2°. De se poster de manière que la queue des camps ne soit pas sous la portée du canon de la place.

3°. De ne point trop se jeter à la campagne, mais d'occuper précisément le terrain nécessaire à la sûreté du camp.

4°. D'éviter de se mettre sous les commandements qui pourraient incommoder le dedans des camps et de la ligne par leur supériorité ou par leurs revers. Lorsque ces défauts se rencontrent, il vaut mieux occuper ces commandements, soit en étendant les lignes jusque-là, soit en y faisant de bonnes redoutes ou de petits forts, que de s'y exposer. On doit aussi faire servir à la circonvallation, les hauteurs, ruisseaux, ravines, escarpements, abattis de bois, buissons, et généralement tout ce qui approche de son circuit, et qui le peut avantager.

La portée ordinaire du canon, tiré à-peu-près horizontalement ou sur un angle d'environ dix ou douze degrés, peut s'estimer à-peu-près de 1200 taises. Cette portée, suivant les épreuves de M. Dumetz, rapportées dans les mémoires de Saint-Remi, est beaucoup plus grande ; mais dans ces épreuves le canon a été tiré à toute volée, c'est-à-dire sous l'angle de 45 degrés. Sous ces angles, ses coups sont trop incertains ; ainsi on doit établir pour règle générale, que la queue des camps des troupes qui campent dans la circonvallation, doit être éloignée de la place au moins de 1200 taises. La profondeur de ces camps est d'environ 30 taises, et la distance du front de bandière à la ligne, de 120 ; d'où il suit que la circonvallation doit être dirigée à-peu-près parallélement à la place, à la distance au moins de 1350 ou 1400 taises. Elle est flanquée de distance en distance par des angles saillans qu'on appelle redants. Voyez REDANS.

La mesure commune des lignes de circonvallation, quant au plan, doit être de 120 taises d'une pointe de redan à l'autre. On doit observer de placer les redants dans les lieux les plus éminens, et jamais dans les fonds ; comme aussi que les angles des redants soient toujours moins ouverts que le droit, afin que ses faces se présentent moins à l'ennemi. Voyez le tracé des lignes, Planche XIII. de Fortification.

L'ouverture du fossé de la circonvallation doit être de 15, 16 ou 18 pieds, sur 6 à 7 et demi de profondeur, taluant du tiers de la largeur.

De cette façon le fossé aura 18 pieds de large à son ouverture ; sa largeur au fond sera de 6 pieds, ce qui donne 12 pieds de largeur, réduite sur 7 pieds et demi de profondeur, revenant par taise courante à deux taises cubes et demie ; c'est l'ouvrage qu'un paysan peut faire en sept jours sans beaucoup se fatiguer.

Sur ce pié-là, on peut proposer les mesures des six profils suivants pour toutes sortes de circonvallation. On ne doit en employer ni de plus forts, ni de plus faibles.

L'épaisseur du parapet du premier profil est de 8 pieds, du second de 7 pieds, et ainsi de suite en diminuant d'un pied. Pour la hauteur totale, elle est de 7 pieds et demi. La banquette a 4 pieds et demi de largeur, et 3 de hauteur. Le bord de la contrescarpe du fossé est un peu plus élevé que le niveau de la campagne, et il forme une espèce de glacis qui cache à l'ennemi le pied du parapet ; en sorte qu'il ne peut le battre ou le ruiner, lorsqu'il en est éloigné. Voyez ces différents profils, Pl. XIV. de Fortification.

Pendant la construction des lignes, les ingénieurs se partagent entr'eux leur étendue, pour avoir soin que les mesures soient aussi exactement observées qu'il est possible. La diligence du travail ne permet pas, au moins en France, qu'on y apporte grande attention ; mais il faut cependant faire observer les taluds des fossés, et les profondeurs portées aux profils ; autrement cet ouvrage sera très-imparfait.

On faisait autrefois des épaulements dans l'intervalle des lignes et de la tête des camps, environ à vingt taises de cette tête, et de trente-cinq ou quarante taises de longueur, principalement dans les parties exposées à quelque commandement des dehors. Ils étaient disposés par alignement, et parallèles à la tête des camps : ils avaient neuf pieds de haut sur dix ou douze d'épaisseur, mesurés au sommet. La cavalerie des assiégeants se mettait derrière, quand on attaquait les lignes. Cette méthode ne se pratique plus à-présent. On fortifiait aussi alors les lignes de circonvallation par des forts et par de grandes redoutes palissadées ; ce qui ne se pratique plus guère, la briéveté de nos sièges n'exigeant point tant de précautions. Voyez M. le maréchal de Vauban, attaque des places.

