Si, quand un adjectif est employé seul dans une phrase, on le rapporte à quelque nom sousentendu qu'on a dans l'esprit, il est évident qu'alors il est employé comme tous les autres adjectifs, qu'il exprime un être déterminé accidentellement par l'application actuelle à ce nom sousentendu, en un mot qu'il n'est pas pris substantivement, pour parler encore le langage ordinaire. Ainsi quand on dit, Dieu vengera les FOIBLES, l'adjectif faibles demeure un pur et véritable adjectif ; et il n'est au pluriel et au masculin, que par concordance avec le nom sousentendu les hommes, que l'on a dans l'esprit.

Il y a cependant des cas où les adjectifs deviennent véritablement noms : c'est lorsque l'on s'en sert comme de mots propres à marquer d'une manière déterminée la nature des êtres dont on veut parler, et que l'on n'envisage que relativement à cette idée, en quoi consiste effectivement la notion des noms.

Que je dise, par exemple, ce discours est VRAI, une VRAIE définition est le germe de toutes les connaissances possibles sur l'objet défini ; l'adjectif vrai demeure adjectif, parce qu'il énonce une idée que l'on n'envisage dans ces exemples que comme devant faire partie de la nature totale de ce qu'on y appelle discours et définition, et qu'il demeure applicable à toute autre chose selon l'occurrence, à une nouvelle, à un récit, à un système, etc. Aussi vrai, dans le premier exemple, s'accorde-t-il en genre et en nombre avec le nom discours ; et vraie, dans le second exemple, avec le nom définition, en vertu du principe d'identité. Voyez CONCORDANCE, IDENTITE.

Mais quand on dit, le VRAI persuade, le mot vrai est alors un véritable nom, parce qu'il sert à présenter à l'esprit un être déterminé par l'idée de sa nature ; la véritable nature à laquelle peut convenir l'atribut énoncé par le verbe persuade, c'est celle du vrai : et il n'est pas plus raisonnable d'expliquer le mot vrai de cette phrase, par ce qui est vrai, l'être vrai, la vérité, que d'expliquer le mot homme de celle-ci, l'HOMME est sociable, par ce qui est homme, l'être homme, l'humanité ; à moins qu'on ne veuille en venir à reconnaître d'autre nom proprement dit que le mot être, ce qui serait, je pense, une autre absurdité.

Dans la langue latine qui admet trois genres, on peut statuer, d'après ce qui vient d'être dit, qu'un adjectif au genre masculin ou au genre féminin, est toujours adjectif, quoiqu'il n'y ait pas de nom exprimé dans la phrase.

Tu vivendo, bonos ; scribendo, sequare peritos.

Il faut ici sousentendre homines, avec lequel s'accordent également les deux adjectifs bonos et peritos.

Mais un adjectif neutre qui n'a, ni dans la phrase où il se trouve, ni dans les précédentes, aucun correlatif, est à coup sur un véritable nom dans cette phrase ; et il n'est pas plus nécessaire d'y sousentendre le nom negotium, que de sousentendre en français être, quand on dit, le vrai persuade. Si l'usage a préféré dans ces occasions le genre neutre ; c'est, 1°. qu'il fallait bien choisir un genre ; et 2°. que l'espèce d'êtres que l'on désigne alors n'est jamais animée, ni par conséquent sujette à la distinction des sexes.

Remarquez que l'adjectif devenu nom, n'est point ce que j'ai appelé ailleurs un nom abstractif, voyez NOM. C'est un véritable nom substantif, dans le sens que j'ai donné à ce mot ; et c'est la différence qu'il y a entre le vrai et la vérité ; la même qu'il y a entre l'homme et l'humanité. D'où il suit que l'adverbe substantivement peut rester dans le langage grammatical, pourvu qu'il y soit pris en rigueur. (E. R. M. B.)