Xénophon et Platon, ses disciples, ses amis, les témoins et les imitateurs de sa vertu, ont écrit son histoire ; Xénophon avec cette simplicité et cette candeur qui lui étaient propres, Platon avec plus de faste et un attachement moins scrupuleux à la vérité. Un jour que Socrate entendait réciter un des dialogues de celui-ci ; c'était, je crois, celui qu'il a intitulé le lysis : ô dieux, s'écria l'homme de bien, les beaux mensonges que le jeune homme a dit de moi !

Aristoxene, Démétrius de Phalere, Panetius, Callisthene, et d'autres s'étaient aussi occupés des actions, des discours, des mœurs, du caractère, et de la vie de ce philosophe, mais leurs ouvrages ne nous sont pas parvenus.

L'athénien Socrate naquit dans le village d'Alopé, dans la soixante et dix-septième olympiade, la quatrième année, et le sixième de thargelion, jour qui fut dans la suite marqué plus d'une fois par d'heureux événements, mais qu'aucun ne rendit plus mémorable que sa naissance. Sophronisque son père, était statuaire, et Phinarete sa mère, était sage-femme. Sophronisque qui s'aperçut bien - tôt que les dieux ne lui avaient pas donné un enfant ordinaire, alla les consulter sur son éducation. L'oracle lui répondit, laisse-le faire, et sacrifie à Jupiter et aux muses. Le bon homme oublia le conseil de l'oracle, et mit le ciseau à la main de son fils. Socrate, après la mort de son père, fut obligé de renoncer à son gout, et d'exercer par indigence une profession à laquelle il ne se sentait point appelé ; mais entrainé à la méditation, le ciseau lui tombait souvent des mains, et il passait les journées appuyé sur le marbre.

Criton, homme opulent et philosophe, touché de ses talents, de sa candeur et de sa misere, le prit en amitié, lui fournit les choses nécessaires à la vie, lui donna des maîtres, et lui confia l'éducation de ses enfants.

Socrate entendit Anaxagoras, étudia sous Archélaus, qui le chérit, apprit la musique de Damon, se forma à l'art oratoire auprès du sophiste Prodicus, à la poésie sur les conseils d'Evenus, à la géométrie avec Théodore, et se perfectionna par le commerce de Diotime et d'Aspasie, deux femmes dont le mérite s'est fait distinguer chez la nation du monde ancien la plus polie, dans son siècle le plus célèbre et le plus éclairé, et au milieu des hommes du premier génie. Il ne voyagea point.

Il ne crut point que sa profession de philosophe le dispensât des devoirs périlleux du citoyen. Il quitta ses amis, sa solitude, ses livres, pour prendre les armes, et il servit pendant trois ans dans la guerre cruelle d'Athènes et de Lacédémone ; il assista au siege de Potidée à côté d'Alcibiade, où personne, au jugement de celui - ci, ne se montra ni plus patient dans la fatigue, la soif et la faim, ni plus serein. Il marchait les pieds nuds sur la glace ; il se précipita au milieu des ennemis, et couvrit la retraite d'Alcibiade, qui avait été blessé, et qui serait mort dans la mêlée. Il ne se contenta pas de sauver la vie à son ami ; après l'action, il lui fit adjuger le prix de bravoure, qui lui avait été décerné. Il lui arriva plusieurs fois dans cette campagne de passer deux jours entiers de suite immobîle à son poste, et absorbé dans la méditation. Les Athéniens furent malheureux au siege de Delium : Xénophon renversé de son cheval y aurait perdu la vie, si Socrate, qui combattait à pied, ne l'eut pris sur ses épaules, et ne l'eut porté hors de l'atteinte de l'ennemi. Il marcha sous ce fardeau non comme un homme qui fuit, mais comme un homme qui compte ses pas et qui mesure le terrain. Il avait le visage tourné à l'ennemi, et on lui remarquait tant d'intrépidité, qu'on n'osa ni l'attaquer ni le suivre. Averti par son démon, ou le pressentiment secret de sa prudence, il délivra dans une autre circonstance Alcibiade et Lochès d'un danger dont les suites devinrent funestes à plusieurs. Il ne se comporta pas avec moins d'honneur au siege d'Amphipolis.

