Le seul mot latin moriemur, par exemple, est une proposition entière, et rien n'y est sousentendu ; la terminaison indique que le sujet est la première personne du pluriel, et dès qu'il est déterminé par-là, on ne doit pas le suppléer par nos, parce que ce serait tomber dans la périssologie, ou du-moins introduire le pléonasme : or la construction analytique, loin de l'introduire, a pour objet de le supprimer, ou du-moins d'en faire remarquer la redondance par rapport à l'intégrité grammaticale de la proposition. Si donc moriemur est une proposition pleine, on ne doit point dire que la proposition est un assemblage de mots.

L'auteur ajoute qu'elle énonce un jugement ou quelque considération particulière de l'esprit qui regarde un objet comme tel : il prétend par-là indiquer deux sortes de propositions ; les unes directes, qui énoncent un jugement ; les autres indirectes, qu'il nomme simplement énonciatives, et qui n'entrent, dit-il, dans le discours que pour y énoncer certaines vues de l'esprit. Tout cela, si je ne me trompe, est véritablement quid unum et idem ; en voici la preuve.

Nous parlons pour transmettre aux autres hommes nos connaissances, et nos connaissances ne sont autre chose que la perception de l'existence intellectuelle des êtres sous telle ou telle relation, à telle ou telle modification. Si un être a véritablement en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit, nous en avons une connaissance vraie ; s'il n'a pas en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit, la connaissance que nous en avons est fausse ; mais vraie ou fausse, cette connaissance est un jugement, et l'expression de ce jugement est une proposition. " Il n'y a autre chose dans un jugement, dit s'Gravesande, Introd. à la Philos. liv. II. ch. VIIe n °. 401. qu'une perception " : et il venait de dire, n °. 400. que la perception de la relation qu'il y a entre deux idées s'appelle jugement. " Pour qu'un jugement ait lieu, dit-il encore, deux idées doivent être présentes à notre âme... dès que les idées sont présentes, le jugement suit ". Je ne diffère de ce philosophe que par l'expression : il dit deux idées, et je détermine, moi, l'idée d'un sujet et celle d'un attribut ; c'est un peu plus de précision : il dit que les deux idées doivent être présentes à notre âme, et moi, je dis que le sujet existe dans notre esprit sous une relation à quelque modification : on verra ailleurs pourquoi j'aime mieux dire existence intellectuelle que présence dans notre âme. Voyez VERBE. Il suffit ici que l'on sente que ces expressions rentrent dans le même sens. Quant au fond de la doctrine qui nous est commune, c'est celle des meilleurs Logiciens ou Métaphysiciens ; et si on lit avec l'attention convenable les deux premiers chapitres du premier livre de la Recherche de la vérité, et le troisième chapitre de la seconde partie de l'art de penser, on n'y trouvera pas autre chose.

Cela étant, je le demande : quelle différence y a-t-il entre un jugement qui est la perception de l'existence intellectuelle d'un sujet sous telle relation, à telle manière d'être, et ce que M. de Marsais appelle une considération particulière de l'esprit qui regarde un objet comme tel ? L'esprit ne peut regarder cet objet comme tel, qu'autant qu'il en aperçoit en soi-même l'existence sous telle relation à telle manière d'être ; car ce n'est que par-là qu'un objet est tel. Ainsi il faut convenir qu'il n'y a en effet qu'un jugement qui puisse être le type ou l'objet d'une proposition, et je conclus qu'il faut dire qu'une proposition est l'expression totale d'un jugement.

Que plusieurs mots soient réunis pour cela, ou qu'un seul, au moyen des idées accessoires que l'usage y aura attachées, suffise pour cette fin ; l'expression est totale dès qu'elle énonce l'existence intellectuelle du sujet sous telle relation à telle ou telle modification. De même, encore que le jugement énoncé soit celui que l'on se propose directement de faire connaître, ou qu'il soit subordonné d'une manière quelconque à celui que l'on envisage principalement ; c'est toujours un jugement dès qu'il énonce l'existence intellectuelle du sujet sous telle relation, à telle modification ; et l'expression totale, soit du jugement direct, soit du jugement indirect et subordonné, est également une proposition.

Je réduis à deux chefs les observations que la grammaire est chargée de faire sur cet objet, qui sont la matière et la forme de la proposition.

I. La matière grammaticale de la proposition, c'est la totalité des parties intégrantes dont elle peut être composée, et que l'analyse réduit à deux, savoir le sujet et l'attribut.

Le sujet est la partie de la proposition qui exprime l'être, dont l'esprit aperçoit l'existence sous telle ou telle relation à quelque modification ou manière d'être.

L'attribut est la partie de la proposition, qui exprime l'existence intellectuelle du sujet sous cette relation à quelque manière d'être.

Ainsi quand on dit Dieu est juste, c'est une proposition qui renferme un sujet, Dieu, et un attribut, est juste. Dieu exprime l'être, dont l'esprit aperçoit l'existence sous la relation de convenance avec la justice ; est juste, en exprime l'existence sous cette relation ; est en particulier exprime l'existence du sujet ; juste en exprime le rapport de convenance à la justice. Si la relation du sujet à la manière d'être est de disconvenance, on met avant le verbe une négation, pour indiquer le contraire de la convenance, Deus NON est mendax.

L'attribut contient essentiellement le verbe, dit M. du Marsais, parce que le verbe est dit du sujet. " S. l'attribut contient essentiellement le verbe, il s'ensuit, dit M. l'abbé Fromant, Suppl. aux chap. XIIIe et xiv. de la II. part. de la gramm. génér. que le verbe n'est pas une simple liaison ou copule, comme la plupart des logiciens le prétendent, il s'ensuit qu'il n'y a point de mot qui soit réduit à ce seul usage. Ainsi, quand on dit Dieu est tout-puissant, ce n'est pas la toute-puissance seule que l'on reconnait en Dieu, c'est l'existence avec la toute-puissance : le verbe est donc le signe de l'existence réelle ou imaginée du sujet de la proposition auquel il lie cette existence et tout le reste ". Il n'était pas possible de mieux développer les conséquences du principe de M. du Marsais, et je ne sais même si ce philosophe les avait bien envisagées ; car par-tout où il parle du verbe, il semble en faire principalement consister la nature dans l'expression d'une action. Voyez ACCIDENT, ACTIF, CONJUGAISON. Il est vrai que M. l'abbé Fromant tourne ces conséquences en objection, qu'il croit que le verbe substantif ne signifie que l'affirmation, et que la définition que MM. de P. R. donnent du verbe est très-juste. Car, dit-il, " quand je dis Dieu est tout-puissant, c'est la toute-puissance seule que je reconnais, que j'affirme en Dieu pour le moment présent ; il ne s'agit point de l'existence, elle est supposée et reconnue ; le verbe est ne signifie que la simple affirmation de l'attribut tout-puissant, qu'il lie avec le sujet Dieu ". Ce qui trompe ici le savant principal de Vernon, c'est l'idée de l'existence : il n'est pas question de l'existence réelle du sujet, mais de son existence intellectuelle, de son existence dans l'esprit de celui qui parle, laquelle est toujours l'objet d'une proposition, et que je ferai voir être le caractère essentiel du verbe. Voyez VERBE. Ainsi, loin d'abandonner le principe de M. du Marsais à cause des conséquences qui en sortent, je les regarde comme une confirmation du principe, Ve qu'elles tiennent d'ailleurs à ce qu'une analyse rigoureuse nous apprend de la nature du verbe. Disons donc avec notre grammairien philosophe, que l'attribut commence toujours par le verbe.

Le sujet et l'attribut peuvent être 1° simples ou composés, 2° incomplexes ou complexes.

1°. Le sujet est simple quand il présente à l'esprit un être déterminé par une idée unique. Tels sont les sujets des propositions suivantes : DIEU est éternel, LES HOMMES sont mortels ; LA GLOIRE QUI VIENT DE LA VERTU a un éclat immortel ; LES PREUVES, DONT ON APPUIE LA VERITE DE LA RELIGION CHRETIENNE, sont invincibles ; CRAINDRE DIEU, est le commencement de la sagesse. En effet, Dieu exprime un sujet déterminé par l'idée unique de la nature individuelle de l'Etre suprême : les hommes, un sujet déterminé par la seule idée de la nature spécifique commune à tous les individus de cette espèce : la gloire qui vient de la vertu, un sujet déterminé par l'idée unique de la nature générale de la gloire, restreinte par l'idée de la vertu envisagée comme un fondement particulier : les preuves dont on appuie la vérité de la religion chrétienne, autre sujet déterminé par l'idée unique de la nature commune des preuves, restreinte par l'idée d'application à la vérité de la religion chrétienne : enfin ces mots craindre Dieu présentent encore à l'esprit un sujet déterminé par l'idée unique d'une crainte actuelle, restreinte par l'idée d'un objet particulier qui est Dieu.

Le sujet au contraire est composé quand il comprend plusieurs sujets déterminés par des idées différentes. Ainsi quand on dit, LA FOI, L'ESPERANCE et LA CHARITE sont trois vertus théologales ; le sujet total est composé, parce qu'il comprend trois sujets déterminés, chacun par l'idée caractéristique de sa nature propre et individuelle. Voici une autre proposition dont le sujet total est pareillement composé en apparence, quoiqu'au fond il soit simple : CROIRE A L'EVANGILE ET VIVRE EN PAIEN, est une extravagance inconcevable ; il semble que croire à l'Evangîle soit un premier sujet partiel, et que vivre en païen en soit un second : mais l'attribut ne peut pas convenir séparément à chacun de ces deux prétendus sujets, puisqu'on ne peut pas dire que croire à l'Evangîle est une extravagance inconcevable ; ainsi il faut convenir que le véritable sujet est l'idée unique de la réunion de ces deux idées particulières, et par conséquent que c'est un sujet simple.

Ce que j'appelle ici sujet composé, M. du Marsais le nomme sujet multiple ; et c'est, dit-il, lorsque, pour abréger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différents.

Malgré l'exactitude ordinaire de ce savant grammairien, j'ose dire que l'assertion dont il s'agit est une définition fausse ou du-moins hasardée, puisqu'elle peut faire prendre pour sujet multiple ou composé un sujet réellement simple. Quand on dit, par exemple, LES HOMMES sont mortels, on donne, pour abréger, l'attribut commun sont mortels à plusieurs objets différents, et c'est au lieu de dire Pierre est mortel, Jacques est mortel, Jean est mortel, etc. on pourrait donc conclure de la définition de M. du Marsais, que le sujet les hommes est multiple ou composé, quoiqu'il soit simple et avoué simple par cet auteur : un sujet simple, dit-il, est énoncé en un seul mot ; le soleil est levé, sujet simple au singulier ; les astres brillent, sujet simple au pluriel.

Au reste, cette définition n'est pas plus exacte que celle du sujet multiple ou composé : pour s'en convaincre, il ne faut que se rappeler les exemples que j'ai cités des sujets simples ; aucun de ceux qui sont énoncés en plusieurs mots n'est destiné à réunir plusieurs objets différents sous un attribut commun, comme l'exige notre grammairien. C'est qu'en effet la simplicité du sujet dépend et doit dépendre non de l'unité du mot qui l'exprime, mais de l'unité de l'idée qui le détermine.

L'attribut peut être également simple ou composé.

L'attribut est simple, quand il n'exprime qu'une seule manière d'être du sujet, soit qu'il le fasse en un seul mot, soit qu'il en emploie plusieurs. Ainsi quand on dit, Dieu EST ETERNEL ; Dieu GOUVERNE TOUTES LES PARTIES DE L'UNIVERS ; un homme avare RECHERCHE AVEC AVIDITE DES BIENS DONT IL IGNORE LE VERITABLE USAGE ; être sage avec excès, C'EST ETRE FOU : les attributs de toutes ces propositions sont simples, parce que chacun n'exprime qu'une seule manière d'être du sujet : est éternel, gouverne toutes les parties de l'univers, sont deux attributs qui expriment chacun une manière d'être de Dieu, l'un dans le premier exemple, l'autre dans le second ; recherche avec avidité des biens dont il ignore le véritable usage, c'est une manière d'être d'un homme avare ; être fou, c'est une manière d'être de ce que l'on appelle être sage avec excès.

L'attribut est composé, quand il exprime plusieurs manières d'être du sujet. Ainsi quand on dit, Dieu EST JUSTE ET TOUT-PUISSANT, l'attribut total est composé, parce qu'il comprend deux manières d'être de Dieu, la justice et la toute-puissance.

Les propositions sont pareillement simples ou composées, selon la nature de leur sujet et de leur attribut.

Une proposition simple est celle dont le sujet et l'attribut sont également simples, c'est-à-dire également déterminés par une seule idée totale. Exemples : la sagesse est précieuse ; la puissance législative est le premier droit de la souveraineté ; la considération qu'on accorde à la vertu est préférable à celle qu'on rend à la naissance.

Une proposition composée est celle dont le sujet ou l'attribut, ou même ces deux parties sont composées, c'est-à-dire déterminées par différentes idées totales.

Une proposition composée par le sujet peut se décomposer en autant de propositions simples qu'il y a d'idées partielles dans le sujet composé, et elles auront toutes le même attribut et des sujets différents. L'Ecriture et la tradition sont les appuis de la saine Théologie : il y a ici deux sujets, l'Ecriture et la tradition ; de-là les deux propositions simples sous le même attribut : 1°. l'Ecriture est un appui de la saine Théologie ; 2°. la tradition est un appui de la saine Théologie.

