Les Grecs appelaient du même nom les secrets des écoles et ceux des mystères, et les philosophes n'étaient guère moins circonspects à révéler les premiers, qu'on l'était à communiquer les seconds. La plupart des modernes ont regardé cet usage comme un plaisir ridicule, fondé sur le mystère, ou comme une petitesse d'esprit qui cherchait à tromper. Des motifs si bas ne furent pas ceux des philosophes : cette méthode venait originairement des Egyptiens, de qui les Grecs l'empruntèrent ; et les uns et les autres ne s'en servirent que dans la vue du bien public, quoiqu'elle ait pu par la suite des temps dégénérer en petitesse.

Il n'est pas difficîle de prouver que cette méthode venait des Egyptiens, c'est d'eux que les Grecs tirèrent toute leur science et leur sagesse. Hérodote, Diodore de Sicile, Strabon, Plutarque, tous les anciens auteurs en un mot ; sont d'accord sur ce point : tous nous assurent que les prêtres égyptiens, qui étaient les dépositaires des sciences, avaient une double philosophie ; l'une secrète et sacrée, l'autre publique et vulgaire.

Pour juger quel pouvait être le but de cette conduite, il faut considérer quel était le caractère des prêtres égyptiens. Elien rapporte que dans les premiers temps ils étaient juges et magistrats. Considérés sous ce point de vue, le bien public devait être le principal objet de leurs soins dans ce qu'ils enseignaient, comme dans ce qu'ils cachaient ; en conséquence ils ont été les premiers qui ont prétendu avoir communication avec les dieux, qui ont enseigné le dogme des peines et des récompenses d'une autre vie, et qui, pour soutenir cette opinion, ont établi les mystères dont le secret était l'unité de Dieu.

Une preuve évidente que le but des instructions secrètes était le bien public, c'est le soin que l'on prenait de les communiquer principalement aux rois et aux magistrats. " Les Egyptiens, dit Clément d'Alexandrie, ne révelent point leurs mystères indistinctement à toutes sortes de personnes ; ils n'exposent point aux prophanes leurs vérités sacrées ; ils ne les confient qu'à ceux qui doivent succéder à l'administration de l'état, et à quelques-uns de leurs prêtres les plus recommandables par leur éducation, leur savoir et leurs qualités ".

L'autorité de Plutarque confirme la même chose. " Les rais, dit-il, étaient choisis parmi les prêtres ou parmi les hommes de guerre. Ces deux états étaient honorés et respectés, l'un à cause de sa sagesse, et l'autre à cause de sa bravoure ; mais lorsqu'on choisissait un homme de guerre, on l'envoyait d'abord au collège des prêtres, où il était instruit de leur philosophie secrète, et où on lui dévoilait la vérité cachée sous le voîle des fables et des allégories ".

Les mages de Perse, les druides des Gaules et les brachmanes des Indes, tous semblables aux prêtres égyptiens, et qui comme eux participaient à l'administration publique, avaient de la même manière et dans la même vue leur doctrine publique et leur doctrine secrète.

Ce qui a fait prendre le change aux anciens et aux modernes sur le but de la double doctrine, et leur a fait imaginer qu'elle n'était qu'un artifice pour conserver la gloire des sciences et de ceux qui en faisaient profession, a été l'opinion générale que les fables des dieux et des héros avaient été inventées par les sages de la première antiquité, pour déguiser et cacher des vérités naturelles et morales, dont ils voulaient avoir le plaisir de se réserver l'explication. Les philosophes grecs des derniers temps sont les auteurs de cette fausse hypothèse, car il est évident que l'ancienne Mythologie du Paganisme naquit de la corruption de l'ancienne tradition historique ; corruption qui naquit elle-même des préjugés et des folies du peuple, premier auteur des fables et des allégories : ce qui dans la suite donna lieu d'inventer l'usage de la double doctrine, non pour le simple plaisir d'expliquer les prétendues vérités cachées sous l'enveloppe de ces fables, mais pour tourner au bien du peuple les fruits mêmes de sa folie et de ses préjugés.

Les législateurs grecs furent les premiers de leur nation qui voyagèrent en Egypte. Comme les Egyptiens étaient alors le peuple le plus fameux dans l'art du gouvernement, les premiers Grecs qui projettèrent de réduire en société civîle les différentes hordes ou tribus errantes de la Grèce, allèrent s'instruire chez cette nation savante, des principes qui servent de fondement à la science des législateurs, et ce fut le seul objet auquel ils s'appliquèrent : tels furent Orphée, Rhadamante, Minos, Lycaon, Triptoleme, etc. C'est-là qu'ils apprirent l'usage de la double doctrine, dont l'institution des mystères, une des parties des plus essentielles de leurs établissements politiques, est un monument remarquable. Voyez les dissertations sur l'union de la Religion, de la Morale et de la Politique, tirées de Varburton par M. de Silhouete, tom. II. dissert. VIIIe Art. de M. FORMEY.