M. de Justi, célèbre chymiste allemand, très-versé dans la minéralogie, parait être du même avis que M. Lehman ; il croit que la terre métallique du cobalt qui colore le verre en bleu, est produite par une combinaison du fer avec l'arsenic. Il appuie cette conjecture sur un fait attesté par M. Cramer, qui dit dans sa Docimasie, avoir oui dire que M. Henckel avait eu le secret de colorer le verre en bleu, en faisant calciner de la limaille d'acier de Styrie. Un des amis de M. de Justi, qui avait été le disciple de M. Henckel, l'a assuré de la vérité de ce fait, ajoutant même que pour faire cette expérience, il prenait trois parties de limaille d'acier qu'il mêlait exactement avec une partie d'arsenic, et qu'il faisait réverberer ce mélange pendant trois jours, à un feu qui était doux au commencement, mais qu'il augmentait par degrés.

Le même M. de Justi nous apprend, que la manganèse ou magnésie qui est un minéral ferrugineux, si on la joint avec de l'arsenic, et si on la calcine ensuite, devient propre à donner une couleur bleue au verre. Le même auteur parle d'un cobalt noir semblable à la mine d'arsenic noire, qui se trouve dans les terres de la dépendance du duc de Saxe-Cobourg, ainsi qu'au petit Zell, dans la basse-Autriche ; ce cobalt contenait une grande quantité de fer et devait sa couleur noire à ce métal, mais il ne contenait que très-peu, ou même point du-tout d'arsenic ; en mêlant ensemble et faisant calciner ce cobalt noir et ferrugineux avec d'autre cobalt ordinaire, gris et chargé d'arsenic : M. de Justi dit que de ce mélange, il résultait une matière très-propre à colorer le verre en bleu, c'est-à-dire à faire du safre. Il ajoute qu'il n'y a point de cobalt qui ne contienne des parties ferrugineuses plus ou moins abondamment, et il prétend que les cobalts ne sont propres à donner du bleu, que lorsqu'ils contiennent une juste proportion de fer et d'arsenic à la fois ; le cobalt noir du petit Zell donnait à la vérité tout seul une assez bonne couleur, mais elle devenait infiniment plus belle, lorsqu'on faisait calciner ce cobalt avec un autre cobalt très-chargé d'arsenic. De plus, M. de Justi assure qu'il ne s'est point encore trouvé jusqu'ici de cobalt qui ne contint une portion d'argent, d'où il conjecture que l'argent pourrait contribuer à la couleur bleue que produit le cobalt. Telles sont les idées répandues dans différents mémoires sur le cobalt que M. de Justi vient d'insérer dans ses œuvres Chymiques, publiées en allemand en 1760.

J'ajouterai encore à ces faits, que l'on a donné à M. de Montamy, premier maître d'hôtel de M. le duc d'Orleans, un morceau de cobalt noir trouvé en Espagne, près de la ville d'Aranda, dans la vieille Castille. Cette mine de cobalt calcinée ne donnait que peu d'indice d'arsenic, cependant M. de Montamy n'a pas laissé d'en tirer un bleu de la plus grande beauté qu'il a employé dans les couleurs pour l'émail, dont il Ve bientôt enrichir le public. Ce cobalt a donné un bleu très-supérieur à celui des cobalts de Saxe et des autres pays d'Allemagne.

Dans la vie du célèbre Becher, on rapporte que ce savant chymiste ayant pris du mécontentement des Saxons, les menaça de faire tomber leurs manufactures de safre, en donnant aux Anglais le secret d'en faire avec du bronze ou de l'alliage métallique dont on fait les cloches, appelé en anglais bell-metal ; peut-être aussi que le bell-metal dont Becher voulait parler, était un minéral qu'il savait contenir du cobalt.

On peut conclure de tous les faits qui viennent d'être rapportés, que la vraie nature du cobalt n'est point encore parfaitement connue ; que l'on ne connait point toutes ses mines, et qu'il pourrait y avoir plusieurs manières de faire du safre. Quoi qu'il en sait, nous allons décrire celle qui se pratique à Schneeberg, en Misnie, qui est l'endroit de toute l'Europe où l'on fait la plus grande quantité de safre, ce qui produit un revenu très-considérable pour l'électeur de Saxe et pour ceux qui sont intéressés dans ces manufactures.

Comme les mines de cobalt qui se trouvent en Misnie sont accompagnées d'une très-grande quantité de bismuth, on est obligé d'en séparer ce demi-métal, qui donnait une mauvaise couleur au safre. Pour cet effet, on forme une aire, on y place deux longs morceaux de bois, le long desquels on arrange des petits morceaux de bois minces fort proche les uns des autres. On jette la mine par-dessus, on allume le bois lorsqu'il fait du vent, et le bismuth qui est aisé à fondre se sépare de la mine.