La corruption avait gagné toutes les parties de l'administration des affaires publiques ; les Athéniens gémissaient sous la tyrannie ; Socrate ne voyait à entrer dans la magistrature que des périls à courir, sans aucun bien à faire : mais il fallut sacrifier sa répugnance au vœu de sa tribu, et paraitre au sénat. Il était alors d'un âge assez avancé ; il porta dans ce nouvel état sa justice et sa fermeté accoutumées. Les tyrants ne lui en imposèrent point ; il ne cessa de leur reprocher leurs vexations et leurs crimes ; il brava leur puissance : fallait - il souscrire au jugement de quelque innocent qu'ils avaient condamné, il disait je ne sais pas écrire.

Il ne fut pas moins admirable dans sa vie privée ; jamais homme ne fut né plus sobre ni plus chaste : ni les chaleurs de l'été, ni les froids rigoureux de l'hiver, ne suspendirent ses exercices. Il n'agissait point sans avoir invoqué le ciel. Il ne nuisit pas même à ses ennemis. On le trouva toujours prêt à servir. Il ne s'en tenait pas au bien, il se proposait le mieux en tout. Personne n'eut le jugement des circonstances et des choses plus sur et plus sain. Il n'y avait rien dans sa conduite dont il ne put et ne se complut à rendre raison. Il avait l'oeil ouvert sur ses amis ; il les reprenait parce qu'ils lui étaient chers ; il les encourageait à la vertu par son exemple, par ses discours ; et il fut pendant toute sa vie le modèle d'un homme très - accompli et très-heureux. Si l'emploi de ses moments nous était plus connu, peut-être nous démontrerait - il mieux qu'aucun raisonnement, que pour notre bonheur dans ce monde, nous n'avons rien de mieux à faire que de pratiquer la vertu ; thèse importante qui comprend toute la morale, et qui n'a point encore été prouvée.

Pour réparer les ravages que la peste avait faits, les Athéniens permirent aux citoyens de prendre deux femmes ; il en joignit une seconde par commisération pour sa misere, à celle qu'il s'était auparavant choisie par inclination. L'une était fille d'Aristide, et s'appelait Mirtus, et l'autre était née d'un citoyen obscur, et s'appelait Xantippe. Les humeurs capricieuses de celle-ci donnèrent un long exercice à la philosophie de son époux. Quand je la pris, disait Socrate à Antisthene, je connus qu'il n'y aurait personne avec qui je ne pusse vivre si je pouvais la supporter ; je voulais avoir dans ma maison quelqu'un qui me rappelât sans-cesse l'indulgence que je dois à tous les hommes, et que j'en attens pour moi. Et à Lamprocle son fils : Vous vous plaignez de votre mère ! et elle vous a conçu, porté dans son sein, alaité, soigné, nourri, instruit, élevé ? A combien de périls ne l'avez - vous pas exposée ? combien de chagrins, de soucis, de soins, de travail, de peines ne lui avez-vous pas couté ?... Il est vrai, elle a fait et souffert et plus peut-être encore que vous ne dites ; mais elle est si dure, si féroce... Lequel des deux, mon fils, vous parait le plus difficîle à supporter, ou de la férocité d'une bête, ou de la férocité d'une mère ?... Celle d'une mère.... D'une mère ! la vôtre vous a - t - elle frappé, mordu, déchiré ? en avez-vous rien éprouvé de ce que les bêtes féroces font assez communément aux hommes ?... Non ; mais elle tient des propos qu'on ne digérerait de personne, y allât-il de la vie... J'en conviens ; mais êtes - vous en reste avec elle ? et y a - t - il quelqu'un au monde qui vous eut pardonné les mauvais discours que vous avez tenus, les actions mauvaises, ridicules ou folles que vous avez commises, et tout ce qu'il a fallu qu'elle endurât de vous la nuit, le jour, à chaque instant depuis que vous êtes né, jusqu'à l'âge que vous avez ? Qui est - ce qui vous eut soigné dans vos infirmités comme elle ? Qui est-ce qui eut tremblé pour vos jours comme elle ? Il arrive à votre mère de parler mal ; mais elle ne met elle-même aucune valeur à ce qu'elle dit : dans sa colere même vous avez son cœur : elle vous souhaite le bien. Mon fils, l'injustice est de votre côté. Croyez - vous qu'elle ne fût pas désolée du moindre accident qui vous arriverait ?... Je le crois... Qu'elle ne se réduisit pas à la misere pour vous en tirer ?... Je le crois... Qu'elle ne s'arrachât pas le pain de la bouche pour vous le donner ?... Je le crois... Qu'elle ne sacrifiât pas sa vie pour la vôtre ?.. Je le crois... Que c'est pour vous et non pour elle qu'elle s'adresse sans - cesse aux dieux ?... Que c'est pour moi... Et vous la trouvez dure, féroce, et vous vous en plaignez. Ah, mon fils, ce n'est pas votre mère qui est mauvaise, c'est vous ! je vous le répete, l'injustice est de votre côté... Quel homme ! quel citoyen ! quel magistrat ! quel époux ! quel père ! Moins Xantippe méritait cet apologue, plus il faut admirer Socrate. Ah, Socrate, je te ressemble peu ; mais du-moins tu me fais pleurer d'admiration et de joie !

