La possibilité de l'opération dont nous parlons, est établie sur la facilité avec laquelle certaines plaies de la trachée-artère, même les plus compliquées, ont été guéries : il y a peu d'observateurs qui ne nous en aient laissé des exemples remarquables et assez connus.

Cette opération convient dans plusieurs circonstances, et demande d'être pratiquée différemment, selon le cas qui l'indique. J'en juge ainsi, pour avoir rapproché plusieurs faits les uns des autres, les avoir comparés exactement, et les avoir envisagés sous plusieurs aspects différents.

Les esquinancies, ou inflammations de la gorge, qui ont résisté à tous les remèdes, ou qui menacent de suffocation, exigent cette opération. Voyez ESQUINANCIE.

Pour la pratiquer dans ce cas, il n'est pas nécessaire de faire à la peau et à la graisse une incision longitudinale, qui devrait commencer un demi-travers de doigt plus haut que la partie inférieure du cartilage cricoïde, et qui s'étendrait jusqu'au cinquième ou sixième anneau de la trachée-artère, pour séparer ensuite avec le bistouri les muscles sterno-hyoïdiens, et porter la pointe de cet instrument, ou celle d'une lancette, entre le troisième et le quatrième anneau. On peut faire cette opération par une ponction seule, qui en rendra l'exécution plus prompte, plus facîle et moins douloureuse. Pour opérer, il faut laisser le malade dans l'attitude où il respire le mieux, soit dans son lit, soit dans un fauteuil ; de crainte qu'en lui étendant ou renversant la tête, comme quelques auteurs le conseillent, on ne le suffoque. On pose le bout du doigt index de la main gauche sur la trachée-artère, entre le sternum et la partie inférieure du larynx ; on prend de la main droite une lancette, dont la lame est assujettie sur la châsse par le moyen d'une bandelette : on la tient avec le pouce, le doigt index et celui du milieu, comme une plume à écrire. On la plie transversalement dans la trachée-artère, en la faisant glisser sur l'ongle du doigt index de la main gauche, qui, appuyé sur la trachée-artère, sert en quelque façon de conducteur à la lancette. Je ne fixe pas l'entre-deux des cartilages qu'il faut ouvrir, parce que la tension de la gorge ne permet pas qu'on les compte. On pénètre fort aisément dans la trachée-artère ; qui est fort gonflée par l'air, auquel on ouvre un passage libre par la plaie qu'on y pratique. Il faut avoir soin de passer un stylet le long de la lancette avant de la retirer, et sur ce stylet on place dans la trachée-artère une canule, de façon cependant qu'on se donne de garde qu'elle ne touche la paroi opposée à l'ouverture par où elle passe. Cette canule doit être de plomb ou d'argent ; elle doit être plate, pour s'accommoder à l'entre-deux des cartilages. L'entrée doit être en forme de pavillon, et être garnie de deux petits anneaux qui servent à passer une bandelette dont on noue les extrémités à la nuque, afin d'assujettir la canule dans la trachée-artère. Ces dimensions de cette canule sont déterminées à avoir six lignes de longueur, une ligne de diamètre à son bec, qui doit être légèrement courbé et arrondi exactement ; et deux lignes et demie de largeur à l'endroit du pavillon. Cette longueur de six lignes suffit pour l'opération avec l'incision des téguments ; mais elle n'est pas suffisante lorsqu'on ne fait qu'une seule ponction commune à la peau, à la graisse et à la trachée artère. Il faut que la canule soit plutôt plus longue que trop courte, afin qu'on puisse s'en servir pour des personnes grasses ; à moins qu'on ne veuille en avoir de plusieurs dimensions pour les différentes personnes qui pourraient en avoir besoin. Voyez fig. 12. Pl. XXVI.

