De la logique d'Aristote. 1. La logique a pour objet ou le vraisemblable, ou le vrai ; ou, pour dire la même chose en des termes différents, ou la vérité probable, ou la vérité constante et certaine ; le vraisemblable ou la vérité probable appartient à la dialectique, la vérité constante et certaine à l'analyse. Les démonstrations de l'analyse sont certaines ; celles de la dialectique ne sont que vraisemblables.

2. La vérité se démontre, et pour cet effet on se sert du syllogisme, et le syllogisme est ou démonstratif ou analytique, ou topique et dialectique. Le syllogisme est composé de propositions ; les propositions sont composées de termes simples.

3. Un terme est homonyme, ou synonyme, ou paronyme ; homonyme, lorsqu'il comprend plusieurs choses diverses sous un nom commun ; synonyme, lorsqu'il n'y a point de différence entre le nom de la chose et sa définition ; paronyme, lorsque les choses qu'il exprime, les mêmes en elles, diffèrent par la terminaison et le cas.

4. On peut réduire sous dix classes les termes univoques ; on les appelle prédicaments ou catégories.

5. Et ces dix classes d'êtres peuvent se rapporter ou à la substance qui est par elle-même, ou à l'accident qui a besoin d'un sujet pour être.

6. La substance est ou première proprement dite, qui ne peut être le prédicat d'une autre, ni lui adhérer ; ou seconde, subsistante dans la première comme les genres et les espèces.

7. Il y a neuf classes d'accidents, la quantité, la relation, la qualité, l'action, la passion, le temps, le lieu, la situation, l'habitude.

8. La quantité est ou contenue ou discrette ; elle n'a point de contraire ; elle n'admet ni le plus ni le moins, et elle dénomme les choses, en les faisant égales ou inégales.

9. La relation est le rapport de toute la nature d'une chose à une autre ; elle admet le plus et le moins ; c'est elle qui entraîne une chose par une autre, qui fait suivre la première d'une précédente, et celle-ci d'une seconde, et qui les joint.

10. La qualité se dit de ce que la chose est, et l'on en distingue de quatre sortes, la disposition naturelle et l'habitude, la puissance et l'impuissance naturelles, la passibilité et la passion, la forme et la figure ; elle admet intensité et rémission, et c'est elle qui fait que les choses sont dites semblables ou dissemblables.

11. L'action et la passion ; la passion, de celui qui souffre ; l'action, de celui qui fait, marque le mouvement, admet des contraires, intensité et rémission.

12. Le temps et le lieu, la situation et l'habitude indiquent les circonstances de la chose désignées par ces mots.

13. Après ces prédicaments, il faut considérer les termes qui ne se réduisent point à ce système de classes, comme les opposés ; et l'opposition est ou relative, ou contraire, ou privative, ou contradictoire ; la priorité, la simultanéité, le mouvement, l'avoir.

14. L'énonciation ou la proposition est composée de termes ou mots ; il faut la rapporter à la doctrine de l'interprétation.

15. Le mot est le signe d'un concept de l'esprit, il est ou simple ou incomplexe, ou complexe ; simple, si le concept ou la perception est simple, et la perception simple n'est ni vraie, ni fausse ; ou la perception est complexe, et participe de la fausseté et de la vérité, et le terme est complexe.

16. Le mot est un nom d'institution, sans rapport au temps, et dont aucune des parties prise séparément et en elle-même n'a de signification.

17. Le verbe est un mot qui marque le temps, dont aucune partie ne signifie par elle-même, et qui est toujours le signe des choses qui se disent d'un autre.

18. Le discours est une suite de mots d'institution, dont chaque partie séparée et l'ensemble signifient.

19. Entre les discours, le seul qui soit énonciatif et appartenant à l'hermeneutique, est celui qui énonce le vrai ou le faux ; les autres sont ou de la rhétorique ou de la poésie. Il a son sujet, son prédicat et sa copule.

20. Il y a cinq sortes de propositions, des simples et des complexes, des affirmatives et des négatives, des universelles, des particulières, des indefinies et des singulières, des impures et modales. Les modales sont ou nécessaires ou possibles, ou contingentes, ou impossibles.

21. Il y a trois choses à considérer dans la proposition, l'opposition, l'équipollence et la conversion.

22. L'opposition est ou contradictoire ou contraire ou sous-contraire.

23. L'équipollence fait que deux propositions désignent la même chose, et peuvent être ensemble toutes les deux vraies ou toutes les deux fausses.

24. La conversion est une transposition de termes, telle que la proposition affirmative et négative soit toujours vraie.

25. Le syllogisme est un discours où de prémisses posées il s'ensuit nécessairement quelque chose.

26. Trais termes font toute la matière du syllogisme. La disposition de ces termes, selon les figures et les modes, en est la forme.

27. La figure est une disposition du terme moyen et des extrêmes, telle que la conséquence soit bien tirée. Le mode est la disposition des propositions, eu égard à la quantité et à la qualité.

28. Il y a trois figures de sillogisme. Dans la première, le terme moyen est sujet de la majeure, et prédicat de la mineure ; et il y a quatre modes où la conséquence est bien tirée. Dans la seconde, le terme moyen est le prédicat des deux extrêmes, et il y a quatre modes qui concluent bien. Dans la troisième, le moyen est le sujet aux deux extrêmes, et il y a six modes où la conclusion est bonne.

29. Tout syllogisme est dans quelqu'une de ces figures, se parfait dans la première, et peut se réduire à son mode universel.

30. Il y a six autres formes du raisonnement ; la conversion des termes, l'induction, l'exemple, l'abduction, l'instance, l'enthymème. Mais toutes ayant force de syllogisme, peuvent et doivent y être réduites.

31. L'invention des syllogismes exige 1. les termes du problème donné ; et la supposition de la chose en question, des définitions, des propriétés, des antécédences, des conséquences, des répugnances. 2. Le discernement des essentiels, des propres, des accidentels, des certaines et des probables. 3. Le choix de conséquences universelles. 4. Le choix d'antécédences dont la chose soit une conséquence universelle. 5. l'attention de joindre le signe d'universalité non au conséquent, mais à l'antécédent. 6. L'emploi de conséquences prochaines et non éloignées. 7. Le même emploi des antécédents. 8. La préférence de conséquences d'une chose universelle, et de conséquences universelles d'une chose.

La finesse et l'étendue d'esprit qu'il y a dans toutes ces observations est incroyable. Aristote n'aurait découvert que ces choses, qu'il faudrait le regarder comme un homme du premier ordre. Il eut perfectionné tout d'un coup la logique, s'il eut distingué les idées de leurs signes, et qu'il se fût plus attaché aux notions qu'aux mots. Interrogez les Grammairiens sur l'utilité de ses distinctions.

