Entre toutes les Sciences, il y en a une qui se distingue par l'excellence de son objet ; c'est celle qui traite de la divinité, qui règle nos idées et nos sentiments à l'égard du premier être, et qui y conforme notre culte. Cette étude étant la sagesse par excellence, a fait donner le nom de sages à ceux qui s'y sont appliqués, c'est-à-dire aux Théologiens et aux Prêtres. L'Ecriture elle-même donne aux prêtres chaldéens le titre de sages, sans doute parce qu'ils se l'arrogeaient, et que c'était un usage universellement reçu. C'est ce qui a eu lieu principalement chez les nations qu'on a coutume d'appeler barbares ; il s'en fallait bien pourtant qu'on put trouver la sagesse chez tous les dépositaires de la religion. Des superstitions ridicules, des mystères puérils, quelquefois abominables ; des visions et des mensonges destinés à affermir leur autorité et à en imposer à la populace aveugle, voilà à quoi se réduisait la sagesse des prêtres de ces temps. Les philosophes les plus distingués ont essayé de puiser à cette source : c'était le but de leurs voyages, de leur initiation aux mystères les plus célèbres ; mais ils s'en sont bientôt dégoutés ; et l'idée de la sagesse n'est demeurée liée à celle de la Théologie que dans l'esprit de ces prêtres orgueilleux et de leurs imbéciles esclaves.

De sublimes génies se livrant donc à leurs méditations, ont voulu déduire des idées et des principes que la nature et la raison fournissent, une sagesse solide, un système certain et appuyé sur des fondements inébranlables ; mais s'ils ont pu secouer par ce moyen le joug des superstitions vulgaires, le reste de leur entreprise n'a pas eu le même succès. Après avoir détruit, ils n'ont su édifier, semblables en quelque sorte à ces conquérants, qui ne laissent après eux que des ruines. De-là cette foule d'opinions bizarres et contradictoires, qui a fait douter s'il restait encore quelque sentiment ridicule, dont aucun philosophe ne se fût avisé. Je ne puis m'empêcher de citer un morceau de M. de Fontenelle, tiré de sa dissertation sur les anciens et sur les modernes, qui revient parfaitement à ce sujet. " Telle est notre condition, dit-il, qu'il ne nous est point permis d'arriver tout-d'un-coup à rien de raisonnable sur quelque matière que ce soit : il faut avant cela que nous nous égarions longtemps, et que nous passions par diverses sortes d'erreurs, et par divers degrés d'impertinences. Il eut toujours dû être bien facîle de s'aviser que tout le jeu de la nature consiste dans les figures et dans les mouvements des corps ; cependant avant que d'en venir-là, il a fallu essayer des idées de Platon, des nombres de Pythagore, des qualités d'Aristote ; et tout cela ayant été reconnu pour faux, on a été réduit à prendre le vrai système. Je dis qu'on y a été réduit, car en vérité il n'en restait plus d'autre ; et il semble qu'on s'est défendu de le prendre aussi longtemps qu'on a pu. Nous avons l'obligation aux anciens de nous avoir épuisé la plus grande partie des idées fausses qu'on se pouvait faire ; il fallait absolument payer à l'erreur et à l'ignorance le tribut qu'ils ont payé, et nous ne devons pas manquer de reconnaissance envers ceux qui nous en ont acquittés. Il en Ve de même sur diverses matières, où il y a je ne sai combien de sottises que nous dirions si elles n'avaient pas été dites, et si on ne nous les avait pas pour ainsi dire enlevées. Cependant il y a encore quelquefois des modernes qui s'en ressaisissent, peut-être parce qu'elles n'ont pas encore été dites autant qu'il le faut ".

