Que direz-vous, races futures,

Quand un véritable discours

Vous apprendra les aventures

De nos abominables jours ? (F)

FUTUR, en termes de Grammaire, est pris substantivement : c'est une forme particulière ou une espèce d'inflexion qui désigne l'idée accessoire d'un rapport au temps à venir, ajoutée à l'idée principale du verbe.

On trouve dans toutes les langues différentes sortes de futur, parce que ce rapport au temps à venir y a été envisagé sous différents points de vue ; et ces futurs sont simples ou composés, selon qu'il a plu à l'usage de désigner les uns par de simples inflexions, et les autres par le secours des verbes auxiliaires.

Il semble que dans les diverses manières de considérer le temps par rapport à l'art de la parole, on se soit particulièrement attaché à l'envisager comme absolu, comme relatif, et comme conditionnel. On trouve dans toutes les langues des inflexions équivalentes à celles de la nôtre, pour exprimer le présent absolu, comme j'aime ; le présent relatif, comme j'aimais ; le présent conditionnel, comme j'aimerais. Il en est de même pour les trois prétérits ; l'absolu, j'ai aimé ; le relatif, j'avais aimé ; et le conditionnel, j'aurais aimé. Mais on n'y trouve plus la même unanimité pour le futur ; il n'y a que quelques langues qui aient un futur absolu, un relatif, et un conditionnel : la plupart ont saisi par préférence d'autres faces de cette circonstance du temps.

Les Latins ont en général deux futurs, un absolu et un relatif.

Le futur absolu marque l'avenir sans aucune autre modification ; comme laudabo, je louerai ; accipiam, je recevrai.

Le futur relatif marque l'avenir avec un rapport à quelque autre circonstance du temps ; il est composé du futur du participe actif ou passif, selon la voix que l'on a besoin d'employer, et d'une inflexion du verbe auxiliaire sum ; et le choix de cette inflexion dépend des différentes circonstances de temps avec lesquelles on combine l'idée fondamentale d'avenir. En voici le tableau pour les deux voix.

Comme la langue latine fait un des principaux objets des études ordinaires, elle exige de notre part quelque attention plus particulière. Nous remarquerons donc que les huit futurs relatifs que l'on présente ici, ne se trouvent pas dans les tables ordinaires des conjugaisons, non plus que les temps composés du subjonctif qui ont un rapport à l'avenir, comme laudaturus sim, laudaturus essem, laudaturus fuerim, laudaturus fuissem. Il en est de même des temps correspondants de la voix passive ; mais c'est un véritable abus. Ces tables doivent être des listes exactes de toutes les formes analogiques, soit simples, soit composées, que l'usage a établies pour exprimer uniformément les accessoires communs à tous les verbes. Il est assez difficîle de déterminer ce qui a pu donner lieu à nos méthodistes de retrancher du tableau de leurs conjugaisons, des expressions d'un usage si nécessaire, si ordinaire, et si uniforme. Si c'est la composition de ces temps, ils n'ont pas assez étendu leurs conséquences ; il fallait encore en bannir les futurs qu'ils ont admis à l'infinitif, et tous les temps composés qui marquent un rapport au passé dans la voix passive.

Ce n'est pas la seule faute qu'on ait faite dans ces tables ; on y place comme futur au subjonctif, un temps qui appartient assurément à l'indicatif, et qui parait être plutôt de la classe des prétérits, que de celle des futurs : c'est laudavero, j'aurai loué, pour la voix active ; et laudatus ero, j'aurai été loué, pour la voix passive.