Socrate ne se croyait point sur la terre pour lui seul et pour les siens ; il voulait être utîle à tous, s'il le pouvait, mais surtout aux jeunes gens, en qui il espérait trouver moins d'obstacles au bien. Il leur ôtait leurs préjugés. Il leur faisait aimer la vérité. Il leur inspirait le goût de la vertu. Il fréquentait les lieux de leurs amusements. Il allait les chercher. On le voyait sans - cesse au milieu d'eux, dans les rues, dans les places publiques, dans les jardins, aux bains, aux gymnases, à la promenade. Il parlait devant tout le monde ; s'approchait et l'écoutait qui voulait. Il faisait un usage étonnant de l'ironie et de l'induction ; de l'ironie, qui dévoilait sans effort le ridicule des opinions ; de l'induction, qui de questions éloignées en questions éloignées, vous conduisait imperceptiblement à l'aveu de la chose même qu'on niait. Ajoutez à cela le charme d'une élocution pure, simple, facile, enjouée ; la finesse des idées, les grâces, la légèreté et la délicatesse particulière à sa nation, une modestie surprenante, l'attention scrupuleuse à ne point offenser, à ne point avilir, à ne point humilier, à ne point contrister. On se faisait honneur à tout moment de son esprit. " J'imite ma mère, disait - il, elle n'était pas féconde ; mais elle avait l'art de soulager les femmes fécondes, et d'amener à la lumière le fruit qu'elles renfermaient dans leurs seins ".

Les sophistes n'eurent point un fléau plus redoutable. Ses jeunes auditeurs se firent insensiblement à sa méthode, et bien-tôt ils exercèrent le talent de l'ironie et de l'induction d'une manière très-incommode pour les faux orateurs, les mauvais poètes, les prétendus philosophes, les grands injustes et orgueilleux. Il n'y eut aucune sorte de folie épargnée, ni celles des prêtres, ni celles des artistes, ni celles des magistrats. La chaleur d'une jeunesse enthousiaste et folâtre suscita des haines de tous côtés à celui qui l'instruisait. Ces haines s'accrurent et se multiplièrent. Socrate les méprisa ; peu inquiet d'être haï, joué, calomnié, pourvu qu'il fût innocent. Cependant il en devint la victime. Sa philosophie n'était pas une affaire d'ostentation et de parade, mais de courage et de pratique. Apollon disait de lui : " Sophocle est sage, Euripide est plus sage que Sophocle ; mais Socrate est le plus sage de tous les hommes ". Les sophistes se vantaient de savoir tout ; Socrate, de ne savoir qu'une chose, c'est qu'il ne savait rien. Il se ménageait ainsi l'avantage de les interroger, de les embarrasser et de les confondre de la manière la plus sure et la plus honteuse pour eux. D'ailleurs cet homme d'une prudence et d'une expérience consommée, qui avait tant écouté, tant lu, tant médité, s'était aisément aperçu que la vérité est comme un fil qui part d'une extrémité des ténèbres et se perd de l'autre dans les ténèbres ; et que dans toute question, la lumière s'accrait par degrés jusqu'à un certain terme placé sur la longueur du fil délié, au-delà duquel elle s'affoiblit peu-à-peu et s'éteint. Le philosophe est celui qui sait s'arrêter juste ; le sophiste imprudent marche toujours, et s'égare lui-même et les autres : toute sa dialectique se resout en incertitudes. C'est une leçon que Socrate donnait sans-cesse aux sophistes de son temps, et dont ils ne profitèrent point. Ils s'éloignaient de lui mécontens sans savoir pourquoi. Ils n'avaient qu'à revenir sur la question qu'ils avaient agitée avec lui, et ils se seraient aperçus qu'ils s'étaient laissés entraîner au-delà du point indivisible et lumineux, terme de notre faible raison.