Ce serait ici le lieu de tracer un abrégé des divers sentiments qui ont été en vogue dans la Philosophie ; mais les bornes de nos articles ne le permettent pas. On trouvera l'essentiel des opinions les plus fameuses dans divers autres endroits de ce Dictionnaire, sous les titres auxquels elles se rapportent. Ceux qui veulent étudier la matière à fond, trouveront abondamment de quoi se satisfaire dans l'excellent ouvrage que M. Brucker a publié d'abord en allemand, et ensuite en latin sous ce titre : Jacobi Bruckeri historiae critica Philosophiae, à mundi incunabulis ad nostram usque aetatem deducta. On peut aussi lire l'histoire de la Philosophie par M. Deslandes.

L'ignorance, la précipitation, l'orgueil, la jalousie, ont enfanté des monstres bien flétrissants pour la Philosophie, et qui ont détourné les uns de l'étudier, ou jeté les autres dans un doute universel.

N'outrons pourtant rien. Les travers de l'esprit humain n'ont pas empêché la Philosophie de recevoir des accroissements considérables, et de tendre à la perfection dont elle est susceptible ici bas. Les anciens ont dit d'excellentes choses, surtout sur les devoirs de la morale, et même sur ce que l'homme doit à Dieu ; et s'ils n'ont pu arriver à la belle idée qu'ils se formaient de la sagesse, ils ont au-moins la gloire de l'avoir conçue et d'en avoir tenté l'épreuve. Elle devint donc entre leurs mains une science pratique qui embrassait les vérités divines et humaines, c'est-à-dire tout ce que l'entendement est capable de découvrir au sujet de la divinité, et tout ce qui peut contribuer au bonheur de la société. Dès qu'ils lui eurent donné une forme systématique, ils se mirent à l'enseigner, et l'on vit naître les écoles et les sectes ; et comme pour faire mieux recevoir leurs préceptes ils les ornaient des embellissements de l'éloquence, celle-ci se confondit insensiblement avec la sagesse, chez les Grecs surtout, qui faisaient grand cas de l'art de bien dire, à cause de son influence sur les affaires d'état dans leurs républiques. Le nom de sage fut travesti en celui de sophiste ou maître d'éloquence ; et cette révolution fit beaucoup dégénérer une science qui dans son origine s'était proposée des vues bien plus nobles. On n'écouta bientôt plus les maîtres de la sagesse pour s'instruire dans des connaissances solides et utiles à notre bien-être, mais pour repaitre son esprit de questions curieuses, amuser ses oreilles de périodes cadencées, et adjuger la palme au plus opiniâtre, parce qu'il demeurait maître du champ de bataille.

Le nom de sage était trop beau pour de pareilles gens, ou plutôt il ne convient point à l'homme : c'est l'apanage de la divinité, source éternelle et inépuisable de la vraie sagesse. Pythagore qui s'en aperçut, substitua à cette dénomination fastueuse le titre modeste de philosophie, qui s'établit de manière qu'il a été depuis ce temps-là le seul usité. Mais les sages raisons de ce changement n'étouffèrent point l'orgueil des Philosophes, qui continuèrent de vouloir passer pour les dépositaires de la vraie sagesse. Un des moyens les plus ordinaires dont ils se servirent pour se donner du relief, ce fut d'avoir une prétendue doctrine de réserve, dont ils ne faisaient part qu'à leurs disciples affidés, tandis que la foule des auditeurs était repue d'instructions vagues. Les Philosophes avaient sans doute pris cette idée et cette méthode des prêtres, qui n'initiaient à la connaissance de leurs mystères qu'après de longues épreuves ; mais les secrets des uns et des autres ne valaient pas la peine qu'on se donnait pour y avoir part.

