Avant que l'usage de l'écriture fût devenu commun, on appelait lettres toutes sortes d'actes : quelques-uns ont encore conservé ce nom, comme les lettres royaux ou lettres de chancellerie, les lettres patentes, les lettres de cachet, les lettres de garde-gardienne ; et dans quelques tribunaux, comme au châtelet de Paris, on dit encore donner lettres, pour dire donner acte.

C'est de-là que s'est formé le mot contre-lettre, pour exprimer un acte par lequel on reconnait qu'un acte précédent ou quelques-unes de ses clauses sont simulés.

Comme la verité est une dans son langage, et que l'on ne devrait jamais tenir d'autre langage dans les actes, les contre-lettres devraient être proscrites, étant presque toujours faites pour tromper quelqu'un ; c'est pourquoi Pline le jeune, liv. V. ep. j. rapporte qu'étant sollicité par son fils de passer un acte simulé dont son fils offrait de faire une contre-lettre, il le refusa ; Curianus filius orabat ut sibi donarem portionem meam, seque praejudicio juvarem, eandem tacitâ conventione salvam mihi pollicebatur ; respondebam non convenire moribus meis, aliud palàm, aliud agère secreto.

Il y a néanmoins des cas où les contre-lettres peuvent avoir un objet fort légitime et fort innocent, comme quand un homme qui veut faire faire sur lui un decret volontaire, passe à cet effet une obligation simulée au profit du poursuivant, dont celui-ci lui passe une contre-lettre.

Quoi qu'il en sait, les contre-lettres sont permises en général : il en est parlé dans la coutume de Paris, art. 258. dans celle de Berri, tit. Ve art. 51. et Calais, art. 59. mais elles sont peu favorables, surtout lorsqu'elles paraissent faites en fraude de quelqu'un.

On passe ordinairement la contre-lettre devant notaire, et au même instant que l'acte auquel elle est relative, afin de lui donner une date certaine contre des tiers, et que la relation des deux actes soit mieux marquée. On peut cependant passer la contre-lettre quelque temps après ; car il est permis en tout temps de reconnaître la vérité : la contre-lettre est seulement plus suspecte lorsqu'elle est ainsi faite après coup ; et lorsqu'elle est seulement sous seing privé, comme cela se peut faire hors le cas de contrat de mariage, elle ne laisse pas d'être valable entre ceux qui l'ont passée ; toute la différence est qu'elle n'a point de date certaine contre des tiers.

Un des cas où les contre-lettres peuvent être le plus préjudiciables, c'est par rapport aux contrats de mariage ; car c'est sur la foi de ces contrats que deux personnes s'unissent, et que deux familles s'allient : c'est pourquoi les contre-lettres qui tendent à anéantir ou à changer quelque clause du contrat de mariage, doivent être passées devant notaire, afin qu'elles aient une date certaine, et que les conjoints ne puissent par ce moyen se faire aucun avantage, ni déroger à leurs conventions matrimoniales par un acte qui serait postérieur au mariage.

Il faut aussi, suivant l'art. 258. de la coutume de paris, que ces sortes de contre-lettres soient passées en présence de tous les parents qui ont assisté au contrat de mariage ; autrement le contrat ne serait censé avoir été fait que pour en imposer à la famille, et la contre-lettre serait nulle, même par rapport aux conjoints qui l'auraient signée.

La raison est que souvent les futurs conjoints, épris d'une folle passion l'un pour l'autre, renonceraient inconsidérément à tout ce que les parents auraient stipulé pour leurs intérêts, et que d'ailleurs les contrats de mariage ne regardent pas seulement les futurs conjoints, mais aussi les enfants qui en peuvent venir.

On doit y appeler les parents, tant du mari que de la femme, qui ont signé au contrat, lorsque la contre-lettre les intéresse également. Mais si l'avantage résultant de la contre-lettre n'est qu'au profit d'un des conjoints, il suffit d'appeler les parents de l'autre conjoint qui ont signé au contrat de mariage.

Les arrétés de M. le premier président de Lamoignon, tit. de la commun. des biens, art. 5. et 6. portent que toutes contre-lettres faites au préjudice de ce qui a été convenu et accordé par le contrat de mariage, sont nulles, et même à l'égard de ceux qui ont signé les contre-lettres ; que les conjoints ne peuvent durant le mariage y déroger par aucun acte, de quelque qualité qu'il sait, même en la présence et par l'avis de tous les parents qui ont assisté au contrat de mariage, quand même la réformation serait faite pour réduire les conventions au droit commun de la coutume ; mais que les contre-lettres faites devant notaires avant la célébration du mariage, du consentement des futurs conjoints, en présence de leurs principaux et plus proches parents, sont valables.

Au reste les conditions et formalités que l'on exige pour ces sortes de contre-lettres, ne sont nécessaires que quand il s'agit d'un acte qui donne atteinte au contrat de mariage ; car si la contre-lettre était, par exemple, une promesse de la part des parents d'augmenter la dot, ou seulement une explication de quelque clause obscure et douteuse, sans préjudicier aux droits résultants du contrat, l'acte serait valable, et serait moins considéré comme une contre-lettre que comme une addition faite au contrat de mariage.

Il y a des cas où les contre-lettres sont prohibées ; savoir,

1°. Pour l'acquisition des charges et pratiques de procureurs, suivant l'arrêt du 7 Décembre 1691, code Gillet.

2°. Les comptables ne peuvent user de contre-lettres au fait de leurs charges, à peine d'amende arbitraire, Déclarat. du 16 Mai 1532. Fontanon, tome I. page 630.

3°. Il est aussi défendu par un arrêt du 3 Mars 1663, rapporté au journal des audiences, de faire aucunes contre-lettres contre les contrats de fondation et dotation des couvents et communautés séculières ou régulières, à peine de 10000 livres d'amande ; defenses sont faites aux notaires de les recevoir, à peine de faux, et de 2000 livres d'amende.

4°. Une contre-lettre ou déclaration qu'une rente n'est point dû., n'a point d'effet contre un tiers à qui la rente a été cédée. Journ. des aud. tome I. liv. II. ch. cxvij.

Voyez les arr. de Louet, tome I. lett. C. n. 28. le tr. des conventions de succéder par Boucheul, chap. VIIe (A)