Du temps de Polybe les camps des Romains étaient toujours carrés : mais du temps de Végece, qui a écrit plusieurs siècles après, ils avaient différentes figures relatives à celle des terrains que les armées devaient occuper.

Le général se campait dans l'endroit du camp le plus avantageux, pour découvrir tout ce qui s'y passait et pour envoyer ses ordres. Les troupes romaines et celles des alliés étaient distribuées en différentes parties de cavalerie et d'infanterie ; de manière qu'elles avaient, pour ainsi dire, chacune une espèce de quartier séparé : ces camps étaient toujours entourés d'un retranchement formé d'un fossé et d'un parapet, dont la terre était soutenue par des pieux ou palissades, que les soldats portaient avec eux pour cet effet dans les marches.

Cette police des Romains était oubliée en Europe, lorsque le fameux Maurice prince d'Orange, songea à la rétablir, ou plutôt à l'imiter vers la fin du XVIe et le commencement du XVIIe siècle. On ne peut douter que les troupes n'aient toujours eu une sorte de camp pour se mettre à l'abri du mauvais temps, et se reposer des fatigues militaires : mais le silence des historiens sur ce sujet, nous laisse ignorer absolument l'ordre qu'on pouvait y observer.

Le père Daniel, qui a fait de savantes recherches sur tout ce qui concerne notre milice ancienne et moderne, croit que ce fut dans les guerres d'Italie sous Charles VIII. et Louis XII. que nos généraux apprirent à se retrancher en campagne, de manière à rendre le camp inaccessible à l'ennemi.

Le plus célèbre et le plus ancien que nous connaissions est celui du maréchal Anne de Montmorency à Avignon. " Il le fit de telle sorte, dit l'auteur qu'on vient de nommer, " que l'empereur Charles V. étant descendu en Provence, n'osa jamais l'attaquer, nonobstant la grande envie qu'il avait d'en venir à une action décisive ; et ce fut cette conduite du maréchal qui sauva le royaume ".

Dans les guerres civiles qui s'élevèrent en France après la mort d'Henri II. on n'observait, suivant la Noue dans ses discours politiques et militaires, aucune règle dans le campement des armées. On distribuait les troupes dans les villages ou les petites villes les plus voisines du lieu où l'armée se trouvait ; ou bien on campait en plaine campagne avec quelques tentes, qu'on plaçait sans arrangement régulier. On se fortifiait avec les chariots de l'armée dont on faisait une espèce de retranchement : mais les troupes n'étaient pas dans cette sorte de camp à portée de se mouvoir avec ordre pour s'opposer aux attaques imprévues de l'ennemi ; elles y manquaient d'ailleurs de la plupart des commodités et des subsistances nécessaires : aussi ne campaient-elles de cette façon que rarement et pour très-peu de temps. L'attention des généraux était de pouvoir occuper différents villages assez proches les uns des autres, pour se soutenir réciproquement : mais comme il n'était pas aisé d'en trouver ainsi lorsque les armées étaient nombreuses, il arrivait souvent que l'ennemi enlevait ou détruisait plusieurs de ces quartiers avant qu'ils pussent être secourus des autres plus éloignés.

Les Hollandais s'étant soustraits à l'obéissance de la maison d'Autriche vers l'an 1566, ce peuple, qui ne pouvait par lui-même opposer des armées égales à celles que l'Espagne était en état d'employer pour le réduire, chercha à suppléer au nombre des soldats par l'excellence de la discipline militaire : les princes d'Orange s'y appliquèrent avec le plus grand succès, et il parait assez constant qu'on leur doit le rétablissement de cette discipline en Europe. Les camps furent un des principaux objets de Maurice de Nassau, il voulut y faire renaître l'ordre et la police des Romains. Son camp, tel que le décrit Stevin dans sa castramétation, était une espèce de carré ou de carré long distribué en différentes parties appelées quartiers. Celui de ce prince en occupait à-peu-près le milieu ; l'artillerie et les vivres avaient aussi le leur, de même que les différentes troupes ou régiments dont l'armée était composée. L'étendue ou le front de ces quartiers se proportionnait au nombre des troupes qui devaient les occuper ; pour leur profondeur, elle était toujours de 300 pieds.

Une compagnie de 100 soldats occupait deux files de huttes ou petites baraques. Chaque fîle avait 200 pieds de longueur et 8 de largeur ; elles étaient séparées par une rue aussi de 8 pieds. Le capitaine campait à la tête de sa compagnie, et les vivandiers à la queue, comme ils le font encore aujourd'hui. Le colonel avait pour logement un espace de 64 pieds de front, au milieu du rang des tentes des capitaines. Derrière cet espace régnait une rue de pareille largeur, qui séparait le régiment en deux parties égales. La partie qui en restait après l'emplacement des tentes du colonel et de son équipage, servait à camper le ministre, le chirurgien, etc.