32. Tout discours scientifique est appuyé sur quelque pensée antérieure de la chose dont on discourt.

33. Savoir, c'est entendre ce qu'une chose est, qu'elle est, que telle est sa cause, et qu'elle ne peut être autrement.

34. La démonstration est une suite de syllogismes d'où nait la science.

35. La science apodictique est des causes vraies, premières, immédiates ; les plus certaines, et les moins sujettes à une démonstration préliminaire.

36. Il n'y a de science démonstrative que d'une chose nécessaire ; la démonstration est donc composée de choses nécessaires.

37. Ce qu'on énonce du tout, est ce qui convient au tout, par lui-même et toujours.

38. Le premier universel est ce qui est par soi-même, dans chaque chose, parce que la chose est chose.

39. La démonstration se fait par des conclusions d'éternelle vérité. D'où il s'ensuit qu'il n'y a ni démonstration des choses passageres, ni science, ni même définitions.

40. Savoir que la chose est, est un, et savoir pourquoi elle est, est un autre. De-là deux sortes de démonstrations, l'une à priori, l'autre à posteriori. La démonstration à priori est la vraie et la plus parfaite.

41. L'ignorance est l'opposé de la science ; ou c'est une négation pure, ou une dépravation. Cette dernière est la pire ; elle nait d'un syllogisme qui est faux, dont le moyen péche. Telle est l'ignorance qui nait du vice des sens.

42. Nulle science ne nait immédiatement des sens. Ils ont pour objet l'individuel ou singulier, et la science est des universaux. Ils y conduisent, parce que l'on passe de l'individuel connu par le sens à l'universel.

43. On procede par induction, en allant des individuels connus par le sens aux universaux.

44. Le syllogisme est dialectique, lorsque la conclusion suit de chose probable : or le probable est ce qui semble à tous ou à plusieurs, aux hommes instruits et sages.

45. La dialectique n'est que l'art de conjecturer. C'est par cette raison qu'elle n'atteint pas toujours sa fin.

46. Dans toute proposition, dans tout problème on énonce ou le genre, ou la différence, ou la définition, ou le propre, ou l'accident.

47. La définition est un discours qui explique la nature de la chose, son propre, non ce qu'elle est, mais ce qui y est. Le genre est ce qui peut se dire de plusieurs espèces différentes. L'accident est ce qui peut être ou n'être pas dans la chose.

48. Les arguments de la dialectique procedent ou par l'induction ou par le syllogisme. Cet art a ses lieux. On emploie l'induction contre les ignorants, le syllogisme avec les hommes instruits.

49. L'élenchus est un syllogisme qui contredit la conclusion de l'antagoniste ; si l'élenchus est faux, le syllogisme est d'un sophiste.

50. L'élenchus est sophistique ou dans les mots ou hors des mots.

51. Il y a six sortes de sophismes de mots, l'homonisme, l'amphibologie, la composition, la division, l'accent, la figure du mot.

52. Il y a sept sortes de sophismes hors les mots ; le sophisme d'accident, le sophisme d'universalité, ou de conclusion d'une chose avouée avec restriction à une chose sans restriction ; le sophisme fondé sur l'ignorance de l'élenchus ; le sophisme du conséquent ; la pétition de principe ; le sophisme de cause supposée telle, et non telle ; le sophisme des interrogations successives.

53. Le sophiste trompe ou par des choses fausses, ou par des paradoxes, ou par le solécisme, ou par la tautologie. Voilà les limites de son art.

De la philosophie naturelle d'Aristote. Il disait 1. le principe des choses naturelles n'est point un, comme il a plu aux Eléatiques ; ce n'est point l'homéomérie d'Anaxagore ; ni les atômes de Leucippe et de Démocrite ; ni les éléments sensibles de Thalès et de son école, ni les nombres de Pithagore, ni les idées de Platon.

2. Il faut que les principes des choses naturelles soient opposés entr'eux, par qualités et par privations.

3. J'appelle principes, des choses qui ne sont point réciproquement les unes des autres, ni d'autres choses, mais qui sont d'elles-mêmes, et dont tout est. Tels sont les premiers contraires. Puisqu'ils sont premiers, ils ne sont point d'autres ; puisqu'ils sont contraires, ils ne sont pas les uns des autres.

4. Ils ne sont pas infinis, sans cette condition, il n'y a nul accès à la connaissance de la nature. Il y en a plus de deux. Deux se mettraient en équilibre à la fin, ou se détruiraient, et rien ne serait produit.

5. Il y a trois principes des choses naturelles ; deux contraires, la forme et la privation ; un troisième également soumis aux deux autres, la matière. La forme et la matière constituent la chose. La privation n'est qu'accidentelle. Elle n'entre point dans la matière. Elle n'a rien qui lui convienne.

6. Il faut que ce qui donne origine aux choses soit une puissance. Cette puissance est la matière première. Les choses ne sont pas de ce qui est actuellement, ni de ce qui n'est pas actuellement, car ce n'est rien.

7. La matière ne s'engendre, ni ne se détruit ; car elle est première ; le sujet infini de tout. Les choses sont formées premièrement, non pas d'elles-mêmes, mais par accident. Elles se résoudront ou se résolvent en elle.

8. Des choses qui sont, les unes sont par leur nature, d'autres par des causes. Les premières ont en elles le principe du mouvement ; les secondes ne l'ont pas. La nature est le principe et la cause du mouvement ou du repos en ce qui est premièrement de soi et non par accident ; ou elles se reposent et se meuvent par leur nature : telles sont les substances matérielles. Les propriétés sont analogues à la nature qui consiste dans la matière et dans la forme. Cependant la forme qui est un acte est plus de nature que la matière.

Ce principe est très-obscur. On ne sait ce que le philosophe entend par nature. Il semble avoir pris ce mot sous deux acceptions différentes, l'une de propriété essentielle, l'autre de cause générale.

9. Il y a quatre espèces de causes ; la matérielle, dont tout est ; la formelle, par qui tout est, et qui est la cause de l'essence de chaque chose ; l'efficiente, qui produit tout ; et la finale par laquelle tout est. Ces causes sont prochaines ou éloignées ; principales ou accessoires ; en acte ou en puissance ; particulières ou universelles.

10. Le hasard est cause de beaucoup d'effets. C'est un accident qui survient à des choses projetées. Le fortuit se prend dans une acception plus étendue. C'est un accident qui survient à des choses projetées par la nature, du moins pour une fin marquée.

11. La nature n'agit point fortuitement, au hasard, et sans dessein : ce que la nature prémédite a lieu, en tout ou en partie, comme dans les monstres.

12. Il y a deux nécessités, l'une absolue, l'autre conditionnelle. La première est de la matière ; la seconde, de la forme ou fin.

13. Le mouvement est un acte de la puissance en action.

14. Ce qui passe sans fin est infini. Il n'y a point d'acte infini dans la nature. Il y a cependant des êtres infinis en puissance.

