On attribue à Straton de Lampsaque l'origine de ce sentiment. Il avait été disciple de Théophraste, et s'était acquis beaucoup de réputation dans la secte Péripatéticienne, mais il la quitta pour établir une nouvelle espèce d'athéisme. Velleïus, épicurien et athée, en parle de cette manière. Nec audiendus Strato, qui physicus appelatur, qui omnem vim divinam in naturâ sitam esse censet, quae causas gignendi, augendi minuendive habeat, sed careat omni sensu. De nat. deorum, lib. I. cap. XIIIe Il prétendait, comme les Epicuriens, que tout avait été formé par le concours fortuit des atomes, à qui il attribuait je ne sais quelle vie ; ce qui faisait croire qu'il regardait la matière ainsi animée comme une espèce de divinité : c'est ce qui a fait dire à Seneque : Ego feram aut Platonem, aut Peripateticum Stratonem, quorum alter Deum sine corpore fecit, alter sine animo ? Apud Augustinum de civit. Dei, l. VI. c. Xe C'est-là la cause pour laquelle Straton est quelquefois rangé parmi ceux qui croyaient un Dieu, quoique ce fût un véritable athée. On peut s'en assurer encore par ce passage de Cicéron : Strato Lampsacenus negat opera deorum se uti ad fabricandum mundum ; quaecumque sint docet omnia esse effecta naturae ; nec ut ille qui asperis et laevibus et hamatis uncinatisque corporibus concreta haec esse dicit interjecto inani ; somnia censet haec esse Democriti, non docentis sed optantis. Acad. quaest. l. II. c. xxxviij. Il niait donc aussi-bien que Démocrite, que le monde eut été fait par une divinité ou par une nature intelligente, mais il ne tombait pas d'accord avec lui touchant l'origine de toutes choses ; parce que Démocrite n'établissant aucun principe actif, ne rendait aucune raison du mouvement ni de la régularité que l'on voit dans les corps. La nature de Démocrite n'était que le mouvement fortuit de la matière ; mais la nature de Straton était une vie inférieure et plastique, par laquelle les parties de la matière pouvaient se donner à elles-mêmes une meilleure forme, mais sans sentiment de soi-même ni connaissance réfléchie. Quidquid aut fit aut fiat, naturalibus fieri, aut factum esse docet ponderibus ac motibus. Cic. ibid. Il faut donc de plus remarquer, qu'encore que Straton établisse la vie dont on a parlé dans la matière, il ne reconnait aucun être, ni aucune vie générale qui préside sur toute la matière pour la former. C'est ce qui est en partie affirmé par Plutarque advers. Colotem. et qu'on peut recueillir de ces mots : " Il nie que le monde lui-même soit un animal, mais il soutient que ce qui est selon la nature, suit ce qui est conforme à sa nature ; que le hasard donne le commencement à tout, et qu'ensuite chaque effet de sa nature se produit ". Comme il niait qu'il y eut un principe commun et intelligent qui gouvernât toutes choses, il fallait qu'il donnât quelque chose au hasard, et qu'il fit dépendre le système du monde d'un mélange du hasard et d'une nature réglée.

Tout Hylozoïsme n'est pas un athéisme. Ceux qui, en soutenant qu'il y a de la vie dans la matière, avouent en même temps qu'il y a une autre sorte de substance qui est immatérielle et immortelle, ne peuvent pas être accusés d'athéisme. On ne saurait nier en effet qu'un homme qui croirait qu'il y a une divinité, et que l'âme raisonnable est immortelle, pourrait être aussi persuadé que l'âme sensitive dans les hommes comme dans les bêtes, est purement corporelle, et qu'il y a une vie matérielle et plastique, c'est-à-dire, qui a la faculté de faire des organes dans les semences de toutes les plantes et de tous les animaux, par laquelle leurs corps sont formés. Il pourrait croire en conséquence de cela, que toute la matière a une vie naturelle en elle-même, quoique ce ne soit pas une vie animale. Pendant qu'un tel homme retiendrait la créance d'une divinité et d'une âme raisonnable et immortelle, on ne pourrait l'accuser d'athéisme déguisé. Mais au lieu que l'ancien sentiment des atomes menait droit à reconnaître qu'il y a des substances qui ne sont pas corps, quoique Démocrite ait fait violence à ces deux dogmes pour les séparer, il faut avouer que l'Hylozoïsme est naturellement uni avec la pensée de ceux qui n'admettent que des corps.

Ainsi l'Hylozoïsme ne saurait être justifié d'athéisme, dès qu'il est joint au matérialisme. En voici deux raisons ; la première, c'est qu'alors l'Hylozoïsme dérive l'origine de toutes choses d'une matière qui a une espèce de vie, et même une connaissance infaillible de tout ce qu'elle peut faire et souffrir. Quoique cela semble une espèce de divinité, n'y ayant dans la matière considérée en elle-même aucune connaissance réfléchie, ce n'est autre chose qu'une vie, comme celle des plantes et des animaux. La nature des Hylozoïstes est une mystérieuse absurdité, puisque l'on suppose que c'est une chose parfaitement sage, comme étant la cause de l'admirable disposition de l'univers, et néanmoins qu'elle n'a aucune conscience intérieure ni connaissance réfléchie ; au lieu que la divinité, conformément à sa véritable notion, est une intelligence parfaite, qui sait toutes les perfections qu'elle renferme, qui en jouit, et qui est par-là souverainement heureuse. 2°. Les Hylozoïstes matérialistes, en établissant que toute matière comme telle a de la vie en elle-même, doivent reconnaître une infinité de vies, puisque chaque atome a la sienne ; vies collatérales, pour ainsi dire, et indépendantes l'une de l'autre, et non une vie commune ou une intelligence générale qui préside sur tout l'univers ; au lieu que dire qu'il y a un Dieu, c'est supposer un être vivant et intelligent, qui est l'origine et l'architecte de tout. On voit donc que les Hylozoïstes matérialistes sont de véritables athées, quoique d'un côté ils semblent approcher de plus près de ceux qui reconnaissent un Dieu. C'est une nécessité que tous les athées attribuent quelques-unes des propriétés incommunicables de la divinité à ce qui n'est point Dieu, et particulièrement à la matière ; car il faut indispensablement qu'ils lui attribuent l'existence par elle-même, et la prééminence qui fait qu'elle est le premier principe de toutes choses. La divinité à qui les Hylozoïstes matérialistes rendent tout le culte dont ils sont capables, est une certaine déesse aveugle, qu'ils appellent nature, ou vie de la matière, et qui est je ne sais quoi de parfaitement sage et d'infaillible dans ses lumières, sans en avoir aucune connaissance. Telles sont les absurdités inévitables en tout genre d'athéisme. Si l'on ne savait pas qu'il y a eu des athées, et qu'il y en a encore, on aurait peine à croire que des gens, qui n'étaient pas destitués d'esprit, n'aient pu digérer l'éternité d'un être sage et intelligent, ni la formation de l'univers par cet être, et qu'ils aient mieux aimé attribuer à la matière cette même éternité, qui leur fait tant de peine quand on l'attribue à une nature immatérielle. Voyez ATHEISME. MATIERE. Lisez aussi le premier article du tome II de la biblioth. choisie de M. le Clerc.