Dans les ouvrages philosophiques de l'antiquité qui nous ont été conservés, quoiqu'il y règne bien des défauts, et surtout celui d'une bonne méthode, on découvre pourtant les semences de la plupart des découvertes modernes. Les matières qui n'avaient pas besoin du secours des observations et des instruments, comme le sont celles de la morale, ont été poussées aussi loin que la raison pouvait les conduire. Pour la Physique, il n'est pas surprenant que favorisée des secours que les derniers siècles ont fournis, elle surpasse aujourd'hui de beaucoup celle des anciens. On doit plutôt s'étonner que ceux-ci aient si bien deviné en bien des cas où ils ne pouvaient voir ce que nous voyons à-présent. On en doit dire autant de la Médecine et des Mathématiques ; comme ces sciences sont composées d'un nombre infini de vues, et qu'elles dépendent beaucoup des expériences que le hasard seul fait naître, et qu'il n'amène pas à point nommé, il est évident que les Physiciens, les Médecins et Mathématiciens modernes doivent être naturellement plus habiles que les anciens.

Le nom de Philosophie demeura toujours vague, et comprit dans sa vaste enceinte, outre la connaissance des choses divines et humaines, celle des lais, de la Médecine, et même des diverses branches de l'érudition, comme la Grammaire, la Rhétorique, la Critique, sans en excepter l'Histoire et la Poésie. Bien plus, il passa dans l'Eglise ; le Christianisme fut appelé la philosophie sainte ; les docteurs de la religion qui en enseignaient les vérités, les ascetes qui en pratiquaient les austérités, furent qualifiés de philosophes.

Les divisions d'une science conçue dans une telle généralité, furent fort arbitraires. La plus ancienne et la plus reçue a été celle qui rapporte la Philosophie à la considération de Dieu et à celle de l'homme.

Aristote en introduisit une nouvelle ; la voici. Tria genera sunt theoreticarum scientiarum, Mathematica, Physica, Theologica. Un passage de Séneque indiquera celle de quelques autres sectes. Stoici vero Philosophiae tres partes esse dixerunt, moralem, naturalem, et rationalem : prima componit animum, secunda rerum naturam scrutatur, tertia proprietatis verborum exigit et structuram et argumentationes, ne pro veris falsa subrepant. Epicurei duas partes Philosophiae putaverunt esse, naturalem atque moralem ; rationalem removerunt. Deinde cum ipsis rebus cogerentur, ambigua secernere, falsa sub specie veri latentia coarguere, ipsi quoque locum, quem de judicio et regulâ appelant, alio nomine rationalem induxerunt : sed eum accessionem esse naturalis partis existimant... Cyrenaïci naturalia cum rationalibus sustulerunt, et contenti fuerunt moralibus, etc. Seneca, epist. 89.

Les écoles ont adopté la division de la Philosophie en quatre parties, Logique, Métaphysique, Physique et Morale.

2°. Il est temps de passer au second point de cet article, où il s'agit de fixer le sens du nom de la Philosophie, et d'en donner une bonne définition. Philosopher, c'est donner la raison des choses, ou dumoins la chercher, car tant qu'on se borne à voir et à rapporter ce qu'on voit, on n'est qu'historien. Quand on calcule et mesure les proportions des choses, leurs grandeurs, leurs valeurs, on est mathématicien ; mais celui qui s'arrête à découvrir la raison qui fait que les choses sont, et qu'elles sont plutôt ainsi que d'une autre manière, c'est le philosophe proprement dit.

Cela posé, la définition que M. Wolf a donnée de la Philosophie, me parait renfermer dans sa brieveté tout ce qui caractérise cette science. C'est, selon lui, la science des possibles en tant que possibles. C'est une science, car elle démontre ce qu'elle avance. C'est la science des possibles, car son but est de rendre raison de tout ce qui est et de tout ce qui peut être dans toutes les choses qui arrivent ; le contraire pourrait arriver. Je haïs un tel, je pourrais l'aimer. Un corps occupe une certaine place dans l'univers, il pourrait en occuper une autre ; mais ces différents possibles ne pouvant être à-la-fais, il y a donc une raison qui détermine l'un à être plutôt que l'autre ; et c'est cette raison que le philosophe cherche et assigne.