Une proposition composée par l'attribut peut se décomposer en autant de propositions simples qu'il y a d'idées partielles dans l'attribut composé ; et elles auront toutes le même sujet et des attributs différents. La plupart des hommes sont aveugles et injustes : il y a ici deux attributs, sont aveugles et sont injustes ; de-là les deux propositions simples avec le même sujet : 1° la plupart des hommes sont aveugles ; 2°. la plupart des hommes sont injustes. La décomposition est presque sensible dans cette belle strophe d'Horace, II. Od. 7.

Auream quisquis mediocritatem

Diligit, tutus caret obsoleti

Sordibus tuti, caret invidendâ

Sobrius aulâ.

Une proposition composée par le sujet et par l'attribut peut se décomposer 1° en autant de propositions, ayant le même attribut composé qu'il y a d'idées partielles dans le sujet ; 2° chacune de ces propositions élémentaires peut se décomposer encore en autant de propositions simples qu'il y a d'idées partielles dans l'attribut composé : en sorte que chacune des idées partielles du sujet composé pouvant être comparée avec chacune des idées partielles de l'attribut composé, et chaque comparaison donnant une proposition simple, le nombre des propositions simples qui sortiront de celle qui est composée par le sujet et par l'attribut, est égal au nombre des idées partielles du sujet composé, multiplié par le nombre des idées partielles de l'attribut composé. Les savants et les ignorants sont sujets à se tromper, prompts à décider et lents à se rétracter : il y a ici deux sujets simples, 1° les savants, 2° les ignorants, et trois attributs simples, 1° sont sujets à se tromper, 2° sont prompts à décider ; 3° sont lents à se rétracter ; il en sortira donc deux fois trois ou six propositions simples : en les comparant entr'elles par le sujet, trois auront pour sujet commun l'un des deux sujets élémentaires, et partageront entr'elles les trois attributs ; trois autres auront pour sujet commun l'autre sujet élémentaire et partageront de même les trois attributs : si on les compare par l'attribut, deux auront pour attribut commun le premier attribut élémentaire, deux autres auront le second attribut, les deux derniers le dernier attribut ; et les deux qui auront un attribut commun partageront entr'elles les deux sujets.

1°. Les savants sont sujets à se tromper.

2°. Les savants sont prompts à se décider.

3°. Les savants sont lents à se rétracter.

4°. Les ignorants sont sujets à se tromper.

5°. Les ignorants sont prompts à se décider.

6°. Les ignorants sont lents à se rétracter.

Jusqu'ici je n'ai donné d'exemples de propositions composées que de celles que les Logiciens appellent copulatives, parce que les parties composantes y sont liées par une conjonction copulative ; mais je n'ai pas prétendu donner l'exclusion aux autres espèces, dont les parties composantes sont liées par toute autre conjonction : je crois seulement que les distinctions observées en logique sont inutiles à la grammaire, qui ne doit remarquer que ce qui est nécessaire à la composition des propositions, et qui n'est nullement chargée d'en discuter la vérité.

2°. Le sujet est incomplexe, quand il n'est exprimé que par un nom, un pronom, ou un infinitif, qui sont les seules espèces de mots qui puissent présenter à l'esprit un sujet déterminé. Tels sont les sujets des propositions suivantes : DIEU est éternel ; LES HOMMES sont mortels ; NOUS naissons pour mourir ; DORMIR est un temps perdu.

Il y a apparence que M. du Marsais confondait le sujet incomplexe avec le simple, quand il donnait de celui-ci une définition qui ne peut convenir qu'à l'autre. En effet il définit de suite le sujet simple, le sujet multiple que j'appelle composé, et le sujet complexe, sans en opposer aucun à celui qu'il nomme complexe. Il y a cependant une très-grande différence entre le sujet simple et l'incomplexe : le sujet simple doit être déterminé par une idée unique, voilà son essence ; mais il peut être ou n'être pas incomplexe, parce que son essence est indépendante de l'expression, et que l'idée unique qui le détermine peut être ou n'être pas considérée comme le résultat de plusieurs idées subordonnées, ce qui donne indifféremment un ou plusieurs mots : au contraire l'essence du sujet incomplexe tient tout à fait à l'expression, puisqu'il ne doit être exprimé que par un mot.

Le sujet est complexe, quand le nom, le pronom, ou l'infinitif est accompagné de quelque addition qui en est un complément explicatif ou déterminatif. Tels sont les sujets des propositions suivantes : LES LIVRES UTILES sont en petit nombre ; LES PRINCIPES DE LA MORALE méritent attention ; VOUS QUI CONNOISSEZ MA CONDUITE, jugez-moi ; CRAINDRE DIEU, est le commencement de la sagesse ; où l'on voit le nom livres modifié par l'addition de l'adjectif utiles, qui en restreint l'étendue ; le nom principes modifié par l'addition de ces mots de la morale, qui en est un complément déterminatif ; le pronom vous modifié par l'addition de la proposition incidente qui connaissez ma conduite, laquelle en est explicative ; et l'infinitif craindre déterminé par l'addition du complément objectif Dieu.

On voit, par la notion que je donne ici du sujet complexe, que ce n'est pas seulement une proposition incidente qui le rend tel, mais toute addition qui en développe le sens, ou qui le détermine par quelque idée particulière qu'elle y ajoute. Le mot principal auquel est faite l'addition, est le sujet grammatical de la proposition, parce que c'est celui qui seul est soumis en qualité de sujet aux lois de la syntaxe de chaque langue ; ce même mot, avec l'addition qui le rend complexe, est le sujet logique de la proposition, parce que c'est l'expression totale de l'idée déterminée dont l'esprit aperçoit l'existence intellectuelle sous telle ou telle relation à tel attribut.

L'attribut peut être également incomplexe ou complexe.

L'attribut est incomplexe, quand la relation du sujet, à la manière d'être dont il s'agit, y est exprimée en un seul mot, soit que ce mot exprime en même temps l'existence intellectuelle du sujet, soit que cette existence se trouve énoncée séparément. Ainsi quand on dit, je lis, je suis attentif, les attributs de ces deux propositions sont incomplexes, parce que dans chacun on exprime en un seul mot la relation du sujet à la manière d'être qui lui est attribuée ; lis énonce tout-à-la-fais cette relation et l'existence du sujet, et il équivaut à suis lisant ; attentif n'énonce que la relation de convenance du sujet à l'attribut.

L'attribut est complexe, quand le mot principalement destiné à énoncer la relation du sujet à la manière d'être qu'on lui attribue, est accompagné d'autres mots qui en modifient la signification. Ainsi quand on dit : je lis avec soin les meilleurs grammairiens, et je suis attentif à leurs procédés ; les attributs de ces deux propositions sont complexes, parce que dans chacun le mot principal est accompagné d'autres mots qui en modifient la signification. Lis, dans le premier exemple, est suivi de ces mots, avec soin, qui présentent l'action de lire comme modifiée par un caractère particulier ; et ensuite de ceux-ci, les meilleurs grammairiens, qui déterminent la même action de lire par l'application de cette action à un objet spécial. Attentif, dans le second exemple, est accompagné de ces mots, à leurs procédés, qui restraignent l'idée générale d'attention par l'idée spéciale d'un objet déterminé.

Les propositions sont également incomplexes ou complexes, selon la forme de l'énonciation de leur sujet et de leur attribut.

Une proposition incomplexe, est celle dont le sujet et l'attribut sont également incomplexes. Exemples : la sagesse est précieuse ; vous parviendrez ; mentir est une lâcheté.

Une proposition complexe, est celle dont le sujet ou l'attribut, ou même ces deux parties, sont complexes. Exemples : la puissance législative est respectable ; les preuves dont on appuie la vérité de la religion chrétienne sont invincibles ; ces propositions sont complexes par le sujet : Dieu gouverne toutes les parties de l'univers ; César fut le tyran d'une république dont il devait être le défenseur ; ces propositions sont complexes par l'attribut : la gloire qui vient de la vertu est plus solide que celle qui vient de la naissance ; être sage avec excès est une véritable folie ; ces propositions sont complexes par le sujet et par l'attribut.

L'ordre analytique des parties essentielles d'une proposition complexe n'est pas toujours aussi sensible que dans les exemples que l'on vient de voir ; c'est alors à l'art même de l'analyse de le retrouver. Par exemple, c'est tuer les pauvres, de ne pas subvenir autant qu'on le peut à leur subsistance (si non pavisti, occidisti) ; il est évident que l'on attribue ici à la chose dont on parle que c'est tuer les pauvres, et conséquemment que est tuer les pauvres est l'attribut de cette proposition ; quel en est donc le sujet ? Le voici : ce (sujet grammatical) de ne pas subvenir autant qu'on le peut à la subsistance des pauvres (addition qui rend le sujet complexe en le déterminant). La construction analytique est donc : ce de ne pas subvenir autant qu'on le peut à la subsistance des pauvres est les tuer.

Quand les additions faites, soit au sujet, soit à l'attribut, soit à quelqu'autre terme modificatif de l'un ou de l'autre, sont elles-mêmes des propositions ayant leurs sujets et leurs attributs, simples ou composés, incomplexes ou complexes ; ces propositions partielles sont incidentes, et celles dont elles sont des parties immédiates sont principales, voyez INCIDENTE. Mais quelque composée, ou quelque complexe que puisse être une proposition, eut-elle l'étendue et la forme que les Rhéteurs exigent pour une période, l'analyse la réduit enfin aux deux parties fondamentales, qui sont le sujet et l'attribut.

Prenons pour exemple cette belle période qui est à la tête de la seconde partie du discours de M. l'abbé Colin, couronné par l'académie française en 1714. Si fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme, est une extravagance inconcevable ; c'est encore un bien plus grand renversement de raison d'être persuadé de la vérité de cette doctrine, et de vivre comme si on ne doutait point qu'elle ne fût fausse.

Pour parvenir à la construction analytique, je ferai d'abord quelques remarques préliminaires. 1°. Si n'est point ici une conjonction hypothétique ou conditionnelle ; la proposition qu'elle commence ne doit plus être mise en question, elle a été prouvée dans la première partie dont elle est la conclusion et le précis : si a ici le même sens que le mot latin etsi, ou notre mot français quoique, qui veut dire malgré la preuve que, voyez MOT, article 2. n. 3. ou en adaptant l'interprétation aux besoins présents, malgré la preuve de la vérité qui est. Voyez sur que rendu par qui est, l'article INCIDENTE. 2°. Ces deux derniers mots qui est, commencent une proposition incidente, dont l'attribut doit être indicatif de la vérité individuelle énoncée auparavant par le nom appelatif vérité ; ce doit donc être cette proposition même qui l'énonce comme un jugement, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable : et l'on voit ici qu'une proposition incidente est partie d'une autre qui est principale à son égard, mais qui est elle-même incidente à l'égard d'une troisième. 3°. En réunissant, sous la forme que j'ai indiquée, tout ce qui constitue ce premier membre de la période, on aura, malgré la preuve de la vérité qui est, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable : or tout cela est une expression adverbiale, puisqu'il n'y a que la préposition malgré avec son complément ; l'ordre analytique demande donc que cela soit à la suite d'un nom appelatif, ou d'un adjectif, ou d'un verbe. Voyez PREPOSITION. Et le bon sens, qu'il est si facîle de justifier que je ne crois pas devoir le faire ici, indique assez que c'est à la suite de l'adjectif grand, ou plutôt de l'attribut, est encore un bien plus grand renversement de raison, mis par comparaison au-dessus du premier, est une extravagance inconcevable. Ce complément adverbial tombe sur le sens comparatif de l'adjectif plus grand. 4°. Ce, qui se trouve immédiatement avant le verbe principal est, n'est que le sujet grammatical, c'est-à-dire le mot principal dans l'expression totale du sujet dont on parle ici ; car ce est un nom d'une généralité indéfinie, lequel a besoin d'être déterminé, ou par les circonstances antécédentes, ou par quelque addition subséquente : or il est déterminé ici par l'union de deux additions respectivement opposées, 1. être persuadé de la vérité de cette doctrine, 2. vivre comme si on ne doutait point qu'elle ne fût fausse ; et le rapport du nom général ce à cette double addition est marqué par la double préposition de. Voici donc la totalité du sujet logique : ce a'être persuadé de la vérité de cette doctrine et de vivre comme si on ne doutait point qu'elle ne fût fausse. 5°. Ma dernière observation sera pour rappeler au lecteur que la Grammaire n'est chargée que de l'expression analytique de la pensée, voyez INVERSION et METHODE, que les embellissements de l'élocution ne sont point de son ressort, et qu'elle a droit de s'en débarrasser quand elle rend compte de ses procédés.

Voici donc enfin l'ordre analytique de la période proposée, réduite aux deux parties essentielles : ce d'être persuadé de la vérité de la doctrine chrétienne, et de vivre comme si on ne doutait pas qu'elle ne fût fausse (sujet logique), est encore un bien plus grand renversement de raison, malgré la preuve de la vérité qui est, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable (attribut logique) : ou bien sans changer le si, mais se souvenant néanmoins qu'il a la signification que l'on vient de voir ; ce d'être persuadé de la verité de la doctrine chrétienne, et de vivre comme si on ne doutait pas qu'elle ne fût fausse, est encore un bien plus grand renversement de raison, si fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable.

