Nous avons de lui huit livres de l'histoire de Florence, sept livres de l'art de la guerre, quatre de la république, trois de discours sur Tite-Live, la vie de Castruccio, deux comédies, et les traités du prince et du sénateur.

Il y a peu d'ouvrages qui aient fait autant de bruit que le traité du prince : c'est-là qu'il enseigne aux souverains à fouler aux pieds la religion, les règles de la justice, la sainteté des pacts et tout ce qu'il y a de sacré, lorsque l'intérêt l'exigera. On pourrait intituler les quinzième et vingt-cinquième chapitres, des circonstances où il convient au prince d'être un scélérat.

Comment expliquer qu'un des plus ardents défenseurs de la monarchie soit devenu tout-à-coup un infâme apologiste de la tyrannie ? le voici. Au reste, je n'expose ici mon sentiment que comme une idée qui n'est pas tout à fait destituée de vraisemblance. Lorsque Machiavel écrivit son traité du prince, c'est comme s'il eut dit à ses concitoyens, lisez bien cet ouvrage. Si vous acceptez jamais un maître, il sera tel que je vous le peins : voilà la bête féroce à laquelle vous vous abandonnerez. Ainsi ce fut la faute de ses contemporains, s'ils méconnurent son but : ils prirent une satyre pour un éloge. Bacon le chancelier ne s'y est pas trompé, lui, lorsqu'il a dit : cet homme n'apprend rien aux tyrants, ils ne savent que trop bien ce qu'ils ont à faire, mais il instruit les peuples de ce qu'ils ont à redouter. Est quod gratias agamus Machiavello et hujus modi scriptoribus, qui apertè et indissimulanter proferunt quod homines facère soleant, non quod debeant. Quoi qu'il en sait, on ne peut guère douter qu'au moins Machiavel n'ait pressenti que tôt ou tard il s'éleverait un cri général contre son ouvrage, et que ses adversaires ne réussiraient jamais à démontrer que son prince n'était pas une image fidèle de la plupart de ceux qui ont commandé aux hommes avec le plus d'éclat.

J'ai ouï dire qu'un philosophe interrogé par un grand prince sur une réfutation qu'il venait de publier du machiavelisme, lui avait répondu : " sire, je pense que la première leçon que Machiavel eut donné à son disciple, c'eut été de réfuter son ouvrage ".