Cette définition embrasse le présent, le passé, et l'avenir, et ce qui n'a jamais existé et n'existera jamais, comme sont toutes les idées universelles, et les abstractions. Une telle science est une véritable encyclopédie ; tout y est lié, tout en dépend. C'est ce que les anciens ont senti, lorsqu'ils ont appliqué le nom de Philosophie, comme nous l'avons Ve ci-dessus, à toutes sortes de sciences et d'arts ; mais ils ne justifiaient pas l'influence universelle de cette science sur toutes les autres. Elle ne saurait être mise dans un plus grand jour que par la définition de M. Wolf. Les possibles comprennent les objets de tout ce qui peut occuper l'esprit ou l'industrie des hommes : aussi toutes les sciences, tous les arts ont-ils leur philosophie. La chose est claire : tout se fait en Jurisprudence, en Médecine, en Politique, tout se fait, ou du-moins tout doit se faire par quelque raison. Découvrir ces raisons et les assigner, c'est donc donner la Philosophie des sciences susdites ; de même l'architecte, le peintre, le sculpteur, je dis plus, un simple fendeur de bois, a ses raisons de faire ce qu'il fait, comme il le fait, et non autrement. Il est vrai que la plupart de ces gens travaillent par routine, et emploient leurs instruments sans sentir quel en est le mécanique, et la proportion avec les ouvrages qu'ils exécutent ; mais il n'en est pas moins certain que chaque instrument a sa raison, et que s'il était fait autrement, l'ouvrage ne reussirait pas. Il n'y a que le philosophe qui fasse ces découvertes, et qui soit en état de prouver que les choses sont comme elles doivent être, ou de les rectifier, lorsqu'elles en sont susceptibles, en indiquant la raison des changements qu'il veut y apporter.

Les objets de la Philosophie sont les mêmes que ceux de nos connaissances en général, et forment la division naturelle de cette science. Ils se réduisent à trois principaux. Dieu, l'âme, et la matière. A ces trois objets répondent trois parties principales de la Philosophie. La première, c'est la Théologie naturelle, ou la science des possibles à l'égard de Dieu. Les possibles à l'égard de Dieu, c'est ce qu'on peut concevoir en lui et par lui. Il en est de même des définitions des possibles à l'égard de l'âme et du corps. La seconde, c'est la Psychologie qui concerne les possibles à l'égard de l'âme. La troisième, est la Physique qui concerne les possibles à l'égard des corps.

Cette division générale souffre ensuite des sous-divisions particulières ; voici la manière dont M. Wolf les amene.

Lorsque nous réfléchissons sur nous-même, nous nous convainquons qu'il y a en nous une faculté de former des idées des choses possibles, et nous nommons cette faculté l'entendement ; mais il n'est pas aisé de connaître jusqu'où cette faculté s'étend, ni comment on doit s'en servir, pour découvrir par nos propres méditations, des vérités inconnues pour nous, et pour juger avec exactitude de celles que d'autres ont déjà découvertes. Notre première occupation doit donc être de rechercher quelles sont les forces de l'entendement humain, et quel est leur légitime usage dans la connaissance de la vérité : la partie de la Philosophie où l'on traite cette matière, s'appelle logique ou l'art de penser.

Entre toutes les choses possibles, il faut de toute nécessité qu'il y ait un être subsistant par lui-même ; autrement il y aurait des choses possibles, de la possibilité desquelles on ne pourrait rendre raison, ce qui ne saurait se dire. Or cet être subsistant par lui-même, est ce que nous nommons Dieu. Les autres êtres qui ont la raison de leur existence dans cet être subsistant par lui-même, ont le nom de créatures ; mais comme la Philosophie doit rendre raison de la possibilité des choses, il convient de faire précéder la doctrine qui traite de Dieu, à celle qui traite des créatures : j'avoue pourtant qu'on doit déjà avoir une connaissance générale des créatures ; mais on n'a pas besoin de la puiser dans la Philosophie, parce qu'on l'acquiert dès l'enfance par une expérience continuelle. La partie donc de la Philosophie, où l'on traite de Dieu et de l'origine des créatures, qui est en lui, s'appelle Théologie naturelle, ou doctrine de Dieu.