Il me semble que relativement à la matière de la proposition, la Grammaire peut se passer d'en considérer d'autres espèces. Elle doit connaître les termes et les propositions composées, parce que la syntaxe influe sur les inflexions numériques des mots, et que l'usage des conjonctions est peut-être inexplicable sans cette clé, voyez MOT, loc. cit. Elle doit connaître les termes et les propositions complexes, parce qu'elle doit indiquer et caractériser la relation des propositions incidentes, et fixer la construction des parties logiques et grammaticales qui ne peuvent sans cela être discernées. Mais que pourrait gagner la Grammaire à considérer les propositions modales, les conditionnelles, les causales, les relatives, les discrétives, les exclusives, les exceptives, les comparatives, les inceptives, les désitives ? Si ces différents aspects peuvent fournir à la Logique des moyens de discuter la vérité du fonds, à la bonne heure ; ils ne peuvent être d'aucune utilité dans la Grammaire, et elle doit y renoncer.

II. La forme grammaticale de la proposition consiste dans les inflexions particulières, et dans l'arrangement respectif des différentes parties dont elle est composée. Voyez sur cela l'article GRAMMAIRE, §. 2. de l'orthologie, n. 2. Il est inutîle de répeter ici ce qui en a été dit ailleurs, et il ne faut plus que remarquer les différentes espèces de propositions que le grammairien doit distinguer par rapport à la forme. On peut envisager cette forme sous trois principaux aspects : 1°. par rapport à la totalité des parties principales et subalternes qui doivent entrer dans la composition analytique de la proposition ; 2°. par rapport à l'ordre successif que l'analyse assigne à chacune de ces parties ; 3°. par rapport au sens particulier qui peut dépendre de telle ou telle disposition.

1°. Par rapport à la totalité des parties principales et subalternes qui doivent entrer dans la composition analytique de la proposition, elle peut être pleine ou elliptique.

Une proposition est pleine, lorsqu'elle comprend explicitement tous les mots nécessaires à l'expression analytique de la pensée.

Une proposition est elliptique, lorsqu'elle ne renferme pas tous les mots nécessaires à l'expression analytique de la pensée.

Il faut pourtant observer que comme l'un et l'autre de ces accidents tombe moins sur les choses que sur la manière de les dire, on dit plutôt que la phrase est pleine ou elliptique, qu'on ne le dit de la proposition. Au reste quoique l'on dise communément que notre langue n'est guère elliptique ; il est pourtant certain que quand on en veut soumettre les phrases à l'examen analytique, on est surpris de voir que l'usage y en introduit beaucoup plus d'elliptiques que de pleines. J'ai prouvé que la plupart de nos phrases interrogatives sont elliptiques, puisque les mots qui exprimeraient directement l'interrogation y sont sous-entendus. Voyez INTERROGATIF. Il est aisé de recueillir de ce que j'ai dit, article MOT, §. 2. n. 3. de la nature des conjonctions, que l'usage de cette sorte de mot amène assez naturellement des vides dans la plénitude analytique. M. du Marsais, au mot elliptique, a très-bien fait sentir que l'ellipse est très-fréquente et très-naturelle dans les réponses faites sur le champ à des interrogations. Il y a mille autres occasions où une plénitude scrupuleuse ferait languir l'élocution ; et l'usage autorise alors, dans toutes les langues, l'ellipse de tout ce qui peut aisément se deviner d'après ce qui est positivement exprimé : par exemple, dans les propositions composées par le sujet, il est inutîle de répeter l'attribut autant de fois qu'il y a de sujets distincts ; dans celles qui sont composées par l'attribut, il n'est pas moins superflu de répeter le sujet pour chaque attribut différent, etc. Par-tout on se contenterait d'un mot pour exprimer une pensée, si un mot pouvait suffire ; mais du-moins l'usage tend partout à supprimer tout ce dont il peut autoriser la suppression, sans nuire à la clarté de l'énonciation, qui est la qualité de tout langage la plus nécessaire et la plus indispensable.

2°. Par rapport à l'ordre successif que l'analyse assigne à chacune des parties de la proposition, la phrase est directe, ou inverse, ou hyperbatique.

La phrase est directe, lorsque tous les mots en sont disposés selon l'ordre et la nature des rapports successifs qui fondent leur liaison : omnes sunt admirati constantiam Catonis.

La phrase est inverse, lorsque l'ordre des rapports successifs qui fondent la liaison des mots est suivi dans un sens contraire, mais sans interruption dans les liaisons des mots conjonctifs : constantiam Catonis admirati sunt omnes.

Enfin la phrase est hyperbatique, lorsque l'ordre des rapports successifs et la liaison naturelle des mots consécutifs sont également interrompus : Catonis omnes admirati sunt constantiam.

Il faut observer, entre les idées partielles d'une pensée, liaison et relation. La liaison exige que les corrélatifs immédiats soient immédiatement l'un auprès de l'autre ; mais de quelque manière qu'on les dispose, l'image de la liaison subsiste : Augustus vicit, ou vicit Augustus ; vicit Antonium, ou Antonium vicit ; et par conséquent Augustus vicit Antonium, ou Antonium vicit Augustus, les liaisons sont toujours également observées. Mais les liaisons supposent des relations, et les relations supposent une succession dans leurs termes ; la priorité est propre à l'un, la postériorité est essentielle à l'autre ; voilà un ordre que l'on peut envisager, ou en allant du premier terme au second, ou en allant du second au premier ; la première considération est directe, la seconde est inverse : Augustus vicit, vicit Antonium, et par conséquent, Augustus vicit Antonium, c'est l'ordre direct ; Antonium vicit, vicit Augustus, et est conséquemment Antonium vicit Augustus, c'est l'ordre inverse : l'un et l'autre conserve l'image des liaisons naturelles, mais il n'y a que le premier qui soit aussi l'ordre naturel des rapports ; il est renversé dans le second. Enfin la disposition des mots d'une phrase peut être telle qu'elle n'exprime plus ni les liaisons des idées, ni l'ordre qui résulte de leurs rapports ; ce qui arrive quand on jette entre deux corrélatifs quelque mot qui est étranger au rapport qui les unit : il n'y a plus alors ni construction directe, ni inversion ; c'est l'hyperbate : Antonium Augustus vicit. Voyez INVERSION, HYPERBATE. Il y a des langues où l'usage autorise presque également ces trois sortes de phrases ; ce sont des raisons de goût qui en ont déterminé le choix dans les bons écrivains ; et c'est en cherchant à demêler ces raisons fines que l'on apprendra à lire : chose beaucoup plus rare que l'amour-propre ne permet de le croire.

3°. Enfin par rapport au sens particulier qui peut dépendre de la disposition des parties de la proposition, elle peut être ou simplement expositive ou interrogative.

La proposition est simplement expositive, quand elle est l'expression propre du jugement actuel de celui qui la prononce : Dieu a créé le ciel et la terre ; Dieu ne veut point la mort du pécheur.

La proposition est interrogative, quand elle est l'expression d'un jugement sur lequel est incertain celui qui la prononce, soit qu'il doute sur le sujet ou sur l'attribut, soit qu'il soit incertain sur la nature de la relation du sujet à l'attribut : Qui a créé le ciel et la terre ? interrogation sur le sujet : Quelle est la doctrine de l'Eglise sur le culte des saints ? interrogation sur l'attribut : Dieu veut-il la mort du pécheur ? interrogation sur la relation du sujet à l'attribut.

Tout ce qu'enseigne la Grammaire est finalement relatif à la proposition expositive, dont elle envisage surtout la composition : s'il y a quelques remarques particulières sur la proposition interrogative, j'en ai fait le détail en son lieu. Voyez INTERROGATIF. (B. E. R. M.)

PROPOSITION, (Logique) la proposition est le fidèle interprete du jugement ; ou plutôt la proposition n'est autre chose que le jugement lui-même revétu d'expressions. Dans toute proposition, il faut nécessairement qu'il y ait un sujet et un attribut, ou expressément énoncés, ou du-moins sous entendus ; parce qu'il n'y a point de discours sans un sujet dont on parle, et sans attribut pour qu'on en parle. Ce sujet est toujours énoncé dans les langues analogues par quelque mot destiné à ce service, et distingué de ce qui énonce l'attribut : au lieu que dans les langues transpositives, un seul et même mot remplit ces deux fonctions, lorsque le sujet doit être exprimé par l'un des trois pronoms personnels ; le génie de ces langues ayant établi que le verbe par lequel on attribue une chose au sujet, ferait connaître par sa terminaison la personne, et serait alors suffisant, pour énoncer le sujet et l'attribution. Le latin dit donc en un seul mot ce que le français dit en deux : ambulat, times, odimus ; il marche, vous craignez, nous haïssons.

Ceux qui prétendent que l'essence du verbe consiste dans l'affirmation, et que l'affirmation est le caractère propre et distinct du mot est, sont obligés de dire que ce mot entre nécessairement dans toutes les propositions, soit qu'il soit exprimé, soit qu'il soit seulement sous-entendu ; parce qu'on ne peut faire de proposition sans un mot qui énonce l'attribut du sujet. Mais ceux qui soutiennent avec l'abbé Girard, que le caractère propre du verbe est d'exprimer par événement, et que l'affirmation n'est qu'un effet de la nature de quelques modes, qui adaptent l'action à un sujet ou à une des trois personnes qui peuvent figurer dans le discours, ne reconnaissent point la nécessité de la copule verbale est, si ce n'est dans les modes, comme l'infinitif et le gérondif, qui ne sont point caractérisés par l'idée accessoire d'affirmation.

Pour mieux connaître la nature et les propriétés d'une proposition, il ne sera pas inutîle d'examiner ici sa matière et sa forme, sa quantité, sa qualité, ses oppositions, ses conversions, ses équipollences.

On appelle la matière d'une proposition, ce qui en fait l'objet : ou la proposition est en matière nécessaire, ou elle est en matière contingente ; il n'y a point de milieu. La proposition en matière nécessaire, est celle dont le sujet renferme nécessairement dans son idée la forme énoncée par le prédicat, ou l'en exclut nécessairement ; l'inséparabilité ou l'incompatibilité de deux idées, sont des marques infaillibles pour discerner si une proposition est en matière nécessaire. La proposition en matière contingente, est celle dont le sujet ne renferme ni n'exclut de son idée la forme énoncée par le prédicat ; de-là la conjonction ou la séparation caractérisent toujours une proposition en matière contingente.

La forme d'une proposition n'est autre chose que l'arrangement des termes dont elle résulte, et qui concourent tous, chacun selon sa manière, à l'expression d'un sens. Si l'on examine bien la structure d'une proposition, on trouvera qu'il faut d'abord un sujet et une attribution à ce sujet ; sans cela on ne dit rien. On voit ensuite que l'attribution peut avoir outre son sujet, un objet, un terme, une circonstance modificative, une liaison avec une autre, et de plus un accompagnement étranger, ajouté comme un hors-d'œuvre, simplement pour servir d'appui à quelqu'une de ces choses, ou pour exprimer un mouvement de sensibilité occasionné dans l'âme de celui qui parle. Ainsi il faut que parmi les mots, les uns énoncent le sujet ; que les autres expriment l'attribution faite au sujet ; que quelques-uns en marquent l'objet ; que d'autres dans le besoin en représentent le terme ; qu'il y en ait, quand le cas échait, pour la circonstance modificative, ainsi que pour la liaison, toutes et quantes fois qu'on voudra rapprocher les choses : il faut enfin énoncer les accompagnements accessoires, lorsqu'il plaira à la personne qui parle d'en ajouter à sa pensée.

Donnons maintenant à ces parties constructives des noms convenables et bien expliqués, qui, les distinguant l'une de l'autre, et indiquant clairement leurs fonctions dans la composition de la proposition, nous aident à pénétrer dans l'art de la construction. Car enfin, c'est par leur moyen qu'on forme des sens, qu'on transporte et qu'on peint dans l'esprit des autres l'image de ce qu'on pense soi-même.

Tout ce qui est employé à énoncer la personne ou la chose à qui l'on attribue quelque façon d'être ou d'agir, paraissant dans la proposition comme sujet dont on parle, se nomme par cette raison subjectif ; il y tient le principal rang.

Ce qui sert à exprimer l'application qu'on fait au sujet, soit d'action, soit de manière d'être, y concourt par la fonction d'attribution ; puisque par son moyen on approprie cette action à la personne ou à la chose dont on parle : il sera donc très-bien nommé attributif.

Ce qui est destiné à représenter la chose que l'attribution a en vue, et par qui elle est spécifiée, figure comme objet ; de sorte qu'on ne saurait lui donner un nom plus convenable que celui d'objectif.

Ce qui doit marquer le but auquel aboutit l'attribution, ou celui duquel elle part, présente naturellement un terme : cette fonction le fait nommer terminatif.

Ce qu'on emploie à exposer la manière, le temps, le lieu, et les diverses circonstances dont on assaisonne l'attribution, gardera le nom de circonstanciel ; puisque toutes ces choses sont par elles-mêmes autant de circonstances.

