Lorsque l'on découvrait que le sénat était disposé à rendre un decret, il dépendait de quelqu'un des tribuns du peuple d'interposer son autorité, et de renverser d'un seul mot tout ce qui avait été résolu par la simple opposition, sans en rendre aucune raison. La loi générale de ces interventions, était que chaque magistrat eut le pouvoir de s'opposer aux actes de son collègue, ou des magistrats qui lui étaient subordonnés. Les tribuns avaient encore la prérogative de s'opposer aux actes des autres magistrats, quoique personne ne fût en droit de contredire les leurs.

Mais dans tous les cas où les déterminations du sénat étaient renversées par la simple opposition d'un tribun, ce dont on trouve des exemples sans nombre, si le sénat était unanime dans ses suffrages, et qu'il fût disposé à rendre le decret, on se servait d'une formule ordinaire, et le decret changeait de nom, il était appelé l'autorité du sénat.

On le mettait alors dans les registres de ce corps, quoiqu'il ne servit qu'à rendre témoignage de la façon de penser du sénat sur cette question particulière, et à faire retomber sur le tribun qui l'avait empêché la haine de l'opposition faite à un acte avantageux. Ainsi pour tenir chaque magistrat éloigné d'une conduite factieuse dans des affaires d'importance, ceux qui étaient d'avis de rendre le decret, y ajoutaient que si quelqu'un songeait à s'y opposer, on le regarderait comme ayant travaillé contre les intérêts de la république.

Cette clause néanmoins servait rarement à mettre un frein à l'entreprise des tribuns, accoutumés à faire leur opposition avec la même liberté que dans les occasions les plus indifférentes. Les sénateurs les moins considérables, les factieux et les chefs de parti, avaient encore différents moyens d'empêcher ou de renvoyer un decret sous plusieurs prétextes et par les obstacles qu'ils y mettaient. Tantôt par des scrupules en matière de religion, ils supposaient que les augures n'étaient pas favorables, et qu'ils n'avaient pas été pris légitimement, ce qui étant confirmé par les augures, retardait l'affaire pour quelques jours, tantôt ils insistaient sur quelque prétendu passage des livres sibyllins, qu'il fallait alors consulter, et qu'ils interprétaient selon leurs vues.

Ainsi, dans une contestation qui s'éleva sur la proposition faite de remettre le roi Ptolomée sur le trône d'Egypte, le tribun Caton qui s'y opposait, rapporta quelques vers des livres sibyllins, qui avertissaient de ne rétablir sur son trône aucun roi d'Egypte avec une armée, ce qui fit qu'on décida dans cette occasion qu'il était dangereux de donner à ce roi une armée pour rentrer dans son royaume.

Mais la méthode la plus ordinaire d'empêcher la décision d'une affaire, était celle d'employer le jour entier à parler deux ou trois heures de suite, de façon qu'il ne restât pas assez de temps ce jour-là. On trouve dans les anciens auteurs des exemples de cette conduite ; et lorsque quelqu'un des magistrats les plus séditieux abusait trop ouvertement de ce droit contre le penchant général de l'assemblée, les sénateurs étaient alors si impatiens, qu'ils lui imposaient silence, pour ainsi dire, par la force ; et ils le troublaient de telle manière par leurs clameurs, leurs huées, et leurs sifflements, qu'ils l'obligeaient à se désister.

Il est probable que les lois exigeaient la présence d'un certain nombre de sénateurs pour rendre un acte légitime, et donner de la force à un decret, puisqu'on s'oppose quelquefois aux consuls pour avoir poursuivis des decrets subreptices secrétement dans une assemblée qui n'était pas assez nombreuse ; et nous y voyons que le sénat avait renvoyé quelques affaires, lorsqu'il ne s'était pas trouvé un nombre suffisant de sénateurs pour la décider. Ainsi, lorsque dans une assemblée qui était imparfaite, un des sénateurs avait dessein d'empêcher le jugement de quelque affaire, il intimait le consul de compter le sénat, en lui adressant ces mots, numera senatum, comptez les sénateurs.

On ne voit à la vérité dans aucun des anciens auteurs qu'il fallut un nombre déterminé de sénateurs, si ce n'est dans un ou deux cas particuliers. Par exemple, lorsque les bacchanales furent défendues à Rome, on ordonna que personne n'osât les célébrer sans une permission particulière accordée à cet effet par le sénat, composé au-moins de cent sénateurs ; et peut - être dans ce temps, était-ce le nombre juste et requis dans tous les cas, et lorsque le sénat n'était composé que de trois cent personnes ? Le senatus-consulte dont nous parlons fut fait dans le temple de Bellone, l'an 568 de Rome, sous le consultat de Posthumius, et de Q. Marcius Philippus. Ce sénatus-consulte est en ancienne langue osque. On le trouvera rapporté en entier dans l'histoire de la jurisprudence romaine, par M. Terrasson.