15. Le lieu est une surface immédiate et immobîle d'un corps qui en contient un autre. Tout corps qu'un autre contient est dans le lieu. Ce qui n'est pas contenu dans un autre n'est pas dans le lieu. Les corps ou se reposent dans leur lieu naturel, ou ils y tendent comme des portions arrachées à un tout.

16. Le vide est un lieu dénué de corps. Il n'y en a point de tels dans la nature. Le vide se suppose, il n'y aurait point de mouvement. Car il n'y aurait ni haut, ni bas, ni aucune partie où le mouvement tendit.

17. Le temps est le calcul du mouvement relatif à la priorité et à la postériorité. Les parties du temps touchent à l'instant présent, comme les parties d'une ligne au point.

18. Tout mouvement et tout changement se fait dans le temps ; et il y a dans tout être mu, vitesse ou lenteur qui se peut déterminer par le temps. Ainsi le ciel, la terre et la mer sont dans le temps, parce qu'ils peuvent être mus.

19. Le temps étant un nombre nombré ; il faut qu'il y ait un être nombreux qui soit son support.

20. Le repos est la privation du mouvement dans un corps considéré comme mobile.

21. Point de mouvement qui se fasse en un instant. Il se fait toujours dans le temps.

22. Ce qui se meut dans un temps entier, se meut dans toutes les parties de ce temps.

23. Tout mouvement est fini ; car il se fait dans le temps.

24. Tout ce qui se meut est mu par un autre qui agit ou au-dedans ou au-dehors du mobile.

25. Mais comme ce progrès à l'infini est impossible ; il faut donc arriver à un premier moteur, qui ne prenne son mouvement de rien, et qui soit l'origine de tout mouvement.

26. Ce premier moteur est immobile, car s'il se mouvait, ce serait par un autre ; car rien ne se meut de soi. Il est éternel, car tout se meut de toute éternité, et si le mouvement avait commencé, le premier moteur n'aurait pu mouvoir, et la durée ne serait pas éternelle. Il est indivisible et sans quantité. Il est infini ; car le moteur doit être le premier, puisqu'il meut de toute éternité. Sa puissance est illimitée ; or une puissance infinie ne peut se supposer dans une quantité finie, telle qu'est le corps.

27. Le ciel composé de corps parfaits, comprenant tout, et rien ne le comprenant, est parfait.

28. Il y a autant de corps simples que de différences dans le mouvement simple. Or il y a deux mouvements simples, le rectiligne et le circulaire. Celui-là tend à s'éloigner du centre ou en approcher, sans modification ou avec modification. Comme il y a quatre mouvements rectilignes simples, il y a quatre élements ou corps simples. Le mouvement circulaire étant de nature contraire au mouvement rectiligne, il faut qu'il y ait une cinquième essence, différente des autres, plus parfaite, divine, c'est le ciel.

29. Le ciel n'est ni pesant, ni leger. Il ne tend ni à s'approcher, ni à s'éloigner du centre comme les graves et les légers. Il se meut circulairement.

30. Le ciel n'ayant point de contraire, il est sans génération, sans conception, sans accroissement, sans diminution, sans changement.

31. Le monde n'est point infini, et il n'y a hors de lui nul corps infini ; car le corps infini est impossible.

32. Il n'y a qu'un monde. S'il y en avait plusieurs poussés les uns contre les autres, ils se déplaceraient.

33. Le monde est éternel ; il ne peut ni s'accroitre ni diminuer.

34. Le monde ou le ciel se meut circulairement par sa nature ; ce mouvement toutefois n'est pas uniforme et le même dans toute son étendue. Il y a des orbes qui en croisent d'autres ; le premier mobîle a des contraires ; de-là les causes des vicissitudes de générations et de corruptions dans les choses sublunaires.

35. Le ciel est sphérique.

36. Le premier mobîle se meut uniformément ; il n'a ni commencement, ni milieu, ni fin. Le premier mobîle et le premier moteur sont éternels, et ne souffrent aucune altération.

37. Les astres de même nature que le corps ambiant qui les soutient, sont seulement plus denses. Ce sont les causes de la lumière et de la chaleur. Ils frottent l'air et l'embrasent. C'est surtout ce qui a lieu dans la sphère du soleil.

38. Les étoiles fixes ne se meuvent point d'elles-mêmes ; elles suivent la loi de leurs orbes.

39. Le mouvement du premier mobîle est le plus rapide. Entre les planètes qui lui sont soumises, celles-là se meuvent le plus vite qui en sont les moins éloignées, et réciproquement.

40. Les étoiles sont rondes. La lune l'est aussi.

41. La terre est au centre du ciel. Elle est ronde, et immobîle dans le milieu qui la soutient. Elle forme un orbe ou globe avec l'eau.

42. L'élément est un corps simple, dans lequel les corps composés sont divisibles ; et il existe en eux ou en acte ou en puissance.

43. La gravité et la légèreté sont les causes motrices des éléments. Le grave est ce qui a porté vers le centre ; le léger ce qui tend vers le ciel.

44. Il y a deux élements contraires ; la terre qui est grave absolument ; le feu qui est naturellement leger. L'air et l'eau sont d'une nature moyenne entre la terre et le feu, et participent de la nature de ces extrêmes contraires.

45. La génération et la corruption se succedent sans fin. Elle est ou simple, ou accidentelle. Elle a pour cause le premier moteur et la matière première de tout.

46. Etre engendré est un, être altéré, un autre. Dans l'altération, le sujet reste entier, mais les qualités changent, tout passe dans la génération. L'augmentation ou la diminution est un changement dans la quantité ; le mouvement local, un changement d'espace.

47. L'accroissement suppose nutrition. Il y a nutrition lorsque la substance d'un corps passe dans la substance d'un autre. Un corps animé augmente, si sa quantité s'accrait.

48. L'action et la passion sont mutuelles dans le contact physique. Il a lieu entre des choses en partie dissemblables de forme, en partie semblables de nature ; les unes et les autres tendant à s'assimiler le patient.

49. Les qualités tactiles, objets des sens, naissent des principes et de la différence des éléments qui différentient le corps. Ces qualités sont par paires au nombre de sept ; le froid et le chaud ; l'humide et le sec ; le grave et le léger ; le dur et le mol ; le visqueux et l'aride ; le rude et le doux ; le grossier et le tenu.

50. Entre ces qualités premières, il y en a deux d'actives, le chaud et le froid ; deux de passives, l'humide et le sec ; le chaud ressemble les homogènes ; le froid dissipe les hétérogènes. On retient difficilement l'humide, le sec facilement.

51. Le feu nait du chaud et de l'aride ; l'air du chaud et de l'humide ; l'eau du froid et de l'humide ; la terre du froid et du sec.

