Voici l'usage de ces bricoteaux. Dans les ouvrages extrêmement composés, il y a jusqu'à cinquante ou soixante livres pesant de fuseaux attachés aux lissettes ; et cela, comme il a été dit à leur article, pour faire retomber ces lissettes. On voit cette masse énorme dans la fig. 1. Pl. V. comme on en voit une petite partie dans la fig. 5. en S S. Ce poids considérable doit être levé presqu'en totalité par le pied gauche, toutes les fois que l'ouvrier en aura levé du pied droit une partie, quelquefois très-petite, d'autres fois plus considérable, mais toujours bien moins considérable que la quantité qu'il lève avec le pied gauche, puisque c'est de ce pied que seront levées toutes les soies de fond ; au lieu que le droit ne levant que la figure qui s'exécute sur l'ouvrage, n'opère très-souvent que de très-petites levées, par la marche des vingt marches du pied droit (car elles sont dans cet ordre, vingt du pied droit pour la figure, et quatre du pied gauche pour le fond). Pendant cette petite levée toutes les soies de chaîne restent en-bas : mais après un coup de navette lancé à-travers cette levée, le fond venant à lever par une des quatre marches du pied gauche ; ce fond chargé, comme nous avons dit plus haut, rend cette levée d'une lourdeur extraordinaire, qui est considérablement diminuée par le moyen du bricoteau ou des deux bricoteaux, qui font ici l'office d'un levier, encore aidée du poids de la pierre F. C'est donc avec raison que la bascule C D. qui passe par l'enfourchement A, est d'inégale longueur : cette nécessité n'a pas besoin d'être prouvée. Dans certains ouvrages, ce bricoteau lève encore les quatre hautes lisses de devant qui portent les rames de lisière, et qui sont levées alternativement par chacune des quatre marches du pied gauche ; dans ce cas ces quatre hautes lisses sont à claire voie, c'est-à-dire qu'elles n'ont qu'une très-petite quantité de mailles, distribuées sur les deux bouts de leurs lisserons F F, G G, de la fig. 2. les rames I I qui forment les lisières y étant seules passées, le sont en cet ordre : si la première rame fait un pris sur la première haute lisse, elle fera un laissé sur la seconde, un pris sur la troisième, et un laissé sur la quatrième ; la 2e au contraire de la 1re, fera un laissé sur la 1re haute lisse, un pris sur la 2e, un laissé sur la troisième, et un pris sur la quatrième ; ainsi des autres rames de lisière : ces quatre hautes lisses ne portant que les rames que l'on vient d'expliquer, n'ayant besoin que de quelques mailles sur les extrémités, doivent par conséquent laisser un grand vide entr'elles, qui donne passage à la grande quantité de rames de figure qui vient aboutir sur les différents rouleaux, et à-travers les différentes grilles du porte-rames de devant. Si l'on faisait de l'ouvrage en plein, c'est-à-dire qui ne représentât qu'un même fond sans aucune figure, il n'y aurait pour lors besoin que des deux lisses A A, fig. 2. dont la seconde C C porterait en B B, comme la première A A, un poids à chacune des quatre extrémités de leurs deux lisserons. Ce poids composé d'un ou de plusieurs fuseaux, servirait à faire retomber la lisse qui baisse : mais la chaîne D est passée dans ces deux lisses en cette sorte ; le premier brin est passé dans les deux premières mailles de la première lisse ; le second brin est passé dans les deux premières mailles de la 2e lisse, et toujours de même de l'une à l'autre ; par conséquent il y aurait toujours une moitié de la chaîne qui leverait par le moyen de la lisse dans laquelle cette moitié se trouve ainsi passée : or c'est à-travers ces levées égales que la navette qui porte la trame est lancée ; ce coup de navette qui reçoit sur lui un coup de battant pendant que le pas est encore ouvert, est ce qu'on appelle duite (Voyez DUITE) ; ce pas est fermé par l'ouverture de l'autre, où la même chose se fait encore, et toujours de même. Cette égalité de répartition de chaîne dont on vient de parler, est bien différente dans les ouvrages figurés, car c'est de la quantité de chaîne plus ou moins considérable qui leve, que dépend la formation des différentes parties de dessein, comme on le voit fig. 4. où a, qui fait la figure, est en-bas, pendant que b, qui fait le fond, leve. Ce pas ainsi ouvert Ve recevoir le coup de trame de la navette n, qui est de soie, et à l'autre pas où a qui fait la figure sera levé, il recevra le coup de la navette N qui est chargée de deux brins de fil d'or ou d'argent. Mais pourquoi ces deux différentes navettes, l'une de soie et l'autre de filé ? Si lorsque le pas b est ouvert, où presque toute la chaîne est levée, on lançait la navette N qui porte le filé, ce coup se trouverait absorbé et comme enseveli sous la grande quantité de soie qui le couvrirait ; et ce serait presqu'autant de filé de perdu ; au lieu que lorsque le pas de figure sera ouvert, comme a qui fait la figure dans la figure 3. pendant que le fond B est en-bas, le coup de la navette N qui est de filé qui y Ve être lancé, se trouvera presque tout à découvert. On aura par ces diverses opérations le développé du dessein X : il y a une double nécessité de la seconde navette de soie ; car la soie qu'elle contient occupant bien moins d'espace que le filé, et étant toujours placée entre deux coups de filé qui en occupent beaucoup plus qu'elle, la liaison du tout est plus aisée à se faire par les coups des battants : dans ce cas où deux navettes sont lancées comme ici l'une après l'autre, l'ouvrier reçoit l'une entre les doigts index et medius, et l'autre navette est reçue entre ce même medius et l'annulaire, tantôt d'une main tantôt de l'autre : de même, comme il arrive quelquefois, s'il y en avait trois qui allassent alternativement, il recevrait le troisième entre l'annulaire et l'auriculaire : il n'en peut conduire davantage, n'ayant que ces trois ouvertures. Lorsqu'il y a plus de navettes, puisqu'il y en a quelquefois jusqu'à 25 ou 26, celles qui ne travaillent pas sont posées jusqu'à leur tour sur le carton. Voyez CARTON.

On trouvera dans cet article beaucoup de choses qui auraient dû faire la matière d'autant d'articles différents : mais comme on a l'estampe sous les yeux, on a cru devoir traiter sous un même point de vue tout ce qu'elle renferme : par-là on évite aussi les redites continuelles, presqu'inévitables en traitant une matière si étendue, et si sujette à la prolixité.