On peut fraiser les lignes, et on le fait quand on présume qu'elles dureront quelque temps, et que les environs de l'espace qu'elles occupent, fournissent du bois propre à cet ouvrage.

On fait encore quelquefois un avant-fossé devant les lignes, de douze ou quinze pieds de largeur par le haut, et de six ou sept de profondeur. Il se fait environ à douze ou quinze taises du fossé de la ligne. Son objet est d'arrêter l'ennemi lorsqu'il vient attaquer les lignes, et de lui faire perdre bien du temps et du monde en le passant. M. le maréchal de Vauban en désapprouvait l'usage, sur ce que l'ennemi étant arrivé à ce fossé, se trouve, en se jetant dedans, à couvert du feu de la circonvallation. Mais quelque déférence que l'on doive à ce grand homme, il semble néanmoins qu'on peut dans plusieurs cas se servir avantageusement de cet avant-fossé. Il arrête nécessairement la marche de l'ennemi, et il l'expose plus longtemps au feu de la ligne : aussi a-t-on fait en différentes occasions, des avant-fossés aux lignes, depuis M. de Vauban, et notamment à la circonvallation de Philisbourg en 1734.

Cette circonvallation était encore fortifiée par des puits d'environ neuf pieds de diamètre à leur ouverture, et de six à sept de profondeur. Ils étaient rangés en échiquier, et assez près les uns des autres pour empêcher de passer dans leurs intervalles. Les Espagnols avaient pratiqué quelque chose de pareil au siège d'Arras en 1654 ; leur circonvallation était défendue par des espèces de petits puits de deux pieds de diamètre sur un pied et demi de profondeur, dans le milieu desquels étaient plantés de petits pieux qui pouvaient nuire beaucoup au passage de la cavalerie. Voyez le plan et le profil d'une partie de la circonvallation de Philisbourg, Planche XV. de Fortification, figure première.

Cette circonvallation des Espagnols parait avoir été copiée de celle de César à Alexia. Voici en quoi consistait cette dernière.

" Comme les soldats étaient occupés en même temps à aller querir du bois et des vivres assez loin, et à travailler aux fortifications, César trouva à-propos d'ajouter quelque chose au travail des lignes, afin qu'il fallut moins de gens pour les garder. Il prit donc des arbres de médiocre hauteur, ou des branches fortes qu'il fit aiguiser ; et tirant un fossé de cinq pieds de profondeur devant les lignes, il les y fit enfoncer et attacher ensemble par le pied, afin qu'on ne put les arracher. On recouvrait le fossé de terre, en sorte qu'il ne paraissait que la tête du tronc, dont les pointes entraient dans les jambes de ceux qui pensaient les traverser : c'est pourquoi les soldats les appelaient des ceps ; et comme il y en avait cinq rangs de suite qui étaient entrelacés, on ne les pouvait éviter. Au-devant il fit des fosses de trois pieds de profondeur, un peu étroites par le haut, et disposées de travers en quinconce : là-dedans on fichait des pieux ronds de la grosseur de la cuisse, brulés et aiguisés par le bout, qui sortaient quatre doigts seulement hors de terre ; le reste était enfoncé trois pieds plus bas que la profondeur de la fosse, pour tenir plus ferme, et la fosse couverte de broussailles pour servir comme de piège. Il y en avait huit rangs de suite, chacun à trois pieds de distance l'un de l'autre, et les soldats les nommaient des lys, à cause de leur ressemblance. Devant tout cela il fit jeter une espèce de chausse-trapes, qui étaient des pointes de fer attachées à des bâtons de la longueur du pied, qui se fichaient en terre ; tellement qu'il ne sortait que ces pointes, que les soldats appelaient des aiguillons, et toute la terre en était couverte ". Comment. de César, par d'Ablancourt.

Les lignes de circonvallation ayant peu d'élévation, elles n'ont pas besoin de bastions pour être flanquées dans toutes leurs parties comme l'enceinte d'une place ; les redants qui sont d'une construction plus simple et d'une plus prompte expédition, sont suffisans : on fait seulement quelques bastions dans les endroits où la ligne fait des angles, qu'un redant ne défendrait pas aussi avantageusement. Il arrive cependant qu'on se sert aussi quelquefois des bastions pour flanquer la ligne, principalement lorsqu'elle a peu d'étendue : car les bastions augmentent considérablement sa circonférence. La plus grande partie de la circonvallation de Philisbourg en 1734, en était fortifiée.

