Les Siamais, les Japonais, les Indiens, les Nègres, les sauvages du Canada, ceux de Virginie, du Bresil, et la plupart des peuples de la partie méridionale de l'Amérique, couchent les enfants nuds sur des lits de coton suspendus, ou les mettent dans des espèces de berceaux couverts et garnis de pelletteries ; ils se contentent de couvrir et de vêtir ainsi leurs enfants sans les emmaillotter. Je ne déciderai point si leur usage conviendrait également aux nations européennes ; je crois seulement qu'il a moins d'inconvénients que le nôtre, qu'il est plus simple, plus judicieux, et plus raisonnable : j'ajoute que les peuples qui le suivent s'en trouvent très-bien, et qu'en général la nature réussit mieux dans cette occasion, que toutes nos sages-femmes et nos nourrices.

En effet notre méthode d'emmaillotter a de grands inconvéniens, et plusieurs désavantages. 1°. On ne peut guère éviter en emmaillottant les enfants, de les gêner au point de leur faire ressentir quelque douleur. Les efforts qu'ils font pour se débarrasser, sont alors plus capables de corrompre l'assemblage de leur corps, que les mauvaises situations où ils pourraient se mettre eux-mêmes s'ils étaient en liberté. Les bandages du maillot peuvent être comparés aux corps de baleine que l'on fait porter aux filles dans leur jeunesse : cette espèce de cuirasse, ce vêtement incommode qu'on a imaginé pour soutenir la taille et l'empêcher de se déformer, cause cependant plus d'incommodités et de difformités, qu'il n'en prévient. Bonne remarque de MM. Winslou et de Buffon.

2°. Si le mouvement que les enfants veulent se donner dans le maillot peut leur être funeste, l'inaction dans laquelle cet état les retient, peut aussi leur être nuisible. Le défaut d'exercice est capable de retarder l'accroissement des membres, et de diminuer les forces du corps. Ainsi les enfants qui ont la liberté de mouvoir leurs membres à leur gré, doivent être plus forts que ceux qui sont emmaillottés : c'est pour cette raison que les Péruviens laissaient les bras libres aux enfants dans un maillot fort large ; lorsqu'ils les en tiraient, ils les mettaient dans un trou fait en terre et garni de quelque chose de doux, dans lequel trou ils les descendaient jusqu'à la moitié du corps : de cette façon ils avaient les bras en liberté, et ils pouvaient mouvoir leur tête et fléchir leur corps à leur gré, sans tomber et sans se blesser.

3°. La position naturelle des épaules, des bras, et des mains d'un enfant qu'on emmaillotte, celle des pieds, des jambes, et des genoux, se dérange très-souvent, parce que l'enfant ne cesse de remuer ; de sorte que quelque attention que les nourrices aient de bien placer et de bien contenir ces parties, il peut arriver, et il n'arrive que trop souvent que les pieds se trouvent l'un sur l'autre, de même que les jambes et les genoux : alors ces membres étant mal posés, on les serre, on les bande dans cette position, de manière que la grande compression que l'on fait sur des parties encore molles, tendres, et délicates, dérange leur ordre, change leur figure et leur direction, empêche leur extension naturelle, et par-là donne occasion à des difformités qu'on éviterait, si on laissait à la nature la liberté de conduire et de diriger elle-même son ouvrage sans peine et sans contrainte.

4°. Cette compression forte sur des parties susceptibles d'impression et d'accroissement, telles que sont les membres d'un enfant nouveau-né, peut causer plusieurs autres accidents. Des embarras dans les viscères, des obstructions dans les glandes, des engorgements dans les vaisseaux, sont souvent les tristes suites de cette compression. Combien de poitrines faibles et d'estomacs débiles, parce que les vaisseaux qui distribuent les liqueurs dans ces viscères, sont privés de leur ressort pour avoir été trop comprimés dans le maillot ?

5°. Les enfants nouveaux-nés, comme le remarque encore M. de Buffon, dorment la plus grande partie du jour et de la nuit dans les premiers temps de leur vie, et semblent n'être réveillés que par la douleur et par la faim : aussi les plaintes et les cris succedent presque toujours à leur sommeil. Obligés de demeurer dans la même situation, et toujours contraints par les entraves du maillot, cette situation leur devient fatigante et douloureuse après un certain temps ; ils sont mouillés et souvent refroidis par leurs excréments, dont l'âcreté offense leur peau qui est fine et délicate, et par conséquent très-sensible. Dans cet état les enfants ne font que des efforts impuissants ; ils n'ont dans leur faiblesse que l'expression des gémissements, pour demander du soulagement ; si on les abandonne, si on leur refuse un prompt secours, alors ces petits infortunés entrent dans une sorte de désespoir, ils font tous les efforts dont ils sont capables, ils poussent des cris qui durent autant que leurs forces ; enfin ces excès leur causent des maladies, ou du moins les mettent dans un état de fatigue et d'abattement, qui dérange leur constitution, et qui peut même influer sur leur caractère.

