Delrio qui a traité fort au long de cette matière, distingue deux sortes de nécromancie. L'une qui était en usage chez les Thébains, et qui consistait simplement dans un sacrifice et un charme, ou enchantement, incantatio. On en attribue l'origine à Tirésias. L'autre était pratiquée par les Thessaliens avec des ossements, des cadavres, et un appareil tout à fait formidable. Lucain, liv. VI. en a donné une description fort étendue, dans laquelle on compte trente-deux cérémonies requises pour l'évocation d'un mort. Les anciens ne condamnaient d'abord qu'à l'exil ceux qui exerçaient cette partie de la magie ; mais Constantin décerna contre eux peine de mort. Tertullien, dans son livre de l'âme, dit qu'il ne faut pas s'imaginer que les magiciens évoquâssent réellement les âmes des morts, mais qu'ils faisaient voir à ceux qui les consultaient des spectres ou des prestiges, ce qui se faisait par la seule invocation ; ou que les démons paraissaient sous la forme des personnes qu'on désirait de voir, et cette sorte de nécromancie ne se faisait point sans effusion de sang. D'autres ajoutent que ce que les magiciens et les prêtres des temples des mânes évoquaient n'était proprement ni le corps ni l'âme des défunts, mais quelque chose qui tenait le milieu entre le corps et l'âme, que les Grecs appelaient , les Latins simulacrum, imago, umbra tenuis. Ainsi quand Patrocle prie Achille de le faire enterrer, c'est afin que les images légères des morts, , ne l'empêchent pas de passer le fleuve fatal. Ce n'étaient ni l'âme ni le corps qui descendaient dans les champs Elysées, mais ces idoles. Ulysse voit l'ombre d'Hercule dans les champs Elysées, pendant que ce héros est lui-même dans l'olympe avec les dieux immortels. Delrio, lib. IV. pag. 540. et 542. Mém. de l'acad. des Belles-Lettres, tom. VII. pag. 30.

Delrio remarque encore qu'on entend de la nécromancie ce passage du Psaumesiste, pseaume cv. Ve 28. comederunt sacrificia mortuorum. Un auteur moderne en tire l'origine de cette espèce de divination. Nous transcrirons ce qu'il en dit de principal, en renvoyant pour le reste le lecteur à l'histoire du ciel, tome premier, pag. 492, 494, etc.

" Dans les anciennes cérémonies des funérailles, dit M. Pluche, on s'assemblait sur un lieu élevé et remarquable. On y faisait une petite fosse pour consumer par le feu les entrailles des victimes. On faisait couler le sang dans la même fosse. Une partie des chairs était présentée aux ministres des sacrifices. On faisait cuire et on mangeait le reste des chairs immolées en s'asseyant autour du foyer. Dans le paganisme, tout ce cérémonial s'augmenta, et fut surchargé d'une infinité de cérémonies dans toutes les fêtes de religion ; mais pour les assemblées mortuaires rien n'y changea. Les familles, en enterrant leurs morts, étaient accoutumées à une rubrique commune qui se perpétua. On continua dans le sacrifice des funérailles à faire une fosse, à y verser du vin, de l'huile, ou du miel, ou du lait, ou d'autres liqueurs d'usage, à y faire couler ensuite le sang des victimes, et à les manger ensemble en s'asseyant autour de la fosse, et en s'entretenant des vertus de celui qu'on regrettait.

La facilité étrange avec laquelle on divinisait les moindres parties de l'univers, donne lieu de concevoir comment on prit l'habitude d'adresser des prières, des vœux, et un culte religieux à des morts qu'on avait aimés, dont on célébrait les louanges, et qu'on croyait jouir des lumières les plus pures après s'être dépouillés avec le corps des faiblesses de l'humanité. Tous les peuples, en sacrifiant soit aux dieux qu'ils s'étaient faits, soit aux morts dont la mémoire leur était chère, croyaient faire alliance avec eux, s'entretenir avec eux, manger avec eux familièrement. Mais cette familiarité les occupait surtout dans les assemblées mortuaires, où ils étaient encore pleins du souvenir des personnes qu'ils avaient tendrement aimées, et qu'ils croyaient toujours sensibles aux intérêts de leur famille et de leur patrie.

La persuasion où l'on était que par les sacrifices on consultait les dieux, on les interrogeait sur l'avenir, entraina celle que dans les sacrifices des funérailles on consultait aussi les morts. Les cérémonies de ces sacrifices mortuaires, quoiqu'elles ne fussent que la simple pratique des assemblées des premiers temps, se trouvant en tout point différentes de celles qu'on observait dans les autres fêtes, parurent être autant de façons particulières de converser avec les morts, et d'obtenir d'eux les connaissances qu'on désirait. Qui pouvait douter, par exemple, que ce ne fût pour converser familièrement avec ses anciens amis, qu'on s'asseyait autour de la fosse, où l'on avait jeté l'huile, la farine, et le sang de la victime immolée en leur honneur ? Pouvait-on douter que cette fosse, si différente des autels élevés vers le ciel, ne fût une cérémonie convenable et particulièrement affectée aux morts ? Après le repas pris en commun et auquel on supposait que les âmes participaient, venait l'interrogation ou l'évocation particulière de l'âme pour qui était le sacrifice, et qui devait s'expliquer : mais comment s'expliquait-elle ?

Les prêtres, continue le même auteur, parvinrent aisément à entendre les morts et à être leurs interpretes. Ils en firent un art dont l'article le plus nécessaire comme le plus conforme à l'état des morts, étaient le silence et les ténèbres. Ils se retiraient dans des antres profonds, ils jeunaient et se couchaient sur des peaux des bêtes immolées, de cette manière et de plusieurs autres, ils s'imaginaient apprendre de la bouche même des morts les choses cachées ou futures ; et ces folles pratiques répandirent par-tout cette folle persuasion qui s'entretient encore parmi le peuple, qu'on peut converser avec les morts, et qu'ils viennent souvent nous donner des avis : et de-là la nécromancie, mot tiré du grec, et formé de , un mort, et de , divination.

C'est ainsi, conclut le même auteur, que l'opinion des hommes sur les morts et sur les réponses qu'on en peut recevoir, ne sont qu'une interprétation littérale et grossière qu'on a donnée à des signes très-simples, et à des cérémonies encore plus simples qui tendaient à s'acquitter des derniers devoirs envers les morts ". Histoire du ciel, tome premier, pag. 492, 494, 495, 496, 498, 500 et 502. (G)