On l'accusa d'impiété ; et il faut avouer que sa religion n'était pas celle de son pays. Il méprisa les dieux et les superstitions de la Grèce. Il eut en pitié leurs mystères. Il s'était élevé par la seule force de son génie à la connaissance de l'unité de la divinité, et il eut le courage de révéler cette dangereuse vérité à ses disciples.

Après avoir placé son bonheur présent et à venir dans la pratique de la vertu, et la pratique de la vertu dans l'observation des lois naturelles et politiques, rien ne fut capable de l'en écarter. Les événements les plus fâcheux, loin d'étonner son courage, n'altérèrent pas même sa sérénité. Il arracha au supplice les dix juges que les tyrants avaient condamnés. Il ne voulut point se sauver de la prison. Il apprit en souriant l'arrêt de sa mort. Sa vie est pleine de ces traits.

Il méprisa les injures. Le mépris et le pardon de l'injure qui sont des vertus du chrétien, sont la vengeance du philosophe. Il garda la tempérance la plus rigoureuse, rapportant l'usage des choses que la nature nous a destinées à la conservation et non à la volupté. Il disait que moins l'homme a de besoins, plus sa condition est voisine de celle des dieux ; il était pauvre, et jamais sa femme ne put le déterminer à recevoir les présents d'Alcibiade et des hommes puissants dont il était honoré. Il regardait la justice comme la première des vertus. Sa bienfaisance, semblable à celle de l'Etre suprême, était sans exception. Il détestait la flatterie. Il aimait la beauté dans les hommes et dans les femmes, mais il n'en fut point l'esclave : c'était un goût innocent et honnête, qu'Aristophane même, ce vil instrument de ses ennemis, n'osa pas lui reprocher. Que penserons-nous de la facilité et de la complaisance avec laquelle quelques hommes parmi les anciens et parmi les modernes ont reçu et répété contre la pureté de ses mœurs ? une calomnie que nous rougirions de nommer ; c'est qu'eux-mêmes étaient envieux ou corrompus. Serons-nous étonnés qu'il y ait eu de ces âmes infernales ? Peut-être, si nous ignorions ce qu'un intérêt violent et secret inspire, voyez ce que nous dirons de son démon à l'article THEOSOPHE.

Socrate ne tint point école, et n'écrivit point. Nous ne savons de sa doctrine que ce que ses disciples nous en ont transmis. C'est dans ces sources que nous avons puisé.

Sentiments de Socrate sur la divinité. Il disait :

Si Dieu a dérobé sa nature à notre entendement, il a manifesté son existence, sa sagesse, sa puissance et sa bonté dans ses ouvrages.

Il est l'auteur du monde, et le monde est la complexion de tout ce qu'il y a de bon et de beau.

Si nous sentions toute l'harmonie qui règne dans l'univers, nous ne pourrions jamais regarder le hasard comme la cause de tant d'effets enchainés partout, selon les lois de la sagesse la plus surprenante, et pour la plus grande utilité possible. Si une intelligence suprême n'a pas concouru à la disposition, à la propagation et à la conservation générale des êtres, et n'y veille pas sans-cesse, comment arrive-t-il qu'aucun désordre ne s'introduit dans une machine aussi composée, aussi vaste ?

Dieu préside à tout : il voit tout en un instant ; notre pensée qui s'élance d'un vol instantané de la terre aux cieux ; notre oeil qui n'a qu'à s'ouvrir pour apercevoir les corps placés à la plus grande distance, ne sont que de faibles images de la célérité de son entendement.