Nous ne répéterons point ici ce qui a été dit de la manière de calciner le cobalt, pour en dégager l'arsenic dont il est abondamment chargé dans la mine ; cette calcination se fait dans un fourneau destiné à cet usage, on étend le cobalt pulvérisé grossiérement sur l'aire de ce fourneau, qui a environ sept pieds de long et autant de large. On ne le chauffe qu'avec de bon bois bien sec ; la flamme roule sur le cobalt, que l'on remue de temps en temps avec un rable de fer ; par ce moyen l'arsenic s'en dégage, et il est reçu dans un long tuyau ou dans une cheminée horizontale. Voyez l'article COBALT et la Pl. qui y est citée : on continue cette calcination pendant quatre, cinq, six, et même pendant neuf heures consécutives, suivant que la mine est plus ou moins chargée d'arsenic. Le cobalt grillé se passe par un tamis de fil de laiton, et l'on écrase de nouveau les parties qui n'ont point pu passer au-travers du tamis.

Cependant il faut observer qu'il y a des mines de cobalt qui n'ont pas besoin d'être calcinées, et qui ne laissent pas de donner de très-bon safre ; le cobalt noir, dont nous avons parlé, est dans ce cas, Ve qu'il ne s'en dégage que très-peu, ou même point du-tout d'arsenic ; alors le travail est plus facîle et moins couteux, puisque l'on épargne les frais et le travail de la calcination.

Le cobalt ayant été calciné et pulvérisé, se mêle avec de la potasse bien purifiée et calcinée dans un fourneau, pour en dégager toutes les ordures et les matières étrangères qui peuvent y être jointes. Voyez l'article POTASSE. On y joint encore des cailloux ou du quartz calcinés et pulvérisés, et passés au tamis. Pour pouvoir plus facilement réduire ces cailloux en poudre, on les fait rougir et on les éteint dans l'eau froide à plusieurs reprises ; ce sont-là les trois matières qui entrent dans la composition du safre. On prend ordinairement parties égales de cobalt, de potasse et de cailloux pulvérisés, cependant il faut consulter la nature du cobalt qui donne, tantôt plus, tantôt moins de couleur ; c'est pourquoi il faut s'assurer d'abord par des essais en petit de la qualité du cobalt, par la couleur qu'il donne, avant que de le travailler en grand. Si l'on n'avait point de cailloux convenables, on pourrait faire la fritte du verre avec du sable blanc, semblable à celui dont on se sert dans les Verreries.

Lorsqu'on a pris ces précautions, on mêle exactement ensemble la fritte, c'est-à-dire la composition dont on doit faire le safre ; ce mélange se fait dans des caisses de bois, où il demeure pour en faire usage au besoin.

Le fourneau dont on se sert pour faire fondre le mélange, ressemble à ceux des verreries ordinaires, il a environ six pieds de long, sur trois de large et sur six de haut. Les pots ou creusets dans lesquels on met le mélange, qui doit faire du verre bleu ou du safre, se placent sur des murs qui sont environ à la moitié de la hauteur du fourneau. L'entrée du fourneau par où l'on y place les creusets se ferme avec une plaque de terre cuite que l'on peut ôter à volonté ; au milieu de cette porte est une petite ouverture qui sert à recuire les essais ou échantillons de la matière vitrifiée que l'on a puisés dans les creusets au bout d'une baguette de fer ; durant le travail cette ouverture se bouche avec de la terre glaise. Sur chacun des côtés du fourneau sont trois ouvreaux qui servent à mettre la fritte dans les creusets, et à la puiser lorsqu'elle est fondue ; pendant qu'on fait fondre la matière, on bouche ces ouvreaux à environ un pouce près, et alors ils servent de regitres au fourneau et donnent un passage libre à l'air. Au-dessous des ouvreaux, il y a encore trois portes ou ouvertures que l'on ne débouche que lorsqu'il y a quelque réparation à faire aux creusets, ou lorsqu'on veut en remettre de nouveaux. Au pied du fourneau est le cendrier et une autre ouverture, qui sert à retirer le verre qui a pu sortir des creusets, que l'on remet à fondre. Les creusets sont faits de bonne terre, on les fait bien sécher dans un fourneau fait exprès, qui est à côté du fourneau de verrerie ; on place six creusets à la fois dans le fourneau ; comme il faut que la chaleur soit très-sorte, on ne le chauffe qu'avec du bois, que l'on a fait sécher presque au point de le réduire en charbon, dans un fourneau qui communique avec le premier ; les buches doivent être minces pour ce travail.