On élève des batteries à la pointe des redants, pour tirer le canon à barbette par-dessus le parapet. On le tire de cette manière par-tout où on le place le long de la circonvallation.

Les lignes de circonvallation exigent de très-fortes armées pour les défendre. Si l'on suppose une circonvallation dont le rayon soit de 1700 taises, ce qui est la moindre distance du centre de la place à la circonvallation, on aura au moins 12000 taises pour sa circonférence, en y comprenant les redants et les détours ; ce qui fait à-peu-près cinq lieues communes de France.

Si, pour border une ligne de cette étendue, on donne seulement trois pieds à chaque soldat, il faudra 24000 hommes pour un seul rang ; et pour trois de hauteur 72000, sans rien compter pour la seconde ligne, pour les tranchées, et les autres gardes, qui demanderaient bien encore autant de monde pour que tout fût suffisamment garni. Où trouver des armées de cette force ? et quand on dégarnirait la moitié des lignes les moins exposées, pour renforcer celles qui le seraient le plus, on ne parviendrait pas à les garnir suffisamment à beaucoup près ; d'autant plus que si les places assiégées sont un peu considérables, la circonvallation deviendra bien plus grande que celle qui est ici supposée : ce qui éloigne encore plus la possibilité de les bien garnir. Cette considération a partagé les sentiments des plus célèbres généraux, sur l'utilité de ces sortes de lignes. Tous conviennent qu'il y a des cas où l'on en peut tirer quelque utilité, surtout lorsqu'elles sont serrées et qu'elles n'ont qu'une médiocre étendue ; mais lorsqu'elles embrassent beaucoup de terrain, il est bien difficîle de les défendre contre les attaques d'un ennemi intelligent.

Lorsque l'ennemi se dispose pour attaquer les lignes, il y a deux partis à prendre : le premier de lui en disputer l'entrée, et le second de laisser une partie de l'armée pour la garde des travaux du siège, et d'aller avec le reste au-devant de l'ennemi pour le combattre. Ces deux partis ont chacun leurs partisans parmi les généraux : mais il semble que le dernier est le plus généralement approuvé.

L'inconvénient qu'on trouve d'attendre l'ennemi dans les lignes, c'est que comme on ignore le côté qu'il choisira pour son attaque, on est obligé d'être également fort dans toutes les parties de la ligne, et que lorsqu'elle est fort étendue, les troupes se trouvent trop éloignées les unes des autres pour opposer une grande résistance à l'ennemi du côté de son attaque. La plupart des lignes de circonvallation qui ont été attaquées, ont été forcées : ainsi le raisonnement et l'expérience semblent concourir également à établir qu'il faut aller au-devant de l'ennemi pour le combattre, et pour ne point le laisser arriver à la portée de la circonvallation.

Cependant sans vouloir rien décider dans une question de cette importance, il semble que lorsqu'une ligne peut être raisonnablement garnie, on peut la défendre avantageusement.

Il est incontestable que si le soldat qui défend la ligne veut profiter de tous ses avantages, il en a de très-grands et de très-réels sur l'assaillant. Celui-ci est obligé d'essuyer le feu de la ligne pendant un espace de temps assez considérable, avant de parvenir au bord du fossé. Il faut qu'il comble ce fossé sous ce même feu ; ce qui lui fait perdre bien du monde, et qui doit déranger nécessairement l'ordre de ses troupes. Est-il parvenu à pénétrer dans la ligne, ce ne peut être que sur un front fort étroit ; il peut être chargé de front et de flanc par les troupes qui sont dedans, lesquelles en faisant bien leur devoir, doivent le culbuter dans le fossé.

Supposons qu'il parvienne à faire plier la première ligne d'infanterie qui borde la ligne, la cavalerie qui est derrière peut (& elle le doit) tomber sur l'infanterie ennemie qui a pénétré dans la ligne ; et comme elle ne peut y entrer qu'en désordre, il est aisé à cette cavalerie de tomber dessus et de la culbuter.