D'un seul acte il est présent à tout.

Les lois ne sont point des hommes, mais de Dieu. C'est lui proprement qui en condamne les infracteurs, par la voix des juges qui ne sont que ses organes.

Sentiments de Socrate sur les esprits. Ce philosophe remplissait l'intervalle de l'homme à Dieu d'intelligences moyennes qu'il regardait comme les génies tutélaires des nations : il permettait qu'on les honorât : il les regardait comme les auteurs de la divination.

Sentiments de Socrate sur l'âme. Il la croyait préexistante au corps, et douée de la connaissance des idées éternelles. Cette connaissance qui s'assoupissait en elle par son union avec le corps, se réveillait avec le temps, et l'usage de la raison et des sens. Apprendre, c'était se ressouvenir ; mourir, c'était retourner à son premier état de félicité pour les bons, de châtiment pour les mécans.

Principes de la philosophie morale de Socrate. Il disait :

Il n'y a qu'un bien, c'est la science ; qu'un mal, c'est l'ignorance.

Les richesses et l'orgueil de la naissance sont les sources principales des maux.

La sagesse est la santé de l'âme.

Celui qui connait le bien et qui fait le mal est un insensé.

Rien n'est plus utîle et plus doux que la pratique de la vertu.

L'homme sage ne croira point savoir ce qu'il ignore.

La justice et le bonheur sont une même chose.

Celui qui distingua le premier l'utîle du juste, fut un homme détestable.

La sagesse est la beauté de l'âme, le vice en est la laideur.

La beauté du corps annonce la beauté de l'âme.

Il en est d'une belle vie comme d'un beau tableau, il faut que toutes les parties en soient belles.

La vie heureuse et tranquille est pour celui qui peut s'examiner sans honte ; rien ne le trouble, parce qu'il ne se reproche aucun crime.

Que l'homme s'étudie lui-même, et qu'il se connaisse.

Celui qui se connait échappera à bien des maux, qui attendent celui qui s'ignore ; il concevra d'abord qu'il ne sait rien, et il cherchera à s'instruire.

Avoir bien commencé, ce n'est pas n'avoir rien fait ; mais c'est avoir fait peu de chose.

Il n'y a qu'une sagesse, la vertu est une.

La meilleure manière d'honorer les dieux, c'est de faire ce qu'ils ordonnent.

Il faut demander aux dieux en général ce qui nous est bon ; spécifier quelque chose dans sa prière, c'est prétendre à une connaissance qui leur est réservée.

Il faut adorer les dieux de son pays, et régler son offrande sur ses facultés ; les dieux regardent plus à la pureté de nos cœurs, qu'à la richesse de nos sacrifices.

Les lois sont du ciel ; ce qui est selon la loi, est juste sur la terre, et légitimé dans le ciel.

Ce qui prouve l'origine céleste des lois, telles que d'adorer les dieux, d'honorer ses parents, d'aimer son bienfaiteur, c'est que le châtiment est nécessairement attaché à cette infraction ; cette liaison nécessaire de la loi, avec la peine de l'infraction, ne peut être de l'homme.

Il faut avoir pour un père trop sévère, la même obéissance qu'on a pour une loi trop dure.

L'atrocité de l'ingratitude est proportionnée à l'importance du bienfait ; nous devons à nos parents le plus important des biens.

L'enfant ingrat n'obtiendra ni la faveur du ciel, ni l'estime des hommes ; quel retour attendrai-je, moi, étranger, de celui qui manque aux personnes à qui il doit le plus ?

Celui qui vend aux autres sa sagesse pour de l'argent, se prostitue comme celui qui vend sa beauté.

Les richesses sont entre les mains de l'homme, sans la raison, comme sous lui un cheval fougueux, sans frein.

Les richesses de l'avare ressemblent à la lumière du soleil, qui ne recrée personne après son coucher.

J'appelle avare celui qui amasse des richesses par des moyens vils, et qui ne veut point d'indigens pour amis.

La richesse du prodigue ne sert qu'aux adulateurs et aux prostitués.

Il n'y a point de fonds qui rende autant qu'un ami sincère et vertueux.

Il n'y a point d'amitié vraie, entre un méchant et un méchant, ni entre un méchant et un bon.