52. Les éléments sont tous convertibles les uns dans les autres, non par génération, mais par altération.

53. Les corps mixtes sont composés ou mélangés de tous les éléments.

54. Il y a trois causes des mixtes ; la matière qui peut être ou ne pas être telle chose ; la forme, cause de l'essence ; et le mouvement du ciel, cause efficiente universelle.

55. Entre les mixtes, il y en a de parfaits ; il y en a d'imparfaits ; entre les premiers, il faut compter les météores, comme les cometes, la voie lactée, la pluie, la neige, la grêle, les vents, etc.

56. La putréfaction s'oppose à la génération des mixtes parfaits. Tout est sujet à putréfaction, excepté le feu.

57. Les animaux naissent de la putréfaction aidée de la chaleur naturelle.

Principes de la Psychologie d'Aristote. 1. L'ame ne se meut point d'elle-même ; car tout ce qui se meut est mu par un autre.

2. L'ame est la première entélechie du corps organique naturelle ; elle a la vie en puissance. La première entélechie est le principe de l'opération ; la seconde est l'acte ou l'opération même. Voyez sur ce mot obscur entélechie, l'article LEIBNITIANISME.

3. L'ame a trois facultés ; la nutritive, la sensitive et la rationnelle. La première contient les autres en puissance.

4. La nutritive est celle par qui la vie est à toutes choses ; ses actes sont la génération et le développement.

5. La sensitive est celle qui les fait sentir. La sensation est en général un changement occasionné dans l'organe par la présence d'un objet aperçu. Le sens ne se meut point de lui-même.

6. Les sens extérieurs sont la vue, l'ouie, l'odorat, le gout, le toucher.

7. Ils sont tous affectés par des espèces sensibles abstraites de la matière, comme la cire reçoit l'impression du cachet.

8. Chaque sens aperçoit les différences de ses objets propres, aveugle sur les objets d'un autre sens. Il y a donc quelqu'autre sens commun et interne, qui saisit le tout, et juge sur le rapport des sens externes.

9. Le sens diffère de l'intellect. Tous les animaux ont des sens. Peu ont de l'intellect.

10. La fantaisie ou l'imagination diffère du sens et de l'intellect ; quoique sans exercice préliminaire des sens, il n'y ait point d'imagination, comme sans imagination, il n'y a point de pensée.

11. La pensée est un acte de l'intellect qui montre science, opinion et prudence.

12. L'imagination est un mouvement animal, dirigé par le sens en action, en conséquence duquel l'animal est agité, concevant des choses tantôt vraies, tantôt fausses.

13. La mémoire nait de l'imagination. Elle est le magasin de réserve des choses passées ; elle appartient en partie à l'imagination, en partie à l'entendement ; à l'entendement par accident, en elle-même à l'imagination. Elles ont leur principe dans la même faculté de l'âme.

14. La mémoire qui nait de l'impression sur le sens, occasionné par quelque objet, cesse si trop d'humidité ou de sécheresse, efface l'image. Elle suppose donc une sorte de tempérie dans le cerveau.

15. La réminiscence s'exerce, non par le tourment de la mémoire, mais par le discours, et la recherche exacte de la suite des choses.

16. Le sommeil suit la stupeur ou l'enchainement des sens ; il affecte surtout le sens interne commun.

17. L'insomnie provient des simulacres de l'imagination offerts dans le sommeil, quelques mouvements s'excitant encore, ou subsistant dans les organes de la sensation vivement affectés.

18. L'intellect est la troisième faculté de l'âme ; elle est propre à l'homme, c'est la portion de lui qui connait et qui juge.

19. L'intellect est un agent ou patient.

20. Patient, parce qu'il prend toutes les formes des choses ; agent, parce qu'il juge et connait.

21. L'intellect agent peut être séparé du corps ; il est immortel, éternel, sans passion. Il n'est point confondu avec le corps. L'intellect passif ou patient est périssable.

22. Il y a deux actes dans l'entendement ; ou il s'exerce sur les indivisibles, et ses perceptions sont simples, et il n'y a ni vérité ni fausseté ; ou il s'occupe des complexes, et il affirme ou nie, et alors il y a ou vérité ou fausseté.

23. L'intellect actif est ou théorétique ou pratique ; le théorétique met en acte la chose intelligible ; le pratique juge la chose bonne ou mauvaise, et meut la volonté à aimer ou à haïr, à désirer ou à fuir.

24. L'intellect pratique et l'appétit sont les causes du mouvement local de l'animal ; l'un connait la chose et la juge ; l'autre la désire ou l'évite.

25. Il y a dans l'homme deux appétits ; l'un raisonnable et l'autre sensitif : celui-ci est ou irascible, ou concupiscent ; il n'a de règle que le sens et l'imagination.

26. Il n'y a que l'homme qui ait l'imagination délibérative, en conséquence de laquelle il choisit le mieux. Cet appétit raisonnable qui en nait doit commander en lui à l'appétit sensitif qui lui est commun avec les brutes.

27. La vie est une permanence de l'âme retenue par la chaleur naturelle.

28. Le principe de la chaleur est dans le cœur ; la chaleur cessant, la mort suit.

Métaphysique d'Aristote. 1. La Métaphysique s'occupe de l'être en tant qu'être, et de ses principes. Ce terme être se dit proprement de la substance dont l'essence est une ; et improprement, de l'accident qui n'est qu'un attribut de la substance. La substance est donc le premier objet de la Métaphysique.

2. Un axiome universel et premier ; c'est qu'il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas, dans le même sujet, en même temps, de la même manière et sous le même point de vue. Cette vérité est indémontrable, et c'est le dernier terme de toute argumentation.

3. L'être est ou par lui-même, ou par accident ; ou en acte ou en puissance, ou en réalité, ou en intention.

4. Il n'y a point de science de l'être par accident ; c'est une sorte de non-être ; il n'a point de cause.

5. L'être par lui, suit dans sa division, les dix prédicaments.

6. La substance est le support des accidents ; c'est en elle qu'on considère la matière, la forme, les rapports, les raisons, la composition. Nous nous servons du mot de substance, par préférence à celui de matière, quoique la matière soit substance, et le sujet premier.

7. La matière première est le sujet de tout. Toutes les propriétés séparées du corps par abstraction, elle reste ; ainsi elle n'est ni une substance complete , ni une quantité, ni de la classe d'aucun autre prédicament. La matière ne peut se séparer de la forme, elle n'est ni singulière, ni déterminée.

8. La forme constitue ce que la chose est dite être ; c'est toute sa nature, son essence, ce que la définition comprend. Les substances sensibles ont leurs définitions propres ; il n'en est pas ainsi de l'être par accident.

9. La puissance est ou active ou passive. La puissance active est le principe du mouvement, ou du changement d'une chose en une autre, ou de ce qui nous parait tel.