Le pansement consiste à mettre sur l'embouchure de la canule une petite toîle fort claire, afin que l'air puisse passer facilement à-travers ; on met une compresse fenêtrée qu'on contient par quelques tours de bande dont les circonvolutions ne portent pas sur le pavillon de la canule, que la compresse fenêtrée laisse libre. On sent que cette opération ne remédie qu'au danger de la suffocation, qui est l'accident le plus urgent ; il faut donc continuer les secours capables d'en détruire les causes. Voyez ESQUINANCIE.

Quand les accidents sont passés, on retire la canule, et on pense la plaie à plat ; elle se réunit comme une plaie simple.

L'opération de la bronchotomie convient aussi lorsqu'il y a des corps étrangers qui sont tellement engagés dans le pharynx ou dans l'oesophage, qu'on n'a pu par aucun secours les retirer ni les enfoncer, et que ces corps étrangers sont d'un volume considérable qui comprime la trachée-artère, et met le malade dans le danger d'être suffoqué. Habicot, maître chirurgien en l'université de Paris, dans un traité intitulé, question chirurgicale sur la possibilité et la nécessité de la bronchotomie, rapporte avoir fait avec succès cette opération à un garçon de quatorze ans, qui ayant oui dire que l'or avalé ne faisait point de mal, voulut avaler neuf pistoles enveloppées dans un linge, pour les dérober à la connaissance des voleurs. Ce paquet, qui était fort gros, ne put passer le détroit du pharynx ; il s'engagea dans cette partie de manière qu'on ne put le retirer ni l'enfoncer dans l'estomac. Ce jeune garçon était sur le point d'être suffoqué par la compression que ce paquet causait à la trachée-artère ; son cou et son visage étaient enflés et si noirs, qu'il en était méconnaissable. Habicot, chez qui on porta le malade, essaya envain par divers moyens de déplacer ce corps étranger. Ce chirurgien voyant le malade dans un danger évident d'être suffoqué, lui fit la bronchotomie. Cette opération ne fut pas plutôt faite, que le gonflement et la lividité du cou et de la face se dissipèrent. Habicot fit descendre le paquet d'or dans l'estomac par le moyen d'une sonde de plomb. Le jeune garçon rendit huit ou dix jours après par l'anus ses neuf pistoles à diverses reprises, il guérit parfaitement et très-promtement de la plaie de la trachée-artère. Voyez ŒSOPHAGOTOMIE.

La bronchotomie est non-seulement nécessaire pour faire respirer un malade comme dans le cas dont on vient de parler, mais encore pour tirer les corps étrangers qui se seraient glissés dans la trachée-artère. Dans cette dernière circonstance, il faut faire une incision longitudinale à la peau et à la graisse, comme nous l'avons dit au commencement de cet article, et inciser ensuite la trachée-artère en long, de façon qu'on coupe transversalement trois ou quatre cartilages, pour pouvoir saisir et tirer le corps étranger avec de petites pincettes ou autres instruments. Cette opération a été pratiquée avec succès par M. Heister, pour tirer un morceau de champignon qui s'était glissé dans la trachée-artère : et M. Raw, au rapport de cet auteur, a ouvert la trachée-artère, pour en tirer une feve qui s'y était introduite.

On voit que dans ce cas on ne pourrait pas se contenter d'une seule ponction, et qu'il faut nécessairement faire une incision ; la plaie à l'extérieur peut même être étendue de trois ou quatre travers de doigt, si le cas le requiert.