On obtiendra l'amitié d'un homme, en cultivant en soi les qualités qu'il estime en lui.

Il n'y a point de vertus qui ne puisse se perfectionner et s'accroitre, par la réflexion et l'habitude.

Ce n'est ni la richesse, ni la naissance, ni les dignités, ni les titres, qui font la bonté de l'homme ; elle est dans ses mains.

L'incendie s'accrait par le vent, et l'amour par le commerce.

L'arrogance consiste à tout dire, et à ne vouloir rien entendre.

Il faut se familiariser avec la peine, afin de la recevoir quand elle viendra, comme si on l'avait attendue.

Il ne faut point redouter la mort, c'est un assoupissement ou un voyage.

S'il ne reste rien de nous après la mort, c'est plutôt encore un avantage, qu'un inconvénient.

Il vaut mieux mourir honorablement, que vivre déshonoré.

Il faut se soustraire à l'incontinence, par la suite.

Plus on est sobre, plus on approche de la condition des dieux, qui n'ont besoin de rien.

Il ne faut pas négliger la santé du corps, celle de l'âme en dépend trop.

La tranquillité est le plus grand des biens.

Rien de trop : c'est l'éloge d'un jeune homme.

Les hommes vivent pour manger, les bons mangent pour vivre.

Etre sage dans la haute prospérité, c'est savoir marcher sur la glace.

Le moyen le plus sur d'être considéré, c'est de ne pas affecter de se montrer aussi bon que l'on est.

Si vous êtes un homme de bien, on aura autant de confiance en votre parole, qu'au serment.

Tournez le dos au calomniateur et au médisant c'est quelque perversité qui le fait agir ou parler.

Principes de Socrate ; sur la prudence domestique. Il disait :

Celui qui saura gouverner sa maison, tirera parti de tout, même de ses ennemis.

Méfiez-vous de l'indolence, de la paresse, de la négligence ; évitez le luxe ; regardez l'agriculture comme la ressource la plus importante.

Il est des occupations sordides auxquelles il faut se refuser, elles avilissent l'âme.

Il ne faut pas laisser ignorer à sa femme ce qu'il lui importe de savoir, pour votre bonheur et pour le sien.

Tout doit être commun entre les époux.

L'homme veillera aux choses du dehors, la femme à celles du dedans.

Ce n'est pas sans raison que la nature a attaché plus fortement les mères aux enfants, que les pères.

Principes de la prudence politique de Socrate. Les vrais souverains, ce ne sont point ceux qui ont le sceptre en main, soit qu'ils le tiennent ou de la naissance, ou du hasard, ou de la violence, ou du consentement des peuples ; mais ceux qui savent commander.

Le monarque est celui qui commande à ceux qui se sont soumis librement à son obéissance ; le tyran, celui qui contraint d'obéir : l'un fait exécuter la loi, l'autre, sa volonté.

Le bon citoyen contribuera autant qu'il est en lui, à rendre la république florissante pendant la paix, et victorieuse pendant la guerre ; il invitera le peuple à la concorde, s'il se soulève ; député chez un ennemi, il tentera toutes les voies honnêtes de conciliation.

La loi n'a point été faite pour les bons.

La ville la mieux gardée, est celle qui renferme le plus d'honnêtes gens : la mieux policée, celle où les magistrats agissent de concert : celle qu'il faut préférer à toutes, où la vertu a des récompenses assurées.

Habitez celle où vous n'obéirez qu'aux lois.

Ce serait ici le lieu de parler des accusations qu'on intenta contre lui, de son apologie, et de sa mort ; mais ces choses sont écrites en tant d'endroits. Qui est-ce qui ignore qu'il fut le martyr de l'unité de Dieu ?

Après la mort de Socrate, ses disciples se jetèrent sur sa robe et la déchirèrent. Je veux dire qu'ils se livrèrent à différentes parties de la philosophie, et qu'ils fondèrent une multitude de sectes diverses, opposées les unes aux autres, qu'il faut regarder comme autant de familles divisées, quoiqu'elles avouassent toutes la même souche.

Les uns s'étaient approchés de Socrate, pour se disposer par la connaissance de la vérité, l'étude des mœurs, l'amour de la vertu, à remplir dignement les premiers emplois de la république auxquels ils étaient destinés : tel fut Xénophon.