Lorsque le mélange a été exposé pendant 6 heures à l'action du feu, on le remue dans les creusets avec une baguette de fer ; on continue à faire la même chose de quart-d'heure en quart-d'heure, et on laisse le mélange exposé au feu encore pendant 6 heures ; ainsi il faut 12 heures pour que la fusion soit parfaite, on n'en emploie que huit lorsqu'on fait du safre commun.

On reconnait que le safre est assez cuit aux mêmes signes que tout le verre, c'est-à-dire on trempe une baguette de fer dans la matière fondue ; lorsqu'elle s'attache à la baguette et forme des filaments, c'est un signe que la matière est assez cuite.

Au bout de ce temps, on puise la matière fondue qui est dans les creusets avec une cuillere de fer, et on la jette dans des cuves ou dans des baquets pleins d'eau très-pure, afin d'étonner le verre et de le rendre plus facîle à s'écraser ; cette opération est très-importante.

Au fond des creusets, dans lesquels on a fait la fonte, il s'amasse du bïsmuth, Ve que ce demi-métal accompagne presque toujours les mines de cobalt que l'on trouve en Misnie, et il n'a pu en être totalement séparé par le grillage. Au-dessus de ce bismuth se trouve une matière réguline, que les Allemands nomment speiss ; cette matière a été peu connue jusqu'à présent. M. Gellert, dans le temps qu'il a publié sa chimie métallurgique, regardait le speiss comme un vrai régule de cobalt pur ; il dit qu'en faisant calciner cette matière, un quintal de cette substance suffit pour colorer en bleu 30 ou 40 quintaux de verre, au lieu que la mine de cobalt grillée de la manière ordinaire ne peut colorer en bleu que de huit à quinze fois son poids de verre. Voyez la traduction française de la chimie métallurgique de M. Gellert, t. I. p. 45. Mais on a appris depuis que M. Gellert s'est retracté sur cet article ; et aujourd'hui avec tous les Métallurgistes saxons, il regarde le speiss comme une combinaison de fer, de cuivre et d'arsenic, et non comme un régule de cobalt.

Voici comment on sépare ce speiss d'avec le bismuth : lorsqu'on laisse éteindre le feu du fourneau, et que l'on veut sacrifier les creusets, on les remplit des résidus qui ont été retirés de ces creusets et qui étaient au fond du verre ; on les fait fondre, alors le bismuth qui est le plus pesant tombe au fond, et le speiss qui est plus leger reste au-dessus ; et lorsque le tout est refroidi, on sépare aisément ces deux substances. Mais la séparation s'en fait encore mieux lorsque l'on allume simplement du feu autour de ces masses régulines qui sont en forme de gâteau, par-là le bismuth qui se dégage est plus pur et se fond plus promptement. Lorsque l'on fait l'extinction du safre dans l'eau, il tombe aussi quelques particules de speiss au fond des cuves, dans lesquelles on éteint le safre dont on sépare ces particules.

Après que le verre bleu a été éteint dans l'eau, on le retire et on le porte pour être écrasé sous les pilons du bocard ; au sortir du pilon, on le passe par un tamis de fils de laiton, et on le porte au moulin. C'est une pierre fort dure, placée horizontalement et entourée de douves, qui forment ainsi une espèce de cuve. Au milieu de cette pierre, qui sert de fond à la cuve, est un trou garni d'un morceau de fer bien trempé, dans lequel est porté le pivot d'un aissieu de fer, qui fait tourner verticalement deux meules de pierres ; ces meules servent à écraser et pulvériser encore plus parfaitement le verre bleu ou le safre qui a été tamisé, et qui a été étendu sur le fond de la grande cuve et recouvert avec de l'eau. On broie ainsi ce verre pendant six heures, alors on lâche des robinets qui sont aux côtés de la cuve du moulin, et l'eau, qui est devenue d'une couleur bleue en passant par ces robinets, découle dans des baquets ou seaux qui sont placés au-dessous ; de-là on porte cette eau dans des cuves où elle séjourne pendant quelques heures, par ce moyen la couleur dont elle était chargée se dépose peu-à-peu au fond des cuves ; on puise l'eau qui surnage, on la verse dans des auges qui la conduisent à un réservoir où elle acheve de se dégager de la partie colorante dont elle est encore chargée ; l'eau qui surnage dans ce premier réservoir retombe dans un second, et de-là dans un troisième où elle a le temps de devenir parfaitement claire, et la couleur de se déposer entièrement.