1°. Ce temps n'appartient pas au subjonctif, et il est aisé de le prouver aux méthodistes par leurs propres règles. Selon eux, la conjonction dubitative an étant placée entre deux verbes, le second doit être mis au subjonctif : qu'ils partent de-là, et qu'ils nous disent comment ils rendront cette phrase, je ne sai si je louerai ; en conséquence de la loi, je louerai doit être au subjonctif en latin, et le seul futur du subjonctif autorisé par les tables ordinaires, est laudavero : cependant nos Grammatistes n'auront garde de dire nescio an laudavero ; ils rendront cet exemple par nescio an laudaturus sim. Chose singulière ! Cette locution autorisée par l'usage des meilleurs auteurs latins, devait faire conclure naturellement que laudaturus sim, ainsi que les autres expressions que nous avons indiquées plus haut, étaient du mode subjonctif ; et l'on a mieux aimé imaginer des exceptions chimériques et embarrassantes, que de suivre une conséquence si palpable. Au contraire on n'a jamais pu employer laudavero dans les cas où l'usage demande expressément le mode subjonctif, et néanmoins on y a placé ce temps avec une persévérance qui prouve bien la force du préjugé.

2°. Ce temps est de l'indicatif ; puisque, comme tous les autres temps de ce mode, il indique la modification d'une manière positive, déterminée, et indépendante : de même que l'on dit coenabam ou coenaveram cùm intrasti, on dit coenabo ou coenavero cùm intrabis : coenabam marque l'action de souper comme présente, et coenaveram l'énonce comme passée relativement à l'action d'entrer qui est passée : la même analogie se trouve dans les deux autres temps ; coenabo marque l'action de souper comme présente, et coenavero l'énonce comme passée à l'égard de l'action d'entrer qui est future. Coenavero a donc les mêmes caractères d'énonciation que coenabo, coenabam, et coenaveram, et par conséquent il appartient au même mode. Les usages de toutes les langues déposent unanimement cette vérité. Consultons la nôtre. Nous disons invariablement, je ne sai si je dormais, si j'ai dormi, si j'avais dormi, si je dormirai ; et tous ces temps du verbe dormir sont à l'indicatif : j'aurai dormi est donc au même mode, car nous disons de même, je ne sai si j'aurai dormi suffisamment lorsque, etc. mais j'aurai dormi est, de l'aveu de tous les méthodistes, la traduction de dormivero ; dormivero est donc aussi à l'indicatif. Eh à quel autre mode appartiendrait-il, puisqu'il est prouvé d'ailleurs qu'il n'est pas du subjonctif ?

3°. Ce temps est de la classe des prétérits, plutôt que de celle des futurs. Quelle est en effet l'intention de celui qui dit j'aurai soupé quand vous entrerez, coenavero cùm intrabis ? c'est de fixer le rapport du temps de son souper au temps de l'entrée de celui à qui il parle, c'est de présenter son action de souper comme passée à l'égard de l'action d'entrer qui est future ; et par conséquent l'inflexion qui l'indique est de la classe des prétérits. C'est par une raison analogue que coenabam, je soupais, est de la classe des présents ; et aujourd'hui tous nos meilleurs grammairiens l'appellent présent relatif ; parce qu'il exprime principalement la coexistence des deux actions comparées. S'il renferme un rapport au temps passé, ce rapport n'est qu'une idée secondaire, et seulement relative à la circonstance du temps à laquelle on fixe l'autre événement qui sert de terme à la comparaison. C'est la même chose dans coenavero ; ce n'est pas l'action de souper comme avenir que l'on a principalement en vue, mais l'antériorité du souper à l'égard de l'entrée : cette antériorité est donc en quelque sorte l'idée principale ; et le rapport à l'avenir, une idée accessoire qui lui est subordonnée. L'analyse des phrases suivantes achevera d'établir cette vérité.

Coenabam, cùm intrasti ; c'est-à-dire cùm intrasti, potui dicère COENO, présent absolu.

Coenaveram, cùm intrasti ; c'est-à-dire cùm intrasti, potui dicère COENAVI, prétérit absolu.

Coenabo, cùm intrabis ; c'est-à-dire cùm intrabis, potero dicère COENO, présent absolu.

Coenavero, cùm intrabis ; c'est-à-dire cùm intrabis, potero dicère COENAVI, prétérit absolu.