10. La puissance passive est dans le patient, et l'on ne peut séparer son mouvement du mouvement de la puissance active, quoique ces puissances soient en des sujets différents.

11. Entre les puissances il y en a de raisonnables, il y en a qui n'ont point la raison.

12. La puissance séparée de l'exercice n'en existe pas moins dans les choses.

13. Il n'y a point de puissance dont les actes soient impossibles. Le possible est ce qui suit ou suivra de quelque puissance.

14. Les puissances sont ou naturelles ou acquises ; acquises ou par l'habitude, ou par la discipline.

15. Il y a acte lorsque la puissance devient autre qu'elle n'était.

16. Tout acte est antérieur à la puissance, et à tout ce qui est compris, antérieur de concept, d'essence et de temps.

17. L'être intentionnel est ou vrai ou faux ; vrai si le jugement de l'intellect est conforme à la chose ; faux si cela n'est pas.

18. Il y a vérité et fausseté même dans la simple appréhension des choses, non-seulement considérée dans l'énumération, mais en elle-même en tant que perception.

19. L'entendement ne peut être trompé dans la connaissance des choses immutables ; l'erreur n'est que des contingens et des passagers.

20. L'unité est une propriété de l'être ; ce n'est point une substance, mais un catégorème, un prédicat de la chose, en tant que chose ou être. La multitude est l'opposé de l'unité. L'égalité et la similitude se rapportent à l'unité ; il en est de même de l'identité.

21. Il y a diversité de genre et d'espèce ; de genre entre les choses qui n'ont pas la même matière ; d'espèce entre celles dont le genre est le même.

22. Il y a trois sortes de substances, deux naturelles, dont l'une est corruptible, comme les animaux ; et l'autre sempiternelle, comme le ciel ; la troisième immobile.

23. Il faut qu'il y ait quelque substance immobîle et perpétuelle, parce qu'il y a un mouvement local éternel ; un mouvement circulaire propre au ciel qui n'a pu commencer. S'il y a un mouvement et un temps éternels, il faut qu'il y ait une substance sujet de ce mouvement et mue, et une substance source de ce mouvement et non mue ; une substance qui exerce le mouvement et le contienne ; une substance sur laquelle il soit exercé et qui le meuve.

24. Les substances génératrices du mouvement éternel ne peuvent être matérielles, car elles meuvent par un acte éternel sans le secours d'autres puissances.

25. Le ciel est une de ces substances. Il est mu circulairement. Il ne faut point y chercher la cause des générations et des conceptions, parce que son mouvement est une forme. Elle est dans les sphères inférieures, et surtout dans la sphère du soleil.

26. Le premier ciel est donc éternel ; il est mu d'un mouvement éternel ; il y a donc autre chose d'éternel qui le meut, qui est acte et substance, et qui ne se meut point.

27. Mais comment agit ce premier moteur ? En désirant et en concevant. Toute son action consiste en une influence par laquelle il concourt avec les intelligences inférieures pour mouvoir leurs sphères.

28. Toute la force effectrice du premier moteur n'est qu'une application des forces des moteurs subalternes à l'ouvrage qui leur est propre, et auquel il coopere, de manière qu'il en est entièrement indépendant quant au reste ; ainsi les intelligences meuvent le ciel, non par la génération des choses inférieures, mais pour le bien général auquel elles tendent à se conformer.

29. Ce premier moteur est Dieu, être vivant, éternel, très-parfait, substance immobile, différente des choses sensibles, sans parties matérielles, sans quantité, sans divisibilité.

30. Il jouit d'une félicité complete et inaltérable, elle consiste à se concevoir lui-même et à se contempler.

31. Après cet être des êtres, la première substance, c'est le moteur premier du ciel, au-dessous duquel il y a d'autres intelligences immatérielles, éternelles, qui président au mouvement des sphères inférieures, selon leur nombre et leurs degrés.

32. C'est une ancienne tradition que ces substances motrices des sphères sont des dieux, et cette doctrine est vraiment céleste. Mais sont-elles sous la forme de l'homme, ou d'autres animaux ? c'est un préjugé qu'on a accrédité parmi les peuples pour la sûreté de la vie et la conservation des lais.

De l'athéïsme d'Aristote. Voyez l'article ARISTOTELISME.

Principes de la morale ou de la philosophie pratique d'Aristote. 1. La félicité morale ne consiste point dans les plaisirs des sens, dans la richesse, dans la gloire civile, dans la puissance, dans la noblesse, dans la contemplation des choses intelligibles ou des idées.

2. Elle consiste dans la fonction de l'âme occupée dans la pratique d'une vertu ; ou s'il y a plusieurs vertus, dans le choix de la plus utîle et la plus parfaite.

3. Voilà le vrai bonheur de la vie, le souverain bien de ce monde.

4. Il y en a d'autres qu'il faut regarder comme des instruments qu'il faut diriger à ce but ; tels sont les amis, les grandes possessions, les dignités, etc.

5. C'est l'exercice de la vertu qui nous rend heureux autant que nous pouvons l'être.

6. Les vertus sont, ou théoritiques ou pratiques.

7. Elles s'acquièrent par l'usage. Je parle des pratiques, et non des contemplatives.

8. Il est un milieu qui constitue la vertu morale en tout.

9. Ce milieu écarte également l'homme de deux points opposés et extrêmes, à l'un desquels il péche par excès, et à l'autre par défaut.

10. Il n'est pas impossible à saisir même dans les circonstances les plus agitées, dans les moments de passions les plus violents, dans les actions les plus difficiles.

11. La vertu est un acte délibéré, choisi et volontaire. Il suit de la spontanéité dont le principe est en nous.

12. Trais choses la perfectionnent, la nature, l'habitude et la raison.

13. Le courage est la première des vertus ; c'est le milieu entre la crainte et la témérité.

14. La tempérance est le milieu entre la privation et l'excès de la volupté.

15. La liberté est le milieu entre l'avarice et la prodigalité.

16. La magnificence est le milieu entre l'économie sordide et le faste insolent.

17. La magnanimité qui se rend justice à elle-même, qui se connait, tient le milieu entre l'humilité et l'orgueil.

18. La modestie qui est relative à la poursuite des honneurs est également éloignée du mepris et de l'ambition.

19. La douceur comparée à la colere, n'est ni féroce, ni engourdie.

20. La popularité ou l'art de capter la bienveillance des hommes, évite la rusticité et la bassesse.

21. L'intégrité, ou la candeur se place entre l'impudence et la dissimulation.

22. L'urbanité ne montre ni grossiereté ni bassesse.

23. La honte qui ressemble plus à une passion qu'à une habitude, a aussi son point entre deux excès opposés ; elle n'est ni pusillanime ni intrépide.

