Parmi les torticolis,

Je passe pour des plus jolis.

Cette façon de porter la tête de côté peut avoir été contractée par mauvaise habitude dès l'enfance, ou dans un âge plus avancé par affectation ; car il y a des gens qui seraient bien naturellement, et qui par air, se rendent ridicules. Cette tournure de tête est un geste de tartuffe, et Horace le conseille à ceux qui veulent tromper par flatterie, stes capite obstipo.

Suétone reproche à Tibere qu'il portait la tête roide et de côté par orgueil ; les secours de la chirurgie ne sont point utiles à ceux dont le corps n'est vicié que par des causes morales. Les progrès de cet art n'ont pas fait imaginer aux chirurgiens français d'opération pour redresser la tête inclinée par la convulsion des muscles.

Tulpius, savant médecin d'Amsterdam, au milieu du dernier siècle, rapporte l'histoire de la guérison d'un enfant de 12 ans, qui dès son plus bas âge portait la tête panchée sur l'épaule gauche par la contraction du muscle scalene : on avait essayé en vain des fomentations pour relâcher les parties dont la roideur et la corrugation causaient la maladie ; les colliers de fer n'avaient pu parvenir à redresser la tête : il fut décidé dans une consultation faite par l'auteur avec deux autres médecins très-habiles, qu'on commettrait l'enfant aux soins d'Isaac Minnius, chirurgien très-renommé, qui avait opéré avec succès dans plusieurs cas de la même espèce. Il forma d'abord une grande escare par l'application d'une pierre à cautère ; il coupa ensuite avec un bistouri le muscle qui tirait la tête ; mais Tulpius qui fait un tableau assez embrouillé de cette opération, remarque qu'elle fut pratiquée avec beaucoup de lenteur et de peine, effet de la timidité et de la circonspection avec lesquelles on agissait dans la crainte de blesser les artères et les veines jugulaires.

L'auteur désapprouve ce procédé, et conseille à ceux qui voudront courir les hazards d'une opération aussi dangereuse, de rejeter l'usage préliminaire du caustique, qui a causé des douleurs inutiles au malade, qui ne lui en a point épargné dans l'opération, et dont l'effet a été nuisible, en dérobant à la vue de l'opérateur les parties qu'il devait diviser, et les rendant plus difficiles à couper. Il ajoute des conseils à ces réflexions : il faut, dit-il, prendre toutes les précautions convenables pour que l'opération ne soit point funeste, et ne pas la faire à différentes reprises, mais de couper d'un seul coup le muscle, avec toute l'attention qu'exige une opération de cette nature.

Job à Méckren, chirurgien d'Amsterdam, qui a donné un excellent recueil d'observations medico-chirurgicales, parle aussi de l'opération convenable au torticolis, qu'il a Ve pratiquer sous ses yeux à un enfant de 14 ans. Le tendon du muscle sterno-mastoïdien fut coupé d'un seul coup de ciseaux très-tranchans, avec une adresse singulière, par un chirurgien nommé Flurianus, et sur le champ la tête se redressa avec bruit. L'auteur donne l'extrait de la critique de Tulpius sur l'opération décrite plus haut, pour faire connaître qu'on avait profité de ses remarques.

Parmi nos contemporains, M. Sharp, célèbre chirurgien de Londres, propose la section du muscle mastoïdien, dans le cas où le torticolis dépend de la contraction de ce muscle, pourvu que le vice ne soit pas ancien, et ne vienne pas de l'enfance ; car, dit-il, il serait impossible de mettre la tête dans une situation droite, si l'accroissement des vertèbres s'était nécessairement fait de travers. Voici l'opération qu'il décrit pour les cas où elle sera praticable. Ayant placé le malade sur une table, on coupe la peau et la graisse par une incision transversale, un peu plus large que le muscle, et qui ait environ le tiers de sa longueur depuis la clavicule. Ensuite passant avec circonspection un bistouri à bouton par-dessus le muscle, on tire dehors cet instrument, et en même-temps on coupe le muscle. On n'est pas en danger de blesser les gros vaisseaux ; on remplit la plaie avec de la charpie séche, pour en tenir les lèvres séparées avec le secours d'un bandage propre à soutenir la tête : ce que l'on continuera durant tout le traitement, qui est pour l'ordinaire d'environ un mois.

Suivant cet exposé de M. Sharp, cette opération est commune ; si cependant on fait réflexion à la nature et aux causes de la maladie, et à ces différences qui font qu'elle est récente, habituelle ou originaire, constante ou périodique, idiopathique ou sympathique, provenant de spasme, ou simplement de la paralysie des muscles du côté opposé, et que d'autres muscles que le sternomastoïdien peuvent être attaqués, on conviendra que cette opération peut à peine avoir lieu. J'ai coupé avec succès des brides de la peau qui tenaient la tête de côté depuis beaucoup d'années, à la suite des brulures du col ; et j'ai Ve de ces brides qui auraient pu en imposer pour le muscle mastoïdien.

M. Mauchart a fait soutenir dans l'université de Tubingue une thèse, au mois de Décembre 1737, sur cette maladie, de capite obstipo. Elle est très-méthodiquement faite. En parlant des parties affectées, on avance que tous les muscles qui font mouvoir la tête et le col peuvent être le siege du mal ; on n'en exclut pas le muscle peaucier, dont les attaches sont à la clavicule et au bord de la mâchoire inférieure, depuis l'angle jusqu'à la symphise : quelquefois les vertèbres du col sont dans une disposition vicieuse, que la section des muscles ne détruirait point ; souvent les muscles ne font qu'obéir à la cause qui agit, le principe moteur même qui est attaqué par l'affection primitive des nerfs.

L'auteur examine les causes prochaines et éloignées du mal, parmi celles-ci il compte, le froid, les convulsions, le virus vénerien, et l'impression du mercure dans la mauvaise administration des frictions mercurielles. Les remèdes doivent donc être variés suivant l'intelligence des médecins ou des chirurgiens, et relativement à toutes ces connaissances : on conseille les remèdes généraux, les purgatifs doux répétés, les diaphorétiques, les apéritifs incisifs, les antispasmodiques, les cataplasmes émolliens sur les parties trop tendues ; des toniques et fortifiants sur les parties faibles ; les mercuriaux, si le virus vénerien est la cause du mal ; les eaux thermales telles que celles de Plombières, qui ont opéré une guérison bien constatée du torticolis, les frictions, les vésicatoires, les saignées du pied et de la jugulaire, les setons à la nuque, les cautères ; les bandages qui redressent la tête ; le collier de Nuck par lequel on suspend la personne (ce qui n'est pas sans danger) ; enfin la section des parties contractées avec l'instrument tranchant, conduit avec les précautions convenables. Cette dissertation est insérée dans le second tome des disputationes chirurgicae selectae, par M. de Haller. (Y)