Il parait inutîle de développer la conséquence de cette analyse ; elle est frappante : mais il est remarquable que ce temps que nous plaçons ici parmi les prétérits, en conserve la caractéristique en latin ; laudavi, laudavero ; dixi, dixero ; qu'il en suit l'analogie en français. Il est composé d'un auxiliaire comme les autres prétérits ; on dit j'aurai soupé, comme l'on dit j'ai soupé, j'avais soupé, j'aurais soupé : et qu'enfin son correspondant au subjonctif est dans notre langue le prétérit absolu de ce mode ; on dit également et dans le même sens, je ne sai si j'aurai soupé quand vous entrerez, et je ne crois pas que j'aye soupé quand vous entrerez.

L'erreur que nous combattons ici n'est pas nouvelle ; elle prend sa source dans les ouvrages des anciens grammairiens. Scaliger après avoir observé que les Grecs divisaient le futur, et qu'ils avaient un futur prochain, dit, nos non divisimus ; et ajoute ensuite, nisi putemus in modo subjunctivo extare vestigia et vim hujus significatus, ut FECERO. Lib. V. cap. cxiij. de causis ling. lat. Priscien longtemps auparavant s'était encore expliqué plus positivement, lib. VII. de cognat. temp. Après avoir fait l'énumération des temps qui ont quelque affinité avec le prétérit, il ajoute, sed tamen in subjunctivo futurum quoque praeteriti perfecti servat consonantes, ut DIXI, DIXERO. Nous avons fait usage plus haut de cette remarque même, pour rappeler ce temps à la classe des prétérits ; et il est assez surprenant que Priscien avec du jugement l'ait faite sans conséquence.

Nos premiers méthodistes qui vivaient dans un temps où l'on ne voyait que par les yeux d'autrui, et où l'autorité des anciens tenait lieu de raisons, frappés de ces passages, n'ont pas même soupçonné que Scaliger et Priscien se fussent trompés.

La plupart de nos grammairiens français qui n'ont eu que le mérite d'appliquer comme ils ont pu la grammaire latine à notre langue, ont copié presque tous ces défauts. Robert Etienne à la vérité a rapporté à l'indicatif le prétendu futur du subjonctif ; mais il n'a pas osé en dépouiller entièrement celui-ci, il l'y répète en mêmes termes. Il l'a appelé futur-parfait, parce qu'il y démêlait les deux idées de passé et d'avenir ; mais s'il avait fait attention à la manière dont ces idées y sont présentées, il l'aurait nommé au contraire prétérit-futur. Voyez PRETERIT.

C'est un vice contre lequel on ne saurait être trop en garde, que d'appliquer la grammaire d'une langue à toute autre indistinctement ; chaque langue a la sienne, analogue à son génie particulier. Il est vrai toutefois qu'un grammairien philosophe démêlera ce qui appartient à chaque langue, en suivant toujours une même route ; il n'est question que de bien saisir les points de vues généraux ; par exemple, à l'égard du futur, il ne faut que déterminer toutes les combinaisons possibles de cette idée avec les autres circonstances du temps, et apprendre de l'usage de chaque langue ce qu'il a autorisé ou non, pour exprimer ces combinaisons. C'est par-là que l'on fixera le nombre des futurs en grec, en hébreu, en allemand, etc. et c'est par-là que nous allons le fixer dans notre langue.

Nous avons en français un futur absolu, que nous rendons par une simple inflexion, comme je partirai. Nous avons de plus deux futurs relatifs, qui marquent l'avenir avec un rapport spécial au présent ; et voilà en quoi conviennent ces deux futurs : ce qui les différencie, c'est que l'un emporte une idée d'indétermination, et n'exprime qu'un avenir vague, et que l'autre présente une idée de proximité, et détermine un avenir prochain, ce qui correspond au paulo-post-futur des Grecs ; nous appelons le premier futur défini, et le second futur prochain. L'un et l'autre est composé du présent de l'infinitif du verbe principal, et d'une inflexion du verbe devoir pour le futur indéfini, ou du verbe aller pour le futur prochain ; le choix de cette inflexion dépend de la manière dont on envisage le présent même auquel on rapporte le futur. Je dois partir, je devais partir, sont des futurs relatifs indéfinis ; je vais partir, j'allais partir, sont des futurs relatifs prochains.