Les créatures manifestent leur activité, ou par le mouvement, ou par la pensée. Celles-là sont des corps, celles-ci sont des esprits. Puis donc que la Philosophie s'applique à donner de tout des raisons suffisantes, elle doit aussi examiner les forces ou les opérations de ces êtres, qui agissent ou par le mouvement ou par la pensée. La Philosophie nous montre donc ce qui peut arriver dans le monde par les forces des corps et par la puissance des esprits. On nomme pnéumatologie ou doctrine des esprits, la partie de la Philosophie où l'on explique ce que peuvent effectuer les esprits ; et l'on appelle physique ou doctrine de la nature cette autre partie où l'on montre ce qui est possible en vertu des forces des corps.

L'être qui pense en nous s'appelle âme ; or comme cette âme est du nombre des esprits, et qu'elle a outre l'entendement, une volonté qui est cause de bien des événements ; il faut encore que la Philosophie développe ce qui peut arriver en conséquence de cette volonté ; c'est à quoi l'on doit rapporter ce que l'on enseigne du droit de la nature, de la morale, et de la politique.

Mais comme tous les êtres, soit corps, ou esprits, ou âmes, se ressemblent à quelques égards, il faut rechercher aussi ce qui peut convenir généralement à tous les êtres, et en quoi consiste leur différence générale. On nomme anthologie, ou science fondamentale, cette partie de la Philosophie qui renferme la connaissance générale de tous les êtres ; cette science fondamentale, la doctrine des esprits, et la théologie naturelle, composent ce qui s'appelle métaphysique ou science principale.

Nous ne nous contentons pas de pousser nos connaissances jusqu'à savoir par quelles forces se produisent certains effets dans la nature, nous allons plus loin, et nous mesurons avec la dernière exactitude les degrés des forces et des effets, afin qu'il paraisse visiblement que certaine force peut produire certains effets. Par exemple, il y a bien des gens qui se contentent de savoir, que l'air comprimé avec force dans une fontaine artificielle, porte l'eau jusqu'à une hauteur extraordinaire ; mais d'autres plus curieux font des efforts pour découvrir de combien s'accrait la force de l'air, lorsque par la compression il n'occupe que la moitié, le tiers ou le quart de l'espace qu'il remplissait auparavant, et de combien de pieds il fait monter l'eau chaque fois ; c'est pousser nos connaissances à leur plus haut degré, que de savoir mesurer tout ce qui a une grandeur, et c'est dans cette vue qu'on a inventé les mathématiques.

Le véritable ordre dans lequel les parties de la Philosophie doivent être rangées, c'est de faire précéder celles qui contiennent les principes, dont la connaissance est nécessaire pour l'intelligence et la démonstration des suivantes ; c'est à cet ordre que M. Wolf s'est religieusement conformé, comme il parait par ce que je viens d'extraire de lui.

On peut encore diviser la Philosophie en deux branches, et la considérer sous deux rapports ; elle est théorique ou pratique.

La Philosophie théorique ou spéculative se repose dans une pure et simple contemplation des choses ; elle ne Ve pas plus loin.

La Philosophie pratique est celle qui donne des règles pour opérer sur son objet : elle est de deux sortes par rapport aux deux espèces d'actions humaines qu'elle se propose de diriger : ces deux espèces sont la Logique et la Morale : la Logique dirige les opérations de l'entendement, et la Morale les opérations de la volonté. Voyez LOGIQUE et MORALE. Les autres parties de la Philosophie sont purement spéculatives.

La Philosophie se prend aussi fort ordinairement pour la doctrine particulière ou pour les systèmes inventés par des philosophes de nom, qui ont eu des sectateurs. La Philosophie ainsi envisagée s'est divisée en un nombre infini de sectes, tant anciennes que modernes ; tels sont les Platoniciens, les Péripatéticiens, les Epicuriens, les Stoïciens, les Pythagoriciens, les Pyrrhoniens, et les Académiciens ; et tels sont de nos jours les Cartésiens, les Newtoniens. Voyez l'origine, le dogme de chaque secte, à l'article qui lui est particulier.