La cavalerie campait à-peu-près dans le même ordre que l'infanterie. Une compagnie de 100 chevaux avait deux files de huttes de 200 pieds de profondeur et de 10 de largeur, lesquelles étaient séparées par un espace de 50 pieds. Les chevaux formaient deux files dans cet espace, placées chacune parallèlement et à la distance de 5 pieds des huttes. Le capitaine campait à la tête de sa compagnie, et le colonel au milieu de ses capitaines, comme dans l'infanterie. Le camp était entouré, ainsi que celui des Romains, d'un fossé et d'un parapet. Cet ouvrage se distribuait à toutes les troupes de l'armée, et chaque régiment en faisait une partie proportionnée au nombre d'hommes dont il était composé. On observait de laisser un espace vide de 200 pieds de largeur entre le retranchement du camp et ses différents quartiers, afin d'y placer les troupes en bataille dans le besoin.

Cette disposition ou formation de camp passa ensuite dans la plupart des autres états de l'Europe ; elle a sans-doute été observée en France, car on la trouve décrite dans plusieurs auteurs, notamment dans le livre de la doctrine militaire, donné en 1667 par le sieur de la Fontaine, ingénieur du roi ; et dans les travaux de Mars, par Alain Manesson Mallet.

Il parait cependant par plusieurs mémoires du régne de Louis XIII. et de la minorité de Louis XIV. que nos armées ne campaient pas toujours ensemble, comme ces auteurs le prescrivent, mais en différents quartiers séparés, qui portaient chacun le nom de l'officier qui les commandait. Il y a un grand nombre d'exemples de ces sortes de camps dans la vie de M. de Turenne, les mémoires de M. de Puysegur, etc. Il en résulte que si les règles dont on vient de parler avaient d'abord été observées, on les avait ensuite négligées. Cette conjecture se trouve fortifiée par ce que le P. Daniel rapporte dans son histoire de la milice française, au sujet de l'arrangement régulier de nos camps. Il y dit que " dans un mémoire qui lui a été fourni sur le régiment du roi, on trouve que le sieur Martinet, qui fut lieutenant-colonel, puis colonel du régiment, commença à établir ou rétablir la manière régulière de camper ". Ce qui semble indiquer assez clairement qu'on avait précédemment observé une méthode régulière qui n'était plus d'usage. Quoi qu'il en sait, cet officier faisait diviser le camp de son régiment par des rues tirées au cordeau ; il le fit ainsi camper aux Pays-Bas à la campagne de 1667, et mettre en faisceaux toutes les armes à la tête des bataillons. Le roi ayant trouvé cette méthode fort belle, la fit, dit-on, pratiquer aux autres troupes. Il est vraisemblable que c'est-là l'origine de la disposition actuelle de nos camps ; et que comme elle ne s'est apparemment établie qu'insensiblement dans les différents corps des troupes du roi, l'auteur des travaux de Mars n'en était pas encore instruit lors de la seconde édition de son livre en 1684, quoiqu'elle fût alors généralement suivie : c'est ce qui est évident par le traité de l'Art de la guerre, de M. de Gaya, capitaine au régiment de Champagne, imprimé pour la première fois en 1679. On y trouve à-peu-près les mêmes règles qu'on observe encore aujourd'hui dans le campement des armées ; mais alors les soldats et les cavaliers n'avaient point de tentes ou canonières. Cet auteur marque précisément qu'ils se baraquaient, et il ne parle de tentes que pour les officiers ; ainsi l'usage des canonières pour les soldats et les cavaliers, est postérieur à 1679. Il y a apparence qu'il ne s'est entièrement établi que dans la guerre terminée par le traité de Riswick en 1697.

Nos camps diffèrent particulièrement de ceux des princes d'Orange, en ce que les troupes y sont campées sur deux ou trois lignes, l'infanterie au centre et la cavalerie sur les ailes ; et que la tête ou le front du camp est entiérement libre, pour que l'armée puisse s'y mettre en bataille en sortant du camp. Les officiers sont placés à la queue de leur troupe ; l'artillerie est assez ordinairement un peu en-avant du centre de la première ligne ; et les vivres entre la première et la seconde ligne, vers le milieu de l'armée. Nos officiers généraux ne campent plus comme le faisaient ces princes : ils occupent les villages qui se trouvent renfermés dans le camp, ou qui en sont fort proches ; ce qui est regardé comme un inconvénient par bien des gens, en ce que par-là ils se trouvent quelquefois éloignés des corps qu'ils doivent commander, et qu'ils augmentent le nombre des gardes de l'armée.

Pour le camp, il n'est défendu ou fortifié que par une espèce d'enceinte formée de différentes troupes de cavalerie et d'infanterie, qu'on a substituée aux retranchements des anciens, quoique leur usage en cela, suivant les plus habiles militaires, fût infiniment supérieur au nôtre, non-seulement pour la sûreté du camp, mais encore pour diminuer la fatigue des troupes, dont il faut toujours avoir une grande partie sous les armes pour être à l'abri des entreprises de l'ennemi. Préface des essais sur la Castramétation, par M. le Blond. (Q)