On met la couleur qui s'est déposée dans des baquets, où on la lave avec de nouvelle eau pour en séparer les saletés qu'elle peut avoir contractées ; cela se fait en la remuant avec une spatule de bois ; on réïtère ce lavage à plusieurs reprises, après quoi on puise cette eau agitée, on la passe par un tamis de crin fort serré, et cette eau qui a ainsi passé séjourne pendant quelques heures dans un nouveau vaisseau. Au bout de ce temps, on décante l'eau claire, et l'on a du safre qui sera d'une grande finesse et d'une belle couleur.

On étend également cette couleur sur des tables garnies de rebords ; on la fait sécher dans des étuves bien échauffées ; lorsque la couleur est bien seche, on la met dans une grande caisse garnie de toile, où on la sasse au-travers d'un tamis de crin fort serré. L'ouvrier qui fait ce travail est obligé de se bander la bouche avec un linge, pour ne point avaler la poudre fine qui voltige. On met ainsi plusieurs quintaux de safre dans la caisse, on l'humecte avec de l'eau, on le paitrit avec les mains pour le mouiller également, on le pese ; alors un inspecteur examine si la nuance de la couleur est telle qu'elle doit être ; lorsqu'elle est ou plus claire ou plus foncée qu'il ne faut, il y remédie en mêlant ensemble différents safres, et par-là il donne la nuance requise. Après que cette couleur a été pesée, on l'entasse fortement dans des barrils, sur lesquels on imprime avec un fer chaud une marque, qui indique la qualité du safre qui y est contenu. Les Saxons nomment echel la couleur la plus fine et la plus belle : suivant ses différents degrés de finesse et de beauté, on la désigne par différentes marques ; H E F désigne la plus parfaite ; E F E est d'une qualité au-dessous ; F E est encore inférieure ; M E signifie eschel médiocre ; O E eschel ou couleur ordinaire ; O C marque une couleur claire ordinaire ; O H annonce un bleu vif ; M C claire moyen ; F C couleur fine ; F F C une couleur très-fine. Les barrils ainsi préparés se vendent en raison de la beauté et de la finesse de la couleur, et se transportent dans toutes les parties de l'Europe ; on assure même que les Chinois en ont tiré une grande quantité depuis quelques années.

Telle est la manière dont on fait le safre en Misnie, où il y en a quatre manufactures qui sont une source de richesse pour le pays. Les Saxons ont fait longtemps un très-grand mystère de ce travail ; le célèbre Kunckel est le premier qui en ait donné une description dans ses notes sur l'art de la Verrerie d'Antoine Néri. Depuis, M. Zimmermann en a donné un détail très-circonstancié dans un ouvrage allemand qu'il a intitulé, Académie minéralogique de Saxe ; son mémoire a été traduit en français, et se trouve à la suite de l'Art de la Verrerie de Néri et de Kunckel, que j'ai publié à Paris en 1752. Cependant il est certain que les Saxons ont toujours fait des efforts pour cacher leur procédé, et jamais ils n'ont communiqué au public les ordonnances et les règlements de leurs manufactures de safre qui sont de l'année 1617, non plus que les divers changements qu'on y a faits depuis ce temps.

Quoi qu'il en sait, on fait du safre en Bohème, dans le duché de Wirtemberg, à Ste Marie aux mines en Lorraine, etc. il est vrai que l'on donne la préférence à celui des Saxons ; il y a lieu de croire que cela vient de leur grande expérience, de la bonté du cobalt qu'ils emploient, et du choix des matières dont ils font le verre. Comme le cobalt est une substance minérale qui se trouve très-abondamment presque par-tout où il y a des mines, il est à présumer qu'on réussira aussi-bien que les Saxons en apportant à ce travail la même attention qu'eux. 1°. Il faut bien choisir les cailloux dont on fera la fritte du verre ; souvent des cailloux qui paraitront parfaitement blancs et purs contiennent des parties ferrugineuses que l'action du feu développe, alors ces cailloux rougiront ou jauniront par la calcination, et ils pourront nuire à la beauté de la couleur du safre ; d'un autre côté, il y a des cailloux qui, quoique naturellement colorés, perdent cette couleur dans le feu, ceux-là pourront être employés avec succès ; on voit par-là qu'il faut s'assurer par des expériences, de la qualité des cailloux qu'on emploiera ; au défaut de cailloux, on pourra se servir d'un sable bien blanc et bien pur. 2°. Il faut que la potasse, la soude ou le sel alkali fixe que l'on mêlera dans la fritte du verre soit aussi parfaitement pure. 3°. Il ne faut point négliger l'eau dans laquelle on éteint le verre bleu au sortir du fourneau, afin de pouvoir le pulvériser plus aisément ; si cette eau était impure et mêlée de particules étrangères, elle pourrait nuire à la beauté du safre. En général ce travail exige beaucoup de netteté et de précaution. (-)