A peine l'Eglise eut-elle commencé à respirer sous les empereurs chrétiens, que ses enfants se divisèrent sur ses dogmes, et l'arianisme protégé par plusieurs souverains, excita contre les défenseurs de la foi ancienne des persécutions qui ne le cédaient guère à celles du paganisme. Depuis ce temps de siècle en siècle l'erreur appuyée du pouvoir a souvent persécuté la vérité, et par une fatalité déplorable, les partisans de la vérité, oubliant la modération que prescrit l'évangîle et la raison, se sont souvent abandonnés aux mêmes excès qu'ils avaient justement reprochés à leurs oppresseurs. Delà ces persécutions, ces supplices, ces proscriptions, qui ont inondé le monde chrétien de flots de sang, et qui souillent l'histoire de l'Eglise par les traits de la cruauté la plus raffinée. Les passions des persécuteurs étaient allumées par un faux zèle, et autorisées par la cause qu'ils voulaient soutenir, et ils se sont cru tout permis pour vanger l'Etre suprême. On a pensé que le Dieu des miséricordes approuvait de pareils excès, que l'on était dispensé des lois immuables de l'amour ou prochain et de l'humanité pour des hommes que l'on cessait de regarder comme ses semblables, dès-lors qu'ils n'avaient point la même façon de penser. Le meurtre, la violence et la rapine ont passé pour des actions agréables à la Divinité, et par une audace inouie, on s'est arrogé le droit de vanger celui qui s'est formellement réservé la vengeance. Il n'y a que l'ivresse du fanatisme et des passions, ou l'imposture la plus intéressée qui ait pu enseigner aux hommes qu'ils pouvaient, qu'ils devaient même détruire ceux qui ont des opinions différentes des leurs, qu'ils étaient dispensés envers eux des lois de la bonne foi et de la probité. Où en serait le monde si les peuples adoptaient ces sentiments destructeurs ? L'univers entier, dont les habitants diffèrent dans leur culte et leurs opinions, deviendrait un théâtre de carnages, de perfidies et d'horreurs. Les mêmes droits qui armeraient les mains des Chrétiens, allumeraient la fureur insensée du musulman, de l'idolâtre, et toute la terre serait couverte de victimes que chacun croirait immoler à son Dieu.

Si la persécution est contraire à la douceur évangélique et aux lois de l'humanité, elle n'est pas moins opposée à la raison et à la saine politique. Il n'y a que les ennemis les plus cruels du bonheur d'un état qui aient pu suggérer à des souverains que ceux de leurs sujets qui ne pensaient point comme eux étaient devenus des victimes dévouées à la mort et indignes de partager les avantages de la société. L'inutilité des violences suffit pour désabuser de ces maximes odieuses. Lorsque les hommes, soit par des préjugés de l'éducation, soit par l'étude et la réflexion, ont embrassé des opinions auxquelles ils croient leur bonheur éternel attaché, les tourments les plus affreux ne font que les rendre plus opiniâtres ; l'âme invincible au milieu des supplices s'applaudit de jouir de la liberté qu'on veut lui ravir ; elle brave les vains efforts du tyran et de ses bourreaux. Les peuples sont toujours frappés d'une constance qui leur parait merveilleuse et surnaturelle ; ils sont tentés de regarder comme des martyrs de la vérité les infortunés pour qui la pitié les intéresse ; la réligion du persécuteur leur devient odieuse ; la persécution fait des hypocrites et jamais des prosélytes. Philippe II. ce tyran dont la politique sombre crut devoir sacrifier à son zèle inflexible cinquante-trois mille de ses sujets pour avoir quitté la religion de leurs pères, et embrassé les nouveautés de la réforme, épuisa les forces de la plus puissante monarchie de l'Europe. Le seul fruit qu'il recueillit fut de perdre pour jamais les provinces du Pays-bas excédées de ses rigueurs. La fatale journée de la S. Barthélemi, où l'on joignit la perfidie à la barbarie la plus cruelle, a-t-elle éteint l'hérésie qu'on voulait opprimer ? Par cet événement affreux la France fut privée d'une foule de citoyens utiles ; l'hérésie aigrie par la cruauté et par la trahison reprit des nouvelles forces, et les fondements de la monarchie furent ébranlés par des convulsions longues et funestes.

L'Angleterre, sous Henri VIII. voit trainer au supplice ceux qui refusent de reconnaître la suprématie de ce monarque capricieux ; sous sa fille Marie, les sujets sont punis pour avoir obéi à son père.

