Auguste étendit le premier le dénombrement à toutes les provinces de l'empire, et il fit faire trois fois ce dénombrement général : la première fut l'année de son sixième consulat, l'an 28 avant l'ère chrétienne : la seconde, l'an 8 avant cette même ere, et la troisième et dernière fais, l'an 14 de l'ère chrétienne. Dans ce troisième dénombrement, pour le dire en passant, le nombre des citoyens de l'empire en état de porter les armes, se trouva monter à quatre millions 137 mille. Tacite, Suétone, et Dion Cassius, parlent du registre d'Auguste contenant toute la description particulière, qui fut dressée dans les provinces en vertu de ses ordres.

Ces divers dénombrements d'Auguste nous intéressent beaucoup, parce que ce fut en vertu du decret de cet empereur, qui ordonna le deuxième dénombrement l'an 8 avant l'ère chrétienne, que Joseph et Marie se rendirent à Bethléem pour être inscrits ; et que ce fut pendant leur séjour que Marie accoucha, et que Notre-Seigneur, par qui le monde devait être sauvé, naquit dans cette ville de la manière que le racontent les évangélistes.

Auguste, trois ans avant la naissance de Notre-Sauveur, ayant ordonné son dénombrement pour tous les états de sa dépendance, chargea de cette commission chaque gouverneur de province dans son département. Sextius Saturninus, alors président de Syrie, eut dans le sien outre sa province, les états et les tétrarchies qui en dépendaient : or au bout de trois ans, depuis la date du decret, il se trouva parvenu à la partie de son département dans laquelle Bethléem était renfermée. Mais quoique son enregistrement se fit alors pour la Judée, et qu'on y marquât exactement le bien de chaque particulier, par rapport aux taxes, cependant il ne se leva de taxes en Judée, de la part des Romains, que douze ans après. Jusqu'alors Hérode ou Archelaus ayant été rois du pays, la Judée ne payait de taxes qu'à eux ; ensuite Archelaus ayant été déposé, et la Judée mise sous le gouvernement d'un procurateur Romain, on commença à payer des taxes directement aux Romains ; et ce fut Publius Sulpicius Quirinus, qu'on appelait Cyrinus en grec, qui se trouva alors gouverneur, c'est-à-dire président de Syrie.

De cette manière, les narrés de Joseph et de S. Luc se concilient parfaitement. " En ce temps-là (dit l'évangéliste, chap. IIe Ve 1 et 2.) il fut publié un édit de la part de César-Auguste, pour faire un dénombrement de tout le pays. (Ce dénombrement s'exécuta avant que Cyrinus fût gouverneur de Syrie ".)

En effet, l'an 8. de J. C. Archelaus ayant gouverné ses sujets avec beaucoup de tyrannie, des députés des Juifs et des Samaritains vinrent s'en plaindre à Rome devant Auguste. On le manda pour rendre compte de sa conduite ; il comparut en l'an 8 de Jesus-Christ ; et n'ayant pas pu se justifier des crimes dont on l'accusait, Auguste le déposa. Ses biens furent confisqués, et lui relégué à Vienne en Gaule, après avoir régné dix ans en Judée.

En même temps Auguste nomma préteur de Syrie Publius Sulpicius Quirinus, le même que S. Luc, en suivant la prononciation grecque, appelle Cyrinus, et l'envoya en Orient, avec ordre de prendre possession des états qu'il venait d'ôter à Archelaus, et de les réduire en forme de province romaine. Coponius, chevalier Romain, fut envoyé avec lui pour la gouverner, avec le titre de procurateur de la Judée. En arrivant à Jérusalem, ils firent saisir tous les effets d'Archelaus, confisqués par la sentence d'Auguste. Après cela ils changèrent l'ancienne forme de gouvernement, abolirent presque toutes les coutumes des Juifs, et établirent les lois romaines. Coponius, au nom d'Auguste, prit l'administration de ce gouvernement, avec la subordination à Quirinus, président de la province de Syrie, à laquelle la Judée fut annexée. On ôta ensuite aux Juifs le pouvoir d'infliger des peines capitales, et ce pouvoir fut entièrement réservé au procurateur, et à ses officiers subalternes.

