendre les cours plus utiles aux élèves en l'art et science de la Chirurgie, et les mettre en état de joindre la pratique à la théorie, il sera incessamment établi dans le collège de saint Côme de Paris, une école-pratique d'Anatomie et d'opérations chirurgicales, où toutes les parties de l'Anatomie seront démontrées gratuitement, et où les élèves feront eux-mêmes les dissections et les opérations qui leur auront été enseignées ; 3°. Sa Majesté ordonne que les étudiants prendront des inscriptions au commencement de chaque année du cours d'étude, et qu'ils ne puissent être reçus à la maitrise qu'en rapportant des attestations en bonne forme du temps d'études. Le Roi règle par plusieurs articles comment la faculté de Médecine sera invitée, par les élèves gradués, à l'acte public qu'ils soutiennent à la fin de la licence, pour leur réception au collège de Chirurgie ; et Sa Majesté veut que le répondant donne au doyen de la faculté, la qualité de decanus saluberrimae facultatis, et à chacun des deux docteurs assistants, celle de sapientissimus doctor, suivant l'usage observé dans les écoles de l'université de Paris. Ces trois docteurs n'ont que la première heure pour faire des objections au candidat ; les trois autres heures que dure l'acte, sont données aux maîtres en Chirurgie, qui ont seuls la voix délibérative pour la réception du répondant.

Par l'article xjx. de cet arrêt, Sa Majesté s'explique sur les droits et prérogatives dont les maîtres en Chirurgie doivent jouir ; en conséquence elle ordonne que conformément à la déclaration du 23 Avril 1743, ils jouiront des prérogatives, honneurs et droits attribués aux autres arts libéraux, ensemble des droits et privilèges dont jouissent les notables bourgeois de Paris ; et Sa Majesté par l'article XX. déclare qu'elle n'entend que les titres d'école et de collège puissent être tirés à conséquence, et que sous prétexte de ces titres les Chirurgiens puissent s'attribuer aucun des droits des membres et suppôts de l'université de Paris.

Cette restriction met le collège de Chirurgie au même degré où sont le collège Royal et celui de Louis le Grand. Les Chirurgiens, en vertu de leur qualité de maîtres en Chirurgie, ne peuvent avoir aucun droit à l'impétration des bénéfices, ni aux cérémonies particulières au corps des quatre facultés ecclésiastiques. Cette restriction annulle implicitement les lettres patentes de François I. qui en 1544 accorda au collège des Chirurgiens de Paris les mêmes privilèges que les suppôts, régens, et docteurs de l'université de cette ville. Il est vrai que la faculté de Chirurgie ne forma jamais, étant de l'ordre laïque, civil, et purement royal, une cinquième faculté avec les quatre autres de l'ordre apostolique. Les anciens Chirurgiens, en 1579, avaient cherché à faire une cinquième faculté apostolique, ou pareille aux quatre autres facultés de l'université. Pour y parvenir, ils s'adressèrent au pape, qui leur accorda une bulle à cet effet, laquelle occasionna un procès qui n'a pas été décidé. Mais les Chirurgiens actuels renonçant aux vues de leurs prédécesseurs, ont déclaré ne vouloir troubler l'ordre établi de tout temps dans l'université ; ils demandaient seulement d'y être unis sous l'ancienne forme, comme faculté laïque, civile, et purement royale, cette forme ne pouvant porter aucun préjudice à l'université, ni causer aucun dérangement dans son gouvernement. Il était très-naturel que les Chirurgiens souhaitassent d'appartenir à l'université, mère commune des sciences, du-moins comme maîtres-ès-arts, puisqu'elle croit avoir raison de les refuser comme faculté. " Ce dernier titre, dit M. de la Martinière, premier chirurgien du Roi, dans un mémoire présenté à Sa Majesté ; ce dernier titre a fait l'objet de notre ambition : mais dès que votre volonté suprême daigne nous accorder le titre de collège royal, l'honneur de dépendre immédiatement de votre Majesté suffit pour nous consoler de toute autre distinction ". (Y)

CHIRURGIENS, s. m. pl. (Jurisprudence) doivent intenter leur action dans l'année, pour leurs pansements et médicaments, après lequel temps ils ne sont plus recevables. Cout. de Paris, art. 127.

Les Chirurgiens qui forment leur demande à temps, sont préférés à tous autres créanciers. Mornac, liv. IV. cod. de petitione haeredit.

Les ecclésiastiques ne peuvent exercer la Chirurgie ; ils deviendraient irréguliers. Mais un laïque qui a exercé la Chirurgie, n'a pas besoin de dispense pour entrer dans l'état ecclésiastique. Cap. sententiam extra ne clerici negot. saecul. se immisc.

Suivant le droit romain, où l'impéritie était réputée une faute, le chirurgien était tenu de l'accident qu'il avait occasionné par son impéritie : mais parmi nous un chirurgien n'est pas responsable des fautes qu'il fait par ignorance ou par impéritie ; il faut qu'il y ait du dol ou quelqu'autre circonstance qui le rende coupable. Voyez les arrêts cités par Brillon, au mot Chirurgien, n. 8.

Les Chirurgiens sont incapables de legs faits à leur profit par leurs malades, dans la maladie dont ils les ont traités. Voyez la loi scio ff. de legat. 1. et leg. Medicus, ff. de extraord. cognit. Ricard, de donat. part. I. IIIe sect. 9. n. 299. (A)