C'est un bonheur quand la nourrice est assez tendre et assez active, pour secourir un peu fréquemment l'enfant gémissant confié à ses soins ; mais le nombre et la longueur des bandages, la peine que trouve cette nourrice à défaire et à remettre perpétuellement ces bandes, l'empêche de visiter, de remuer, de changer ce malheureux enfant aussi souvent que le besoin l'exige ; devenue par l'habitude insensible à ses cris, elle le laisse longtemps dans ses ordures, et se contente de le bercer pour l'endormir. En un mot, il n'y a que la tendresse maternelle qui soit capable de cette vigilance continuelle, et de ces sortes d'attentions, qui sont ici si nécessaires : peut-on l'espérer dans les villes et dans les campagnes, de nourrices grossières et mercenaires, qui prennent à l'enfant un médiocre intérêt ? peut-on même s'en flatter toujours dans sa maison et dans son domestique ?

Il faudrait donc prévenir sérieusement les accidents que je viens de détailler, en tâchant de suppléer au maillot par de meilleures ressources ; et ce n'est pas une chose indifférente à la société, qu'une recherche de cette espèce : en attendant qu'un digne citoyen s'y dévoue, indiquons au moins quelques sages précautions qu'on doit suivre dans la méthode ordinaire de l'emmaillottement.

Pour bien emmaillotter un enfant, il convient d'abord de lui coucher le corps en ligne directe, puis lui étendre également les bras et les jambes, ensuite tourner autour du corps les langes et les bandes en petit nombre sans les trop tirer, car il faut qu'elles ne fassent que contenir simplement ce qu'elles environnent, surtout la poitrine et l'estomac qui doivent être à leur aise. Souvent les vomissements et la difficulté de respirer des enfants, viennent de ce que dans le maillot on leur serre trop la région de ces deux viscères ; il est difficîle pour lors que les vomissements ne succedent, parce que le foie proportionnellement plus grand dans les enfants que dans les adultes, étant comprimé, presse le fond de l'estomac et en produit le renversement convulsif ; il est difficîle aussi que les poumons s'étendent convenablement pour la respiration.

Quand on emmaillotte un enfant, il est bon de tourner chaque jour les bandes d'une manière différente de celle dont on les a tournées le jour précédent, c'est-à-dire les tourner un jour de droite à gauche, et l'autre jour de gauche à droite, afin d'éviter dans la taille et dans les extrémités une conformation vicieuse.

Je conseille encore beaucoup d'avoir soin de placer les membres d'un enfant dans une situation droite à chaque tour de bande, pour éviter les inconvénients qui résulteraient d'une fausse position ; inconvénients qui peuvent influer sur sa santé, et qui influent certainement sur la conformation du corps. Plusieurs enfants ne sont souvent cagneux, et n'ont les pieds en-dedans, que par la mal-façon de l'emmaillottement. Par exemple, les nourrices en emmaillottant les enfants, leur fixent d'ordinaire les pieds pointe contre pointe, au lieu de les fixer plutôt talon contre talon, comme elles pourraient faire aisément par le moyen d'un petit coussin, engagé entre les deux pieds de l'enfant, et figuré en forme de cœur, dont la pointe serait mise entre les deux talons de l'enfant, et la base entre les deux extrémités des pieds.

Il est aussi très-essentiel de changer souvent les bandes et les langes, pour éviter la malpropreté et conserver à l'enfant sa gaieté et sa santé. La longueur des langes et la multiplicité de leurs tours, est une méthode qui entraîne plusieurs inconvéniens, et ne produit aucun avantage : on ne saurait trop simplifier une opération dont l'exécution doit être répétée perpétuellement nuit et jour, en tous lieux, et par toutes sortes de mains.

Enfin quand l'enfant est emmaillotté avec le soin et les réserves que nous venons d'indiquer, il y a deux précautions principales à avoir ; l'une, lorsqu'on le pose dans le berceau ; et l'autre, lorsqu'on le tient entre les bras. La première précaution est de le coucher de manière que son corps ne porte point à faux ; sans cela on expose la taille de l'enfant à contracter quelque bosse. La seconde est de le porter tantôt sur un bras, tantôt sur l'autre, de peur qu'étant toujours porté sur un même bras, il ne se panche toujours d'un même côté, ce qui peut lui rendre la taille de travers. Je ne dis rien ici que de simple et de facîle à concevoir, mais je parle de choses utiles et qui intéressent tout le monde. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.