Dans l'un et dans l'autre de ces futurs, les verbes devoir et aller ne conservent pas leur signification primitive et originelle ; ce ne sont plus que des auxiliaires réduits à marquer simplement l'avenir, l'un d'une manière vague et indéterminée, et l'autre avec l'idée accessoire de proximité.

Ces auxiliaires nous rendent le même service au subjonctif, mais notre langue n'a aucune inflexion destinée primitivement à marquer dans ce mode l'autre espèce de futur ; elle se sert pour cela des inflexions du présent et du passé, selon les diverses combinaisons du subjonctif avec les temps du verbe auquel il est subordonné ; ainsi dans ce mode, la même inflexion fait, suivant le besoin, deux fonctions différentes, et les circonstances en décident le sens.

Quoiqu'il semble que certaines langues n'aient pas d'expressions propres à déterminer quelques points de vue pour lesquels d'autres en ont de fixées par leur analogie usuelle, aucune cependant n'est effectivement en défaut ; chacune trouve des ressources en elle-même. On le voit dans notre langue par les futurs du subjonctif ; et les latins qui n'ont point de forme particulière pour exprimer le futur prochain, y suppléent par d'autres moyens : jamjam faciam ut jusseris, dit Plaute, (je vais faire ce que vous ordonnerez) : on trouve dans Terence, factum puta (cela Ve se faire, ou regardez-le comme fait).

Il ne faut pas croire non plus que l'usage d'aucune langue restreigne exclusivement ces futurs à leur destination propre ; le rapport de ressemblance et d'affinité qui est entre ces temps, fait qu'on emploie souvent l'un pour l'autre, comme il est arrivé au futur premier et au futur second des Grecs. Il en est de même du futur absolu et du prétérit futur des Latins ; ils disent également, pergratum mihi facies, et pergratum mihi feceris. Mais on ne doit pas conclure pour cela que ces temps aient une même valeur ; la différence d'inflexions suppose une différence originelle de signification, qui ne peut être changée ni détruite par aucuns usages particuliers, et que les bons auteurs ne perdent pas de vue, lors même qu'ils paraissent en user le plus arbitrairement ; ils choisissent l'une ou l'autre par un motif de gout, pour plus d'énergie, pour faire image, etc. Ainsi il y a une différence réelle et inaltérable entre le futur absolu et l'impératif, quoiqu'on emploie souvent le premier pour le second, curabis pour cura, valebis pour vale : l'un et l'autre effectivement exprime l'avenir, mais de diverses manières.

La licence de l'usage sur les futurs Ve bien plus loin encore, puisqu'il donne quelquefois au présent et au prétérit le sens futur ; comme dans ces phrases : Si l'ennemi quitte les hauteurs, nous le battons, ou nous avons gagné la bataille : il est évident que les mots quitte et battons sont des présents employés comme futurs, et que nous avons gagné est un prétérit avec la même acception. L'usage n'a pas introduit de futur conditionnel : il le faudrait dans ces phrases ; c'est donc une nécessité d'employer d'autres temps, qui par occasion en deviennent plus énergiques : le présent semble rapprocher l'avenir pour faire envisager l'action de battre comme présente ; et le prétérit donne encore un plus grand degré de certitude en faisant envisager la victoire comme déjà remportée. On trouve même en latin le présent absolu du subjonctif employé pour le futur absolu de l'indicatif : multos reperias et reperies ; mais c'est à la faveur de l'ellipse : multos reperias, c'est-à-dire fieri poterit, ou fiet ut multos reperias. Tout a sa raison dans les langues, jusqu'aux écarts. (E. R. M.)