Ce qui sert à joindre ou à faire un enchainement de sens, ne peut concourir que comme moyen de liaison : par conséquent son vrai nom est conjonctif.

Ce qui est mis par addition, pour appuyer sur la chose, ou pour énoncer le mouvement de l'âme, se place comme simple accompagnement : c'est pourquoi je le nommerai adjonctif. Voilà les sept membres qui peuvent entrer dans la structure d'une proposition. On voit d'abord qu'il ne lui est pas essentiel de renfermer tous ces membres ; l'adjonctif s'y trouvant rarement, le conjonctif n'y ayant lieu que lorsqu'elle fait partie d'une période, et pouvant même n'y être pas énoncé. Souvent il n'y a point de terminatif, non plus que de circonstanciel, comme dans cet exemple, les dieux aiment le nombre impair. D'autres fois on n'a dessein que d'exprimer la simple action du sujet, sans lui donner ni terme ni objet, et sans l'assaisonner de circonstance ni d'aucun accompagnement, comme quand on dit : les ennemis craignent ; nous sommes perdus ; j'aime.

Il faut observer que chaque membre d'une proposition peut être exprimé par un ou plusieurs mots indifféremment. Par exemple, dans cette proposition, le plus profond des physiciens ne connait pas avec une certitude évidente le moindre des ressorts secrets de la nature ; le subjectif y présente un sujet unique par les cinq premiers mots : l'attributif une attribution négative par les trois suivants : le circonstanciel de même une seule circonstance par les quatre qui viennent après : enfin, l'objectif qu'un objet par les huit derniers mots. C'est aux Grammairiens à fixer des règles, auxquelles on assujettisse l'arrangement qu'on doit mettre entre les divers membres, d'où résulte une proposition. Voyez PHRASE, STYLE, HARMONIE DE DISCOURS.

La quantité des propositions se mesure sur l'étendue de leurs sujets : une proposition considérée par rapport à son étendue, est de quatre sortes ; ou universelle, ou particulière, ou singulière, ou indéfinie.

La proposition universelle est celle, dont le sujet est un terme universel, pris dans toute son étendue, c'est-à-dire pour tous les individus. Ces mots omnis, tout, pour l'affirmation ; nullus, nul, pour la négation, désignent ordinairement une proposition universelle. Je dis ordinairement, parce qu'il y a certaines circonstances, où ils n'annoncent qu'une proposition singulière : et pour ne s'y pas tromper, voici une règle invariable qu'il ne faut jamais perdre de vue. Toutes les fois que le prédicat ne peut s'énoncer de tous les individus du sujet, pris chacun en son particulier, la proposition, malgré son apparence d'universalité, n'est que singulière. Ainsi cette proposition, tous les apôtres étaient au nombre de douze, est réellement singulière ; parce que le prédicat qui est douze, ne peut être dit de chaque apôtre en particulier. Le sens de cette proposition se réduit à dire, que la collection des apôtres était le nombre de douze : excepté ce seul cas, toute proposition dont le sujet est accompagné de ces mots, tout, nul, doit être regardée comme une proposition universelle.

1°. Il faut distinguer deux sortes d'universalités ; l'une qu'on peut appeler métaphysique, et l'autre morale. L'universalité métaphysique est une universalité parfaite et sans exception, comme tout esprit est intelligent. L'universalité morale reçoit toujours quelque exception, parce que dans les choses morales on se contente que les choses soient telles ordinairement, ut plurimùm, comme ce que l'on dit ordinaire : que toutes les femmes aiment à parler, que tous les jeunes gens sont inconstants, que tous les vieillards louent le temps passé. Il suffit dans toutes ces sortes de propositions, qu'ordinairement cela soit ainsi, et on ne doit pas aussi en conclure à la rigueur.

2°. Il y a des propositions qui ne sont universelles que parce qu'elles doivent s'entendre de generibus singulorum, et non pas de singulis generum, comme parlent les Philosophes ; c'est-à-dire de toutes les espèces de quelque genre, et non pas de tous les particuliers de ces espèces. Ainsi quelques-uns disent que Jesus-Christ a versé son sang pour le salut de tous les hommes, parce qu'il a des prédestinés parmi des hommes de tout âge, de tout sexe, de toute condition, de toute nation. Ainsi l'on dit que tous les animaux furent sauvés dans l'arche de Noé, parce qu'il en fut sauvé quelques-uns de toutes les espèces. Ainsi l'on dit d'un homme qu'il a passé par toutes les charges, c'est-à-dire par toutes sortes de charges.

3°. Il y a des propositions qui ne sont universelles que parce que le sujet doit être pris comme restreint par une partie de l'attribut, quand il est complexe et qu'il a deux parties, comme dans cette proposition : tous les hommes sont justes par la grâce de Jesus-Christ ; c'est avec raison qu'on peut prétendre que le terme de justes est sous-entendu dans le sujet, quoiqu'il n'y soit pas exprimé ; parce qu'il est assez clair que l'on veut dire seulement que tous les hommes qui sont justes, ne le sont que par la grâce de Jesus-Christ ; et ainsi cette proposition est vraie en toute rigueur, quoiqu'elle paraisse fausse, à ne considérer que ce qui est exprimé dans le sujet, y ayant tant d'hommes qui sont méchants et pécheurs. Il y a un très-grand nombre de propositions dans l'Ecriture qui doivent être prises en ce sens, et entr'autres ce que dit S. Paul ; comme tous meurent par Adam, ainsi tous seront vivifiés par Jesus-Christ. Le sens de l'apôtre est, que comme tous ceux qui meurent, meurent par Adam, tous ceux aussi qui sont vivifiés, sont vivifiés par Jesus-Christ.

Il y a aussi beaucoup de propositions qui ne sont moralement universelles qu'en cette manière, comme quand on dit, les François sont bons soldats ; les Hollandais sont bons matelots ; les Flamants sont bons peintres ; les Italiens sont bons musiciens : cela veut dire que les François qui sont soldats, sont ordinairement bons soldats, et ainsi des autres.

La proposition particulière est celle dont le sujet est un terme universel, mais restreint et pris seulement pour quelques individus du sujet, comme quand on dit, quelque cruel est lâche, quelque pauvre n'est pas malheureux ; les mots quidam, aliquis, quelque, quelques-uns, sont ordinairement les termes qui servent à restreindre le sujet.

Il ne faut pas s'imaginer qu'il n'y ait pas d'autre marque de particularité que ces mots. Quand la préposition des ou de est le pluriel de l'article un, elle fait que les noms se prennent particulièrement, au lieu que pour l'ordinaire, ils se prennent généralement avec l'article les. C'est pourquoi il y a bien de la différence entre ces deux expressions : les gens raisonnables, des gens raisonnables ; les médecins, des médecins.

Une proposition singulière est celle dont le sujet est déterminé à un seul individu. Telle est cette proposition, Louis XIV. a conquis toute la Flandre et une partie de la Hollande.

La proposition indéfinie est celle dont le sujet est un terme universel, pris absolument et sans aucune addition d'universalité ou de restriction, comme quand je dis, la matière est incapable de penser ; les François sont polis et spirituels.

Il y a deux observations à faire ici, l'une sur les propositions singulières, et l'autre sur les propositions indéfinies.

1°. Les propositions singulières doivent suivre les mêmes lois que les universelles, encore que leurs sujets ne soient pas communs comme ceux des universelles, parce que leurs sujets, par cela même qu'ils sont singuliers, sont nécessairement pris dans toute leur étendue ; ce qui fait l'essence d'une proposition universelle, et ce qui la distingue de la particulière ; car il importe peu pour l'universalité d'une proposition que l'étendue de son sujet soit grande ou petite, pourvu que, quelle qu'elle sait, on la prenne toute entière ; et c'est pourquoi les propositions singulières tiennent lieu d'universelles dans l'argumentation.

2°. Les propositions indéfinies doivent passer pour universelles en quelque matière que ce soit ; et ainsi dans une matière contingente même (car pour les propositions indéfinies en matière nécessaire, il n'y a point de difficulté) elles ne doivent point être considérées comme des propositions particulières ; car qui souffrirait que l'on dit que les ours sont blancs, que les hommes sont noirs, que les Parisiens sont poètes, que les Polonais sont sociniens, que les Anglais sont trembleurs ? et cependant selon ces philosophes, qui veulent qu'on regarde les propositions indéfinies en matière contingente comme particulières, toutes ces propositions le devraient être, puisqu'elles sont toutes en matière contingente. Or cela est du dernier absurde. Il est donc clair qu'en quelque matière que ce sait, les propositions indéfinies de cette sorte sont prises pour universelles ; mais que dans une matière contingente, on se contente d'une universalité morale : ce qui fait qu'on dit fort bien, les François sont vaillans, les Italiens sont soupçonneux, les Allemands sont robustes, les Anglais sont méditatifs, les Espagnols ont une fierté grave, les Orientaux sont voluptueux.

Il y a une autre distinction plus raisonnable à faire sur ces sortes de propositions ; c'est qu'elles sont universelles en matière de doctrine, et qu'elles ne sont que particulières dans les faits et dans les narrations, comme quand il est dit dans l'Evangîle : milites plectentes coronam de spinis, imposuerunt capiti ejus. Il est bien clair que cela ne doit être entendu que de quelques soldats, et non pas de tous les soldats.

Une chose qu'il faut encore remarquer, c'est que les noms de corps, de communauté, de peuple, étant pris collectivement, comme ils le sont d'ordinaire, pour tout le corps, toute la communauté, tout le peuple, ne font point les propositions où ils entrent, proprement universelles, moins encore particulières, mais singulières ; comme quand je dis, les Romains ont vaincu les Carthaginois ; les Vénitiens font la guerre au Turc ; les juges d'un tel lieu ont condamné un criminel. Ces propositions ne sont point universelles ; autrement on pourrait conclure de chaque romain qu'il aurait vaincu les Carthaginois ; ce qui serait faux. Elles ne sont point aussi particulières ; car cela veut dire plus que si je disais, que quelques romains ont vaincu les Carthaginois. Mais elles sont singulières, parce qu'on considère chaque peuple comme une personne morale dont la durée est de plusieurs siècles, qui subsiste tant qu'il compose un état, et qui agit en tous ces temps par ceux qui le composent, comme un homme agit par ses membres. D'où vient que l'on dit que les Romains qui ont été vaincus par les Gaulois qui prirent Rome, ont vaincu les Gaulois au temps de César, attribuant ainsi à ce même terme de romains d'avoir été vaincus en un temps, et d'avoir été victorieux en l'autre, quoique ce ne fussent plus les mêmes Romains.

Ces choses ainsi supposées et éclaircies, il est aisé de voir que l'on peut réduire toutes les propositions à quatre sortes, que l'on a marquées par ces quatre voyelles, A, E, I, O.

A, désigne l'universelle affirmative, comme tout vicieux est esclave.

E, l'universelle négative, comme nul vicieux n'est heureux.

I, la particulière affirmative, comme quelque vicieux est riche.

O, la particulière négative, comme quelque vicieux n'est pas riche.

Pour les faire mieux retenir on a fait ces deux vers.

Asserit A, negat E, verum generaliter ambo.

Asserit I, negat O, sed particulariter ambo.

Les propositions considérées du côté de leur qualité se divisent en affirmatives et négatives, en vraies et fausses, en certaines et incertaines, en évidentes et obscures.

Dagoumer, philosophe subtil, et un de ceux qui ont mis le plus en vogue la philosophie de l'école, soutient, contre l'opinion commune, que tout jugement est affirmatif. Il suppose 1°. que tous les noms sont concrets, ou du moins qu'on peut les regarder comme tels ; et que par conséquent on y peut distinguer deux choses ; savoir, le sujet et la forme. Ainsi ce mot homme signifie un sujet qui a l'humanité. Il distingue donc dans l'attribut de quelque proposition que ce sait, le sujet de l'attribut qui est toujours le même, et la forme de ce même attribut, avec laquelle le sujet de la proposition a quelque relation. Il suppose en second lieu, que la copule verbale identifie toujours, et même nécessairement le sujet de l'attribut avec le sujet de la proposition, et qu'on affirme de plus le rapport qu'il y a de la forme de l'attribut avec le sujet de la proposition. Ainsi, lorsqu'on dit, un homme n'est pas une pierre ; on affirme, selon lui, 1°. que l'homme est une chose ; 2°. que c'est une chose qui a quelque rapport, mais un rapport d'incompatibilité avec la forme de l'attribut ; savoir, avec la saxéité : de sorte qu'on doit ainsi résoudre cette proposition : l'homme est une chose qui a une incompatibilité avec la saxéité. Or la forme d'un attribut, selon cet auteur, peut avoir avec le sujet trois différentes sortes de relations ; savoir, la relation d'inséparabilité, si la forme de l'attribut est renfermée dans l'idée du sujet ; la relation d'incompatibilité, si elle en est exclue ; la relation de précision ou d'abstraction, si elle n'y est ni renfermée, ni si elle n'en est exclue.