La Philosophie se prend encore pour une certaine manière de philosopher, ou pour certains principes sur lesquels roulent toutes les recherches que l'on fait par leur moyen ; en ce sens l'on dit, Philosophie corpusculaire, Philosophie mécanique, Philosophie expérimentale.

Telle est la saine notion de la Philosophie, son but est la certitude, et tous ses pas y tendent par la voie de la démonstration. Ce qui caractérise donc le philosophe et le distingue du vulgaire, c'est qu'il n'admet rien sans preuve, qu'il n'acquiesce point à des notions trompeuses, et qu'il pose exactement les limites du certain, du probable, et du douteux. Il ne se paye point de mots, et n'explique rien par des qualités occultes, qui ne sont autre chose que l'effet même transformé en cause ; il aime beaucoup mieux faire l'aveu de son ignorance, toutes les fois que le raisonnement et l'expérience ne sauraient le conduire à la véritable raison des choses.

La Philosophie est une science encore très-imparfaite, et qui ne sera jamais complete ; car qui est-ce qui pourra rendre raison de tous les possibles ? L'être qui a tout fait par poids et par mesure, est le seul qui ait une connaissance philosophique, mathématique, et parfaite de ses ouvrages ; mais l'homme n'en est pas moins louable d'étudier le grand livre de la nature et d'y chercher des preuves de la sagesse et de toutes les perfections de son auteur : la société retire aussi de grands avantages des recherches philosophiques qui ont occasionné et perfectionné plusieurs découvertes utiles au genre humain.

Le plus grand philosophe est celui qui rend raison du plus grand nombre de choses, voilà son rang assigné avec précision : l'érudition par ce moyen n'est plus confondue avec la Philosophie. La connaissance des faits est sans contredit utile, elle est même un préalable essentiel à leur explication ; mais être philosophe, ce n'est pas simplement avoir beaucoup Ve et beaucoup lu, ce n'est pas aussi posséder l'histoire de la Philosophie, des sciences et des arts, tout cela ne forme souvent qu'un chaos indigeste ; mais être philosophe, c'est avoir des principes solides, et surtout une bonne méthode pour rendre raison de ces faits, et en tirer de légitimes conséquences.

Deux obstacles principaux ont retardé longtemps les progrès de la Philosophie, l'autorité et l'esprit systématique.

Un vrai philosophe ne voit point par les yeux d'autrui, il ne se rend qu'à la conviction qui nait de l'évidence. Il est assez difficîle de comprendre comment il se peut faire que des gens qui ont de l'esprit, aiment mieux se servir de l'esprit des autres dans la recherche de la vérité, que de celui que Dieu leur a donné. Il y a sans doute infiniment plus de plaisir et plus d'honneur à se conduire par ses propres yeux que par ceux des autres, et un homme qui a de bons yeux ne s'avisa jamais de se les fermer ou de se les arracher, dans l'espérance d'avoir un conducteur ; c'est cependant un usage assez universel : le père Malebranche en apporte diverses raisons.

1°. La paresse naturelle des hommes, qui ne veulent pas se donner la peine de méditer.

2°. L'incapacité de méditer dans laquelle on est tombé, pour ne s'être pas appliqué dès la jeunesse, lorsque les fibres du cerveau étaient capables de toutes sortes d'inflexions.

3°. Le peu d'amour qu'on a pour les vérités abstraites, qui sont le fondement de tout ce qu'on peut connaître ici bas.

4°. La sotte vanité qui nous fait souhaiter d'être estimés savants ; car on appelle savants ceux qui ont plus de lecture : la connaissance des opinions est bien plus d'usage pour la conversation et pour étourdir les esprits du commun, que la connaissance de la vraie Philosophie, qui est le fruit de la réflexion.