24. La justice relative au jugement des actions, est ou universelle ou particulière.

25. La justice universelle est l'observation des lois établies pour la conservation de la société humaine.

26. La justice particulière qui rend à chacun ce qui lui est dû. est ou distributive, ou commutative.

27. Distributive, lorsqu'elle accorde les honneurs et les récompenses, en proportion du mérite. Elle est fondée sur une progression géométrique.

28. Commutative, lorsque dans les échanges elle garde la juste valeur des choses, et elle est fondée sur une proportion arithmétique.

29. L'équité diffère de la justice. L'équité corrige le défaut de la loi. L'homme équitable ne l'interprete point en sa faveur d'une manière trop rigide.

30. Nous avons traité des vertus propres à la portion de l'âme qui ne raisonne pas. Passons à celles de l'intellect.

31. Il y a cinq espèces de qualités intellectuelles, ou théorétiques ; la science, l'art, la prudence, l'intelligence, la sagesse.

32. Il y a trois choses à fuir dans les mœurs ; la disposition vicieuse, l'incontinence, la férocité. La bonté est l'opposé de la disposition vicieuse ; la continence est l'opposé de l'incontinence. L'héroïsme est l'opposé de la férocité. L'héroïsme est le caractère des hommes divins.

33. L'amitié est compagne de la vertu ; c'est une bienveillance parfaite entre des hommes qui se paient de retour. Elle se forme ou pour le plaisir ou pour l'utilité ; elle a pour base ou les agréments de la vie, ou la pratique du bien ; et elle se divise en imparfaite et en parfaite.

34. C'est ce que l'on accorde dans l'amitié, qui doit être la mesure de ce que l'on exige.

35. La bienveillance n'est pas l'amitié, c'en est le commencement ; la concorde l'amene.

36. La douceur de la société est l'abus de l'amitié.

37. Il y a diverses sortes de voluptés.

38. Je ne voudrais pas donner le nom de volupté aux plaisirs déshonnêtes. La volupté vraie est celle qui nait des actions vertueuses, et de l'accomplissement des désirs.

39. La félicité qui nait des actions vertueuses est ou active, ou contemplative.

40. La contemplative qui occupe l'âme, et qui mérite à l'homme le titre de sage, est la plus importante.

41. La félicité qui résulte de la possession et de la jouissance des biens extérieurs n'est pas à comparer avec celle qui découle de la vertu, et de ses exercices.

Des successeurs d'Aristote, Théophraste, Straton, Lycon, Ariston, Critolaus, Diodore, Dicéarque, Eudeme, Héraclide, Phanias, Demetrius, Hyeronimus.

Théophraste naquit à Erese, ville maritime de l'île de Lesbos. Son père le consacra aux muses, et l'envoya sous Alcippe. Il vint à Athènes ; il vit Platon ; il écouta Aristote, qui disait de Callisthène et de lui, qu'il fallait des éperons à Callisthène et un mors à Théophraste. Voyez à l'article ARISTOTELISME, les principaux traits de son caractère et de sa vie. Il se plaignait, en mourant, de la nature qui avait accordé de si longs jours aux corneilles, et de si courts aux hommes. Toute la ville d'Athènes suivit à pied son convoi. Il nous reste plusieurs de ses ouvrages. Il fit peu de changements à la doctrine de son maître.

Il admettait avec Aristote autant de mouvements que de prédicaments ; il attribuait aussi au mouvement l'altération, la génération, l'accroissement, la corruption, et leurs contraires. Il disait que le lieu était immobîle ; que ce n'était point une substance, mais un rapport à l'ordre et aux positions ; que le lieu était dans les animaux, les plantes, leurs dissemblables, animés ou inanimés, parce qu'il y avait dans tous les êtres une relation des parties au tout qui déterminait le lieu de chaque partie ; qu'il fallait compter entre les mouvements les appétits, les passions, les jugements, les spéculations de l'âme ; que tous ne naissent pas des contraires ; mais que des choses avaient pour cause leurs contraires, d'autres leurs semblables, d'autres encore de ce qui est actuellement. Que le mouvement n'était jamais séparé de l'action ; que les contraires ne pouvaient être compris sous un même genre ; que les contraires pouvaient être la cause des contraires ; que la salure de la mer ne venait pas de la chaleur du soleil, mais de la terre qui lui servait de fond ; que la direction oblique des vents avait pour cause la nature des vents même, qui en partie graves, et en partie légers, étaient portés en même temps en haut et en bas ; que le hasard et non la prudence mène la vie ; que les mules engendrent en Cappadoce ; que l'âme n'était pas fort assujettie au corps, mais qu'elle faisait beaucoup d'elle-même ; qu'il n'y avait point de volupté fausse ; qu'elles étaient toutes vraies ; enfin qu'il y avait un principe de toutes choses par lequel elles étaient et subsistaient, et que ce principe était un et divin.

Il mourut à l'âge de 85 ans ; il eut beaucoup d'amis, et il était d'un caractère à s'en faire et à les conserver ; il eut aussi quelques ennemis, et qu'est-ce qui n'en a pas ? On nomme parmi ceux-ci Epicure et la célèbre Léontine.

Straton naquit à Lampsac. Il eut pour disciple Ptolomée Philadelphe ; il ne négligea aucune des parties de la Philosophie, mais il tourna particulièrement ses vues vers les phénomènes de la nature. Il prétendait :

Qu'il y avait dans la nature une force divine, cause des générations, de l'accroissement, de la diminution, et que cependant cette cause était sans intelligence.

Que le monde n'était point l'ouvrage des dieux, mais celui de la nature, non comme Démocrite l'avait rêvé, en conséquence du rude et du poli, des atomes droits ou crochus, et autres visions.

Que tout se faisait par les poids et les mesures.

Que le monde n'était point un animal, mais que le mouvement et le hasard avaient tout produit, et conservaient tout.

Que l'être ou la permanence de ce qui est, c'était la même chose.

Que l'âme était dans la base des sourcils.

Que les sens étaient des espèces de fenêtres par lesquelles l'âme regardait, et qu'elle était tellement unie aux sens, que eu égard à ses opérations, elle ne paraissait pas en différer.

Que le temps était la mesure du mouvement et du repos.

Que les temps se résolvaient en individu, mais que le lieu et les corps se divisaient à l'infini.

Que ce qui se meut, se meut dans un temps individuel.

Que tout corps était grave et tendait au milieu.

Que ce qui est au-delà du ciel était un espace immense, vide de sa nature mais se remplissant sans cesse de corps ; en sorte que ce n'est que par la pensée qu'on peut le considérer comme subsistant par lui-même.

Que cet espace était l'enveloppe générale du monde.

Que toutes les actions de l'âme étaient des mouvements, et l'appétit irraisonnable, et l'appétit sensible.

Que l'eau est le principe du premier froid.

Que les cometes ne sont qu'une lumière des astres renfermée dans une nue, comme nos lumières artificielles dans une lanterne.