Loin des souverains, ces conseillers intéressés qui veulent en faire les bourreaux de leurs sujets. Ils leur doivent des sentiments de père, quelles que soient les opinions qu'ils suivent lorsqu'elles ne troublent point l'ordre de la société. Elles ne le troubleront point lorsqu'on n'emploiera pas contre elles les tourments et la violence. Les princes doivent imiter la divinité, s'ils veulent en être les images sur la terre ; qu'ils lèvent les yeux au ciel, ils verront que Dieu fait lever son soleil pour les méchants comme pour les bons, et que c'est une impiété ou une folie que d'entreprendre de venger le très-haut. Voyez TOLERANCE.

PERSECUTION, (Théologie) on compte ordinairement vingt-quatre persécutions depuis Jesus-Christ jusqu'à nous. Le P. Riccioli en ajoute deux qui sont la première et la dernière dans l'ordre que nous allons indiquer.

1°. Celle de Jérusalem, excitée par les Juifs contre S. Etienne, et continuée par Hérode Agrippa, contre S. Jacques, S. Pierre et les autres.

La seconde, sous Néron, commencée l'an 64 de J. C. à l'occasion de l'incendie de Rome, dont on accusa faussement les Chrétiens ; elle dura jusqu'à l'an 68.

La troisième, sous Domitien depuis l'an 90 jusqu'à l'année 96.

La quatrième, sous Trajan, commencée l'an 97, elle cessa en 116.

La cinquième, sous Adrien, depuis l'année 118 jusqu'à 129, avec quelques interruptions occasionnées par les apologies de Quadrat et d'Aristide, en faveur des Chrétiens. Il y eut encore quelques martyrs sous son règne en 136.

La sixième, sous Antonin le Pieux ; elle commença en 138, et finit en 153.

La septième, sous Marc Aurele, depuis l'an 161 jusqu'en 174.

La huitième sous Sevère, commencée l'an 199, dura jusqu'à la mort de ce prince en 211.

La neuvième, sous Maximin, en 235 ; elle ne dura que trois ans.

La dixième, sous Dece en 249 ; elle cessa à sa mort en 251 ; et dans ce court espace de temps elle fut une des plus sanglantes. Ses successeurs Gallus et Volusien la renouvellèrent deux ans après.

La onzième, sous Valerien et Galien en 257 ; elle dura trois ans et demi.

La douzième, sous Aurélien, commencée l'an de J. C. 273, et continuée jusqu'en 275.

La treizième, commencée par Dioclétien et Maximien l'an 303, et continuée sous le nom du premier jusqu'en 310, quoiqu'il eut abdiqué l'empire. Maximien la renouvella en 312, et Licinius la fit durer jusqu'à l'an 315, que l'empereur Constantin donna la paix à l'Eglise.

La quatorzième fut ordonnée par Sapor II. roi de Perse, à l'instigation des Mages et des Juifs, l'an 343 ; elle couta, selon Sozomene, la vie à 16 mille chrétiens.

La quinzième, mêlée d'artifice et de cruauté, est celle que Julien suscita contre les Chrétiens. Elle ne dura qu'un an.

La seizième fut autorisée par l'empereur Valents, arien, l'an 366, jusqu'en 378.

La dix-septième, sous Isdegerde, roi de Perse, en 420 ; elle ne finit que trente ans après sous le règne de Varannes V.

La dix-huitième contre les Catholiques, pendant le règne de Génseric, roi des Vandales, arien, depuis l'an 433, jusqu'en 476.

La dix-neuvième, sous le règne d'Huneric, successeur de Genseric, en 483 elle ne dura qu'un an.

La vingtième, sous Gondebaud, aussi roi des Vandales, en 494.

La vingt-unième, sous Trasimond successeur de Gondebaud ; elle commença en 504.

La vingt-deuxième, par les Ariens en Espagne, sous Leowigilde, roi des Goths, en 584, et finie sous Recarede, deux ans après.

La vingt-troisième, sous Cosroès II. roi de Perse, depuis l'an 607, jusqu'en 627.

La vingt-quatrième, instituée par les Iconoclastes, sous Léon l'Isaurique, depuis 726, jusqu'en 741 ; elle continua sous Constantin Copronyme, jusqu'en 775.

La vingt-cinquième fut donnée par Henri VIII. roi d'Angleterre, l'an 1534, contre tous les Catholiques, après que ce prince se fut séparé de l'église romaine. Elle fut renouvellée par la reine Elisabeth.

La vingt-sixième commença dans le Japon, l'an 1587, sous le règne de Taïcosama, à l'instigation des bonzes. Elle fut renouvellée en 1616, par le roi Xongusama, et exercée avec encore plus de cruauté par Toxonguno qui lui succéda, en 1631. Riccioli, chronolog. réform. tom. III.

Lactance a fait un traité de la mort des persécuteurs, qui a été longtemps inconnu, et que M. Baluze a donné le premier au public. Quelques auteurs doutent que cet ouvrage soit véritablement de Lactance, mais M. Burnet qui l'a traduit en anglais, prouve qu'on doit le lui attribuer.