5°. L'admiration excessive dont on est prévenu pour les anciens, qui fait qu'on s'imagine qu'ils ont été plus éclairés que nous ne pouvons l'être, et qu'il n'y a rien à faire où ils n'ont pas réussi.

6°. Un je ne sais quel respect, mêlé d'une sotte curiosité, qui fait qu'on admire davantage les choses les plus éloignées de nous, les choses les plus vieilles, celles qui viennent de plus loin, et même les livres les plus obscurs : ainsi on estimait autrefois Héraclite pour son obscurité. On recherche les médailles anciennes, quoique rongées de la rouille, et on garde avec grand soin la lanterne et la pantoufle de quelques anciens ; leur antiquité fait leur prix. Des gens s'appliquent à la lecture des rabbins, parce qu'ils ont écrit dans une langue étrangère, très-corrompue et très-obscure. On estime davantage les opinions les plus vieilles, parce qu'elles sont les plus éloignées de nous ; et sans doute si Nembrod avait écrit l'histoire de son règne, toute la politique la plus fine, et même toutes les autres sciences y seraient contenues, de même que quelques-uns trouvent qu'Homère et Virgile avaient une connaissance parfaite de la nature. Il faut respecter l'antiquité, dit-on ; quoi, Aristote, Platon, Epicure, ces grands hommes se seraient trompés ? On ne considère pas qu'Aristote, Platon, Epicure étaient des hommes comme nous, et de même espèce que nous, et de plus, qu'au temps où nous sommes, le monde est plus âgé de plus de deux mille ans ; qu'il a plus d'expérience, qu'il doit être plus éclairé ; et que c'est la vieillesse du monde et l'expérience qui font découvrir la vérité.

Un bon esprit cultivé et de notre siècle, dit M. de Fontenelle, est pour ainsi dire composé de tous les esprits des siècles précédents, ce n'est qu'un même esprit qui s'est cultivé pendant tout ce temps-là : ainsi cet homme qui a vécu depuis le commencement du monde jusqu'à présent ; a eu son enfance, où il ne s'est occupé que des besoins les plus pressants de la vie ; sa jeunesse, où il a assez bien réussi aux choses d'imagination, telles que la poésie et l'éloquence, et où même il a commencé à raisonner, mais avec moins de solidité que de feu, et il est maintenant dans l'âge de virilité, où il raisonne avec plus de forces et plus de lumières que jamais. Cet homme même, à proprement parler, n'aura point de vieillesse, il sera toujours également capable des choses auxquelles sa jeunesse était propre, et il le sera toujours de plus en plus de celles qui conviennent à l'âge de virilité, c'est-à-dire, pour quitter l'allégorie, les hommes ne dégénèrent jamais, et les vues saines de tous les bons esprits, qui se succéderont, s'ajouteront toujours les unes aux autres.

Ces réflexions solides et judicieuses devraient bien nous guérir des préjugés ridicules que nous avons pris en faveur des anciens. Si notre raison, soutenue de la vanité qui nous est si naturelle, n'est pas capable de nous ôter une humilité si mal entendue, comme si en qualité d'hommes nous n'avions pas droit de prétendre à une aussi grande perfection ; l'expérience du-moins sera assez forte pour nous convaincre, que rien n'a tant arrêté le progrès des choses, et rien n'a tant borné les esprits, que cette admiration excessive des anciens. Parce qu'on s'était dévoué à l'autorité d'Aristote, dit M. de Fontenelle, et qu'on ne cherchait la vérité que dans ses écrits énigmatiques, et jamais dans la nature, non-seulement la Philosophie n'avançait en aucune façon, mais elle était tombée dans un abyme de galimathias et d'idées inintelligibles, d'où l'on a eu toutes les peines du monde à la retirer. Aristote n'a jamais fait un vrai philosophe, mais il en a beaucoup étouffé qui le fussent devenus, s'il eut été permis. Et le mal est qu'une fantaisie de cette espèce une fois établie parmi les hommes, en voilà pour longtemps ; on sera des siècles entiers à en revenir, même après qu'on en aura connu le ridicule. Si l'on allait s'entêter un jour de Descartes, et le mettre à la place d'Aristote, ce serait à-peu-près le même inconvénient.