D'autres, parmi lesquels on peut nommer Criton, lui avaient confié l'éducation de leurs enfants.

Il y en eut qui ne vinrent l'entendre que dans le dessein de se rendre meilleurs ; c'est ce qui arriva à Diodore, à Euthydème, à Euthere, à Aristarque.

Critias et Alcibiade lui furent attachés d'amitié. Il enseigna l'art oratoire à Lysias. Il forma les poètes Evénus et Euripide. On croit même qu'il concourut avant ce dernier dans la composition des tragédies qui portent son nom.

Son disciple Aristippe fonda la secte cyrénaïque, Phédon l'éliaque, Euclide la mégarique, Platon l'académique, Anthistène la cynique.

Xénophon, Eschine, Criton, Simon et Cebès, se contentèrent de l'honneur de l'avoir eu pour maître.

Xénophon naquit dans la quatre-vingt-deuxième olympiade. Socrate l'ayant rencontré dans une rue, comme il passait, mit son bâton en travers, l'arrêta, et lui demanda où se vendaient les choses nécessaires à la vie. La beauté de Xénophon l'avait frappé. Ce jeune homme fit à sa question une réponse sérieuse, selon son caractère. Socrate l'interrogeant une seconde fais, lui demanda s'il ne saurait point où les hommes apprenaient à devenir bons. Xénophon déclarant son embarras par son silence et son maintien, Socrate lui dit : suivez-moi, et vous le saurez. Ce fut ainsi que Xénophon devint son disciple. Ce n'est pas ici le lieu d'écrire l'histoire de Xénophon. Nous avons de lui la cyropédie, une apologie de Socrate, quatre livres des dits et des faits mémorables de ce philosophe, un banquet, un livre de l'économie, un dialogue sur la tyrannie, l'éloge d'Agésilas et la comparaison des républiques d'Athènes et de Lacédémone, ouvrages écrits avec une grande douceur de style, de la vérité, de la gravité et de la simplicité.

La manière dont Eschine s'offrit à Socrate est d'une naïveté charmante. Il était pauvre : je n'ai rien, dit-il au philosophe dont il venait prendre les leçons, qui soit digne de vous être offert ; et c'est-là ce qui me fait sentir ma pauvreté. Je n'ai que moi : voyez si vous me voulez. Quels que soient les présents que les autres vous aient faits, ils ont retenu par-devers eux plus qu'ils ne vous ont donné. Quant au mien, vous ne l'aurez pas plutôt accepté qu'il ne me restera plus rien. Vous m'offrez beaucoup, lui répondit Socrate, à moins que vous ne vous estimiez peu. Mais venez, je vous accepte. Je tâcherai que vous vous estimiez davantage, et de vous rendre à vous-même meilleur que je ne vous aurai reçu. Socrate n'eut point d'auditeur plus assidu ni de disciple plus zélé. Son sort le conduisit à la cour de Denis le tyran, qui en fit d'abord peu de cas. Son indigence fut une tache qui le suivit par-tout. Il écrivit quelques dialogues à la manière de Socrate. Cet ouvrage arrêta les yeux sur lui. Platon et Aristippe rougirent du mépris qu'ils avaient affecté pour cet homme. Ils le recommandèrent à Denis, qui le traita mieux. Il revint dans Athénes, où il trouva deux écoles florissantes établies. Platon enseignait dans l'une, Aristippe dans l'autre. Il n'osa pas se montrer publiquement au milieu de ces deux philosophes. Il s'en tint à donner des leçons particulières. Lorsqu'il se fut assuré du pain, par cette ressource, il se livra au barreau, où il eut du succès. Ménedeme lui reprochait de s'être approprié des dialogues que Socrate avait écrits, et que Xantippe lui avait confiés. Ce reproche fait beaucoup d'honneur à Eschine. Il avait bien singulièrement saisi le caractère de son maître, puisque Ménedeme et Aristippe s'y trompaient. On remarque en effet, dans les dialogues qui nous restent d'Eschine, la simplicité, l'expression, les maximes, les comparaisons et toute la morale de Socrate.