Mais ne pourrait-on pas repliquer à Dagoumer, que le sujet de l'attribut ne peut pas toujours être identifié avec le sujet de la proposition, comme dans cette proposition, le néant n'est pas un être ? Car enfin on ne dira pas du néant qu'il soit une chose. D'ailleurs, on ne peut distinguer dans l'être considéré en lui-même, un sujet d'attribut, ni une forme d'attribut. Rien n'est plus simple que l'être pris ainsi métaphysiquement. Mais quand même le sujet de l'attribut pourrait être identifié avec le sujet de la proposition ce ne serait point une raison pour qu'il le fût en vertu de la proposition même ; car la proposition par elle-même fait abstraction de cette liaison qui se trouve entre le sujet de l'attribut, et le sujet de la proposition. La proposition énonce seulement que l'homme, par exemple, n'est pas une chose qui soit pierre ; mais elle ne dit point que l'homme soit une chose, quoique cela soit exactement vrai ; parce qu'il n'est pas nécessaire qu'une proposition énonce tout ce qui est vrai de la chose sur laquelle elle roule. Mais c'est trop s'arrêter sur une question aussi frivole.

Les propositions, qui ont le même sujet et le même attribut, s'appellent opposées, lorsqu'elles diffèrent en qualité, c'est-à-dire, lorsque l'une est affirmative et l'autre négative.

Comme les propositions peuvent être opposées entr'elles de différentes manières, tantôt selon la quantité, tantôt selon la qualité, et tantôt selon l'une et l'autre, les anciens avaient admis quatre sortes d'oppositions ; savoir, la contraire, la subcontraire, la subalterne et la contradictoire.

L'opposition contraire, c'est quand deux propositions ne diffèrent entr'elles que selon la qualité ; et qu'elles sont toutes deux universelles. Telles sont ces propositions. Tout homme est animal, aucun homme n'est animal.

L'opposition subcontraire est la même que la précédente, à cela près que les deux propositions qui se combattent, sont toutes deux particulières. Comme, quelque homme est bon, quelque homme n'est pas bon.

L'opposition subalterne, c'est quand deux propositions se combattent, selon la seule quantité. Telles sont ces propositions, tout homme est raisonnable, quelque homme est raisonnable.

L'opposition contradictoire c'est le combat de deux propositions selon la quantité, et selon la qualité : comme tous les Turcs sont mahométants, quelques Turcs ne sont pas mahométants.

Les Philosophes modernes ont fait main-basse sur toutes ces définitions, dont ils ont retranché quelques-unes comme inutiles, et corrigé les autres comme peu exactes. Le grand principe qu'ils ont posé, c'est qu'il n'y a d'opposition véritable entre des propositions, qu'autant que l'une affirme d'un sujet ce que l'autre nie précisément d'un même sujet considéré sous les mêmes rapports. Ceci supposé, je dis 1°. que les subcontraires ne sont point réellement opposées entr'elles. L'affirmation et la négation ne regardent pas le même sujet, puisque quelques hommes sont pris pour une partie des hommes dans l'une de ces propositions, et pour une autre partie dans l'autre. On peut dire la même chose des subalternes, puisque la particulière est une suite de la générale.

L'opposition contradictoire n'exige point un combat de propositions selon la quantité et selon la qualité, mais seulement l'affirmation et la négation du même attribut par rapport au même sujet. Ainsi ces deux propositions, l'homme est libre, l'homme n'est pas libre, sont deux propositions véritablement contradictoires. L'une de ces propositions ne peut être vraie, que l'autre ne soit fausse en même temps. La vérité de l'une emporte nécessairement la fausseté de l'autre.

L'opposition contraire est celle qui se trouve entre deux propositions, dont l'une affirme de son sujet un attribut incompatible avec l'attribut que l'autre proposition énonce du même sujet. Ainsi ces deux propositions sont contraires, le monde existe nécessairement, le monde existe contingemment. Ce qui distingue les propositions contraires des contradictoires, c'est que les deux contraires peuvent être toutes deux à la fois fausses ; au lieu que de deux contradictoires, l'une est nécessairement vraie, et l'autre nécessairement fausse. Quoique les propositions contraires puissent être toutes deux fausses, cependant elles ne peuvent être toutes deux vraies, parce que les contradictoires seraient vraies.

On appelle conversion d'une proposition, lorsqu'on change le sujet en attribut, et l'attribut en sujet ; sans que la proposition cesse d'être vraie, si elle l'était auparavant, ou plutôt, en sorte qu'il s'ensuive nécessairement de la conversion qu'elle est vraie, supposé qu'elle le fût. Ainsi dans toute conversion on ne doit jamais toucher à la qualité. Il est aisé de comprendre comment la conversion peut se faire. Car comme il est impossible qu'une chose soit jointe et unie à une autre, que cette autre ne soit aussi jointe à la première ; et qu'il s'ensuit fort bien que si A est joint à B, B est aussi joint à A, il est clair qu'il est impossible que deux choses soient conçues comme identifiées, qui est la plus parfaite de toutes les unions, que cette union ne soit réciproque, c'est-à-dire, que l'on ne puisse faire une affirmation mutuelle des deux termes unis en la manière qu'ils sont unis. Ce qui s'appelle conversion.

Ainsi, comme dans les propositions particulières affirmatives, le sujet et l'attribut sont tous deux particuliers, il n'y a qu'à changer simplement l'attribut en sujet, en gardant la même particularité, pour convertir ces sortes de propositions.

On ne peut pas dire la même chose des propositions universelles affirmatives, à cause que dans ces propositions il n'y a que le sujet qui soit universel, c'est-à-dire, qui soit pris selon toute son étendue, et que l'attribut au contraire est limité et restreint ; et partant, lorsqu'on le rendra sujet par la conversion, il lui faudra garder sa même restriction et y ajouter une marque qui le détermine. Ainsi quand je dis que l'homme est animal, j'unis l'idée d'homme avec celle d'animal, restreinte et resserrée aux seuls hommes. Ainsi, quand je voudrai envisager cette union par une autre face, il faudra que je conferve à ce terme sa même restriction, et de peur que l'on ne s'y trompe, y ajouter quelque note de détermination.

Desorte que de ce que les propositions affirmatives ne se peuvent convertir qu'en particulières affirmatives, on ne doit pas conclure qu'elles se convertissent moins proprement que les autres ; mais comme elles sont composées d'un sujet général et d'un attribut restreint, il est clair que lorsqu'on les convertit, en changeant l'attribut en sujet, elles doivent avoir un sujet restreint et resserré.

De-là on doit tirer ces deux règles.

1. Les propositions universelles affirmatives se peuvent convertir, en ajoutant une marque de particularité à l'attribut devenu sujet.

2. Les propositions particulières affirmatives se doivent convertir sans aucune addition ni changement.

Ces deux règles peuvent se réduire à une seule qui les comprendra toutes deux.

L'attribut étant restreint par le sujet dans toutes les propositions affirmatives, si on veut le faire devenir sujet, il lui faut conserver sa restriction ; et par conséquent lui donner une marque de particularité, soit que le premier sujet fût universel, soit qu'il fût particulier.

Néanmoins il arrive assez souvent que des propositions universelles affirmatives se peuvent convertir en d'autres universelles. Mais c'est seulement lorsque l'attribut n'a pas de soi-même plus d'étendue que le sujet, comme lorsqu'on affirme la différence ou le propre de l'espèce, ou la définition du défini. Car alors l'attribut n'étant point restreint, se peut prendre dans la conversion aussi généralement que le premier sujet.

La nature d'une proposition négative ne se peut exprimer plus clairement, qu'en disant que c'est concevoir qu'une chose n'est pas une autre. Mais afin qu'une chose ne soit pas une autre, il n'est pas nécessaire qu'elle n'ait rien de commun avec elle ; mais il suffit qu'elle n'ait pas tout ce que l'autre a, comme il suffit, afin qu'une bête ne soit pas homme, qu'elle n'ait pas tout ce qu'a l'homme ; et il n'est pas nécessaire qu'elle n'ait rien de ce qui est dans l'homme : et de-là on peut tirer cet axiome.

La proposition négative ne sépare pas du sujet toutes les parties contenues dans la compréhension de l'attribut ; mais elle sépare seulement l'idée totale et entière composée de tous ces attributs unis. Si je dis que la matière n'est pas une substance qui pense, je ne dis pas pour cela qu'elle n'est pas substance pensante, qui est l'idée totale et entière que je nie de la matière.

Il en est tout au contraire, de l'extension de l'idée ; car la proposition négative sépare du sujet l'idée de l'attribut selon toute son extension ; et la raison en est claire ; car être sujet d'une idée et être contenu dans son extension, n'est autre chose qu'enfermer cette idée : et par conséquent, quand on dit qu'une idée n'en enferme pas une autre, on dit qu'elle n'est pas un des sujets de cette idée. Ainsi si je dis que l'homme n'est pas un être insensible, je veux dire qu'il n'est aucun des êtres insensibles ; et par conséquent je les sépare tous de lui. De-là cet axiome : l'attribut d'une proposition négative est toujours pris généralement.

Comme il est impossible qu'on sépare deux choses totalement, que cette séparation ne soit mutuelle et réciproque, il est clair que si je dis que nul homme n'est pierre, je puis dire aussi que nulle pierre est homme. De-là il suit que les propositions universelles négatives se peuvent convertir simplement en changeant l'attribut en sujet, en conservant à l'attribut devenu sujet, la même universalité qu'avait le premier sujet ; car l'attribut dans les propositions négatives est toujours pris universellement, parce qu'il est nié selon toute son étendue.

Mais par cette même raison, on ne peut faire de conversion des propositions négatives particulières ; et on ne peut pas dire, par exemple, que quelque médecin n'est pas homme, parce que l'on dit que quelque homme n'est pas médecin. Cela vient de la nature même de la négation, qui est que dans les propositions négatives, l'attribut est toujours pris universellement, et selon toute son extension ; de sorte que lorsqu'un sujet particulier devient attribut par la conversion dans une proposition négative particulière, il devient universel et change de nature contre les règles de la véritable conversion, qui ne doit point changer la restriction ou l'étendue des termes : dans cette proposition, quelque homme n'est pas médecin ; ce terme d'homme est pris particulièrement ; mais dans cette fausse conversion, quelque médecin n'est pas homme, le mot d'homme est pris universellement.

Dans les propositions composées de deux parties, dont l'une est la conséquence de l'autre, ou tout au moins regardée comme telle, on a un caractère pour reconnaître la vérité ou la fausseté d'une proposition converse. Si la conséquence redonne nécessairement l'hypothèse, la converse est vraie, mais elle est fausse lorsque l'hypothèse n'est pas une suite nécessaire de la conséquence. Par exemple, cette proposition, si l'on tire une diagonale o s dans un parallélogramme A o D s, ce parallélogramme sera divisé en deux parties égales, a deux parties ; la première où l'on suppose que l'on tire une diagonale dans un parallélogramme ; et la seconde, que l'on regarde comme une suite de la première, c'est que ce parallélogramme sera divisé en deux parties égales. Ainsi pour avoir la converse de cette proposition, mettons en supposition la seconde partie : supposons qu'un parallélogramme soit divisé en deux parties égales ; si l'on voulait en déduire que ce parallélogramme ne put être ainsi divisé que par une diagonale, ce serait la converse de la première proposition ; mais cette converse serait très-fausse, parce qu'un parallélogramme peut être divisé en deux parties égales par la ligne M N tirée par le milieu des côtés A s o D, et cette ligne M N n'est pas une diagonale. Les Géomètres appellent la première partie d'une proposition l'hypothèse, c'est-à-dire les suppositions ou les données, d'où l'on déduit ce que l'on se propose d'établir. Pareillement cette proposition, s'il fait jour il fait clair, ne peut être convertie par celle-ci, s'il fait clair il fait jour, parce que cette conséquence il fait jour ne redonne point nécessairement cette hypothèse il fait clair, puisqu'il pourrait faire clair sans qu'il fit jour.

On ne saurait aussi convertir une proposition dont la conséquence dit précisément la même chose que l'hypothèse. Ainsi cette proposition, si l'on a un triangle, ses trois angles sont nécessairement égaux à deux angles droits, est une proposition qui n'a point de converse : vous ne pouvez pas dire, si les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, on aura nécessairement un triangle ; cela ne signifierait rien ; aussi ces sortes de propositions doivent s'exprimer sans aucune condition : les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, où l'on voit qu'il n'y a point de converse à faire.

Après avoir parlé de la matière et de la forme, de la quantité et de la qualité, des oppositions et des conversions des propositions, il faut maintenant en donner une division exacte. Les propositions se divisent en simples, en complexes et en composées.

Les propositions qui n'ont qu'un sujet et qu'un attribut, s'appellent simples. Mais si le sujet ou l'attribut est un terme complexe qui enferme d'autres propositions qu'on peut appeler incidentes ou accessoires, ces propositions ne sont plus simplement simples, mais elles deviennent complexes.

Ces propositions incidentes ne sont pas tant considérées comme des propositions qu'on fasse alors, que comme des propositions qui ont été faites auparavant ; et alors on ne fait plus que les concevoir comme si c'étaient de simples idées. D'où il suit, qu'il est indifférent d'énoncer ces propositions incidentes par des noms adjectifs, ou par des participes dénués d'affirmation, ou avec des modes de verbes dont le propre est d'affirmer, et des qui ; car c'est la même chose de dire : Dieu invisible a créé le monde visible, ou, Dieu qui est invisible a créé le monde qui est visible. Alexandre le plus courageux des rais, a vaincu Darius, ou Alexandre qui a été le plus courageux de tous les rais, a vaincu Darius. Dans l'une et dans l'autre, mon but principal n'est pas d'affirmer que Dieu soit invisible, ou qu'Alexandre ait été le plus courageux de tous les rois ; mais supposant l'un et l'autre comme affirmé auparavant, j'affirme de Dieu conçu comme invisible, qu'il a créé le monde ; et d'Alexandre conçu comme le plus courageux de tous les rais, qu'il a vaincu Darius.

