Les Indiens mâchent des feuilles de bétele à toute heure du jour, et même de la nuit : mais comme ces feuilles sont amères, ils corrigent cette amertume en les mêlant avec de l'areque et un peu de chaux, qu'ils enveloppent dans la feuille. D'autres prennent avec le bétele des trochisques qui portent le nom de câte : ceux qui sont plus riches, y mêlent du camfre de Borneo, du bois d'aloès, du musc, de l'ambre gris, etc. Le bétele, ainsi préparé, est d'un si bon gout, et a une odeur si agréable, que les Indiens ne peuvent pas s'en passer ; presque tous en usent, au moins ceux qui peuvent s'en procurer. Il y en a aussi qui mâchent de l'areque avec de la canelle et du girofle : mais c'est ordinairement de l'areque avec un peu de chaux enveloppée dans la feuille de bétele, comme nous l'avons déjà dit. Ils crachent après la première mastication une liqueur rouge, qui est teinte par l'areque. Ils ont par l'usage du bétele, l'haleine fort douce et d'une très-bonne odeur, qui se répand au point de parfumer la chambre où ils sont. On prétend que sans l'usage du bétele ou d'autres aromates, ils auraient naturellement l'haleine fort puante : mais cette mastication gâte leurs dents, les noircit, les carie et les fait tomber : il y a des Indiens qui n'en ont plus à 25 ans, pour avoir fait excès du bétele.

Lorsqu'on se quitte pour quelque temps, on se fait présent de bétele, que l'on offre dans une bourse de soie ; et on ne croirait pas avoir son congé, si on n'avait reçu du bétele. On n'ose pas parler à un homme élevé en dignité, sans avoir la bouche parfumée de bétele : il serait même impoli de parler à son égal sans avoir pris cette précaution, qui empêche la mauvaise odeur qui pourrait venir de la bouche ; et si par hasard un homme se présente sans avoir mâché du bétele, il a grand soin de mettre sa main devant sa bouche en parlant, pour intercepter toute odeur desagréable ; ce qui prouve bien que les Indiens sont suspects de mauvaise haleine. Les femmes, et surtout les femmes galantes, font grand usage du bétele, et le regardent comme un puissant attrait pour l'amour. On prend du bétele après le repas pour ôter l'odeur des viandes ; on le mâche tant que durent les visites ; on en tient à la main ; on s'en offre en se saluant et à toute heure : enfin toujours du bétele. Cela ne vaudrait-il pas mieux que notre tabac, au moins pour l'odeur ; et si les dents s'en trouvaient mal, l'estomac en serait plus sain et plus fort. Il y a dans ce pays-ci plus de gens qui manquent par l'estomac que par les dents. Ray, hist. pl. app. p. 1913.