Environ un siècle après, lorsque le nombre des sénateurs augmenta, et fut porté jusqu'à 500, Caïus Cornélius, tribun du peuple, donna lieu à l'établissement d'une loi, qui ôtait au sénat le pouvoir d'absoudre qui que ce fût de l'obligation des lois, si 200 sénateurs au-moins n'avaient été présents au decret d'exemption. Ce Cornélius voulut rétablir la jurisprudence des premiers temps de la république, suivant laquelle le sénat n'accordait point de dispense, où la clause de la faire agréer au peuple ne fût insérée. Cette clause, qui n'était plus que de style, négligée même depuis quelque temps dans les dispenses, dont un très-petit nombre de sénateurs s'étaient rendus les maîtres, déplaisait au sénat. Il fut cependant forcé après une pénible résistance, l'an 688, sous le consulat de L. C. Calpurnius Piso, d'accueillir cette loi dans les comices. On fit en même temps défenses à celui qui aurait obtenu la dispense, de s'opposer à ce qui en serait ordonné par le peuple, lorsque le decret d'exemption lui serait rapporté.

Après tout, il est assez difficîle de décider quel nombre de sénateurs était requis pour porter un senatus-consulte. Les anciens auteurs ne nous en apprennent rien exactement, et par conséquent nous ne faisons que deviner. Denys d'Halicarnasse a écrit qu'Auguste voyant que les sénateurs étaient en petit nombre, régla qu'on pouvait porter des senatus-consultes, quoiqu'il n'y eut pas 400 sénateurs présents. Anciennement, dit Prudence, il n'était pas permis de porter de senatus-consultes qu'il n'y eut 300 pères conscrits du même sentiment ; mais ce passage parait plutôt se rapporter au nombre des avis qu'au nombre des sénateurs. Il est cependant certain qu'il y avait un nombre fixe de sénateurs nécessaires pour les senatus-consultes ; car, comme je l'ai remarqué, tout sénateur qui voulait empêcher de porter des senatus-consulte, pouvait dire au consul, comptez les sénateurs.

Les decrets du sénat étaient d'ordinaire lus et publiés dès qu'ils avaient été rendus, et l'on en déposait toujours une copie authentique dans le trésor public, qui était au capitole, au lieu où l'on voit à-présent le palais du conservateur.

Sans ce préalable, on ne les regardait pas comme des decrets valides, et rendus selon la forme des lois : lorsque l'affaire dont on traitait dans le jour était finie, le consul ou quelqu'autre magistrat, qui avait convoqué l'assemblée, était dans l'usage de la séparer, et de la rompre par ces paroles, pères conscrits, il n'est plus besoin de vous retenir ici, ou bien il n'y a plus rien ici qui vous retienne.

Il est encore bien difficîle de dire précisément quelle était la force des decrets du sénat. Il est certain qu'ils n'étaient pas regardés comme des lois ; mais il parait qu'originairement, ils avaient été rendus dans l'objet de préparer la loi dont ils étaient comme le fonds et la base principale. Ils avaient une espèce de force et d'autorité provisionnelle, jusqu'à ce que le peuple eut fait une loi selon les formes prescrites et ordinaires ; car dans tous les siècles de la république on ne fit jamais aucune loi sans le consentement général du peuple.

Les decrets du sénat regardaient principalement la partie exécutrice du gouvernement, la destination des provinces à leurs magistrats, la quotité des appointements des généraux. Ils portaient aussi sur le nombre des soldats qu'on leur donnait à commander ; sur toutes les affaires imprévues, et de hasard, sur lesquelles on n'avait fait aucun règlement, et qui en requéraient un ; de sorte que l'autorité de la plupart de ces decrets, n'était que passagère et momentanée ; qu'ils n'avaient ni force ni vigueur, si ce n'est dans les occasions particulières, et pour lesquelles ils avaient été faits. Mais quoiqu'en rigueur ils n'eussent point force de loi, ils étaient cependant regardés comme obligatoires, et l'on y obéissait.