Il faut remarquer que ces propositions complexes peuvent être de deux sortes ; car la complexion, pour parler ainsi, peut tomber ou sur la matière de la proposition, c'est-à-dire ou sur le sujet ou sur l'attribut, ou sur tous les deux. La complexion tombe sur le sujet, quand le sujet est un terme complexe, comme dans cette proposition : tout homme qui ne craint rien est roi. La complexion tombe sur l'attribut, lorsque l'attribut est un terme complexe, comme la piété est un bien qui rend l'homme heureux dans les plus grandes adversités. Quelquefois la complexion tombe sur le sujet et sur l'attribut, l'un et l'autre étant un terme complexe, comme dans cette proposition.

Ille ego, qui quondam gracili modulatus avenâ

Carmen, et egressus sylvis vicina coegi,

Ut quamvis avido parèrent arva colono,

Gratum opus agricolis : at nunc horrentia Martis

Arma virumque cano, Trojae qui primus ab oris,

Italiam, fato profugus, Lavinaque venit littora.

Les trois premiers vers et la moitié du quatrième composent le sujet de cette proposition, et le reste en compose l'attribut, et l'affirmation est renfermée dans le verbe cano.

Les propositions incidentes ont pour sujet le relatif qui, soit qu'il soit exprimé, soit qu'il soit sous-entendu. Il faut observer que les additions des termes complexes sont de deux sortes ; les unes qu'on peut appeler de simples explications, dont l'addition ne change rien dans l'idée du terme, parce que cette addition lui convient généralement et dans toute son étendue ; les autres qui se peuvent appeler des déterminations, parce que ce qu'on ajoute à un terme ne lui convenant pas dans toute son étendue, en restreint et en détermine la signification. Suivant cela, on peut dire qu'il y a un qui explicatif, et un qui déterminatif.

Quand le qui est explicatif, l'attribut de la proposition incidente est affirmé du sujet auquel le qui se rapporte, quoique ce ne soit qu'un rapport accessoire au regard de la proposition totale ; de sorte qu'on peut substituer le sujet même au qui, comme on peut le voir dans cet exemple : les hommes qui ont été créés pour connaître et pour aimer Dieu, car on peut dire, les hommes ont été créés pour connaître et pour aimer Dieu.

Mais quand le qui est déterminatif, l'attribut de la proposition incidente n'est point proprement affirmé du sujet auquel le qui se rapporte : car si après avoir dit, les hommes qui sont pieux sont charitables, on voulait substituer le mot d'hommes au qui, en disant les hommes sont pieux, la proposition serait fausse, parce que ce serait affirmer le mot de pieux des hommes comme hommes ; mais en disant, les hommes qui sont pieux sont charitables, on n'affirme des hommes en général, ni d'aucuns hommes en particulier, qu'ils soient pieux ; mais l'esprit joignant ensemble l'idée de pieux avec celle d'hommes, et en faisant une idée totale, juge que l'attribut de charitable convient à cette idée totale ; et ainsi tout le jugement qui est exprimé dans la proposition incidente, est seulement celui par lequel notre esprit juge que l'idée de pieux n'est pas incompatible avec celle d'homme ; et qu'ainsi il peut les considérer comme jointes ensemble, et examiner ensuite ce qui leur convient selon cette union.

Pour juger de la nature de ces propositions, et pour savoir si le qui est déterminatif ou explicatif, il faut souvent avoir plus d'égard au sens et à l'intention de celui qui parle, qu'à la seule expression. Quand il y a une absurdité manifeste à lier un attribut avec un sujet demeurant dans son idée générale, on doit croire que celui qui fait cette proposition n'a pas laissé ce sujet dans son idée générale. Ainsi si j'entends dire à un homme, le roi m'a commandé telle chose, je suis assuré qu'il n'a point laissé le mot de roi dans son idée générale ; car le roi en général ne fait point de commandement particulier.

Il se présente ici naturellement une question, savoir s'il peut y avoir de la fausseté, non dans les idées simples, mais dans les termes complexes qui forment les propositions incidentes. Cela n'est point douteux, parce qu'il suffit pour cela qu'il y ait quelque jugement et quelque affirmation expresse ou virtuelle. Or c'est ce qui se rencontre toujours. C'est ce que nous verrons mieux en considérant en particulier les deux sortes de termes complexes ; l'un dont le qui est explicatif, et l'autre dont le qui est déterminatif.

Dans la première sorte de termes complexes, il ne faut pas s'étonner s'il peut y avoir de la fausseté, parce que l'attribut de la proposition incidente est affirmé du sujet auquel le qui se rapporte. Dans cette proposition, Alexandre qui est fils de Philippe, j'affirme quoiqu'incidemment le fils de Philippe d'Alexandre ; et par conséquent il y a en cela de la fausseté si cela n'est pas.

Mais il faut remarquer que la fausseté de la proposition incidente n'empêche pas pour l'ordinaire la vérité de la proposition principale. Par exemple, cette proposition, Alexandre qui a été fils de Philippe a vaincu Darius, doit passer pour vraie, quand même Alexandre ne serait pas fils de Philippe, parce que l'affirmation de la proposition principale ne tombe que sur Alexandre ; et ce qu'on y joint incidemment, quoique faux, n'empêche point qu'il ne soit vrai qu'Alexandre a vaincu les Perses. Que si néanmoins l'attribut de la proposition principale avait rapport à la proposition incidente, comme si je disais, Alexandre fils de Philippe, était le petit-fils d'Amintas, ce serait alors seulement que la fausseté de la proposition incidente rendrait fausse la proposition principale.

Quant aux autres propositions incidentes dont le qui est déterminatif, il est certain que pour l'ordinaire elles ne sont pas susceptibles de fausseté, parce que l'attribut de la proposition incidente n'y est pas affirmé du sujet auquel le qui se rapporte ; car si on dit, par exemple, que les juges qui ne font jamais rien par prière et par faveur sont dignes de louanges, on ne dit pas pour cela, qu'il y ait aucun juge sur la terre qui soit dans cette perfection. Néanmoins je crois qu'il y a toujours dans ces propositions une affirmation tacite et virtuelle, non de la convenance actuelle de l'attribut au sujet auquel le qui se rapporte, mais de la convenance possible. Ainsi cette proposition, les esprits qui sont carrés sont plus solides que ceux qui sont ronds, devrait passer pour fausse, parce que l'idée de carré et de rond est absolument incompatible avec l'esprit pris pour le principe de la pensée.

Outre les propositions dont le sujet ou l'attribut est un terme complexe, il y en a d'autres qui sont complexes, parce qu'il y a des termes ou des propositions incidentes qui ne regardent que la forme de la proposition, c'est-à-dire l'affirmation ou la négation qui est exprimée par le verbe, comme si je dis, les raisons d'Astronomie nous convainquent que le soleil est beaucoup plus grand que la terre ; les raisons d'Astronomie nous convainquent n'est qu'une proposition incidente, qui doit faire partie de quelque chose dans la proposition principale ; et cependant il est visible qu'elle ne fait partie ni du sujet ni de l'attribut, mais qu'elle tombe seulement sur l'affirmation, à l'appui de laquelle on la fait intervenir dans le discours.

Ces sortes de propositions sont ambiguès, et peuvent être prises différemment selon le dessein de celui qui les prononce. Comme quand je dis : tous les philosophes nous assurent que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes en-bas ; si mon dessein est de montrer que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes en-bas, la première partie de cette proposition ne sera qu'incidente, et ne fera qu'appuyer l'affirmation de la dernière partie ; mais si au contraire, je n'ai dessein que de rapporter cette opinion des philosophes, sans que moi-même je l'approuve, alors la première partie sera la proposition principale, et la dernière sera seulement une partie de l'attribut ; car ce que j'affirmerai ne sera pas que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes, mais seulement que tous les philosophes l'assurent ; mais il est aisé de juger par la suite auquel de ces deux sens on prend ces sortes de propositions.

Pour savoir quand une proposition complexe est négative, il faut examiner sur quoi tombe la négation dans une telle proposition ; car ou elle tombe sur le verbe de la proposition principale, et alors elle est négative ; ou elle tombe sur la complexion, soit du sujet, soit de l'attribut, et alors elle est affirmative. Ainsi cette proposition : les impies qui n'honorent pas Dieu, seront damnés, est affirmative, parce que la négation n'affecte que la complexion du sujet.

Les propositions composées sont celles qui ont ou un double sujet ou un double attribut. Or il y en a de deux sortes, les unes où la composition est expressément marquée : et les autres, où elle est plus cachée, et qu'on appelle pour cette raison exponibles, parce qu'elles ont besoin d'être exposées ou expliquées pour en connaître la composition.

On peut réduire celles de la première sorte à six espèces : les copulatives et les disjonctives, les conditionnelles et les causales, les relatives et les discrétives.

On appelle copulatives celles qui enferment ou plusieurs sujets, ou plusieurs attributs joints par une conjonction affirmative ou négative, c'est-à-dire, et ou ni. La vérité de ces propositions dépend de la vérité de toutes les deux parties.

Les disjonctives sont d'un grand usage, et ce sont celles où entre la conjonction disjonctive, vel, ou. L'amitié, ou trouve les amis égaux, ou les rend égaux. Une femme hait ou aime, il n'y a point de milieu. La vérité de ces propositions dépend de l'opposition nécessaire des parties, qui ne doivent point souffrir de milieu ; mais comme il faut qu'elles n'en puissent souffrir du tout pour être nécessairement vraies, il suffit qu'elles n'en souffrent point ordinairement, pour être considérées comme moralement vraies.

Les conditionnelles sont celles qui ont deux parties liées par la condition si, dont la première, qui est celle où est la condition, s'appelle l'antécédent, et l'autre le conséquent. Pour la vérité de ces propositions, on n'a égard qu'à la vérité de la conséquence ; car encore que l'une et l'autre partie fût fausse, si néanmoins la conséquence est légitime, la proposition, entant que conditionnelle, est vraie. Telle est cette proposition, si la matière est libre, elle pense.

Les causales sont celles qui contiennent deux propositions liées par un mot de cause, quia, parce que, ou ut, afin que. Malheur aux riches, parce qu'ils ont leur consolation en ce monde : les méchants sont élevés, afin que tombant de plus haut, leur chute en soit plus grande. Tolluntur in altum, ut lapsu graviore ruant. Possunt quia posse videntur.

On peut aussi réduire à ces sortes de propositions celles qu'on appelle réduplicatives. L'homme, entant qu'homme, est raisonnable. Les rais, entant que rais, ne dépendent que de Dieu seul.

Il est nécessaire pour la vérité de ces propositions, que l'une des parties soit cause de l'autre : ce qui fait aussi qu'il faut que l'une et l'autre soit vraie ; car ce qui est faux n'est point cause, et n'a point de cause ; mais l'une et l'autre partie peut être vraie, et la cause être fausse, parce qu'il suffit pour cela, que l'une des parties ne soit pas cause de l'autre : ainsi un prince peut avoir été malheureux, et être né sous une telle constellation, qu'il ne laisserait pas d'être faux qu'il ait été malheureux, pour être né sous cette constellation.

Les relatives sont celles qui renferment quelque comparaison et quelque rapport. Telle est la vie, telle est la mort : où est le trésor, là est le cœur. Tanti es, quantum habes. La vérité de ces propositions dépend de la justesse du rapport.

Les discrétives sont celles où l'on fait des jugements différents, en marquant cette différence par ces mots sed, mais ; tamen, néanmoins, ou autres semblables, exprimés ou sous-entendus. Fortuna opes auferre, non animum potest. Et mihi res, non rebus submittère conor. Coelum, non animum mutant, qui trants mare currunt.

La vérité de cette sorte de propositions dépend de la vérité de toutes les deux parties, et de la séparation qu'on y met ; car quoique les deux parties fussent vraies, une proposition de cette sorte serait ridicule, s'il n'y avait point entr'elles d'opposition, comme si je disais : Judas était un larron, et néanmoins il ne put souffrir que la Magdelaine répandit ses parfums sur J. C.

Il y a d'autres propositions composées, dont la composition est plus cachée. On peut les réduire à ces quatre sortes, 1°. exclusives : 2°. exceptives : 3°. comparatives : 4°. exceptives ou désitives.

Les exclusives marquent qu'un attribut convient à un sujet, et qu'il ne convient qu'à ce seul sujet, ce qui est marquer qu'il ne convient pas à d'autres : d'où il s'ensuit qu'elles enferment deux jugements différents, et que par conséquent elles sont composées dans ce sens. C'est ce qu'on exprime par le mot seul ou autre semblable, et le plus souvent en français par ces mots, il n'y a. Ainsi cette proposition, il n'y a que Dieu seul aimable pour lui-même, peut se résoudre en ces deux propositions : nous devons aimer Dieu pour lui-même, mais pour les créatures nous ne devons point ainsi les aimer.