Nous n'ajouterons rien à ce que nous avons dit de Criton, sinon qu'il ne quitta point Socrate pendant le temps de sa prison ; qu'il veilla à ce que les choses nécessaires ne lui manquassent pas ; que Socrate offensé de l'abus qu'on faisait de la facilité de son caractère pour le tourmenter, lui conseilla de chercher quelque homme turbulent, méchant, violent, qui fit tête à ses ennemis, et que ce conseil lui réussit.

Simon était un corroyeur dont Socrate fréquentait quelquefois la maison. Là, comme par-tout ailleurs, il parlait des vices, des vertus, du bon, du beau, du décent, de l'honnête, et le corroyeur l'écoutait ; et le soir, lorsqu'il avait quitté son ouvrage, il jetait sur le papier les principales choses qu'il avait entendues. Periclès fit cas de cet homme, il chercha à se l'attacher par les promesses les plus flatteuses ; mais Simon lui répondit qu'il ne vendait point sa liberté.

Cebès écrivit trois dialogues, dont il ne nous reste que le dernier, connu sous le nom du tableau. C'est un petit roman sur les gouts, les penchans, les préjugés, les mœurs des hommes, composé d'après une peinture qu'on voyait dans le temple de Saturne. On y suppose les principes suivants.

Les âmes ont préexisté aux corps. Un sort heureux ou malheureux les attend.

Elles ont un démon qui les inspire, dont la voix se fait entendre à elles, et qui les avertit de ce qu'elles ont à faire et à éviter.

Elles apportent avec elles un penchant inné à l'imposture, à l'erreur, à l'ignorance et au vice.

Ce penchant n'a pas la même force en toutes.

Il promet à tous les hommes le bonheur ; mais il les trompe et les perd. Il y a une condition vraie, et une condition fausse.

La poésie, l'art oratoire, la musique, la dialectique, l'arithmétique, la géometrie et l'astrologie, sont de l'érudition fausse.

La connaissance des devoirs et la pratique des vertus, sont la seule érudition vraie.

C'est par l'érudition vraie que nous échappons dans ce monde à la peine, et que nous nous préparons la félicité dans l'autre vie.

Cette félicité n'arrivera qu'à ceux qui auront bien vécu, ou qui auront expié leurs fautes.

C'est de ce séjour de délices qu'ils contempleront la folie et la misere des hommes. Mais ce spectacle ne troublera point leur jouissance. Ils ne peuvent plus souffrir.

Les mécans, au sortir de cette vie, trouveront le désespoir. Ils en seront saisis, et ils erreront ; jouets continuels des passions auxquelles ils se seront livrés.

Ce n'est point la richesse, mais l'érudition vraie qui rend l'homme heureux.

Il ne faut ni se fier à la fortune, ni trop estimer ses présents.

Celui qui croit savoir ce qu'il ignore, est dans une erreur qui l'empêche de s'instruire.

On met encore du nombre des disciples de Socrate, Timon le Misantrope. Cet homme crut qu'il fuyait la société de ses semblables, parce qu'ils étaient méchants ; il se trompait, c'est que lui-même n'était pas bon. Je n'en veux pas d'autre preuve, que la joie cruelle que lui causèrent les applaudissements que les Athéniens prodiguaient à Alcibiade ; et la raison qu'il en donna, le pressentiment du mal que ce jeune homme leur ferait un jour. Je ne hais pas les hommes, disait-il, mais les bêtes féroces qui portent ce nom ; et qu'étais-tu toi-même, entre ces bêtes féroces, sinon la plus intraitable de toutes ? Quel jugement porter de celui qui se sauve d'une ville, où Socrate vivait, et où il y avait une foule de gens de bien ; sinon qu'il était plus frappé de la laideur du vice, que touché des charmes de la vertu ? Ce caractère est mauvais. Quel spectacle plus grand et plus doux que celui d'un homme juste, grand, vertueux, au-dessus de toutes les terreurs et de toutes les séductions ! Les dieux s'inclinent du haut de leur demeure bienheureuse, pour le voir marcher sur la terre ; et le triste et mélancolique Timon détourne ses regards farouches, lui tourne le dos, et va, le cœur rempli d'orgueil, d'envie et de fiel, s'enfoncer dans une forêt.