Que nos sensations n'étaient pas, à proprement parler, dans la partie affectée, mais dans un autre lieu principal.

Que la puissance des germes était spiritueuse et corporelle.

Qu'il n'y avait que deux êtres, le mot et la chose, et qu'il y avait de la vérité et de la fausseté dans le mot.

Strabon mourut sur la fin de la 127e olympiade. Voyez à l'article ARISTOTELISME le jugement qu'il faut porter de sa philosophie.

Lycon, successeur de Straton, eut un talent particulier pour instruire les jeunes gens. Personne ne sut mieux exciter en eux la honte et réveiller l'émulation. Sa prudence n'était pas toute renfermée dans son école ; il en montra plusieurs fois dans les conseils qu'il donna aux Athéniens ; il eut la faveur d'Attale et d'Eumene. Antiochus voulut se l'attacher, mais inutilement. Il était fastueux dans son vêtement. Né robuste, il se plaisait aux exercices athlétiques ; il fut chef de l'école péripatéticienne pendant 44 ans. Il mourut de la goutte à 74.

Lycon laissa la chaire d'Aristote à Ariston. Nous ne savons de celui-ci qu'une chose, c'est qu'il s'attacha à parler et à écrire avec élégance et douceur, et qu'on désira souvent dans ses leçons un poids et une gravité plus convenables au philosophe et à la Philosophie.

Ariston eut pour disciple et successeur Critolaus de Phasclide. Il mérita par son éloquence d'être associé à Carneade et à Diogène, dans l'ambassade que les Athéniens décernèrent aux Romains. L'art oratoire lui paraissait un mal dangereux, et non pas un art. Il vécut plus de 80 ans. Dieu n'était, selon lui, qu'une portion très-subtîle d'aether. Il disait que toutes ces cosmogonies que les prêtres débitaient aux peuples, n'avaient rien de conforme à la nature, et n'étaient que des fables ridicules, que l'espèce humaine était de toute éternité ; que le monde était de lui-même ; qu'il n'avait point eu de commencement ; qu'il n'y avait aucune cause capable de le détruire, et qu'il n'aurait pas de fin. Que la perfection morale de la vie consistait à s'assujettir aux lois de la nature. Qu'en mettant les plaisirs de l'âme et ceux du corps dans une balance, c'était peser un atome avec la terre et les mers.

On sait que Diodore instruit par Critolaus, lui succéda dans le lycée, mais on ignore qui il fut ; quelle fut sa manière d'enseigner ; combien de temps il occupa la chaire, ni qui lui succéda. La chaîne péripatéticienne se rompit à Diodore. D'Aristote à celui-ci, il y eut onze maîtres, entre lesquels il nous en manque trois. On peut donc finir à Diodore la première période de l'école péripatéticienne, après avoir dit un mot de quelques personnages célèbres qui lui ont fait honneur.

Dicéarque fut de ce nombre ; il était Messénien. Ciceron en faisait grand cas. Ce philosophe disait :

1. L'ame n'est rien : c'est un mot vide de sens. La force par laquelle nous agissons, nous sentons, nous pensons, est diffuse dans toute la matière dont elle est aussi inséparable que l'étendue, et où elle s'exerce diversement selon que l'être un et simple est diversement configuré.

2. L'espèce humaine est de toute éternité.

3. Toutes les divinations sont fausses, si l'on en excepte celles qui se présentent à l'âme, lorsque libre de distraction, elle est suffisamment attentive à ce qui se passe en elle.

4. Qu'il vaut mieux ignorer l'avenir que le connaître.

Il était versé profondément dans la politique. On lisait tous les ans une fais, dans l'assemblée des éphores, le livre qu'il avait écrit de la république de Lacédémone.

Des princes l'employèrent à mesurer la hauteur et la distance des montagnes, et à perfectionner la Géographie.

Eudeme, né à Rhodes, étudia sous Aristote. Il ajouta quelque chose à la logique de son maître, sur les argumentations hypotétiques et sur les modes. Il avait écrit l'histoire de la Géométrie et de l'Astronomie.

Héraclide de Pont écouta Platon, embrassa le pytagorisme, passa sous Speusipe, et finit par devenir aristotélicien. Il réunit le mérite d'orateur à celui de philosophe.

Phanias de Lesbos étudia la nature, et s'occupa aussi de l'histoire de la Philosophie.

Démétrius de Phalere fut un des disciples de Théophraste les plus célèbres. Il obtint de Cassandre, roi de Macédoine, dans la 115 olympiade, l'administration des affaires d'Athènes, fonction dans laquelle il montra beaucoup de sagesse. Il rétablit le gouvernement populaire, il embellit la ville ; il augmenta ses revenus ; et les Athéniens animés d'une reconnaissance qui se montrait tous les jours, lui elevèrent jusqu'à 350 statues, ce qui n'était arrivé à personne avant lui. Mais il n'était guère possible de s'illustrer et de vivre tranquille chez un peuple inconstant : la haine et l'envie le persécutèrent. On se souleva contre l'oligarchie. On le condamna à mort. Il était alors absent. Dans l'impossibilité de se saisir de sa personne, on se jeta sur ses statues, qui furent toutes renversées en moins de temps qu'on n'en avait élevé une. Le philosophe se réfugia chez Ptolomée Soter, qui l'accueillit et l'employa à réformer la législation. On dit qu'il perdit les yeux pendant son séjour à Alexandrie ; mais que s'étant adressé à Siparis, ce dieu lui rendit la vue, et que Démétrius reconnut ce bienfait dans les hymnes que les Athéniens chantèrent dans la suite. Il conseilla à Ptolomée de se nommer pour successeurs les enfants d'Euridice, et d'exclure le fils de Bérénice. Le prince n'écouta point le philosophe, et s'associa Ptolomée connu sous le nom de Philadelphe. Celui-ci après la mort de son père, rélégua Démétrius dans le fond d'une province, où il vécut pauvre, et mourut de la piquure d'un aspic. On voit par la liste des ouvrages qu'il avait composés, qu'il était poète, orateur, philosophe, historien, et qu'il n'y avait presque aucune branche de la connaissance humaine qui lui fut étrangère. Il aima la vertu, et fut digne d'un meilleur sort.

Nous ne savons presque rien d'Hyeronimus de Rhodes.

De la philosophie péripatéticienne à Rome, pendant le temps de la république et sous les empereurs. Voyez l'article ARISTOTELISME, et l'article PHILOSOPHIE DES ROMAINS.

De la philosophie d'Aristote chez les Arabes. Voyez les articles ARABES et ARISTOTELISME.

De la philosophie d'Aristote chez les Sarrasins, voyez l'article SARRASINS et ARISTOTELISME.

De la philosophie d'Aristote dans l'Eglise, voyez les articles JESUS-CHRIST et PERES DE L'EGLISE, et ARISTOTELISME.