Il arrive souvent que ces propositions sont exclusives dans le sens, quoique l'exclusion ne soit pas exprimée, comme dans ce beau vers : le salut des vaincus est de n'en point attendre.

Les exceptives sont celles où l'on affirme une chose de tout un sujet, à l'exception de quelqu'un des inférieurs de ce sujet, à qui on fait entendre par quelque mot exceptif, que cela ne convient pas : ce qui visiblement renferme deux jugements, et rend par-là ces propositions composées dans le sens, comme si je dis : toutes les sectes des anciens philosophes, hormis celle des Platoniciens, n'ont pas eu une idée saine de la spiritualité de Dieu.

Les propositions exceptives et les exclusives peuvent aisément se changer les unes dans les autres. Ainsi cette exceptive de Terence, imperitus, nisi quod ipse facit, nil rectum putat, a été changée par Cornelius Gallus en cette exclusive, hoc tantum rectum quod facit ipse putat.

Les propositions comparatives enferment deux jugements, parce que c'en sont deux de dire qu'une chose est telle, et de dire qu'elle est telle plus ou moins qu'une autre ; et ainsi ces sortes de propositions sont composées dans le sens. Ridiculum acri fortius ac melius magnas plerumque secat res. On fait souvent plus d'impression dans les affaires même les plus importantes, par une raillerie agréable, que par les meilleures raisons. Meliora sunt vulnera amici, quàm fraudulenta oscula inimici. Les coups d'un ami valent mieux que les baisers trompeurs d'un ennemi.

On peut traiter ici une question qui est de savoir s'il est toujours nécessaire que dans ces propositions le positif du comparatif convienne à tous les deux membres de la comparaison : et s'il faut, par exemple, supposer que deux choses soient bonnes, afin de pouvoir dire que l'une est meilleure que l'autre.

Il semble d'abord que cela devrait être ainsi ; mais l'usage y est contraire. L'Ecriture elle-même se sert du mot de meilleur, non-seulement en comparant deux biens ensemble : melior est sapientia quàm vires, et vir prudents quàm fortis, mais aussi en comparant un bien à un mal : melior est patiens arrogante. Et même en comparant deux maux ensemble : melius est habitare cum dracone, quàm cum mulière litigiosâ.

La raison de cet usage est qu'un plus grand bien est meilleur qu'un moindre, parce qu'il a plus de bonté qu'un moindre bien ; or par la même raison on peut dire en quelque façon qu'un bien est meilleur qu'un mal, parce que ce qui a de la bonté en a plus que ce qui n'en a point ; et on peut dire aussi qu'un moindre mal est meilleur qu'un plus grand mal, parce que la diminution du mal tenant lieu de bien dans les maux, ce qui est moins mauvais a plus de cette sorte de bonté, que ce qui est plus mauvais.

Les inceptives et les désitives sont composées dans le sens, parce que, lorsqu'on dit qu'une chose a commencé ou cessé d'être telle, on fait deux jugements : l'un de ce qu'était cette chose avant le temps dont on parle, et l'autre de ce qu'elle est depuis. Voyez la logique du Port-royal.

Avant de finir ce qui concerne les propositions, il ne sera pas hors de propos d'examiner ce qu'on entend ordinairement par proposition frivole.

Les propositions frivoles sont celles qui ont de la certitude, mais une certitude purement verbale, et qui n'apporte aucune instruction dans l'esprit. Telles sont 1°. les propositions identiques. Par propositions identiques, j'entends seulement celles où le même terme emportant la même idée, est affirmé de lui-même. Tout le monde voit que ces sortes de propositions, malgré l'évidence qui les accompagne, ne sont d'aucune ressource pour acquérir de nouvelles connaissances. Répétez, tant qu'il vous plaira, que la volonté est la volonté, la loi est la loi, le droit est le droit, la substance est la substance, le corps est le corps, un tourbillon est un tourbillon, vous n'en êtes pas plus instruit. C'est une imagination tout à fait ridicule de penser, qu'à la faveur de ces sortes de propositions, on répandra de nouvelles lumières dans l'entendement, ou qu'on lui ouvrira un nouveau chemin vers la connaissance des choses. L'instruction consiste en quelque chose de bien différent. Quiconque veut entrer lui-même, ou faire entrer les autres dans des vérités qu'il ne connait point encore, doit trouver des idées moyennes, et les ranger l'une après l'autre dans un tel ordre, que l'entendement puisse voir la convenance ou la disconvenance des idées en question. Les propositions qui servent à cela, sont instructives, mais elles sont bien différentes de celles où l'on affirme le même terme de lui-même, par où nous ne pouvons jamais parvenir, ni faire parvenir les autres à aucune espèce de connaissance. Cela n'y contribue pas plus, qu'il servirait à une personne qui voudrait apprendre à lire, qu'on lui inculquât ces propositions : un A est un A, un B est un B, etc. et qu'un homme peut savoir aussi bien qu'aucun maître d'école, sans être pourtant jamais capable de lire un seul mot durant tout le cours de sa vie.

2°. Une autre espèce de propositions frivoles, c'est quand une partie de l'idée complexe est affirmée du nom du tout, ou ce qui est la même chose, quand on affirme une partie d'une définition du mot défini. Telles sont toutes les propositions où le genre est affirmé de l'espèce, et où des termes plus généraux sont affirmés de termes qui le sont moins. Car quelle instruction, quelle connaissance produit cette proposition, le plomb est un métal, dans l'esprit d'un homme qui connait l'idée complexe, qui est signifiée par le mot de plomb ? Il est bien vrai, qu'à l'égard d'un homme qui connait la signification du mot de métal, et non pas celle du mot de plomb, il est plus court de lui expliquer la signification du mot de plomb, en lui disant que c'est un métal (ce qui désigne tout-d'un-coup plusieurs de ses idées simples) que de les compter une à une, en lui disant que c'est un corps fort pesant, fusible, et malléable.

C'est encore se jouer sur des mots, que d'affirmer quelque partie d'une définition du terme défini, ou d'affirmer une des idées dont est formée une idée complexe, du nom de toute l'idée complexe, comme tout or est fusible ; car la fusibilité étant une des idées simples qui composent l'idée complexe que le mot or signifie, affirmer du mot or ce qui est déjà compris dans sa signification reçue, qu'est-ce autre chose que se jouer sur des sons ? On trouverait beaucoup plus ridicule d'assurer gravement, comme une vérité fort importante, que l'or est jaune ; mais je ne vois pas comment c'est une chose plus importante de dire que l'or est fusible, si ce n'est que cette qualité n'entre point dans l'idée complexe dont le mot or est le signe dans le discours ordinaire. De quoi peut-on instruire un homme, en lui disant ce qu'on lui a déjà dit, ou qu'on suppose qu'il sait auparavant ? Car on doit supposer que j'ai la signification du mot dont un autre se sert en me parlant, ou bien il doit me l'apprendre. Que si je sai que le mot or signifie cette idée complexe de corps jaune, pesant, fusible, malléable, ce ne sera pas m'apprendre grande chose, que de réduire ensuite cela solennellement en une proposition, et de me dire gravement, tout or est fusible. De telles propositions ne servent qu'à faire voir le peu de sincérité d'un homme, qui veut me faire accroire qu'il dit quelque chose de nouveau, en ne faisant que repasser sur la définition des termes qu'il a déjà expliqués ; mais quelques certaines qu'elles soient, elles n'emportent point d'autre connaissance que celle de la signification même des mots.

En un mot, c'est se jouer des mots que de faire une proposition qui ne contienne rien de plus que ce qui est renfermé dans l'un des termes, et qu'on suppose être déjà connu de celui à qui l'on parle, comme un triangle a trois côtés, ou le safran est jaune ; ce qui ne peut être souffert que lorsqu'un homme veut expliquer à un autre les termes dont il se sert, parce qu'il suppose que la signification lui en est inconnue, ou lorsque la personne avec qui il s'entretient lui déclare qu'elle ne les entend point ; auquel cas il lui enseigne seulement la signification de ce mot, et l'usage de ce signe.

Il y a donc deux sortes de propositions dont nous pouvons connaître la vérité avec une entière certitude ; l'une est de ces propositions frivoles qui ont de la certitude, mais une certitude purement verbale et qui n'apporte aucune instruction dans l'esprit. En second lieu, nous pouvons connaître la vérité de certaines propositions, qui affirment quelque chose d'une autre qui est une conséquence nécessaire de son idée complexe, mais qui n'y est pas renfermée, comme que l'angle extérieur de tout triangle est plus grand que l'un des angles intérieurs opposés ; car comme ce rapport de l'angle extérieur à l'un des angles intérieurs opposés ne fait point partie de l'idée complexe qui est signifiée par le mot de triangle ; c'est-là une vérité réelle, qui emporte une connaissance réelle et instructive.

Comme nous n'avons que peu ou point de connaissance des combinaisons d'idées simples qui coexistent dans les substances, que par le moyen de nos sens, nous ne saurions faire sur leur sujet aucunes propositions universelles qui soient certaines, au-delà du terme où leurs essences nominales nous conduisent ; et comme ces essences nominales ne s'étendent qu'à un petit nombre de vérités très-peu importantes, eu égard à celles qui dépendent de leurs constitutions réelles ; il arrive de-là que les propositions générales qu'on forme sur les substances, sont pour la plupart frivoles, si elles sont certaines ; et que, si elles sont instructives, elles sont incertaines, quelque secours que puissent nous fournir de constantes observations et l'analogie pour former des conjectures ; d'où il arrive qu'on peut souvent rencontrer des discours fort clairs et fort suivis qui se réduisent pourtant à rien ; car il est visible que les noms des substances étant considérés dans toute l'étendue de la signification relative qui leur est assignée, peuvent être joints avec beaucoup de vérité, par des propositions affirmatives et négatives, selon que leurs définitions respectives les rendent propres à être unis ensemble, et que les propositions composées de ces sortes de termes, peuvent être déduites l'une de l'autre avec autant de clarté, que celles qui fournissent à l'esprit les vérités les plus réelles ; et tout cela sans que nous ayons aucune connaissance de la nature ou de la réalité des choses existantes hors de nous. Selon cette méthode, l'on peut faire en paroles des démonstrations et des propositions indubitables, sans pourtant avancer par-là le moins du monde dans la connaissance de la vérité des choses. Chacun peut voir une infinité de propositions, de raisonnements et de conclusions de cette sorte dans des livres de métaphysique, de théologie scolastique, et d'une certaine espèce de physique, dont la lecture ne lui apprendra rien de plus de Dieu, des esprits et des corps, que ce qu'il en savait avant d'avoir parcouru ces livres. Voyez l'article VERITE.

Mais pour conclure, voici les marques auxquelles on peut connaître les propositions purement verbales.

1°. Toutes les propositions, où deux termes abstraits sont affirmés l'un de l'autre, ne concernent que la signification des sons ; car nulle idée abstraite ne pouvant être la même avec une autre qu'avec elle-même, lorsque son nom abstrait est affirmé d'un autre terme abstrait, il ne peut signifier autre chose, si ce n'est que cette idée peut ou doit être appelée de ce nom, ou que ces deux noms signifient la même idée. Ainsi qu'un homme dise, que l'épargne est la frugalité ; que la gratitude est la reconnaissance, quelques spécieuses que ces propositions et autres semblables paraissent du premier coup d'oeil, cependant, si l'on vient à en presser la signification, on trouvera que tout cela n'emporte autre chose que la signification de ces termes.

2°. Toutes les propositions, où une partie de l'idée complexe qu'un certain terme signifie, est affirmée de ce terme, sont purement verbales. Et ainsi toute proposition, où les mots de la plus grande étendue, qu'on appelle genres, sont affirmés de ceux qui leur sont subordonnés, ou qui ont moins d'étendue, qu'on nomme espèces ou individus, est purement verbale.

En un mot, je crois pouvoir poser pour une règle infaillible, que par-tout où l'idée qu'un mot signifie, n'est pas distinctement connue et présente à l'esprit, et où quelque chose qui n'est pas déjà contenu dans cette idée, n'est pas affirmé ou nié, dans ce cas là nos pensées sont uniquement attachées à des sons, et n'enferment ni vérité ni fausseté réelle, ce qui, si l'on y prenait bien garde, pourrait peut-être épargner bien de vains amusements et des disputes, et abréger extrêmement les tours et les détours que nous faisons pour parvenir à une connaissance réelle et véritable. Essai sur l'entendement humain de M. Locke.

PROPOSITION, en Mathématiques, c'est un discours par lequel on énonce une vérité à démontrer, ou une question à résoudre. Dans le premier cas on l'appelle théorème ; par exemple, les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, est un théorème. Voyez THEOREME.

On l'appelle problème, quand la proposition énonce une question à résoudre ; comme trouver une proportionnelle à deux quantités données. Voyez PROBLEME.

A la rigueur la proposition n'est simplement que l'énoncé du théorème ou du problème ; et dans ce sens on la distingue de la solution, qui recherche ce qu'il faut faire pour effectuer ce que l'on demande, et de la démonstration, qui prouve la vérité de ce qu'on a avancé : dans la solution on a fait ce qu'exigeait la question proposée. Voyez SOLUTION. (E)

PROPOSITION, en Poésie, c'est la première partie et comme l'exorde du poème, où l'auteur propose brievement et en général ce qu'il doit dire dans le corps de son ouvrage. On l'appelle autrement début. Voyez POEME EPIQUE, etc.