On avait fait onze ans auparavant un inventaire général des effets de tous les particuliers, sous Sextius Saturninus : mais ce ne fut que sous le gouvernement de Cyrinus, président de Syrie, quand la Judée eut été réduite en province, qu'on leva des taxes immédiatement pour les Romains, suivant l'évaluation du registre formé précédemment. La manière de lever ces taxes causa de si grands tumultes, dont on peut s'instruire dans Josephe (Antiq. liv. XVIII. ch. j. et ij.) que S. Luc a mis en parenthèse la distinction de ces deux dénombrements, pour qu'on ne les confondit pas ensemble. Au surplus, de quelque manière qu'on lève la difficulté du passage de saint Luc, personne n'ignore que les dénombrements d'Auguste et de ses successeurs, ne furent faits que pour connaître leur puissance, et cimenter leur tyrannie. Mais que d'avantages naitraient d'un dénombrement général des terres et des hommes, dans lequel on se proposerait pour but d'étendre le commerce d'un état, le progrès des manufactures, la population, la circulation des richesses, d'établir une juste distribution des impôts, en un mot d'augmenter l'aisance et le bonheur des particuliers ! Que de connaissances différentes seraient acquises à la suite d'un dénombrement fait dans une si belle vue ? que d'erreurs disparaitraient ? que de vérités utiles prendraient leur place ?

Il résulte au moins de ce détail, que la critique et l'étude de l'histoire profane, outre leur utilité particulière, donnent des lumières à la Théologie pour l'intelligence de l'Ecriture-sainte ; et il est important de le remarquer, afin de ranimer, s'il est possible, le goût de l'érudition prêt à s'éteindre dans un siècle dominé par la paresse, et par l'attachement aux choses frivoles qui ne coutent ni soin ni peine. Art. de M(D.J.)

DENOMBREMENT : (Jurisprudence) appelé par Dumolin renovatio feudi, est une déclaration par écrit que le vassal donne à son seigneur, du fief et de toutes ses dépendances, qu'il tient de lui en foi et hommage.

On l'appelle aussi aveu, et quelquefois aveu et dénombrement, comme si ces termes étaient absolument synonymes ; cependant le terme de dénombrement ajoute quelque chose à celui d'aveu, lequel semble se rapporter principalement à la reconnaissance générale qui est au commencement de l'acte : au lieu que le terme de dénombrement se rapporte singulièrement au détail qui est fait ensuite des dépendances du fief.

L'objet pour lequel on oblige le vassal de donner un dénombrement, est que la foi et hommage suffirait bien pour conserver la mouvance en général ; mais sans l'aveu on n'en connaitrait point les droits, et il pourrait s'en perdre plusieurs.

Le dénombrement doit être donné par le vassal, c'est-à-dire par le propriétaire du fief servant, et non par l'usufruitier.

Si le fief servant appartient par indivis à plusieurs personnes, ils doivent tous donner ensemble leur aveu ; et supposé que quelqu'un d'eux eut négligé de le faire, un autre peut donner son aveu pour la totalité, afin de ne pas souffrir de la négligence de son co-propriétaire.

Si le fief servant est partagé, chacun des propriétaires donne son aveu séparément.

Le tuteur qui a obtenu souffrance pour ses mineurs, doit donner son dénombrement quarante jours après ; et les mineurs à leur majorité n'en doivent pas d'autre : il suffit qu'ils ratifient celui de tuteur.

Le mari peut donner seul son aveu pour un fief de la communauté ; mais si c'est un propre de la femme, il faut qu'elle signe l'aveu, autorisée à cet effet par son mari.

Le gardien n'est pas obligé de donner un aveu, parce qu'il n'est qu'usufruitier.

L'aveu et le dénombrement est dû au seigneur dominant à toutes les mutations de vassal. Il n'en est pas dû aux mutations de seigneur ; si le nouveau seigneur en veut avoir un, il le peut demander : mais en ce cas l'acte est à ses dépens.

La foi et hommage doivent toujours précéder le dénombrement ; mais l'acte de la foi et hommage peut contenir aussi le dénombrement.

Le vassal n'a que quarante jours pour le fournir, à compter du jour qu'il a été reçu en foi et hommage.

Le seigneur dominant peut saisir le fief servant, faute de dénombrement ; mais cette saisie n'emporte pas perte de fruits.

Quand le vassal n'a point connaissance de ce qui compose son fief, il peut obliger le seigneur de l'aider de ses titres, et de lui donner copie des anciens dénombrements ; le tout néanmoins aux frais du vassal.

Le dénombrement doit être donné par écrit.

Il faut qu'il soit sur parchemin timbré dans les pays où l'on se sert de papier timbré.

L'acte doit être passé devant deux notaires, ou un notaire et deux témoins.

Il doit contenir un détail du fief article par article ; marquer le nom du fief, s'il en a un ; la paraisse et le lieu où il est situé ; la justice, s'il y en a une ; le chef-lieu ou principal manoir ; les autres bâtiments qui en dépendent ; les terres, prés, bois, vignes, étangs, dixmes, champarts, cens, rentes, servitudes, corvées, arriere-fiefs ; et autres droits, comme de banalité, de péage, forage, etc.

Le nouveau dénombrement doit être conforme aux anciens autant que faire se peut ; mais si le vassal ne jouit plus de tout ce qui était dans les anciens, il n'est pas obligé de le reconnaître.