La ponction, comme je l'ai décrite, est moins avantageuse et plus embarrassante, même dans le cas de l'esquinancie, que celle qui se ferait avec un trocart armé de sa canule. On en a imaginé de petits qui sont très-commodes pour cette opération. Voyez la fig. 1. Pl. XXVIII. A leur défaut on pourrait faire faire une petite canule sur l'extrémité du poinçon d'un trocart ordinaire, en observant de le garnir depuis le manche jusqu'au pavillon de la canule, afin de ne se servir que de la longueur qui est nécessaire. Je fonde la préférence de l'opération avec le trocart, sur une observation de M. Virgili, chirurgien-major de l'hôpital de Cadix, qu'on peut lire dans un mémoire de M. Hevin sur les corps étrangers arrêtés dans l'oesophage, inséré dans le premier volume de ceux de l'académie royale de Chirurgie. Un soldat espagnol prêt à être suffoqué par une violente inflammation du larynx et du pharynx, fut porté à l'hôpital de Cadix. M. Virgili jugeant que l'unique moyen de lui sauver la vie, était de lui faire sur le champ la bronchotomie, ne crut pas, par rapport au grand gonflement, devoir préférer la simple ponction à la trachée-artère ; il fit une incision aux téguments avec le bistouri, sépara les muscles sterno-hyoïdiens, et ouvrit transversalement la trachée-artère entre deux anneaux. Cette ouverture ne fut pas plutôt faite, que le sang qui sortait des petits vaisseaux ouverts, et qui tomba dans la trachée-artère, excita une toux convulsive si violente, que la canule qu'on introduisit dans la plaie, ne put être retenue en situation, quoiqu'on la remit plusieurs fois en place.

M. Virgili qui voyait le danger auquel le malade était exposé par le sang qui continuait de couler dans la trachée-artère, dont l'ouverture, dans certains mouvements qu'excitaient les convulsions, ne se trouvait plus vis-à-vis celle de la peau, se détermina à fendre la trachée artère en long jusqu'au sixième anneau cartilagineux. Après cette seconde opération le malade respira facilement ; et le pouls, qu'on ne sentait presque point, commença à reparaitre. On fit situer le malade la tête panchée hors du lit, la face vers la terre, afin d'empêcher le sang de glisser dans la trachée-artère. M. Virgili ajusta à la plaie une plaque de plomb percée de plusieurs trous, et par ses soins le malade guérit parfaitement.

L'entrée du sang dans la trachée-artère, a été la cause des accidents terribles qui ont presque fait périr le malade dont on vient de parler. Une simple ponction avec la lancette, ne l'aurait peut-être point mis dans la triste extrémité où il a été réduit par le moyen qu'on employait pour lui sauver la vie. La ponction avec le trocart évite encore plus surement l'hémorrhagie, parce que la canule ayant plus de volume que le poinçon qu'elle renferme, comprime tous les vaisseaux que la pointe divise pour son passage.

Cette opération a été pratiquée avec succès à Edimbourg en Ecosse : le malade en reçut d'abord tout le soulagement qu'on avait lieu d'espérer ; mais la canule s'étant bouchée par l'humeur que filtrent les glandes bronchiques, le malade fut menacé d'une suffocation prochaine. Un ministre, homme de génie, qui était près du malade, conseilla l'usage d'une seconde canule, dont le diamètre serait égal à celui du poinçon d'un trocart. Cette canule fut placée dans la première ; et lorsque la matière des crachats s'opposait au passage libre de l'air, on retirait cette canule, on la nettoyait, et on la remettait en place. Cette manœuvre était très-importante pour le malade, et avait l'avantage de ne lui causer aucune fatigue. Je tiens cette observation de M. Elliot, qui l'a oui raconter à M. Monro, célèbre professeur en Anatomie et en Chirurgie à Edimbourg.

Enfin on a cru que la bronchotomie était un secours pour rappeler les noyés d'une mort apparente à la vie. La persuasion où l'on est que les noyés meurent faute d'air et de respiration, comme si on leur eut bouché la trachée-artère, est le motif de cette application ; mais il est constant que les noyés meurent par l'eau qu'ils inspirent, et dont leurs bronches sont remplies. J'ai présenté un mémoire à l'académie royale des Sciences sur la cause de la mort des noyés, où je donne le détail de plusieurs expériences et observations convaincantes sur ce point. J'ai noyé des animaux dans des liqueurs colorées, en présence de MM. Morand et Bourdelin, que l'académie avait nommés commissaires pour vérifier mes expériences, et ils ont Ve que la trachée-artère et les bronches étaient absolument pleines de la liqueur dans laquelle j'avais noyé les animaux sujets de mes démonstrations. (Y)