La proposition, comme l'observe le P. le Bossu, doit seulement contenir la matière du poème, c'est-à-dire l'action et les personnes qui l'exécutent, soit humaines soit divines ; ce qui doit apparemment s'entendre des principaux personnages, car on courait risque d'allonger extrêmement la proposition si elle devait faire mention de tous ceux qui ont part à l'action du poème.

On trouve tout cela dans les débuts de l'Iliade, de l'Odyssée et de l'Enéïde. L'action qu'Homère propose dans l'Iliade est la colere d'Achille ; dans l'Odyssée, le retour d'Ulisse ; et dans l'Enéïde Virgile a pour objet de montrer que l'empire de Troie a été transporté en Italie par Enée.

Le même auteur remarque que les divinités qui s'intéressent au sort des héros de ces trois poèmes sont nommés dans leur proposition. Homère dit que tout ce qui arrive dans l'Iliade se fait par la volonté de Jupiter, et qu'Apollon fut cause de la division qui s'éleva entre Agamemnon et Achille. Le même poète dit dans l'Odyssée que ce fut Apollon qui empêcha le retour des compagnons d'Ulysse, et Virgile fait mention des destins, de la volonté des dieux et de la haine implacable de Junon qui met obstacle à toutes les entreprises d'Enée. Mais ces poètes s'arrêtent principalement à la personne du héros ; il semble que lui seul soit plus la matière du poème que tout le reste. Voyez HEROS.

Il y a cependant en ceci quelque différence dans les trois poèmes ; Homère nomme Achille par son nom, et même il lui joint Agamemnon : dans l'Odyssée et dans l'Enéïde, Ulysse et Enée ne sont point nommés, mais seulement désignés sous le nom générique de virum, héros ; de sorte qu'on ne les connaitrait pas si l'on ne savait déjà d'ailleurs qui ils sont.

En suivant le sentiment du P. le Bossu sur la construction de l'épopée, cette dernière pratique avait du rapport à la première intention du poète, qui doit d'abord feindre son action sans noms, et qui ne raconte point l'action d'Alcibiade, comme dit Aristote, ni par conséquent celle d'Achille, d'Ulysse, d'Enée ou d'un autre particulier, mais d'une personne universelle, générale et allégorique ; mais n'est-ce pas s'attacher trop servilement aux mots ? Dic mihi, musa, VIRUM, ou Arma VIRUMQUE cano, et ne faire nulle attention à ce qui suit, et qui détermine le virum à Ulisse et à Enée ?

De plus le caractère que le poète veut donner à son héros et à tout son ouvrage est marqué dans la proposition par Homère et par Virgile. Toute l'Iliade n'est que transport et que colere, c'est le caractère d'Achille, et c'est aussi ce que le poète a d'abord annoncé . L'Odyssée nous présente, dès le premier vers, cette prudence, cette dissimulation et cette adresse qui a fait jouer à Ulysse tant de personnages différents, ; et l'on voit la douceur et la piété d'Enée marquée au commencement du poème latin, insignem pietate virum.

Quant à la manière dont la proposition doit être faite, Horace se contente de prescrire la modestie et la simplicité. Il ne veut pas qu'on promette d'abord des prodiges, ni qu'on fasse naître dans l'esprit du lecteur de grandes idées de ce qu'on Ve lui raconter. " Gardez-vous, dit-il, de commencer comme fit autrefois un mauvais poète. Je chanterai la fortune de Priam, et cette guerre célèbre : "

Fortunam Priami cantabo et nobîle bellum.

" Que nous donnera, ajoute-t-il, un homme qui fait de si magnifiques promesses ? produira-t-il rien de digne de ce qu'il annonce avec tant d'emphase ? "

Que produira l'auteur après de si grands cris ?

La montagne en travail enfante une souris.

" Que la simplicité d'Homère est plus judicieuse et plus solide lorsqu'il débute ainsi dans l'Odyssée : Muse, fais-moi connaître ce héros qui après la prise de Troie, a Ve les villes et les mœurs de différents peuples. Il ne jette pas d'abord tout son feu pour ne donner ensuite que de la fumée, au contraire la fumée chez lui précède la lumière, et c'est de ce commencement si faible en apparence qu'il tire ensuite les merveilles éclatantes d'Antiphate, de Scylla, de Charibde et de Polyphème ".

On trouve la même simplicité dans le début de l'Enéïde ; si celui de l'Iliade a quelque chose de plus fier, c'est pour mettre quelque conformité entre le caractère de la proposition et celui de tout le poème qui n'est qu'un tissu de colere et de transports fougueux.

Le poète ne doit pas parler avec moins de modestie de lui-même que de son héros. Virgile dit simplement qu'il chante l'action d'Enée. Homère prie sa muse de lui dire ou de lui chanter, soit les aventures d'Ulisse, soit la colere d'Achille. Claudien n'a pas imité ces exemples dans cet enthousiasme aussi déplacé qu'il parait impétueux :

Audaci promère cantu

Mens congesta jubet : gressus removete, profani ;

Jam furor humanos nostro de pectore sensus

Expulit, et totum spirant praecordia Phaebum.

Un pareil essor bien ménagé et soutenu peut avoir bonne grâce dans une ode, ou quelqu'autre pièce semblable ; c'est ainsi qu'Horace a commencé une de ses odes :

Odi profanum vulgus, et arceo :

Favete linguis, carmina non prius

Audita, musarum sacerdos,

Virginibus puerisque canto.

Mais un poème aussi long qu'une épopée n'admet pas un début si lyrique. Il n'y a presque point là de faute qu'on ne trouve dans la proposition de l'Achilléïde. Stace prie sa muse de lui raconter les exploits du magnanime fils d'Eaque, dont la naissance a fait trembler le maître du tonnerre. Il ajoute avec confiance, qu'il a dignement rempli sa première entreprise, et que Thèbes le regarde comme un autre Amphion :

Magnanimum Aeaciden, formidatamque tonanti

Progeniem et patrio vetitam succedere coelo,

Musa refer.

Tu modo, si vetères digno deplevimus haustu,

Da fontes mihi, Phoebe, novos, &c.

La simplicité du début est fondée sur une raison bien naturelle. Le poème épique est un ouvrage de longue haleine qu'il est par conséquent dangereux de commencer sur un ton difficîle à soutenir également. Il en est à cet égard de la poésie comme de l'éloquence. Dans celle-ci, disent les maîtres de l'art, le discours doit toujours aller en croissant, et la conviction s'avancer comme par degrés, en sorte que l'auditeur sente toujours de plus en plus le poids de la vérité : dans l'autre, plus le début est simple, plus les beautés que le poète déploie ensuite sont saillantes. Un homme qui embouchant la trompette commence sur le ton de Scuderi :

Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre,

court risque de s'essouffler d'abord et de ne plus donner ensuite que des sons faibles et enroués. Il ressemble, dit M. de la Mothe, à celui qui ayant une longue course à faire part d'abord avec une extrême rapidité ; à peine est-il au milieu de la carrière qu'il est épuisé, ses forces l'abandonnent, il n'arrive jamais au but.

PROPOSITION, PAINS DE, (Théologie) que l'hébreu appelle pains des faces, ou de la face, qu'on a rendu en grec par . On appelait ainsi les pains que le prêtre de semaine chez les Hébreux mettait tous les jours de sabbat sur la table d'or qui était dans le saint devant le Seigneur.

Ces pains étaient carrés et à quatre faces, disent les rabbins, on les couvrait de feuilles d'or. Ils étaient au nombre de douze, et désignaient les douze tribus d'Israèl. Chaque pain était d'une grosseur considérable puisqu'on y employait deux assarons de farine, qui font environ six pintes. On les servait tout chauds en présence du Seigneur le jour du sabbat, et on ôtait en même temps les vieux qui avaient été exposés pendant toute la semaine. Il n'y avait que les prêtres qui pussent en manger ; et si David en mangea une fais, ce fut une nécessité extraordinaire et excusable. Cette offrande était accompagnée d'encens, de sel, &, selon quelques commentateurs, de vin. On brulait l'encens sur la table d'or tous les samedis, lorsqu'on y mettait des pains nouveaux.

On n'est pas d'accord sur la manière dont étaient rangés les pains de proposition sur cette table. Quelques-uns croient qu'il y en avait trois piles de quatre chacune, et les autres deux seulement. Les rabbins ajoutent qu'entre chaque pain, il y avait deux tuyaux d'or soutenus par des fourchettes de même métal, dont l'extrémité posait à terre pour donner de l'air aux pains, et empêcher qu'ils ne semoisissent.

On croit que le peuple en payant aux prêtres et aux lévites les décimes des grains, leur fournissait la matière des pains de proposition, que les lévites les préparaient et les faisaient cuire, et que les prêtres seuls les offraient. S. Jérôme dit, parlant sur la tradition des Juifs, que les prêtres eux-mêmes semaient, moissonnaient, faisaient moudre, paitrissaient et cuisaient les pains de proposition.

Il y a encore diverses remarques des commentateurs sur la manière dont on faisait cuire ces pains, sur les vases qui contenaient le vin et le sel qui les accompagnaient, et qu'on peut voir dans le Dict. de la Bible du père Calmet, tom. III. pag. 295.

PROPOSITION D'ERREUR, (Jurisprudence) était une voie pour faire réformer un arrêt quand il avait été rendu sur une erreur de fait, soit que le juge eut erré par hasard ou faute d'instruction.

Par les anciennes ordonnances, le seul moyen de se pourvoir contre un arrêt du parlement, était d'obtenir du roi la permission de proposer qu'il y avait des erreurs dans cet arrêt.

Mais comme on obtenait souvent par importunité des lettres pour attaquer des arrêts sans proposer des erreurs, et que ces lettres portaient même que l'exécution des arrêts serait suspendue jusqu'à un certain temps, et que les parties plaignantes se pourvoiraient par-devant d'autres juges que le parlement : Philippe de Valais ordonna en 1331, que dans la suite la seule voie de se pourvoir contre les arrêts du parlement, serait d'impétrer du roi des lettres pour pouvoir proposer des erreurs contre ces arrêts ; que celui qui demanderait ces lettres donnerait par écrit les erreurs qu'il prétendait être dans l'arrêt, aux maîtres des requêtes de l'hôtel ou aux autres officiers du roi qui ont coutume d'expédier de pareilles lettres, lesquels jugeraient sur la simple vue s'il y avait lieu ou non de les accorder ; que si ces lettres étaient accordées, les erreurs proposées signées du plaignant, et contrescellées du scel royal, seraient envoyées avec ces lettres aux gens du parlement, qui corrigeraient leur arrêt, supposé qu'il y eut lieu, en présence des parties, lesquelles préalablement donneraient caution de donner une double amende au roi, et les dépens dommages et intérêts à leurs parties adverses, en cas que l'arrêt ne fût pas corrigé.

Il ordonna en même temps que ces propositions d'erreur ne suspendraient pas l'exécution des arrêts ; que cependant s'il y avait apparence qu'après la correction de l'arrêt, la partie qui avait gagné son procès par cet arrêt, ne fût pas en état de restituer ce dont elle jouissait, en conséquence le parlement pourrait y pourvoir ; enfin que l'on n'admettrait point de propositions d'erreur contre les arrêts interlocutoires.

Ceux auxquels le roi permettait de se pourvoir par proposition d'erreur contre un arrêt du parlement, devaient, avant que d'être admis à proposer l'erreur, donner caution de payer les dépens et les dommages et intérêts, et une double amende au roi en cas qu'ils vinssent à succomber.

L'ordonnance de 1339, art. 135. ordonne que les propositions d'erreur ne seraient reçues qu'après que les maîtres des requêtes auraient Ve les faits et inventaires des parties.

L'article 136 de la même ordonnance règle que les proposans erreur seraient tenus de consigner 240 liv. parisis dans les cours souveraines.

L'article 46 de l'édit d'ampliation des présidiaux voulait que l'on consignât 40 liv. aux présidiaux ; mais l'ordonnance de Moulins, art. 18. défendit de plus recevoir les propositions d'erreur contre les jugements présidiaux.

Il fallait, suivant les art. 136. et 138. de l'ordonnance des présidiaux, mettre l'affaire en état dans un an, et la faire juger dans cinq, après quoi on n'y était plus reçu ; mais la déclaration du mois de Février 1549, donna cinq ans pour mettre la proposition d'erreur en état.

Ces sortes d'affaires devaient, suivant l'ordonnance de 1539, être jugées par tel nombre de juges qui était arbitré par les parties ; l'ordonnance d'Orléans prescrit d'appeler les juges qui avaient rendu le premier jugement, et en outre pareil nombre d'autres juges, et même deux de plus aux présidiaux ; il en fallait au moins treize.

L'ordonnance de Blais regla que celui qui aurait obtenu requête civîle ne serait plus reçu à proposer erreur, et que celui qui aurait proposé erreur, ne pourrait plus obtenir requête civile.

Enfin l'ordonnance de 1667. tit. xxxv. art. 62. a abrogé les propositions d'erreur ; il y a néanmoins quelques parlements où elles sont encore en usage, au-lieu des requêtes civiles. Voyez la Conférence de Guenais, Bornier, et REQUETE CIVILE. (A)