Tous les ordres des citoyens s'y soumettaient, jusqu'à ce qu'ils eussent été annullés par quelqu'autre decret, ou renversé par l'établissement de quelque loi. Il est vrai que le respect qu'on avait pour eux, était plutôt la suite d'un usage reçu, et venait plus de l'estime générale des citoyens pour l'autorité de ce conseil suprême, que de quelque obligation prise de la forme du gouvernement, puisque dans les temps les plus reculés, lorsqu'il naissait quelque difficulté sur un decret particulier, nous trouvons que les consuls auxquels l'exécution en était confiée, et qui ne voulaient pas leur donner force de loi, se fondaient sur ce qu'ils étaient faits par leurs prédécesseurs, et donnaient pour raison que les decrets du sénat ne devaient avoir lieu qu'une année seulement, et pendant la durée de la magistrature de ceux qui les avaient rendus.

Cicéron dans un cas pareil, lorsqu'il plaidait la cause d'un de ses cliens qu'il défendait sur le mépris qu'il avait marqué pour un decret du sénat, déclara que ce decret ne devait avoir aucun effet, parce qu'il n'avait jamais été porté au peuple pour lui donner l'autorité d'une loi. Dans ces deux cas, quoique le consul et Cicéron ne dissent rien qui ne fût afférant, et qui ne convint à la nature de la cause, ils le disaient cependant, peut-être plus par nécessité, et à raison de l'intérêt particulier qu'ils y avaient, qu'ils ne l'auraient fait dans d'autres circonstances ; les consuls le faisaient pour éviter l'exécution d'un acte qui ne leur plaisait pas ; et Cicéron pour la défense d'un client qui se trouvait dans le plus grand danger.

Mais véritablement dans toutes les occasions, les magistrats principaux, soit de Rome, soit du dehors, paraissaient avoir eu plus ou moins de respect pour les decrets du sénat, selon qu'ils étaient plus ou moins avantageux à leur intérêt particulier ; à leur penchant ou au parti qu'ils avaient embrassé dans la république. Dans les derniers temps, lorsque le pouvoir suprême usurpé par quelqu'un de ces chefs, eut surmonté tous les obstacles, et eut mis à l'écart toutes sortes de coutumes et de lois, dont le maintien et la conservation pouvait nuire à leurs vues ambitieuses, nous trouvons que les decrets du sénat étaient traités avec beaucoup de mépris par eux et par leurs créatures, tandis qu'ils avaient à leurs ordres une populace subordonnée, aussi corrompue que prompte à leur accorder tout ce qu'ils demandaient, jusqu'à la ruine entière de la liberté publique. (D.J.)

SENATUS-CONSULTE secret, (Histoire romaine) senatusconsultum tacitum. C'était une délibération secrète, à laquelle les anciens sénateurs seulement étaient d'ordinaire appelés dans les premiers temps de la république.

C. Capitolinus nous apprend que cet usage émanait de la nécessité publique, lorsque dans quelques dangers pressants de la part des ennemis, le sénat se trouvait forcé de prendre de prompts expédiens, qu'il fallait employer avant que de les divulguer, et qu'on voulait tenir cachés à ses meilleurs amis. Dans ces sortes d'occasions, le sénat formait un decret tacite. Pour y parvenir, l'on excluait alors de l'assemblée les greffiers ; et les sénateurs se chargeaient eux-mêmes de leur emploi, afin que rien ne transpirât au-dehors. On voit dans les temps les plus reculés de la république divers exemples de ces assemblées secrètes, où n'assistaient, et ne pouvaient être admis que les vieux sénateurs. Ces assemblées convoquées par les consuls, se tenaient dans leurs propres maisons, ce dont les tribuns faisaient de grandes plaintes. Voyez Denys d'Halicarnasse, l. X. c. xxxx, l. IX. c. lv. etc. (D.J.)

SENATUS - CONSULTE MACEDONIEN, (Histoire romaine) c'était un sénatus-consulte, par lequel il était ordonné que toute action fût déniée à celui qui prêterait de l'argent à un fils en puissance de père. Ce sénatus-consulte n'est point reçu en pays coutumier, et les enfants de famille se peuvent valablement obliger pour prêt d'argent, s'ils sont majeurs ; et s'ils sont mineurs, ils peuvent recourir au bénéfice de restitutions. (D.J.)

SENATUS-CONSULTE VELLEIEN, (Droit coutumier) c'est par ce sénatus-consulte que les femmes ne peuvent pas s'obliger valablement pour d'autres ; en sorte que si elles se sont chargées de quelque obligation contractée par une autre personne, comme servant de caution ou autrement, elles ne peuvent être valablement poursuivies, pour raison de telles obligations. Ce sénatus-consulte a été longtemps observé dans toute la France ; mais sous Henri IV. par un édit du mois d'Aout 1606, sa disposition fut abrogée ; cependant on l'a conservée en Normandie, où le cautionnement des femmes est nul de droit. (D.J.)