Malgré des avantages si évidents, l'expérience, dit M. le chevalier de Folard, démontre que le soldat est moins brave et moins résolu derrière un retranchement qu'en rase campagne. Il met toute sa confiance dans ce retranchement ; et lorsque l'ennemi, pour éviter d'être trop longtemps exposé au feu de la ligne, se jette brusquement dans le fossé, et qu'il tâche de monter de-là sur le retranchement, le soldat commence à perdre confiance ; et il la perd totalement lorsqu'il le voit pénétrer dans la ligne. " On croit, dit cet auteur, le mal sans remède, lorsqu'il n'y a rien de plus aisé que d'y en apporter, de repousser ceux qui sont entrés, et de les culbuter dans le fossé : car outre qu'ils ne peuvent pénétrer en bon ordre, ils sont dégarnis de tout leur feu ; cependant l'on ne fait rien de ce que l'on est en état de faire : l'ennemi entre en foule, se forme, et l'autre se retire ; et la terreur courant alors dans le long de la ligne, tout s'en va, tout se débande, sans savoir souvent même où l'on a percé ".

On peut conclure de-là, que lorsque le soldat connaitra bien tous les avantages que lui procure une bonne ligne, qu'il sera disposé à s'y bien défendre, que toutes les parties pourront également en être soutenues, et enfin qu'on prendra toutes les précautions nécessaires pour n'y être point surpris, il sera bien difficîle à l'ennemi de la forcer.

On en a Ve un exemple au siège de Philisbourg en 1734. Les bonnes dispositions de la circonvallation empêchèrent le prince Eugène, après qu'il l'eut bien reconnue, d'en faire l'attaque. Il fut simple spectateur de la continuation du siège, et il ne jugea pas à-propos, dit l'historien de sa vie, d'essayer de forcer nos lignes, tant elles lui parurent redoutables et à l'abri de toute insulte. En effet, leur peu d'étendue les mettait en état d'être également défendues.

Lorsqu'on se trouve dans des situations semblables, on peut donc attendre l'ennemi tranquillement : mais lorsque la grandeur de la circonvallation ne permet pas de la garnir également, le parti le plus sur est d'aller au-devant de l'ennemi ; comme le fit M. le maréchal de Tallard à Landau en 1703, et M. le duc de Vendôme à Barcelone en 1704.

Tout le monde sait qu'au siège de Turin en 1706, feu M. le duc d'Orléans proposa de prendre le même parti ; et que pour ne l'avoir pas pris, l'armée française fut obligée de lever le siège, parce que les lignes n'étaient pas également bonnes par-tout : l'ennemi pénétra d'un côté qui avait été négligé ; il força les troupes, et secourut la ville.

M. le chevalier de Folard prétend que sans aller au-devant de l'ennemi, il était aisé de l'empêcher de forcer les lignes, en ne se négligeant point sur les attentions nécessaires pour les soutenir : que pour cela il fallait envoyer assez de monde pour les défendre du côté que le prince Eugène les attaqua ; qu'elles ne valaient absolument rien de ce côté, qui n'avait pour défense que la seule brigade de la Marine, qui fut obligée pour le garnir, de se ranger sur deux de hauteur, et qui dans cet état repoussa pourtant l'ennemi : mais que pendant l'attaque le prince Eugène ayant remarqué une partie de la ligne sur la droite, où il n'y avait qu'une compagnie de grenadiers, et où on pouvait aller à couvert d'un rideau ou élévation de terre, il y fit aller cinquante hommes, lesquels entrèrent par cet endroit. On s'imagina d'abord qu'il y était entré un corps beaucoup plus considérable : ainsi ce poste qui n'était pas assez garni de monde pour résister, ayant été emporté, l'épouvante se communiqua par-tout, et fit abandonner la ligne. M. de Folard ajoute, que si M. d'Albergotti, qui était à portée d'envoyer un secours considérable au poste dont on vient de parler, l'avait fait, l'entreprise du prince Eugène sur les lignes échouait infailliblement.

L'exemple de l'attaque des lignes de Turin entendu et expliqué de cette manière, ne prouve point que des lignes bien défendues soient toujours forcées indubitablement ; il montre seulement que, lorsqu'il y a eu quelque négligence dans la circonvallation, qu'elle n'est pas également bonne de toute part, et que l'ennemi peut avoir le temps d'y forcer quelques quartiers avant qu'ils puissent être secourus des autres, il ne faut pas s'y renfermer ; mais qu'on le peut lorsqu'elle renferme assez de troupes pour la border de toute part. Attaque des places, par M. Leblond. (Q)