Le vassal doit signer le dénombrement, ou le faire signer par un fondé de procuration spéciale.

Le seigneur peut se contenter d'un dénombrement sur papier commun et sous seing privé ; l'acte est également obligatoire contre le vassal, mais il n'est pas authentique.

Les anciens aveux ne sont point la plupart revêtus de tant de formalités que ceux d'aujourd'hui ; ils ne laissent pas d'être valables, pourvu qu'ils soient revêtus des formalités qui étaient usitées lors de la passation de l'acte.

Lorsqu'il s'agit d'établir quelque droit onéreux par le moyen d'un seul aveu, il faut que cet aveu pour être réputé ancien, ait du moins cent ans. Il y a néanmoins quelquefois des aveux moins anciens auxquels on a égard : cela dépend des circonstances et de la prudence du juge.

Il est libre au vassal de ne donner qu'un seul aveu pour plusieurs fiefs, lorsqu'ils relèvent tous du même seigneur, et à cause d'une même seigneurie.

Le nouveau dénombrement doit être donné au propriétaire du fief dominant : s'ils sont plusieurs, on le donne à l'ainé, ou à celui qui a la principale portion.

Le vassal peut l'envoyer par un fondé de procuration spéciale.

Si le seigneur est absent, on donne l'aveu à son procureur-fiscal ; et en cas d'absence de l'un et de l'autre, on dresse procès-verbal.

Il est à-propos que le vassal en remettant son dénombrement en tire une reconnaissance par écrit.

Les aveux et dénombrements dû. au Roi doivent être présentés à la chambre des comptes pour les fiefs qui sont dans l'étendue du bureau des trésoriers de France de Paris. A l'égard des autres, la chambre en renvoye la vérification aux bureaux du ressort, après quoi ils sont reçus en la chambre.

Le dénombrement étant présenté, le seigneur doit le recevoir ou le blâmer dans les quarante jours suivants, c'est-à-dire déclarer qu'il en est content, ou bien le débattre et le contredire dans les articles où il est défectueux. Voyez BLAME.

On met ordinairement dans les aveux la clause, sauf à augmenter ou diminuer ; et quand elle n'y serait pas, elle y est toujours sousentendue : de sorte que le vassal peut en tout temps ajouter à son aveu ce qu'il a omis. Mais s'il veut le diminuer ou le réformer en quelque point au préjudice du seigneur, et que celui-ci s'y oppose, il faut que le vassal obtienne des lettres de rescision contre son aveu.

Quand le dénombrement est en forme authentique, il fait foi même contre des tiers de tout ce qui y est énoncé, mais il ne sert de titre qu'entre le seigneur et le vassal, leurs héritiers ou ayans cause ; c'est un titre commun pour eux, au lieu que par rapport à des tiers il ne peut pas leur préjudicier, étant à leur égard res inter alios acta ; il sert seulement de demi-preuve ; et quand il est ancien, il forme une preuve de possession.

Le seigneur ne peut contester à son vassal les qualités et droits qu'il lui a passés dans son aveu et dénombrement ; mais si le vassal y avait compris quelques héritages du seigneur, ce dernier ne serait pas pour cela non-recevable à les reclamer, à moins que le vassal ne les eut prescrit par 30 ans.

Si le vassal est poursuivi par un autre seigneur, il doit dénoncer cette prétention à celui qui a reçu son dénombrement, celui-ci étant son garant en ce qui regarde la foi et hommage ; il peut même prendre le fait et cause de son vassal pour tous les objets qu'il prétend être dépendants du fief mouvant de lui ; mais s'il ne veut pas entrer dans cette discussion concernant le domaine du fief, il n'est garant, comme on l'a dit, que de la foi et hommage. Voyez les commentateurs de la coutume de Paris sur l'article 8 et suivant ; le traité des fiefs de M. Guyot, tit. de l'aveu et dénombrement ; le traité des fiefs de Billecoq, liv. VII. (A)

DENOMBREMENT D'UNE ARMEE, (Art militaire) c'est l'évaluation du nombre de troupes dont elle est composée. On sait que cette évaluation se fait par le nombre des bataillons et des escadrons dont elle est formée ; mais comme le nombre d'hommes de chacun de ces corps de troupes n'est pas toujours le même, il s'ensuit qu'on ne sait pas exactement le nombre de combattants d'une armée, quoiqu'on sache celui de ses bataillons et de ses escadrons.

Le maréchal de Puységur n'approuve pas cette manière de dénombrement. Son avis est qu'on devrait exprimer la force d'une armée par le nombre de milliers d'hommes de pied et de cheval qu'elle contient, ainsi qu'on le pratique dans les traités que l'on fait avec les princes qui s'engagent de fournir un certain nombre de troupes. Voyez le premier volume de l'art de la guerre, pag. 241. (Q)