De la philosophie d'Aristote parmi les Scholastiques, voyez les articles PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE et ARISTOTELISME.

Des restaurateurs de la philosophie d'Aristote, voyez l'article ARISTOTELISME et l'article PHILOSOPHIE.

Des philosophes récens Aristotelico-scolastiques, voyez l'article ARISTOTELISME, où ce sujet est traité très au long. Nous restituerons seulement ici quelques noms moins importants qu'on a omis, et qui peut-être ne valent guère la peine d'être tirés de l'oubli.

Après Bannez, on trouve dans l'histoire de la Philosophie, Franciscus Sylvestrius. Sylvestrius naquit à Ferrare ; il fut élu chef de son ordre ; il enseigna à Bologne ; il écrivit trois livres de commentaires sur l'âme d'Aristote. Matthaeus Aquarius les a publiés avec des additions et des questions philosophiques. Sylvestrius mourut en 1548.

Michel Zanard de Bergame, homme qui savait lever des doutes et les résoudre ; il a écrit de triplici universo, de Physicâ et Metaphysicâ, et commentaria cum dubiis et questionibus in octo libros Aristotelis.

Joannes, à S. Thoma, de l'ordre aussi des Dominicains ; il s'entendit bien en Dialectique, en Métaphysique et en Physique, en prenant ces mots selon l'acception qu'ils avaient de son temps, ce qui réduit le mérite de ses ouvrages à peu de chose, sans rien ôter à son talent. Presque tous ces hommes qui auraient porté la connaissance humaine jusqu'où elle pouvait aller, occupés à des argumentations futiles, furent des victimes de l'esprit dominant de leur siècle.

Chrysostome Javelle. Il naquit en Italie en 1488 ; il regarda les opinions et la philosophie de Platon comme plus analogues à la Religion, et celle d'Aristote comme préférable pour la recherche des vérités naturelles. Il écrivit donc de la philosophie morale, selon Aristote d'abord, ensuite selon Platon, et en dernier lieu selon Jesus-Christ. Il dit dans une de ses préfaces, Aristotelis disciplina nos quidem doctos ac subtilissime de moralibus, sicut de naturalibus differentes efficère potest ; at moralis Platonica ex Ve dicendi atque paternâ adhortatione, veluti prophetia quaedam, et quasi superum vox inter homines tonans, nos procul dubio sapientiores, probatiores, vitaeque feliciores reddet. Il y a de la finesse dans son premier traité, de la sublimité dans le second, de la simplicité dans le troisième.

Parmi les disciples qu'Aristote a eu chez les Franciscains, il ne faut pas oublier Jean Ponzius, Mastrius, Bonaventure Mellet, Jean Lallemandet, Martin Meurisse, Claude Frassenius, etc.

Dans le catalogue des aristotéliciens de l'ordre de Citeaux il faut inférer après Ange Manriquez, Bartholomée Gomez, Marcîle Vasquez, Pierre de Oviedo, etc.

Il faut placer à la tête des scolastiques de la société de Jesus, Pierre Hurtado de Mendoza avant Vasquez, et après celui-ci, Paul Vallius et Balthazar Tellez ; et après Suarès François Tollet et Antoine Rubius.

A ces hommes on peut ajouter François Alphonse, François Gonsalez, Thomas Compton, François Rassler, Antonius Polus, Honoré Fabri : celui-ci soupçonné dans sa société de favoriser le Cartésianisme, y souffrit de la persécution.

Des philosophes qui ont suivi la véritable philosophie d'Aristote, voyez l'article ARISTOTELISME.

Parmi ceux-ci, le premier qui se présente est Nicolas Leonic Thomée. Il naquit en 1457 ; il étudia la langue grecque et les Lettres sous le célèbre Démétrius Chalcondylas ; et il s'appliqua sérieusement à exposer la doctrine d'Aristote telle qu'elle nous est présentée dans les ouvrages de ce philosophe. Il ouvrit la voie à des hommes plus célèbres, Pomponace et à ses disciples. Voyez à l'article ARISTOTELISME, l'abrégé de la doctrine de Pomponace.

Celui-ci eut pour disciples Hercules Gonzaga, qui fut depuis cardinal ; Théophîle Folengius, de l'ordre de saint Benait, et auteur de l'ouvrage burlesque que nous avons sous le titre de Merlin Cocaye ; Paul Jove, Helidée, Gaspard Contarin, autre cardinal, Simon Porta, Jean Genèseus de Sepulveda, Jules Caesar Scaliger, Lazare Bonami, Jules-Caesar Vanini, et Ruphus, l'adversaire le plus redoutable de son maître. Voyez l'article ARISTOTELISME.

Inscrivez après Ruphus, parmi les vrais Aristotéliciens, Marc-Antoine Majoragius, Daniel Barbarus, Jean Genèseus de Sepulveda, Petrus Victorius ; et après les Strozze, Jacques Mazonius, Hubert Gifanius, Jules Pacius ; et à la suite de Caesar Cremonin, François Vicomescat, Louis Septale, plus connu parmi les Anatomistes qu'entre les Philosophes ; Antoine Montecatinus, François Burana, Jean Paul Pernumia, Jean Cottusius, Jason de Nores, Fortunius Licet, Antoine Scaynus, Antoine Roccus, Felix Ascorombonus, François Robertel, Marc-Antoine Muret, Jean-Baptiste Monslor, François Valais, Nunnesius Balfurcus, etc.

Il ne faut pas oublier parmi les protestants aristotéliciens, Simon Simonius, qui parut sur la scène après Joachin Camerarius et Melanchton ; Jacob Schegius, Philippe Scherbius, etc.

Ernest Sonerus précéda Michel Picart, et Conrad Horneius lui succéda et à Corneille Martius.

Christianus Dreierus, Melchior Zeidlerus, et Jacques Thomasius, finissent cette seconde période de l'Aristotélisme.

Nous exposerons dans un article particulier la philosophie de Thomasius. Voyez THOMASIUS, philosophie de.

Il nous resterait à terminer cet article par quelques considérations sur l'origine, les progrès et la réforme du Péripatéticisme, sur les causes de sa durée, sur le rallentissement qu'elle a apporté au progrès de la vraie science, sur l'opiniâtreté de ses sectateurs, sur les arguments qu'elle a fournis aux athées, sur la corruption des mœurs qui s'en est suivie, sur les moyens qu'on pouvait employer contre la secte, et qu'on négligea ; sur l'attachement mal entendu que les Protestants affectèrent pour cette manière de philosopher, sur les tentatives inutiles qu'on fit pour l'améliorer, et sur quelques autres points non moins importants ; mais nous renvoyons toute cette matière à quelque traité de l'histoire de la Philosophie en général et en particulier, où elle trouvera sa véritable place. Voyez l'article PHILOSOPHIE EN GENERAL, (histoire de la)