Si ce respect outré pour l'antiquité a une si mauvaise influence, combien devient-il encore plus contagieux pour les commentateurs des anciens ? Quelles beautés, dit l'auteur ingénieux que nous venons de citer, ne se tiendraient heureuses d'inspirer à leurs amants une passion aussi vive et aussi tendre, que celle qu'un grec ou un latin inspire à son respectueux interprete ? Si l'on commente Aristote, c'est le génie de la nature : si l'on écrit sur Platon, c'est le divin Platon. On ne commente guère les ouvrages des hommes tout court ; ce sont toujours les ouvrages d'hommes tout divins, d'hommes qui ont été l'admiration de leur siècle. Il en est de même de la matière qu'on traite, c'est toujours la plus belle, la plus relevée, celle qu'il est le plus nécessaire de savoir. Mais depuis qu'il y a eu des Descartes, des Newtons, des Léibnitzs, des Wolfs, depuis qu'on a allié les Mathématiques à la Philosophie, la manière de raisonner s'est extrêmement perfectionnée.

7°. L'esprit systématique ne nuit pas moins au progrès de la vérité : par esprit systématique, je n'entends pas celui qui lie les vérités entr'elles, pour former des démonstrations, ce qui n'est autre chose que le véritable esprit philosophique, mais je désigne celui qui bâtit des plans, et forme des systèmes de l'univers, auxquels il veut ensuite ajuster, de gré ou de force, les phénomènes ; on trouvera quantité de bonnes réflexions là-dessus dans le second tome de l'histoire du ciel, par M. l'abbé Pluche. Il les a pourtant un peu trop poussées, et il lui serait difficîle de répondre à certains critiques. Ce qu'il y a de certain, c'est que rien n'est plus louable que le parti qu'a pris l'académie des Sciences, de voir, d'observer, de coucher dans ses registres les observations et les expériences, et de laisser à la postérité le soin de faire un système complet, lorsqu'il y aura assez de matériaux pour cela ; mais ce temps est encore bien éloigné, si tant est qu'il arrive jamais.

Ce qui rend donc l'esprit systématique si contraire aux progrès de la vérité, c'est qu'il n'est plus possible de détromper ceux qui ont imaginé un système qui a quelque vraisemblance. Ils conservent et retiennent très-chèrement toutes les choses qui peuvent servir en quelque manière à le confirmer ; et au contraire ils n'aperçoivent pas presque toutes les objections qui lui sont opposées, ou bien ils s'en défont par quelque distinction frivole. Ils se plaisent intérieurement dans la vue de leur ouvrage et de l'estime qu'ils espèrent en recevoir. Ils ne s'appliquent qu'à considérer l'image de la vérité que portent leurs opinions vraisemblables. Ils arrêtent cette image fixe devant leurs yeux, mais ils ne regardent jamais d'une vue arrêtée les autres faces de leurs sentiments, lesquelles leur en découvriraient la fausseté.

Ajoutez à cela les préjugés et les passions. Les préjugés occupent une partie de l'esprit et en infectent tout le reste. Les passions confondent les idées en mille manières, et nous font presque toujours voir dans les objets tout ce que nous désirons d'y trouver : la passion même que nous avons pour la vérité nous trompe quelquefois, lorsqu'elle est trop ardente. Malebranche.

PHILOSOPHIE, s. f. septième corps des caractères d'Imprimerie ; sa proportion est d'une ligne 5 points, mesure de l'échelle ; son corps double est le gros parangon. V. PROPORTION des caractères d'Imprimerie.

La philosophie est un entre-corps ; on emploie ordinairement pour le faire l'oeil de cicero sur ledit corps de philosophie qui est de peu de chose plus faible. Voyez MIGNONE et l'exemple à l'article CARACTERES.